LA VOIE DITE D’HANNIBAL

 

 

 

 

 

 

Cette voie, sur la rive gauche de l’Isère, dont l’existence n’est pas aussi probante que celle qui parcourait la rive droite du Grésivaudan (voie des Alpes Graies) est néanmoins attestée par divers toponymes, l’indication d’un habitat constant sur presque toute sa distance et, surtout, par l’histoire car c’est, sans doute, celle qui a été empruntée, à la fin du 3ème siècle avant notre ère par l’armée d’Hannibal dont il semble établi qu’elle ait gagné Pontcharra par la rive gauche de l’Isère, suivie depuis Valence.

 

 

DE GRENOBLE A DETRIER

 

La voie devait être tracée un peu plus haut que l’actuelle Départementale 523 car toutes les zones proches de l’Isère ont des toponymes indiquant qu’il s’agissait de zones submersibles.

 

Son point de départ, durant l’époque romaine, n’est pas connu. Sortait-elle de Cularo par la route de Rome avec une bifurcation à hauteur des collines d’Echirolles ou bien rejoignait-elle directement Saint Martin d’Hères ? Ce qui est sur c’est que subsiste sur cette commune un « chemin du pavé » et une « vie vieille » qui semblent attester de la présence d’une voie romaine.

 

Ce dernier toponyme existait également anciennement sur Gières où l’on a retrouvé, en 1957, une villa romaine avec balnéaire et dont l’église conserve un fragment de tombeau qui devait, originellement, border la voie romaine.

 

Celle ci devait traverser la commune de Murianette à hauteur du village actuel.

 

Il existe toujours à Domène un toponyme « les Quatre Chemins » pouvant indiquer un croisement de voies car Revel,  Saint Jean le Vieux et Laval, qui ont révélé des domaines gallo romains, devaient être desservis par une voie secondaire. Le vieux chemin, en contre haut de la D 523, passant par les Arnauds, les Condamines et la Masse, pourrait recouvrir l’ancienne voie. Il se poursuit, sur le territoire du Versoud, par Etape, emplacement d’un château delphinal qui, comme l’indique son nom, devait être situé au bord d’un axe important. Peut-être pourrait-on même suggérer l’emplacement possible d’une mutatio.

 

La trace de ce chemin se perd derrière l’église du Versoud mais il pouvait se poursuivre par Roussillon, Cotes Belles, Pruney et la Lunette.

 

Sur la commune de Villard Bonnot, où existait un domaine gallo romain, la trace de la voie n’est pas décelable.

 

Froges, par contre, présente deux toponymes importants : l’ancien lieudit « Constantin », sous Montfallet, qui, selon J. Bruno serait ainsi nommé en souvenir de l’Empereur Constantin lequel, en 312, aurait traversé le Graisivaudan par cette voie et le lieudit « Mazetiers », indiquant très souvent des ruines d’origine antique et qui, de fait, est un très ancien hameau.

 

Le tracé, sur la commune de Champ près Froges n’est pas aisé à déterminer. Il existe bien une grange de « Grande Vie » et un hameau portant le nom de « Tigneux » (domaine de Tenius ?) mais tous deux sont situés très haut dans la commune.

 

Là aussi la « Grande Vie » pouvait être une voie antique de hauteur désservant l’important domaine gallo romain des Adrets et ceux d’Hurtières et de Theys.

 

C’est peut-être également dans ces parages que partait la voie, conjecturée par plusieurs auteurs, qui, par le Pas de la Coche, aurait rejoint Allemont et la voie d’Italie.

 

La voie abordait ensuite le territoire de la Pierre où l’on sait qu’il existait une maladrerie « située sous la route romaine ». C’est d’ailleurs au lieudit « les Maladières » qu’a été découverte, en 1980-1981, une luxueuse villa du Haut Empire avec thermes.

 

On notera également sur cette commune le révélateur toponyme « le Ferrat », témoignant d’une voie « ferrée » c’est à dire pavée.

 

Tencin a livré, en 1902, un sarcophage qui, selon la coutume, devait être situé au bord de la voie. Il existe également un lieudit « la Grande Maison », toponyme indiquant parfois un relais routier d’origine antique. On notera également le lieudit « Pont Rouge », épithète que l’on retrouve assez fréquemment dans la voirie antique.

 

La voie quittait sans doute Tencin par le lieudit « le Port », situé assez loin du cours actuel de l’Isère mais qui, compte tenu de la largeur en certains points des bras de la rivière durant l’histoire (jusqu’à 1800 mètres) pouvait, à l’époque antique, être un point côtier, puis abordait le territoire de Goncelin.

 

H. Müller pensait que Goncelin avait été un bourg important à l’époque romaine. On a effectivement retrouvé de notables vestiges dans le « champ du Bourg » au Nord Est de Goncelin. De plus, le hameau actuel de Villard Bozon devait être le centre d’un important domaine gallo romain.

 

Ensuite, et peu après Goncelin, il semble bien que la route se soit séparée en deux branches, l’une continuant, par le bord de l’Isère, jusqu’à Pontcharra d’où l’on pouvait, par gué ou par bac, rejoindre le port de la Gache sur Barraux et la rive droite en direction des Alpes Graies, l’autre se dirigeant sur Allevard. Peut-être cette bifurcation est-elle rappelée par le lieudit « la Croix ».

 

Sur le Cheylas on peut, à titre d’hypothèse, proposer un tracé de la voie romaine par les Chaberts, l’Arthaudière, le Rival, le Villard et le Maupas. On notera également un ancien lieudit « la Vie ».

 

Pontcharra a livré de nombreux vestiges antiques : un trésor d’antoniniani de l’époque des « Empereurs Gaulois », des substructions sur le coteau Bayard, des restes de construction, dont une voûte en cul de four, à la papeterie de Moulin Neuf, et, récemment, à Grignon, la pars rustica d’une villa. Un emplacement de mansio au bord de la voie n’est pas à exclure. Pontcharra avait, en effet, au moyen âge, une commanderie et une léproserie, deux établissements que l’on retrouve fréquemment à proximité des voies romaines importantes.

 

A Pontcharra, plusieurs dédoublements de la voie semblent avoir existé :

 

-          Pontcharra, la Gache et la rive droite de l’Isère

-          Pontcharra – Montmélian par Laissaud et les Molettes

-          Pontcharra – Détrier par Saint Maximin.

 

Laissaud et les Molettes n’ont pas livré de vestiges toponymiques ou tangibles de la voie. On notera toutefois, pour Laissaud, la découverte, au siècle dernier, de monnaies romaines non décrites.

 

Saint Maximin était, au moyen âge, le siège d’une commanderie et il subsiste un « chemin du Pavé ». Par « Saint Roch » et « les Moulins », sur le Moutaret, la voie devait gagner Détrier.

 

Toutefois un axe Goncelin – Allevard – Détrier est également probable. De Goncelin, la voie pouvait pénétrer le territoire de Moretel de Mailles par Chavanne et se poursuivre par « les Fontaines » puis Mailles – emplacement d’une maladrerie – et, de là, gagner Saint Pierre d’Allevard par Sailles et Gerland. Ensuite, le chemin qui conduit à Saint Pierre est l’ancienne « Grande Charrière » qui a conservé cette appellation dans la traversée du village et au bord de laquelle se trouvait une maladrerie avec sa chapelle vouée à Sainte Madeleine : ce site est aujourd’hui noyé par le bassin du Flumet.

 

Cette voie abordait ensuite le territoire d’Allevard dont les eaux paraissent avoir été exploitées dès l’époque romaine. A Allevard même on a trouvé des monnaies au quartier dit de Jérusalem, siège d’une commanderie au moyen âge. On notera également, à l’Est du village, un lieudit « la Grande Vie ».

 

La voie se retrouve ensuite sur le territoire de la Chapelle du Bard où existait une maladrerie et où elle est encore bien attestée par le lieudit l’ « Etra » (via strata) au bord de l’actuelle route départementale 209. Par un pont sur le Bens elle pouvait facilement gagner Détrier.

 

Mais on notera également, en limite des communes de la Chapelle du Bard et du Moutaret, une terre appelée « Contentin » pouvant, comme à Froges, accréditer le souvenir du passage de Constantin en 312 et, surtout, un lieudit « les Millières » en limite communale du Moutaret et de Détrier.

 

L’agglomération antique de Détrier :

 

Il y avait, à Détrier, une agglomération romaine secondaire qui paraît s’être développée en liaison avec la voie qui, venant du Grésivaudan par la rive gauche de l’Isère, se dirigeait vers la Haute Maurienne.

 

R. Dion suggère indirectement le rôle de Détrier : « la question se pose de savoir si la présence, à l’entrée de la Maurienne d’un marais formé par les eaux convergentes de l’Isère, de l’Arc et du Gelon n’est pas l’une des causes de cette ancienne préférence des voyageurs pour l’itinéraire quittant la vallée de l’Isère à Pontcharra ». Il rejoint en cela D. Van Berchem et J. Prieur qui proposent une solution à l’énigme que pose Strabon qui, dans sa « Géographie », composée au début du 1er siècle, signale les deux itinéraires transalpins qui relient Aosta à Lyon, précisant que celui du Grand Saint Bernard est plus court que celui du Petit Saint Bernard, ce qui est incompréhensible lorsqu’on regarde une carte sauf, comme le font les deux auteurs précités, à considérer que la plus ancienne route romaine entre Pont Royal et Pontcharra devait délaisser la vallée de l’Isère pour un itinéraire plus commode, dans la vallée du Gelon puis dans celle du Bréda,ce qui expliquerait l’importance des sites de châteauneuf, la Rochette et Détrier.

 

Cette dernière agglomération a notamment livré une importante zone d’habitat, une zone funéraire, des substructions, des inscriptions et de nombreux objets dont une remarquable statuette de Vénus.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DE DETRIER AU COL DU CLAPIER

 

Parmi les auteurs favorables à un tracé par la Maurienne de la voie suivie par Hannibal avec franchissement des Alpes dans la région du col du Clapier on notera le Colonel Perrin, Paul Azan, J. Colin, le Docteur de Lavis Trafford, E. Meyer, R. Dion, le chanoine Bellet, Guy Barruol, P. Marquion, W. Huss, Jean Prieur et Serge Lancel.

 

Ce dernier, notamment, pense qu’Hannibal, de Détrier aurait rejoint la rive gauche de l’Arc à Montgilbert par la Rochette et la vallée du Gelon. Il ne considère pas réaliste un passage par le petit massif des Hurtières, le col du Grand Cucheron et Aiguebelle alors qu’il pouvait, facilement, faire l’économie de ce col en se tenant sur les terrasses que forment les basses pentes de l’Isère jusqu’à son confluent avec l’Arc.

 

C’est là, sans doute, au pied du bec d’Aiton pour les uns, à hauteur du verrou d’Aiguebelle pour d’autres, que pourrait se situer le premier épisode guerrier de la traversée des grandes Alpes évoqué par Polybe lorsque les Allobroges qui l’escortaient quittent l’armée punique pour rentrer chez eux.

 

D’Aiguebelle, cette voie devait vraisemblablement suivre l’axe de l’actuelle Nationale 6, passant à Saint Jean de Maurienne, occupé par une agglomération dès la protohistoire, puis à l’époque romaine par une ville « Maurienna » que cite Ammien Marcellin qui deviendra, en 574 le siège d’un évêché.

 

De nombreux vestiges, de l’époque de la Tène, jalonnent ce tracé jusqu’à Bramans.

 

De là, par Saint Pierre d’Extravache (extra Via ?) la voie s’engageait dans le vallon du Planay qu’elle remontait jusqu’au col du Petit Mont Cenis par la « Crosta » puis dans le vallon de Savine.  Aux « granges de Savine » un tertre artificiel, non fouillé, pourrait, peut-être, apporter un témoignage décisif à la voie suivie par Hannibal que revendiquent tant de sites. Du lac de Savine, deux itinéraires sont possibles : celui du Col du Clapier descendant directement dans la gorge profonde de la Clarée par l’ « escalier du Clapier », cheminée dans les rochers munie de marches, interdite aux bêtes de somme, et celui de Savine-Coche ou « Pas de Lavis Trafford », itinéraire classique depuis les temps préhistoriques. Le chemin, où se voient encore, sur plusieurs centaines de mètres, les restes d’une voie romaine, contourne, par l’Est, le pied des Aiguilles d’Ambin. Il n’y a qu’un passage difficile, le chemin d’éboulis sous la corniche de la Coche avant d’arriver au plateau de l’Aria ; mais la voie  ne pouvait pas passer ailleurs car à l’Ouest il y a le rocher et, à l’Est, une corniche de 400 mètres. Cet éboulis aurait été le plus grand obstacle pour les éléphants d’Hannibal en 218 avant J. C. : les hommes et les chevaux passaient mais les éléphants entraînaient tout sous leur poids. La remise en état du chemin retarda la progression d’Hannibal de plusieurs jours.

 

 

Deux siècles plus tard, après la conquête romaine, le Roi Cottius  fit construire, à grands frais, une voie romaine qui, par les cols du Mont Cenis et Lanslevillard, reliait Suse aux voies des cols de l’Autaret et d’Arnès et, plus tard, les trois capitales, Aime, Suse et Cimiez.

 

Mais un autre axe devait exister dès l’époque romaine : c’est celui qui sera principalement utilisé, à partir du VIII° siècle par le col du Petit Mont Cenis et Novalaise : un bas relief romain représentant un panneau d’armes, trouvé récemment en réemploi dans les murs de l’abbaye, en témoigne.

 

C’est ce chemin qu’empruntera, en 877, l’Empereur Charles le Chauve, malade, avant d’aller mourir au bs de la descente à Avrieux.

 

En quatre kilomètres, la Cenise descend de 1801 mètres d’altitude, dans la plaine de Saint Nicolas, à 828 mètres à Novalaise par Ferrare. La voie accompagnait le ruisseau par ce « chemin au cents détours » - en réalité 77 - encastrés les uns dans les autres, souvent de quelques mètres seulement, si bien que les mulets chargés avaient peine à se tourner.

 

Sur l’itinéraire celtico-romain du versant italien nous ne disposons d’aucun document. Il est toutefois probable que, continuant la voie venant de Turin sur la rive gauche de la Doire, il devait traverser la Cenise sur Mompantero (l’ancien « Mont Plantier » au nord de Suse) et, de là, se poursuivre sur la rive droite de la Cenise en se tenant à mi coteau jusqu’à Novalaise. Sans doute chemin muletier à son origine il ne devint carrossable, semble t-il, qu’à partir de la fondation de l’abbaye de la Novalaise par le Patrice d’Abbon en 736.