VOIE DES ALPES GRAIES

 

Selon D. Van Berchem, il s’agirait de la route primitive ViennaCularo – In Alpe Graia. Ceci semble être confirmé par le fait qu’en Juin 43 avant notre ère c’est cette voie qu’auraient emprunté Decimus Brutus et ses légions. Sa correspondance (« Ad Familiares » de Cicéron) jalonne son parcours : Pollentia en Ligurie vers le 10 Mai, Vercelli le 21 Mai, Eporedia (Ivrea) le 25 Mai, « In castris in Alpibus » (lieu non situé) le 3 Juin et Cularo le 8 Juin.

 

Aménagée par Arippa, elle était, selon Strabon, « praticable aux chars sur la plus grande partie du parcours » et cela, dès 18 de notre ère, époque probable de la rédaction du livre IV de sa Géographie. Mais, c’est sans doute sous Auguste que l’ancien tracé du Petit Saint Bernard à Vienne par Cularo fut rectifié pour joindre directement Vienna à Lemencum par Augustum (Aoste) et Bergusium (Bourgoin) : cette nouvelle et grande voie de Milan à Vienne par les Alpes Graies deviendra la Via Agrippa ou Voie Prétorienne.

 

Dans son segment ancien LemencumCularo, et notamment sur les communes de Bernin, Crolles, Lumbin, la Terrasse, Sainte Marie d’Alloix, la Buissière et Barraux, la voie a gardé le nom de « chemin de l’Empereur » en souvenir, dit Pilot, d’Aurélien qui la fit réparer et élargir en plusieurs endroits à la fin du 3ème siècle.

 

 

DE GRENOBLE A MONTMELIAN :

 

La voie sortait de Cularo par la Porte Viennoise, franchissait l’Isère et se séparait de la voie de Vienne à hauteur de l’actuelle Montée Chalemont. Elle passait, probablement et comme semble l’indiquer la morphologie du terrain, au dessus de l’actuelle rue Saint Laurent puis à l’Est du clocher de l’église. Bordée de nécropoles antiques, ele est identifiable par celles ci : Saint Laurent, Porte Saint Laurent, Saint Sixte, Saint Ferjus. Dans ce secteur la voie semble être aujourd’hui profondément enfouie.

 

La Tronche, hormis les nécropoles, n’offre pas de repère probant.

 

Elle devait aborder Corenc Montfleury auprès de la croix implantée dès au moins le XIV° siècle (peut-être à l’emplacement d’un milliaire) qui témoigne ainsi de l’ancien tracé de circulation. La voie devait ensuite suivre l’actuel chemin de l’Eygala et l’ancienne Nationale 90, au moins jusqu’à la Détourbe.

 

Sur Meylan, le tracé de la voie n’est pas connu. Elle devait, selon toute vraisemblance, passer sous le lieudit « la Ville » avant d’aborder le territoire de Montbonnot Saint Martin, probablement aux Rieux. On peut ensuite la localiser au Nord du hameau de Saint Martin, dont le patronage est fréquent à proximité des voies romaines : de fait, Saint Martin de Misere est l’un des plus anciens et des plus importants prieurés du Dauphiné.

 

La voie devait ensuite suivre, entre Serviantin et Corbonne, le tracé de l’actuelle Nationale 90, ancienne voie royale, qui a du se superposer à l’ancienne voie romaine : il faut noter qu’elle sert de limite communale entre Montbonnot et Biviers ce qui atteste bien de l’ancienneté du tracé.

 

A Corbone, sur la limite communale Biviers – Saint Ismier, il y avait, au moyen âge, une maladrerie avec sa chapelle dédiée à Sainte Marie Madeleine et l’on sait que ces établissements étaient, presquee toujours, fondés à proximité d’anciennes voies romaines.

 

De Corbone, la voie devait passer au Sud du « Mas » (mansus ? mansione ?) en limitant l’importante terre de Charvinières.

 

Sur Saint Nazaire, le tracé est hypothétique ; la voie suivait-elle l’actuel tracé de la Nationale 90 par les Marciaux et les Eymes ?

 

Sur Bernin, la problématique est la même ; on peut toutefois conjecturer un tracé par les Varsous, les Marechalles et l’actuelle limite communale Bernin – Crolles. Une inscription votive, appartenant à un tombeau sans doute situé au bord de la voie, a été découverte à Bernin.

 

Sur Crolles, la voie se retrouve, semble t-il, dans trois toponymes : le « chemin de la Grande Vie », indication à peu près fiable, la « Charrière » et la « Croix de Saint Aupré », emplacée à Montfort depuis très longtemps, au bord de ce qui devait être l’ancienne voie. La tradition voit, dans le socle de la croix, l’autel de Saint Aupré du VII° siècle. En effet, celui ci, originaire de Sens, aurait obtenu de l’évêque de Grenoble, un emplacement au bord de l’Isère, sur le domaine de la « Villa Millacianum » dans le pagus de Grenoble. Il y aurait établi un ermitage et élevé un sanctuaire, dédié à Saint Nazaire, avant de mener une vie érémitique tout en assurant dans un petit hospice (à la Terrasse ?) l’exercice de la charité. A la croix de Saint Aupré, aujourd’hui encastrée dans le mur du « château du Polonais » de Montfort, est attachée une tradition : avant de quitter la Terrasse, Aupré aurait célébré une ultime messe sur la pierre qui lui servait d’autel. Cette pierre, utilisée ensuite dans une digue de l’Isère aurait été remployée, par récupération, comme piédestal de la croix au XVII° siècle. A proximité du tracé de la voie ont été découverts des urnes funéraires, des ex voto en bronze, un support de lampe à huile, une anse en bronze et un fragment de corniche.

 

Sur Lumbin, la voie longeait Pouillant, Camp Ferrant, les Grangettes et Petit Lumbin. Au Sud Ouest de ce dernier hameau elle a été découverte avec son dallage à proximité d’une villa romaine avec des thermes domestiques. Un petit trésor d’une centaine de monnaies échelonnées de Néron à Constant à également été découvert dans ce même secteur.  Elle passait ensuite au hameau de Pouliot, où elle a été retrouvée à plusieurs reprises, et où est conservée une pierre curieuse qualifiée du nom de « borne romaine » (milliaire anépigraphe ?).

 

Sur la Terrasse, la voie est bien identifiée par le « chemin de l’Empereur » qui part peu après la bifurcation du Carré sur la droite de la Nationale 90 et qui lui est parallèle jusqu’à l’ancienne église vers Chonas. On pense que cette église, vouée à Saint Aupré, a sans doute succédé à un temple à Mercure (inscription conservée in situ contre le mur Ouest de la nef de l’église). On a de plus retrouvé à Chonas des tombeaux et des pierres tumulaires qui devaient border la voie qui présenterait encore, par temps de sécheresse, des vestiges visibles.

 

On notera encore, face à l’ancienne église, une croix ancienne dont le fut central pourrait être une colonne antique provenant du sanctuaire supposé ou un milliaire anépigraphe. La voie est ensuite identifiable au lieudit « les Grandes Mortes ».

 

Sur la commune du Touvet le « chemin de l’Empereur » est également bien marqué notamment à « Pré Villet », à « Grange des Iles » et à « la Pra ».

 

Il en va de même sur celle de Saint Vincent de Mercuze dont le nom, selon Pilot, pourrait venir de Mercure. Trois trouvailles de dépôts monétaires ont été faites, à proximité de la voie et dans des conditions similaires en 1870, 1889 et 1961, respectivement aux lieudits « Mas de la Branche » (304 monnaies), « la Bellangère » (1550 monnaies) et « Saint Vincent » (230 monnaies).  Pour deux de ces dépôts, les dates d’enfouissement avoisinent l’an 310 et sont peut-être à mettre en relation avec les représailles brutales engagées par Constantin à l’encontre de ceux qui, de gré ou de force, avaient soutenu la trahison de Maximien.

 

La voie est ensuite bien identifiée sur Sainte Marie d’Alloix où elle passe à l’Est du chef lieu puis au hameau du Bourgeat (chemin de l’Empereur parallèle à la Nationale 90). On sait, par la toponymie et par certains vestiges mis à jour qu’il existait à Sainte Marie d’Alloix plusieurs villae dont, au moins une avec des thermes fouillée en 1981.

 

Sur la Buissière, la voie est repérable à proximité du lieudit « les Granges » puis à « la Crosse » et aux « Charmettes », laissant, à cet endroit et à peu de distance, l’ancien mas de la Maladière, rappelant l’emplacement d’une léproserie édifiée à proximité de la voie. Celle ci porte, dans ce secteur, le nom de « route de Mont Evêque ». Un trésor de 1700 antoniniani pourrait avoir été découvert non loin du tracé de la voie.

 

La voie semble ensuite présenter deux tracés possibles jusqu’à Chapareillan, à moins qu’il n’y ait eu simplement bifurcation au niveau de la Gache, sur Barraux, où a été retrouvé l’emplacement d’un port antique et des traces de voie ; peut-être existait-il, à cet endroit, un bac ou un gué permettant de traverser l’Isère et de rejoindre Pontcharra sur la rive gauche.

 

Soit par la Gache, les « Trois Têtes » et « Servette », soit par la Maladière, le Châtelard, la Pointe, la Fournache et Servette la voie traversait le territoire de Barraux où l’on connaît une léproserie et où des bains romains ont été exhumés au XIX° siècle.

 

Sur Chapareillan, le tracé de la voie est assez bien connu : celle ci passait, notamment, à l’Ouest de l’actuel chef lieu, au Villard et au hameau de l’Etraz (via strata) où elle a été retrouvée à l’occasion de travaux. Dans le nom de Chapareillan, Pilot voyait « campus Aureliani », le camp d’Aurélien, restaurateur de cette voie romaine.

 

Quittant le département de l’Isère au lieudit encore nommé « la Douane », la voie entre en Savoie sur le territoire des Marches qui a livré divers vestiges antiques et, notamment, une villa romaine et des sépultures. Elle se poursuit, selon un tracé qui n’est pas connu avec certitudes, sur la commune de Montmélian où, sans localisation précise, est signalée, à la fin du XVIII° siècle, l’existence d’un « fragment de borne romaine ».

 

DE MONTMELIAN A BOURG SAINT MAURICE :

 

Les itinéraires antiques (Table de Peutinger et Itinéraire Antonin) mentionnent, sur ce segment, six stations :

 

(LEMINCO/LEMINCUM) > MANTALA (XVI milles) > AD PVBLICANOS (16 milles) > OBILONNA/OBILVNNVM (III ou VI milles) > DARANTASIA (XIII milles) > AXIMAM (10 milles) > BERGINTRVM (VIIII milles).

 

De Montmélian, la voie du Grésivaudan, qui n’avait pas besoin de gagner Lemincum, devait joindre directement Arbin où une agglomération, de type vicus routier, est connue.

 

Le tracé de la voie romaine dans la Combe de Savoie est resté vague jusqu’alors faute de vestiges et, paradoxalement, de difficultés de parcours. D’Arbin à Saint Jean de la Porte le passage « en balcon » de la voie semble imposé par le lit de l’Isère. En s’en tenant strictement aux distances des itinéraires, Mantala serait à localiser à Saint Pierre d’Albigny, mais, plus vraisemblablement, la localité antique est à rapporter à Saint Jean de la Porte, 3,5 km plus loin, où abondent les vestiges et où a exité, selon toutes apparences, un vicus et un port suggéré par l’inscription des « Ratiarii Voludnienses », corporation des bateliers sur l’Isère. Au surplus, Saint Jean de la Porte devait communiquer directement, par un gué ou par un pont, avec le vicus des Boissons de Châteauneuf, de l’autre côté de l’Isère.

 

L’appellation de la station suivante, Ad Publicanos, découle évidemment du poste de percepteurs publicains qui prélevaient à cet endroit l’impôt du « Quarantième des Gaules », au niveau de la frontière entre la cité des Allobroges et la province des Ceutrons. Cette station est à localiser près d’Albertville-Conflans encore que le vicus de Gilly ait révélé les vestiges d’une grande agglomération, à la fois urbaine et rurale, traversée par la voie romaine de Vienne à Milan ; mais, celui ci est éloigné de près d 4 km du pont de l’Arly.

 

Dans la plaine de Conflans à la Maladière, la chaussée romaine, surélevée près du rocher, est encore visible sur deux cents mètres, peu après Albertville.

 

Obilonna est à rechercher à Arbine (« Ablonaz » au moyen âge), aujourd’hui hameau de la Bathie.

 

Les travaux effectués par L. Borrel en 1885, ont révélé une chaussée formée d’une couche de graviers de 0,35 m à 0,50 m d’épaisseur, le plus gros gravier (ruderiato)  se trouvant à la base et reposant, dans les passages humides, sur un lit de pierres.

 

De là, la voie devait suivre, au plus près, le versant de la rive. On peut la localiser, sans grand risque d’erreur, à « Lettraz » (via strata) et à la « gorge des échelles d’Hannibal » ( !) où, avant les travaux du barrage, se voyait nettement le passage taillé en rocher sur 23 mètres de long et 5,3 mètres de large, étayé par un long mur, bien appareillé, dominant le torrent de 16 mètres.

 

Darantasia, éponyme du nom de la vallée entière, doit certainement son importance antique au carrefour vers les Trois Vallées puis la Maurienne, ainsi qu’à l’extraction du sel de Salins les Thermes. Simple vicus au Haut Empire, Moutiers devint, au IV° siècle, par suite du déclassement d’Aime, Métropole des Alpes Graies, Atréctiennes et Poenines, qui regroupait le territoire des Ceutrons et le Valais.

 

Entre Darantasia et Axima, le tracé de la voie romaine a été authentifié à divers endroits :

 

-          dans les gorges de l’  « Etroit du Siaix où deux éléments de voie dallée sur un mur de soutènement construit en blocs taillés sont encore visibles sur 5 mètres de long,

-          à Centron (sans rapport avec l’ethnique Ceutrones) et à Villette (Brigantio)

-          au « Dos de la Fortune », à 1,5 km d’Aime

-          à l’entrée Ouest d’Aime, dans le talus de la Nationale 90 : large de 5,30 mètres, pavée, la voie repose sur un substratum de cailloux roulés. Elle était bordée par un fossé et par deux rangées de tombeaux romains.

 

Axima, capitale indigène, devint, au 1er siècle, par la faveur de l’Empereur Claude, Forum Claudii Ceutronum, capitale des Alpes Graies puis, à partir du 3ème siècle, également celle des Alpes Poenines jusqu’à son déclassement, au siècle suivant, en faveur de Moutiers.

 

De cette étape importante devait vraisemblablement diverger un chemin de montagne vers le Col du Bonhomme par les cols du Coin et de Roselend, pour assurer avec le Valais les nécessaires relations administratives.

 

D’Aime à Bourg Saint Maurice (Bergintrum), le seul trajet possible correspond à celui de l’actuelle Nationale 90, implantée sur le versant d’adret et abrité des eaux. En 1880, de grands travaux y auraient mis au jour de nombreuses dalles antiques.

 

Il ne subsiste rien de la mansio de Bergintrum, ensevelie sous les alluvions des cônes de déjection de l’Arbonne et du Chardonnet, restés dangereux même à notre époque et qui avaient justifié des Empereurs Marc Aurèle et Lucius Verus d’importants travaux de restauration qui nous sont connus par une inscription de Décembre 163, aujourd’hui conservée au Musée lapidaire d’Aime (CIL XII, 107) :

 

« Imp(erator) Caes(ar) Lu(cius) / Aurelius Verus Au(gustus) / (tr) ib(unicia) potest(ate) III co(n)s(ul) II / (vi)as per fines Cuetro / (n)um vi torrentium : (ev)ersas exclusis / (flu)minibus et in na(tu) / (ra)llem alveum red(uctis) / (mo)libus plurib(us) locis / (opp)ositis item p(ontes) / (tem)pla et balin(ea) / pec(unia) sua resti(tuit) ».

 

« l’Empereur César Lucius Aurelius Verus Auguste, titulaire de sa troisième puissance tribunicienne, consul pour la deuxième fois, a restauré, à ses frais, dans le territoire des Ceutrons les routes emportées par la violence des torrents, après avoir repoussé les cours d’eau et les avoir ramenés dans leur lit naturel en leur opposant des digues en de nombreux endroits ; de même (il a restauré) les ponts, les temples et les bains ».

 

DE BERGINTRVM A AOSTA :

 

La voie est encore bien matérialisée de Séez au col du Petit Saint Bernard. Séez doit son nom à une borne milliaire (sextum lapis), la sixième avant le col. Un carrefour devait se situer, un peu à l’Est de Séez, au lieudit « Trèves » (Tres viae).

 

De Séez à Saint Germain, le tracé de la voie s’est perdu en partie par suite de l’éboulement de la Sivolière qui, au moyen âge, avait ensevelli le village de Séez. Cheminant vers l’aval, en versant Sud Est, le long d’une pente raide (de 8 à 15 %), exposée aux avalanches, celle ci décrit quelques lacets en arrivant au village de Saint Germain et présente quelques segments encore empierres.

 

De Saint Germain, elle s’élève, bien conservée et encore empierrée, pour passer à proximité de la chapelle du Hameau des Chavonnes. Plus haut, au milieu des herbages, elle est très visible avec des secteurs pavés dans les endroits délicats.

 

Dominant un ravin appelé la « cantine du creux des morts », évocatrice des drames de l’hiver, on a trouvé, à la fin du XIX° siècle, un fragment de milliaire (le milliaire III) au lieudit encore appelé « la Colonne ». Les restes de ce milliaire seraient enfouis sous les déblais de construction de la nouvelle route d’alpage.

 

Ce secteur était particulièrement délicat, au point qu’Ammien Marcellin, au IV° siècle écrivait :

 

« … Ses pentes sont très accusées et effrayantes à regarder à cause des rochers qui la surplombent de chaque coté, et particulièrement au printemps au moment de la fonte des neiges, entre les ravins aux flancs escarpés et les fissures dissimulées par l’accumulation de la glace. Hommes et bêtes, descendant d’un pas hésitant, se mettent à glisser ainsi que les attelages, les hommes et les bœufs s’efforçant de les retenir par derrière avec de grosses cordes… ».

Il ajoute : « En hiver… des pieux ont été alignés le long du bord, pour les guider ». 

 

Près de la chapelle Sainte Barbe, à mille pas de la « cantine », un milliaire brisé en deux était signalé en 1880 (le milliaire II).

 

La « Colonne de Joux », à deux mille pas de Sainte Barbe est donc, selon toute vraisemblance, le milliaire repère et initial de la graduation, ce qui expliquerait l’absence d’inscription. Haut de 4,50 mètres, sans doute pour être visible même en hiver, nommé « Columna Jovis » dans les textes médiévaux, le monolithe rappelle également un culte à Jupiter.

 

La tradition littéraire antique comptait le passage du Petit Saint Bernard au nombre de ceux qu’auraient ouvert Heraclès. Il est de fait que celui ci était fréquenté, dès l’époque pré-romaine et notamment par les Ceutrones de Tarentaise et par les Salassi de la Doire Baltée : le cromlech dit « cercle d’Hannibal », établi au col lui même, témoigne peut-être des rencontres de ces peuples.  La voie elle même aurait été la plus ancienne aménagée par les romains dans les Alpes, si du moins il est vrai que Caius Gracchus y construisit une route en 122 avant notre ère. C’était le passage le plus court entre l’Italie du Nord et la Gaule Centrale et, aux dires de Strabon, c’était le seul, dans ce secteur des Alpes, qui fut praticable aux grands charrois.

 

Deux mansiones, aujourd’hui en territoire italien, existaient au col, à 2188 mètres d’altitude : l’une, officielle, gîte d’étape complet, doublée d’une seconde, à proximité, peut-être privée. Elles matérialisaient la station d’In Alpes Graia.

 

La consolidation de cette voie, reliant, de la manière la plus directe, Milan à Vienne, date probablement de Jules César, vers 45 avant notre ère, son achèvement pouvant se situer sous Auguste vers 2 ou 3 de notre ère.

 

Du côté valdôtain, la voie est bien reconnue jusqu’au village de la Thuile (station Ariolica ou Ariolicum, à six milles d’In alpes Graia), sous le nom actuel de « mulattiera ». Au delà, son tracé se retrouve à Pré Saint Didier (station Arebrigium à seize milles d’Ariolica et à vingt cinq milles d’Aosta).

 

Au delà, en direction d’Aosta, elle a conservé son nom de « voie des Gaules ». Des vestiges très importants sont encore parfaitement visibles dans le secteur délicat, dit de la « pierre taillée », à Ruinaz où elle est, en certains endroits, construite en surélévation sur des murs très importants et, en d’autres endroits, entièrement taillée dans le rocher. Son pavage, en larges dalles, est encore fort bien conservé.

 

Aosta, Augusta Praetoria, colonie fondée en 25 avant notre ère par Auguste, a été construite sur le plan rectangulaire d’un camp romain, entourée d’une muraille avec des tours et quatre portes et divisée en carrés par des rues qui se coupent à angle droit. Les traits principaux de la ville antique apparaissent encore dans le plan de la ville actuelle. Le rempart, long de 700 mètres pour une largeur de 550 mètres, englobait environ 40 hectares. La cité antique a conservé, outre son rempart et certaines de ses portes, de nombreux établissements publics : l’amphithéâtre, le théâtre et des cryptoportiques. Extra muros, à l’ Est de la cité remparée, subsiste un arc triomphal élevé sous Auguste lors de la fondation de la colonie, en 25 avant notre ère.

 

La voie du Grand Saint Bernard :

 

Le col du Grand Saint Bernard, à 2473 mètres d’altitude, In Summo  Poenino, conserve les traces de la voie qui, venant d’Aoste, joignait Martigny (Octodurus).  Ce tracé était déjà utilisé à l’époque préhistorique et gauloise si l’on en juge par les vestiges découverts (notamment des monnaies du VI° siècle avant notre ère). Strabon indique qu’il s’agissait d’un parcours étroit et raide, mais court. Celui ci, également carrossable, n’était, semble t-il, utilisé que par les petits attelages. Il était pratiqué tout aussi bien par les armées que par les marchands et il le fut, plus tard, par les pèlerins de Rome. Ce tracé pourrait remonter à l’époque de Claude si l’on en juge par les milliaires qui ont été découverts sur son parcours septentrional.

 

Au col lui même, une mansio à été découverte avec un petit temple dédié à Jupiter Poeninus.

 

Sur le versant Suisse, la voie, par endroits creusée à même le rocher et supportée par des murs dans les passages en corniche, n’excédait pas 3,70 mètres de largeur, avec une pente souvent forte. C’est, avant tout un passage militaire - utilisé notamment dans les périodes d’urgence telle celle qui suivit la mort de Néron en 69 - pour aller de Germanie en Italie : les petits ex voto trouvés près du temple de Jupiter proviennent en effet, en majorité, de militaires stationnés sur le Rhin.

 

Sur le versant Italien, la voie romaine est encore apparente avec des rochers taillés depuis le col jusqu’à Saint Rhémy (Eudracinum).

 

Au delà d’Aosta :

 

La « voie des Gaules », commune aux deux cols, offre encore de spectaculaires tronçons ; à Châtillon et à Saint Vincent subsistent des vestiges de pont et à Pont Saint Martin, un pont, intégralement conservé, permettait à la voie de franchir le Lys : son arc surbaissé mesure 36,65 mètres et sa flèche 11,80 mètres. C’est l’un des plus beaux et des mieux conservés du monde romain et c’est le plus grand pont à une seule travée qui subsiste encore, celui de Trajan, sur le Danube, qui le surpassait, ayant été détruit pendant les invasions des barbares.

 

Mais c’est à Donnas que se voient les vestiges les plus considérables : en cet endroit, la roche est taillée sur une hauteur exceptionnelle de 20 mètres, sur une longueur de 220 mètres. Une borne milliaire est sculptée à même le rocher. Le dallage est pourvu de rails en creux, d’écartement régulier de 1,50 mètre. A l’extrémité Ouest de cette section, un arc monumental, intégralement conservé est un exemple frappant de l’énorme quantité de roche taillée et enlevée des flancs de la montagne pour permettre le passage de la voie et montre ce que devait être la « porte de Bons » sur la voie de l’Oisans, avant son effondrement partiel. Tout cela témoigne d’un très grand art d’aménagement, à la perfection quasi titanique, et de l’importance considérable qu’avait cette voie.