Les voies antiques du Trièves

 

Si l’on s’en tient à l’hypothèse la plus évidente et, au demeurant, la plus logique, le Trièves devrait son nom à la présence d’au moins trois voies de communication sans doute notoires et de fréquentation usuelle durant l’antiquité et au delà. Vouloir tenter d’en reconstituer le tracé précis est bien évidemment impossible. Toutefois, divers éléments permettent d’imaginer ces trois axes principaux et, au-delà, quelques axes secondaires.

 

I – la voie de Grenoble à Fréjus :

 

Le plus évident de ces axes routiers et aussi le mieux connu est la voie qui joignait Cularo (Grenoble) à Forum Iulii (Fréjus) en traversant le Trièves du nord au sud. Cette voie est assurément la voie principale du Trièves et en constitue une épine dorsale qui perdurera jusqu’au 19ème siècle. C’est également la seule qui soit citée dans les textes antiques. En effet, Tite Live, dans son « Histoire romaine », dit qu’une piste existait dès au moins la fin du 3ème siècle avant notre ère. De plus, selon les « épistulae ad familiares » de Cicéron c’est ce chemin que parcourt Lucius Munatius Plancus en mai 43 avant J. C. pour tenter de rejoindre Lépide à Forum Voconii (aujourd’hui les Blaïs, sur la commune des Arcs  dans le Var) en « huit jours de marche » ce qui sous entend une voie directe, bonne et sure, sans obstacles naturels majeurs de nature à freiner la marche des légions. « Vieux chemin, écrivait Camille Jullian, qui depuis Grenoble monte et descend sans cesse à travers les vallées et les contreforts des Apes, cette route est peut être la plus paysanne des Gaules ».

Cette voie, que j’ai particulièrement étudiée, est encore de nos jours jalonnée d’indices permettant de se faire une idée de son tracé dans toute la traversée du Trièves.

Ses fondements ont été retrouvés en 1995 au lieudit « l’Achard » (commune de Varces, Allières et Risset) sur une centaine de mètres de longueur. Il s’agissait d’une chaussée constituée de blocs de calcaire et de graviers large de 5 à 8 mètres, ce qui témoigne de son importance. Passant à Vif (vicus ?) qui a conservé le toponyme « l’Etrat », témoin assuré du passage d’une voie antique (via strata), son tracé est ensuite incertain. Certains auteurs font tendre la voie sur Saint Martin de la Cluse, Sinard et Monestier de Clermont cependant que d’autres (au nombre desquels je me compte) voient plutôt un axe le Gua, Cassoulet (la Fontaine Ardente connue dès l’antiquité est située à proximité), Lanchâtre (camp romain ?), Moulin Colombat, Caillatère, Rivoiranche (fragment possible de milliaire découvert début 2002), Saint Paul les Monestier, Col du Fau (passage de très haute origine ayant livré un campement néolithique et emplacement de la « Pierre au Prêtre », mégalithe possible), Gerbaux (sépulture du hallstatt final), Vicaire (vicus ?), Saint Michel (fragment possible de milliaire anépigraphe scié en deux parties dans le chœur de la chapelle), gué ou pont sur le torrent de Grosse Riffol, Croix de Bouland, Saint Martin de Clelles, gué ou pont sur l’Orbanne à l’emplacement du défunt « pont Chardon », Clelles, le Percy, Monestier du Percy, Saint Maurice en Trièves (site d’une commanderie de Saint Jean de Jérusalem établie suivant l’usage au bord d’une voie ancienne), col Turdot, Lalley puis le long du ruisseau de la Croix Haute jusqu’à Notre Dame du Trièves et le col proprement dit, site de passage de haute origine où l’on a découvert une fibule à navicella du 7ème siècle avant notre ère, jalon évident de la piste primitive que les romains aménagèrent ultérieurement.

Cette voie, devenue voie royale au 17ème siècle, perdurera sans changements notables jusqu’à l’ère moderne et l’apparition de l’automobile.

 

2 – la voie de Grenoble à Die par le Trièves :

 

La voie de Cularo (Grenoble) à Dea Augusta (Die) existait sans doute sous forme d’une piste bien avant les romains. Cet axe, très direct, représentait une distance inférieure à 70 km entre les deux agglomérations antiques, soit deux grandes journées de marche diurne mais nécessitait le franchissement d’un col et des hauts plateaux du Vercors ce qui induit une utilisation limitée à la belle saison.

Jusqu’à Lanchâtre, on peut penser que cette voie empruntait le tracé de la voie de Fréjus (supra) puis qu’elle gagnait Gresse en Vercors vraisemblablement par Saint Guillaume. A Gresse, localité connue de haute origine (Gradosa dans le testament du patrice d’Abbon de 739), une croix médiévale sur laquelle sont sculptées trois coquilles Saint Jacques témoigne d’une voie de pèlerinage qui aurait emprunté, comme en maints endroits, le tracé d’une voie antique.

Un site d’étape peut être conjecturé au « Menil », toponyme souvent révélateur qui vient de « mansio, mansionile », le lieu d’étape où l’on passe la nuit. Puis, par le pas de la Selle où un spectaculaire segment entièrement taillé à vif dans le rocher subsiste sur trois ou quatre mètres de hauteur avec une chaussée de trois mètres de large, la voie gagnait les carrières romaines de la Queyrie, les plus élevées de tout l’empire romain, exploitées de la fin du premier siècle de notre ère au milieu du troisième siècle puis, par Preyperet gagnait Die, capitale de la civitas des Voconces.

 

 

3 – la voie de Grenoble à Mens et la Croix Haute :

 

Il fut une époque où l’on considérait que toutes les voies romaines du Trièves conduisaient nécessairement à Mens. Or, nonobstant toute la littérature sur l’origine de cette agglomération, jamais la moindre antiquité n’y a été trouvée à ce jour. Dès lors, on écartera bien évidemment l’idée d’un « Forum Neronis » que, depuis Guy Allard, l’on trouve encore de manière navrante dans des compilations contemporaines ou de l’une des stations jumelles « Geminae » de la voie de Die à Briançon de la Table de Peutinger. Toutefois, un relais routier n’est pas improbable (mansio = Mens ?). Ses traces restent néanmoins à découvrir.

En ce cas, on peut imaginer deux tracés possibles pour cette voie :

 

-       Saint Martin de la Cluze, Sinard, pont vers la confluence Drac Ebron, Mens

-       Roissard, Maissenas, Brion, pont sur l’Ebron, Lavars, Cornillon en Trièves, col du Thaud et Mens.

 

Dans les deux hypothèses, la voie devait ensuite se scinder et tendre, d’une part, au col de la Croix Haute par Prébois et, d’autre part, à Gap par Cordéac et Pellafol.

 

Mais, au-delà de ces trois axes qui ont pu donner naissance au mot Trièves, d’autres voies antiques secondaires paraissent probables. Ainsi :

 

-       une voie secondaire prenant son origine sur la voie principale du Trièves et tendant de Saint Martin de la Cluse (les Cinq Chemins ?) à Avignonet et, de là, par un pont sur le Drac, à la Motte Saint Martin où existaient d’importants thermes romains fréquentés, selon Prudhomme, par les « cularonenses » ou habitants de Cularo, Les thermes se seraient d’ailleurs établis sur les deux versants du Drac, alors très étroit dans ce secteur. Sur le versant de la Matheysine, cette voie est encore bien fossilisée et comporte un passage en saignée dans le roc. De là, elle joignait la Mure (peut être « Mura », capitale des Tricorii ?) et Gap (Vappincum des Voconces).

-       une autre voie jumelle à la précédente par Avignonet, Ars (bac ou pont sur le Drac ?), Monteynard et la Mure.

-       une voie transversale Trièves Vercors partant du Percy et tendant à Die par Chichilianne, le pas de l’Essaure et le vallon du Combeau.

-       et enfin, une dernière voie tendant de Clelles ou du Percy au col de Menée puis à Die.

 

C’est donc un vaste réseau de voies de communication qui semble avoir irrigué le Trièves dès l’antiquité. Malheureusement, les découvertes archéologiques pouvant authentifier de manière assurée leur tracé restent à venir.

 

                                                                                 

                                                                                                              Jean Claude MICHEL