LA VOIE
ROMAINE DE L’OISANS
PLAN :
- Généralités : distances, problèmes posés,
reconstitution des distances, bibliographie
-
le tracé de la voie :
1 segment Grenoble – Vizille –
Fines
2 le problème de Fines
3
segment Fines – Catorissium
4
segment Catorissium – Mellosedo
A - Bourg d’Oisans – Mont de
Lans par les gorges de l’Infernet et A’ - l’hypothèse Venosc
B - La Garde – Auris – Mont
de Lans
C - Oz – le Freney
D – la Garde – Mont de Lans
par le col de Maronne
E – Bourg d’Oisans – le
Freney par Auris
5
segment Mellosedo –
Durotinco
6
segment Durotinco –
Stabatione
7 segment Stabatione –
Brigantione
8 segment Brigantione – In
Alpe Cottia
9 au delà de In Alpe Cottia
GENERALITES :
La Voie de l’Oisans, connue par la Table de
Peutinger et l’Anonyme de Ravenne a été l’une des voies romaines les plus
étudiées, sans pour autant que son tracé soit aujourd’hui connu avec une
certitude absolue.
Depuis d’Anville, au XVIII° siècle, plus de quarante
auteurs se sont directement intéressés à la voie romaine de l’Oisans. Est ce
dire la difficulté du sujet ! Parmi ces auteurs on mentionnera tout
particulièrement, en respectant l’ordre chronologique et sans apporter, à ce
stade, de distinction entre la qualité scientifique des contributions : S.
Gras, J. H. Roussillon, F. Crozet, F. Vallentin, E. Desjardins, H. Müller, J.
Roman, H. Ferrand, E. Chabrand, A. Allix, D. M. Vaughan, L. Cortès, E.
Thevenot, H. Blet, P. L. Rousset, M. C Bailly Maître et J. Bruno, J. Prieur, F.
de Conninck, la Carte Archéologique de l’Isère et celle des Hautes Alpes, B.
François et J. P. Jospin.
On a toujours opposé la « grande route »
de Grenoble à Montgenèvre par la Mathéysine, le Champsaur, Gap et Briançon
(alors même que celle ci ne figure pas, du moins pour sa partie septentrionale,
dans les itinéraires antiques) à la « petite route » (bien que celle
ci soit expressément mentionnée dans les mêmes itinéraires) par l’Oisans et le
Lautaret, dite aussi « grand chemin », qui présentait l’énorme
avantage de raccourcir de moitié la distance.
E. Desjardins et A. Prudhomme voyaient dans cette
voie, celle suivie par Hannibal qui, selon eux, aurait passé, venant du
Lautaret, le Montgenèvre pour arriver chez les Taurini.
César, en 58 avant notre ère (ou du moins une partie
de ses légions) aurait pu passer par le Montgenèvre et la vallée de la
Romanche.
Cette voie, difficile mais directe, était, au moyen
âge, la route préférée des pèlerins de Rome, venant de la France centrale -
ceux de la France du Nord et de l’Angleterre passant par la Maurienne – ainsi
que des militaires mais beaucoup moins des marchands. Elle devait être en
mauvais état car, comme le constate Louis XII, au début du XV° siècle, beaucoup
renonçaient à prendre le « très dangereux, pénible estroit et rudde chemin
et pasage qui est en la montagnie d’entre Visille et le Bourg Doysens et
prennent ordinairement leur chemin par la Savoye ».
On notera enfin qu’aujourd’hui, quatre des
principaux ouvrages d’art utilisés par la Nationale 91 pour franchir la
Romanche (Ponts de Gavet, de Livet, de la Vena et de la Romanche) sont des
sites attestés de ponts médiévaux au XIII° siècle et, probablement d’origine
antique.
L’étude de la voie de l’Oisans pose encore bien des
problèmes en ce qui concerne sa partie médiane : plusieurs tracés,
utilisés simultanément ou successivement, sont aujourd’hui envisageables ainsi
qu’on le verra lors de l’étude détaillée de certains segments.
LES DISTANCES :
T de Peutinger Anonyme
de Ravenne Formes nominatives lieux actuels
et
distances réelles et kms
Culabone Curarore Cularo
XII XVII 25,16
Fines
Fines Lavorant
XII 17,760
Catorissium Cantourisa Catorissium Bg d’Ois. ?
V X 14,800
Mellosedo Metroselon
Mellosedum Mt de Lans
X X 14,800
Durintico Durotingo
Durotincum V. d’Ar. ?
VII XII 17,760
Stabatione Savatione
Stabatio Monétier
VIII VIII 11,840
Brigantione Brigantio Briançon
VI VI 8,880
In Alpe Cottia Alpis Cottia Montgen.
Les distances sont-elles exprimées en milles ou en
lieues ? D. M. Vaughan et surtout A. Allix, censeur sévère de la thèse de
Ferrand et, plus récemment, B. François estiment que les chiffres de la Table
exprimeraient, non des milles mais des lieues gauloises ; par cet habile
artifice, les chiffres portés sur la Table n’auraient plus besoin d’être corrigés.
T. P. Milles
lieue rom. lieue gaul. km réels
1,444 m
Colabone/Catorissium
XII
17,3 26,6 29,4 47
Catorissium/Mellosedo V 7,2 11,1 12,2 12
Mellosedo/Durotinco
X 14,4 22,2 24,5 21
Durotinco/Stabatione
VII 10,1 15,5 17,1 18,5
Stabatione/Brigantione VIII 11,5 17,7 19,6 14,5
Kilomètres
La lieue romaine, officialisée sous Caracalla,
équivalait à 1,5 mille (soit
Mais elle semble avoir surtout été utilisée en pays
peu romanisé (Nord de la Gaule), notamment sur les diverticules où ont pu
travailler des entrepreneurs autochtones. Ammien Marcellin (Hist. XV, 11, 17)
indique – vers 355 – « au confluent de la Saône et du Rhône est la
frontière des Gaules et, à partir de ce point on mesure les routes non plus en
milles mais en lieues… » [ d’après l’équation 14 lieues pour 21 milles,
Hist. XVI, 12 ].
La Table de Peutinger, pour sa part, indique près de
Lugdunum « usque hic leugas ». Mais en a t-il toujours
été ainsi ?
La valeur réelle de la lieue, quant à elle, est un
peu fluctuante :
R. Chevallier n’exclut pas qu’il y ait pu y avoir
d’autres variantes. Et l’on en vient ainsi à la « grande lieue
gauloise » proposée dès 1852 par certains auteurs :
Toutefois, pour ce qui concerne la voie de l’Oisans,
E. Thévenot a rappelé, définitivement, que, dans la Provincia, les distances de
la Table étaient uniformément exprimées en milles : ainsi en va t-il,
notamment, des voies de Tarentaise et de la Durance. Comment admettre que la
route de la Romanche, tracée sur la Table entre les deux précédentes, ait pu
être divisée en lieues ?
Ainsi, après Ferrand, E. Thévenot a t-il considéré –
et après lui Barruol et d’autres – que le document était nécessairement établi
en milles mais que ceux ci étaient entachés d’erreurs de copie.
Il reconstitue ainsi les distances de la
Table :
Cularo >>>>>>Fines :
XVII milles (omis sur la T de P)
Fines>>>>>>>>Catorissium :
XII milles (attribués sur la Table à la distance Cularo>Catorissium
Catorissium>>>Mellosedo :
X milles (V milles sur la T de P)
Mellosedo>>>>
Durotinco : X milles (conformes à la T de P)
Durotinco>>>>
Stabatione : XII milles (VII milles sur la T de P)
Stabatione>>>
Brigantione : VIII milles (conformes à la T de P)
Soit au
total…………………. 69 milles (
et il
considère que
la différence avec le tracé actuel (
- entre
Grenoble et Vizille : aujourd’hui
- entre Villard d’Arène et le Lautaret où la voie
montait en ligne droite par le Pied du Col, évitant tous les lacets de la route
moderne
- entre le Lautaret et la Madeleine (même
observation).
Le degré de viabilité de la voie de l’Oisans n’est
pas connu. Pour Roussillon et pour Ferrand, par exemple, celle ci était
entièrement carrossable. A l’inverse, pour Allix, ce n’aurait été qu’une voie
pédestre.
ELEMENTS BIBLIOGRAPHIQUES SUR LA VOIE DE L’OISANS (ordre chronologique) :
1 G. Allard : la
description du pays d’Oisans dans « recherches sur le Dauphiné » T 2,
f° 690-700
2 J. d’Anville : notice
de l’ancienne Gaule tirée des anciens monuments romains, 1960
3 L’Album du Dauphiné, III,
1837 p 153 et ss
4 S. Gras : note sur les
restes de voies romaines qui existent dans l’Oisans, BSSI, I, 1838-1840
5 L. Héricart de Thury :
exploitations immémoriales des montagnes d’Huez en Oisans, BSSI, II, 1841-1843
6
J. J. A. Pilot : les monuments du Département de l’Isère, Bull. Acad. Delph. 1ère Série, I, 1842-1845 p 66
7 E. Gueymard et alii :
statistique générale du Département de l’Isère, III, 1846 p 197
8 J. H. Roussillon :
essai historique et statistique sur l’Oisans, BSSI, IV, 1846
9 J. H. Roussillon :
guide du voyageur dans l’Oisans, 1854
10 A. Albert : essai
descriptif : l’Oisans, 1854
11 J. H. Roussillon :
étude sur l’ancienne voie romaine de l’Oisans, 1865
12 F. Crozet : description
topographique, historique et statistique des cantons formant le Département de
l’Isère : canton de Bourg d’Oisans, 1869
13 F. Vallentin : la voie
romaine de l’Oisans, Bull. Acad. Delph. 1877 p 264-304
14 J. H. Roussillon :
étude nouvelle et plus complète de l’ancienne voie romaine de l’Oisans et de
ses annexes, 1878
15 J. J. Pilot de Thorey :
ancien pont de Champ et chapelle de Sainte Madeleine, 1878
16 J. Bayle : les Grandes
Rousses (Oisans), 1886
17 E. Desjardins et J.
Longnon : géographie de la Gaule, T IV, 1893
18 H. Mûller : notes sur
les mines et la paroisse abandonnée de Brandes en Oisans, 1899
19 H. Müller :
contribution à l’histoire de la paroisse et des mines abandonnées de Brandes en
Oisans, 1901
20 J. Roman : les routes à
travers les Alpes, Bull. de la Sté d’études des Hautes Alpes, 1903
21 H. Ferrand : les
montagnes dauphinoises : l’Oisans, 1903
22 E. Chabrand : la porte
et la voie romaine du Mont de Lans, BSDEA T XII, 1905, p 19-25 et T. à P. 1906
23 H. Ferrand : le lac
Saint Laurent, 1909
24 D. M. Vaughan : étude
géographique et historique sur la route du Lautaret, Annales de l’Université de
Grenoble, T XXIV, 1912 p 1 à 40
25 H. Müller : quelques
notes sur la Grave et son canton, BSDEA T XX, 1913 p 59-65
26 H. Ferrand : la voie
romaine de l’Oisans, 1913
27 H. Ferrand : les voies
romaines du Dauphiné, BACTHS 1914, p 3-37
28 A. Allix : Vizille et
le bassin inférieur de la Romanche, essai de monographie géographique, 1917
29 A. Allix : l’Oisans au
moyen âge : étude de géographie historique en haute montagne, Revue de
Géographie Alpine, 1923 et T. à P. 1929
30 L. Cortès : l’Oisans,
recherches historiques, 1926
31 L. Cortès et Armanet :
contribution à l’étude de la voie romaine de l’Oisans, BSDEA, Janvier 1927
32 H. Müller : recherches
et fouilles récentes à la porte de Bons et sur la voie romaine de l’Oisans,
BSDEA, Janvier 1928
33 A. Allix : l’Oisans,
étude géographique, 1928
34 A. Allix :
l’installation de l’homme, la route romaine et la possession su sol en Oisans,
Annales de l’Université de Grenoble T VI, 1929
35 A. Grenier : manuel
d’archéologie romaine, I, 2ème partie, 1931, p 368 et 381-384
36 J. Schnetz : Itineraria romana, II, 1940
37 E. Thévenot : recherche
sur la station romaine de Fines le long de la route romaine de l’Oisans et les
limites du pays des Ucenni, REA T XLIV, 1942
38 H. Blet : la voie
romaine de l’Oisans, BSDEA XXXII, Octobre-Décembre 1949
39 J. Ogier : petite
histoire du pays d’Huez, 1962
40 A. Bocquet : quelques
gisements dauphinois et la voie du col du Lautaret à la fin du premier âge du
fer, Cahiers Rhodaniens, 13, 1966
41 G. Barruol : les
peuples préromains du Sud Est de la Gaule, 1968 p 77 et 318-325
42 M. Rivière Sestier : au
fil de l’Alpe, 1968
43 P. L. Rousset : la voie
romaine de l’Oisans, Bull. Acad. Delph. Octobre 1962
44 M. Hostache : souvenirs
de montagnes d’Oisans, 1975
45 Samivel : les grands
passages des Alpes Ociidentales, 1975
46 G. Sentis : l’Oisans,
histoire, traditions, légendes, 1976
47 M. C. Bailly Maître et J. Bruno :
Brandes en Oisans, 1979
48 J. Prieur : la Savoie
des origines à l’an mil, 1983 p 189-190 et 306
49 J. C. Michel : Isère
gallo romaine, I, 1984
50 G. Coulon : les gallo
romains au carrefour de deux civilisations, 1985, p 194
51 A. Bocquet :
l’archéologie de l’âge du fer dans les Alpes occidentales françaises dans
« les Alpes à l’âge du fer », 1991 p 91 à 156
52 F. de Connick : les
routes romaines alpines, 1992
53 P. L. Rousset : au pays
de la Meije, 1992
54 Carte Archéologique de la
Gaule : l’Isère 38/1, 1994
55 M. C. Bailly Maître et J.
Bruno Dupraz : Brandes en Oisans, DARA n° 9, 1994
56 Carte Archéologique de la
Gaule : les Hautes Alpes, 1995
57 G. Thiollier
Alexandrowicz : itinéraires romains en France, 1996
58 M. C. Bailly Maître et
alii : les quatre anciens lacs de l’Oisans, Revue de géographie alpine, T
85 n° 1, 1997, p 33-52
59 B. François : mémoire
du Bourg d’Oisans, T I, 1997
60 R. Chevallier : les
voies romaines, 1998 p 212-213
61 M. Bergeron : chemins,
routes et ponts dans « Patrimoine en Isère : l’Oisans », 2000 p
23-28
62 H. Bessat et C. Germi :
toponymie, limites dialectales et confins de l’Oisans dans « Patrimoine en
Isère : l’Oisans », 2000 p 29-34
63 A. Bocquet :
préhistoire et protohistoire dans « Patrimoine en Isère :
l’Oisans », 2000 p 37-40
64 J. P. Jospin :
circulation, peuplement et occupations à la période gallo romaine dans
« Patrimoine en Isère : l’Oisans », 2000 p 45-49
65 C. Mazard et I.
Vernus : le moyen âge dans « Patrimoine en Isère :
l’Oisans », 2000 p 51-66
LE TRACE DE
LA VOIE
1
– SEGMENT GRENOBLE – VIZILLE – FINES (environ
A – Grenoble – l’Oratoire – le Plâtre : (environ 9,
Selon Pilot de Thorey, la voie, au sortir de la
« Porte Romaine » de Cularo, suivait l’actuelle rue Saint Jacques
(nécropole suburbaine) en bordure du Draquet et se dirigeait par le chemin du
même nom vers Saint Jacques d’Echirolles et le site médiéval de la Commanderie.
Entre Grenoble et Echirolles l’éventail que représentait le Drac à l’époque
antique ne permet pas de restituer le tracé mais, selon toute évidence, celui
ci devait être le plus direct possible. En effet, les drainages naturels des
Verderet de Bonne et Verderet Très Cloîtres avaient fait surgir des terrains
marécageux de la plaine, une étroite langue de terre qui, descendant des
coteaux du Midi (Echirolles, Eybens) jusque vers l’Isère formait alors, sans
doute, la seule voie praticable entre Grenoble et Echirolles.
Echirolles, on le sait, possède un autel à Mercure,
témoin d’un culte remontant, peut-être à l’époque de la conquête, emplacé au
bord de la voie romaine.
De là, par un chemin qui forme encore la limite
communale entre Echirolles et Jarrie elle se dirigeait sur l’Oratoire de
Bresson ; c’est un site remarquable aux confins de trois communes :
Echirolles, Bresson et Jarrie. La vue est saisissante sur la plaine de Grenoble
jusqu’à la Bastille qui apparaît toute proche. Ce point de passage évident
était-il atteint par la voie venant de Saint Jacques et traversant le
« bois du Temple » (site primitif de l’importante commanderie
templière d’Echirolles) où des traces sont bien marquées à l’Ouest et à l’Est -
mais le chemin semble s’être perdu entre ces deux parties – ou parvenait il
directement à l’Oratoire par un axe direct Nord Sud encore marqué sur près de
700 mètres ?
De ce point – emplacement possible d’un ancien
milliaire de la voie – on devait apercevoir l’agglomération antique.
Puis la voie s’élève par le « chemin
ferré » gagnant
B – Le Plâtre, la Combe, la Croix de la Vue : (environ
Selon Pilot de Thorey un dédoublement de la voie se
faisait au Plâtre : alors que la voie de l’Oisans se dirigeait sur la
croix de la Vue, l’autre branche – la voie de la Matheysine – se dirigeait sur
les Charbonnaux et Pont de Champ : c’était la voie primitive de Grenoble
au Montgenèvre par la Mure et Gap. Ce site de carrefour est encore bien marqué
aujourd’hui.
La voie de l’Oisans s’infléchissait à l’Est, passant
sous le lieudit « le Mollard » puis à la Combe. Dans ce secteur un
habitat gallo romain (non répertorié) est mentionné par le plan de site exposé
à l’Oratoire de Bresson.
Dans cette partie elle est maintenant bitumée. Par
contre de la Combe à la Croix de la Vue, son tracé est encore très
apparent et caractéristique : très souvent rectiligne, avec de petits
murets de soutènement.
Elle passe au lieudit « la Source », dans
un très beau site puis à la « Congagnie » où subsistent, dans un site
de carrefour manifeste, des traces de construction d’époque indéterminée.
De là, elle gagne la « croix de la Vue »
(de la Via ?) d’où un tracé permettait de rejoindre le pont de Champ et la
voie de la Matheysine. La croix de la Vue perpétue peut-être l’emplacement d’un
milliaire : c’est en effet un carrefour de plusieurs chemins anciens dont
le mieux marqué est assurément la voie de l’Oisans : murs de soutènement,
murets, ornières imprimées dans de larges dalles de pavage…
C – de la Croix de la Vue à Vizille et la Croix du
Mottet :
(environ
Entre la Croix de la Vue et le Cornage la voie
présente, dans ce trajet, suspendu en plusieurs points sur d’énormes murs de
soutènement, des passages où l’on retrouve, inscrits dans la pierre les rails
en creux, nombreux en Oisans.
Elle est particulièrement remarquable dans ce
segment qui surplombe, de manière spectaculaire, la vallée de la Romanche.
Au delà du château du Cornage, la voie fait place à
un chemin goudronné et il faut restituer son tracé au dessus des
« Mattons » : au lieudit « la Grande Vigne » un
important habitat gallo romain occupé du 1er siècle de notre ère
jusqu’aux IV° - V° siècles, a été découvert et fouillé en sauvetage en 1992.
Puis, elle se dirige vers le « prieuré »,
site de l’antique monastère de Sainte Marie de Viceria qui, dès l’époque
mérovingienne, échangeait avec la Novalaise « le service de refuge, de
protection et de surveillance mutuel ». Cette fondation qui existait, semble
t-il, avant même la création de l’abbaye de Novalaise, aurait pu succéder à une
mansio ou une mutatio, la première au delà de Cularo (Viceria ?).
On n’insistera pas sur la littérature un peu
fantaisiste qui a pu naître à propos des origines et du rôle de Vizille durant la
période antique : « oppidum antiquum » (Aymar du Rivail),
« camp des veilles, castrum vigiliae » (Marigny), « station
militaire » (Bourne) : la réalité est moins prosaïque et hormis le
site de la Grande Vigne, Vizille n’a pas, à ce jour, livré de témoignages
probants : tout au plus peut-on mentionner un « chapiteau
romain en marbre blanc » trouvé sur le site du cimetière et conservé à
Grenoble depuis son classement au titre des Monuments Historiques en 1911.
De l’ancien prieuré Notre Dame la voie se poursuivait
sur les hauteurs en direction du château médiéval de Vizille puis traversait du
Nord au Sud le parc du domaine de Lesdiguières jusqu’aux sources de la Dhuy qui
passent pour avoir été connues dès l’ époque romaine et où un « édifice
antique » aurait jadis été observé. Dans ce secteur un diverticule devait
permettre de traverser la Romanche (gué ?) vers le hameau du Pont puis par
le lieudit « la Croix » sur Saint Pierre de Mésage de rejoindre la voie de la Matheysine.
La voie de l’Oisans, quant à elle, se tenant rive
droite de la Romanche et probablement sur les hauteurs, gagnait la Rochette et
la « Croix du Mottet » (ou Moutet) sur la limite communale
Vizille/Séchilienne.
D – de la Croix du Mottet à Fines (Gavet) : (environ
A la Croix du Mottet, commençaient les
difficultés : la voie, dont le tracé n’est pas conservé dans ce secteur,
était, semble t-il, régulièrement emportée par les crues.
Aux rochers des Lauzes et des Sagnes et au Sud des
Rivoirands, F. Vallentin et H. Ferrand disent avoir vu les entailles de la voie
romaine de l’Oisans.
Selon toute vraisemblance, celle ci passait vers
l’éminence de l’église puis vers le château de Séchilienne : une tradition
obscure voit dans l’une des tours du
château une construction d’époque romaine.
C’est dans ces parages que se situait, en 1344,
l’ « Eychalier », limite occidentale de l’Oisans. On notera que
c’est dans ce secteur que Cortès et Armanet auraient relevé des « traces
de route taillée dans le rocher » et qu’un hôpital est mentionné en 1488.
2
– LE PROBLEME DE FINES :
Avant l’étude définitive d’Emile Thévenot sur
l’emplacement de la station de Fines, mentionnée uniquement par l’Anonyme de
Ravenne, on situait celle ci « à Vizille » (F. Vallentin, le C. I. L
(T XVII-2), Ferrand), « dans la région de Séchilienne » (Allix) ou
encore « Près de Gavet ».
Le problème posé, en effet, n’était pas simple à
résoudre : le chiffre XII porté sur la Table de Peutinger comme distance
entre Cularo et Catorissium correspondait-il, en réalité, à la distance entre
Cularo et Fines ou à celle entre Fines et Catorissium ? Dans le premier
cas il fallait chercher Fines à
C’est ainsi qu’E. Thévenot a recherché, dans la
toponymie locale, le souvenir de la limite présumée. En parcourant les listes
des lieux habités que renferme l’état de l’Oisans en 1339 son attention a été
attirée par un écart, aujourd’hui isolé, de la paroisse de Livet, désigné sous
le nom d’ « Avorandus » ; situé à l’Ouest de Livet, entre
Salignères et le Pont des Portes, le nom d’Avorandus avait d’ailleurs exercé un
certain rayonnement : le hameau actuel des Clots s’appelait « Cloti
de Avorando » et la gorge de la Romanche, elle même, s’appelait
« Cumba de Avorando ». Le dictionnaire topographique de Pilot de
Thorey ajoute la mention de « Nemus Avorandi ». Ainsi, le même mot a
t-il servi à désigner au moyen âge un village, un bois et la vallée. De ces
trois désignations qui attestent la richesse sémantique du toponyme, le
première, celle qui concerne le village, paraît la plus ancienne.
La situation de cet ancien lieu habité était aisée à
retrouver : elle est encore représentée par le lieudit
« Lavorant ». Ce microtoponyme, qui reproduit exactement le nom du
XIV° siècle avec agglutination de l’article défini, est situé à
- l’étymologie, tout d’abord : on sait que,
dans les documents officiels romains et, tout particulièrement, les itinéraires
ou les milliaires, le terme de Fines traduit souvent le vocable plus ancien
« Equoranda » ; Fines était une dénomination de remplacement
dont le cours a parfois été éphémère cependant que la terme pré latin restait
vivace avec ses évolutions par région : Ingrande, Aigurande, Ivrande,
Avarande et, parfois, Varandes.
- la situation : pour le voyageur venant de
Cularo, les abords de Gavet constituent une frontière naturelle : l’entrée
de la gorge de Livet et la porte de l’Oisans. Le passage entre Séchilienne et
Livet, écrit Allix, « a de tous temps marqué la limite entre l’Oisans et
le bassin de Vizille ». Cette limite physique était aussi, au moyen âge,
la limite politique : le pont de l’Eychelier, à deux kilomètres en aval de
Gavet (aujourd’hui limites communales Séchilienne/Livet et Gavet) marque le
commencement du mandement de l’Oisans : « locus Liveti est clavis
tocius mandamenti Oyseneii » en 1343.
Ainsi, Lavorant coïncide bien avec la frontière
Ouest de l’Oisans. Il correspond à un point où la voie romaine franchissait la
Romanche et une station du nom de « Fines » y était implantée. On
notera que, dans les proches environs, d’autres toponymes évoquent, eux aussi,
l’idée d’une frontière : le lieudit « Morge » (Morga, frontière)
à Saint Barthélémy de Séchilienne, le lieudit « Venaz, Vena » qui a
donné Aveynat, et le lieudit « Miribel » (frontière
linguistique ?). Selon toute évidence, la limite Est de l’Oisans est,
quant à elle, à rechercher au Lautaret, « Alteretum ». C’est du moins
cette limite qui perdure au moyen âge : « mandamentum Oysentii ab
Altareto usque ad Eychalerium prope Sechilinam ».
Dauzat admet, en toute assurance, que le terme
Oisans vient des Ucennii peuplade
alpestre pacifiée par Auguste et dont le nom figure sur le Trophée de la
Turbie. Peut être faut-il, comme le fait Barruol, les assimiler aux Iconii de Strabon ?
Trois stations de la voie étaient situées dans le
pays des Ucenni : Durotincum,
Mellosedum et Catorissium, peut-être leur capitale. Mais les Ucenni, trop peu
nombreux pour former une cité, furent rattachés d’abord à Vienne et aux
Allobroges et ensuite à Grenoble.
Le problème de ce peuple n’est pas définitivement
tranché : il a pu, un temps, être rattaché aux Alpes Cottiennes ou encore
aux Voconces.
Quoiqu’il en soit, Fines/Avorandus matérialisait
bien aux époques pré romaine et romaine (jusqu’à Auguste) la limite officielle
entre Allobroges et Ucenni et celle ci semble avoir perduré
et même bien après la création de la cité de Grenoble à laquelle l’Oisans fut
rattaché : ainsi, à l’intérieur même de celle ci, l’ancienne limite des peuples pré romains a
t-elle subsisté (il en sera de même du reste à la création de l’évêché de
Grenoble) pour marquer durablement une frontière géographique, celle de l’entrée
du massif de l’Oisans.
A hauteur de Lavorant, la voie franchissait la
Romanche (traditionnellement ainsi nommée selon Allix, en souvenir de
l’ancienne voie romaine qu’elle longeait) : Ferrand, après d’autres, a
souligné l’existence en ce lieu d’un pont antique dont les culées étaient
encore visibles au siècle dernier. Une passerelle dite « Pont de
Gavet » s’élevait jusqu’il y a peu de temps à cet emplacement, face au
« Stade Nautique » et dans l’axe du ruisseau de Gavet. C’était là,
précisément la limite territoriale antique : une croix, moderne,
matérialise toujours cet emplacement.
On notera que Ferrand, qui situait Fines à Vizille,
donne à Gavet le nom de « Catorissiacum » qu’il dit avoir relevé
« sur certaines vieilles cartes » ( ?). Mais cette mention est
déjà dans Roussillon (1878) qui parle de « vieilles cartes de la
Gaule » ( !).
Mais où était située la « statio » de
Fines ?
Le lieu le plus évident semble être l’actuel village
de Gavet mais l’on observera que la « mansio » pouvait aussi être
située à Lavorant : ce lieu que l’on atteint par un chemin encore
remarquablement pavé, révèle des ruines et un rempart paraissant, pour le
moins, remonter à la période médiévale : seules des fouilles permettraient
de s’assurer de leur origine réelle. Mais la mansio a également été envisagée,
plus à l’Est, aux Clos, vers la chapelle Saint Roch.
3
– SEGMENT FINES - CATORISSIUM (environ
Bien matérialisée à l’Est de Lavorant la voie est
également très apparente vers les Clos et entre les Clos et les Roberts.
Selon F. Vallentin, la voie des Roberts aux Clos
était dite « ancien chemin vieux d’avant le déluge » ; d’une
largeur de
Son tracé est ensuite incertain. Restait-elle rive
gauche de la Romanche ou, au contraire, comme la route moderne,
retraversait-elle la rivière à Livet – où un pont est attesté au XIII° siècle -
pour se tenir rive droite jusqu’au pont de la Véna ? F. Vallentin, la fait
passer des Roberts au « Saut du Cheval », lieudit qui n’est plus
mentionné sur la carte IGN.
Le seuil de la Véna correspond à la limite
occidentale des paléolacs de l’Oisans et à l’emplacement du barrage accidentel
de 1191 formé par l’effondrement de la Vaudaine. La rupture de ce barrage, dans
la nuit du 14 au 15 Septembre 1219, devait provoquer, on le sait, l’une des
plus grandes catastrophes du moyen âge : tous les ponts sur la Romanche
furent emportés et les eaux s’élevèrent, à Grenoble, plus de neuf mètres au
dessus de l’étiage de l’Isère.
Dans ce secteur, profondément bouleversé, la voie
paraît devoir être située sur la rive gauche de la Romanche mais un pont est
cité au moyen âge à la Véna et une hypothèse de voie distincte est envisageable
par la rive droite et Baton, conduisant directement à Allemont Oz et Poutran
(voir infra).
Des vestiges de la voie de la rive gauche auraient
été vus vers le « Pont Séchier » (que F. Vallentin attribue à
Hannibal et qui est cité jusqu’au XVII° siècle), limite des communes de
Livet-Gavet et du Bourg d’Oisans. De là elle devait être parallèle au tracé de
la nationale 91, au pied des contreforts du Cornillon, jusqu’à Rochetaillée.
Des vestiges sont anciennement signalés dans le « bois de
Cornillon ».
Rochetaillée :
Presque tous les auteurs anciens (à l’exception de
Roussillon qui attribue le passage taillé dans le rocher à la période 1220-1225
( ?) et Cortès qui l’attribue au XI° siècle) et la totalité des
contemporains (à l’exception, notable, de P. L. Rousset) considèrent comme
authentique le tronçon de voie de Rochetaillée, « a rupe inciso »,
roche cise, dans une charte de
A quatre ou cinq mètres au dessus de la plaine
apparaissent, en effet, des traces manifestes de voie sous la forme d’entaille
creusée dans le rocher du Cornillon, sur une profondeur de deux mètres environ.
Plusieurs tronçons, sur une longueur totale de plus de
Ces travaux considérables se justifiaient par la
nécessité d’éviter le fond de la plaine, soit inondé en permanence soit exposé
à des inondations temporaires, et témoignent, selon J. P. Jospin, de
l’importance stratégique et économique que revêtait la voie de l’Oisans à
l’époque romaine. Des aménagements similaires procédant de la même technique
d’élargissement artificiel d’une voie taillée dans le roc par des planchers en
encorbellement sont connus en Mésie Supérieure (aujourd’hui Serbie) au défilé
(« Gornja klisura ») de la voie dite du Djerdap construite sous Tibère et réparée sous Trajan
ainsi qu’en témoignent des inscriptions gravées dans le rocher de la voie elle
même.
Après Rochetaillée, des tronçons de voie sont
signalés vers les hameaux de Farfayet et de Boisrond : d’après Ferrand ces
vestiges, très reconnaissables, commençaient à
F. Vallentin signale, pour sa part, d’autres
vestiges vers la Paute, la Morlière et Teyres.
Le problème de Catorissium/Cantourisa :
Citée par la Table de Peutinger (Catorissium) et par
l’Anonyme de Ravenne (Cantourisa), cette station aurait été l’antique chef lieu
de la vallée. G. Barruol y voit même la capitale des Ucennii.
Catorissium, dont l’emplacement précis n’est
toujours pas connu, a été situé à des endroits divers et variés et,
notamment :
- au pont
de Gavet (Longnon)
- à Bourg
d’Oisans (Albert, Chabrand, Ferrand, Thévenot, Barruol, François)
- à la
Garde (d’Anville, Roussillon, Crozet)
-
à Oz (Rousset).
4
– SEGMENT CATORISSIUM – MELLOSEDO
Selon la Table de Peutinger cette étape est la plus
courte du trajet (V milles). Même si la distance doit être sans doute corrigée
(X milles ?) c’est assurément celle qui, de tous temps, a été considérée
comme l’obstacle terrible.
Divers tracés ont été envisagés et sont du reste
nécessaires selon que l’on considère que Catorissium correspond à Bourg
d’Oisans, à la Garde ou à Oz (l’hypothèse de Gavet devant être écartée pour les
raisons que l’on a exposées précédemment) et Mellosedo à Mont de Lans ou à
Mizoën.
Ceux ci vont être successivement développés.
A – Tracé Bourg d’Oisans – Mont de Lans : (environ
Le Bourg d’Oisans a livré, en un lieu non précisé,
une fibule « à Sanguisaga » (en forme de sangsue), gravée en Etrurie
ou dans le Latium dans la seconde moitié du VIII° siècle avant J. C. provenant
vraisemblablement d’une tombe située à proximité d’une piste protohistorique
et, selon Pilot, quelques monnaies romaines.
F. Vallentin et H. Ferrand y situent la
« mansio », le second à Saint Antoine, un peu au dessus du Bourg
d’Oisans.
L’endroit le plus propice – si Catorissium est bien
à situer à Bourg d’Oisans – semble être le site de l’église Saint Laurent, où
un prieuré est mentionné dès 1036, placé sur un promontoire qui surmontait le
lac d’Oisans. Un hospice y est signalé au début du XIV° siècle.
Mais, pour autant, le tracé de la voie est fort
incertain : on a souvent supposé un double passage de la Romanche avec
remontée sur le versant opposé, ce qui entraîne d’important détours et des
pentes assez considérables. On verra, toutefois, que l’hypothèse d’un tracé par
la Garde et Armentier mérite d’être sérieusement considéré ; c’est, au
demeurant, celui qui prévaut aujourd’hui.
Avec Ferrand, Thévenot est persuadé que la voie
romaine se frayait un passage dans les gorges de l’Infernet mais que la trace a
du s’y effacer ; du reste on a signalé, depuis Ferrand, un lambeau, estimé
romain, au bas de la montée de l’Infernet ; ce tronçon, abandonné sous le
premier Empire, était appelé, selon Armanet et Cortès, le « chemin ancien
des romains dit les Portes ». En dernier lieu, B. François estime que ce
tracé direct est le plus vraisemblable. Selon lui, la voie, après avoir longé
la rive droite de la Romanche sur environ un kilomètre, franchissait la rivière
au fond de la gorge de l’Infernet au niveau de l’actuel pont d’Auris. La
pérennité du vieux chemin d’Auris pourrait être déterminante pour affirmer que
la voie pouvait passer à cet emplacement. Même si l’actuel pont d’Auris date de
1849 – comme le rappelait P. L. Rousset – il a toujours été désigné sous
l’appellation de « pont romain », ce qu’Allix admettait, expliquant
l’absence de vestiges par l’exhaussement et la montée des alluvions : le
pont antique pourrait, ainsi, se situer à plusieurs mètres en dessous du pont
actuel. En 1720 le pont d’Auris est d’ailleurs mentionné, ce qui montre une
continuité du passage à cet endroit, où subsiste, en outre, un « champ du
Gua » pouvant rappeler un gué antérieur à la viabilisation de la voie de
l’Oisans.
Dans l’hypothèse ainsi retenue, la remontée sur Mont
de Lans s’effectuait par la Rivoire, le Châtelard et Bons. B. François a
retrouvé, dans l’inventaire Marcellier (T VI) un acte de 1319 relatif aux
moulins d’Auris et à leur réfection par des bois « pris dans la forêt de
Montelent (Mont de Lans) située au dessus du chemin de pierre sise à l’Armoire
(la Rivoire) ». Cette mention est à rapprocher de celle de 1313 relative à
la « Roche cise » (Rochetaillée).
A’ – l’hypothèse Venosc :
F. Vallentin, entre le Bourg d’Oisans et le
Châtelard, avait imaginé un tracé fort compliqué, du moins dans sa partie
occidentale : Bourg d’Oisans, les Gauchoirs, les Escalons, la Danchère, la
Blâche, l’ Argentière, les Comps, les Ruines, la Rochette, l’Embarnard, l’Aiguille,
la Forêt, Bourg d’Arud, où elle franchissait la Romanche sur un pont, Venosc,
(où des tombes protohistoriques et des tombes romaines des 3° - 4° siècles ont
été découvertes et où des monnaies romaines sont signalées par Rochas-Aiglun en
1840), le Ferret, Côte Noire, Ferraret (où, dans des marmites de géant il
voyait les citernes d’une « forteresse romaine » qu’il nommait
« le Fort des Têtes » et près de laquelle il plaçait la station de
Mellosedo), Combe Chave, les Ougiers, les Buissons, Pierre Frête, la Combe du
Tuf ou Comboche, Serres du Coin, le ruisseau des Commères (où il signale un
rocher taillé), le Bois du Roi, le Rocher Rond, la chapelle Saint Sauveur, le
Mas de Rivoire le Haut, puis un franchissement du ruisseau de la Rivoire sur un
pont dit romain, les Mas des Drayes et de la Ferrière où il signale un rocher
taillé et des murs de soutènement et, enfin, le Châtelard « couronné par
des ruines de castellum » et, de là, la porte de Bons.
Cette hypothèse de tracé – un peu surprenante – est
aujourd’hui reprise par J. P. Jospin. On observera qu’elle double la distance
entre les deux stations (
Mont de Lans (Mellosedo de la Table de Peutinger ou Metroselon
de l’Anonyme de Ravenne) est situé sur une très ancienne voie de passage ayant
livré en 1860, à
La « Porte de Bons » :
La quasi totalité des auteurs ont considéré la Porte
de Bons comme une construction romaine, voire « éminemment romaine »
(Grenier, Thévenot). F. Vallentin rapporte même une tradition qui l’attribue à
Hannibal ( !) ; mais cela était alors de mode. Seul, P. L. Rousset
lui attribue une origine récente (les guerres d’Italie du XVI° siècle), ce qui
ne tient plus, au demeurant, avec le document de 1319 évoqué précédemment. Au
surplus, certains auteurs modernes (Sentis, François et l’auteur de la présente
étude) ont été frappés par ses similitudes avec les saignées taillées de la
porte de Donnas dans le Val d’Aoste. La première mention de cette porte semble
être faite dans les « mémoires historiques sur le Briançonnais » de
Brunet de l’Argentière, édités en 1754 : « …. On découvrit des
vestiges en 1722 entre le village du Mont de l’An et la rivière de la Romanche
au dessous dudit village à mi côte il y a un reste de chemein et un arc fait
dans le roc avec des degrez pour monter dessus que les gens du pays appellent
Porte Sarrasine… ». Telle n’aurait sans doute pas été la dénomination si,
comme le pense P. L. Rousset, l’ouvrage avait été édifié au cours du siècle
précédent ce témoignage.
La Porte de Bons est un portail rocheux ouvert dans
les schistes chloriteux sur la paroi qui domine le cours de la Romanche, à
Les quelques quarante auteurs qui ont étudié la
Porte de Bons y voient ou un tunnel routier, ou une porte, ou un arc de
triomphe ou encore un monument commémoratif à mi distance entre Culabone et
Brigantione (Allix). G. barruol pense également à un point de perception d’un
droit de péage dans un passage obligé. Roussillon y voyait un monument
commémoratif d’une victoire remportée sur les Allobroges ( !).
L’inscription dédicatoire de cette porte – qui a du
vraisemblablement exister – serait, sans doute, à rechercher dans les éboulis
au dessous de la porte.
H. Blet, pour sa part, a imaginé que le tracé par
Bons, peut-être inachevé, avait pu être interrompu par suite de difficultés
insurmontables. G. Sentis, sans aller aussi loin, y voit un passage
exclusivement estival.
En dernière analyse, J. P. Jospin y voit une
construction d’époque augustéenne.
Au delà de
ces diverses opinions, on notera le souci ornemental qui a conduit les
constructeurs à ravaler à une épaisseur sensiblement égale tout le pourtour de
la porte : les coups de ciseaux qui ont opéré ce déblaiement se marquent
encore à une hauteur de plus de dix mètres du côté qui touche à la masse de la
montagne. Par ailleurs, la voie, bien tracée dans la roche en place, s’étend
assez longuement au dessus et au dessous de la porte avec des traces de
rainures assez nettes.
A
Des vestiges de voie auraient été visibles au XIX°
siècle, au delà de la porte, sur
A l’Ouest de la porte, Ferrand dit avoir localisé la
voie romaine aux Garcins, où sa largeur moyenne était de
Au col du Châtelard (où Vallentin plaçait une
mansio), la voie passe dans une sorte de dépression séparée des abîmes de la
Romanche, admirablement placée pour recevoir, comme le nom l’indique, un
ouvrage fortifié (Ferrand y voyait un fortin). Les traces sont ensuite moins
évidentes jusqu’à la porte et il ne subsiste aujourd’hui qu’un sentier, même si
l’assiette de la voie reste toujours manifeste.
On notera à cet égard, comme du reste P. L. Rousset
le fait remarquer à juste titre, que le chemin qui conduit à la porte de Bons
semble avoir été « branché » sur la belle voie régulière qui va du
Châtelard au Ponteil. En effet, l’embranchement de la Porte de Bons s’effectue
dans un virage de cette voie et il semble qu’il n’y ait eu ni rectification, ni
coupure dans l’assiette des deux tracés. Celui de la Porte de Bons n’est qu’une
sente qui descend d’abord jusqu’à un passage de torrent, avant de remonter
fortement. Il n’y a nulle trace d’aménagement sur ce secteur, ce qui est pour
le moins très surprenant : on a en effet du mal à penser que tous les
ouvrages éventuels d’assise de la voie aient pu disparaître et l’on comprend
mal un tel tracé accidenté alors que la voie du Ponteil, totalement
carrossable, ne présente aucune difficulté. Le sentier de la Porte de Bons
apparaît, dès lors, comme un raccourci de la voie du Ponteil mais il y a là un
anachronisme, sauf à considérer, comme H. Blet, que le tracé par la Porte de
Bons fut abandonné avant même son achèvement par suite de trop grandes
difficultés d’y établir une voie carrossable. Se pourrait-il que des
aménagements aient d’abord eu lieu à l’amont et à l’aval de la Porte Romaine et
que dans la partie intermédiaire, et bien que la Porte eut déjà été creusée,
les romains aient renoncé à rendre carrossable l’ancienne piste
protohistorique, optant dès lors pour le tracé beaucoup plus simple (même s’il
rallonge d’environ
Après la porte, la voie présente un trajet en
encorbellement sur environ
Enfin, on notera qu’a été trouvée à Mont de Lans, en
un lieu non précisé, une monnaie sénatoriale d’Auguste (23 avant J.C) et qu’un
hôpital, en mauvais état est signalé en 1455.
B – Tracé La Garde – Mont de Lans : (environ
L’hypothèse d’un passage de la voie d’Oisans par la
Garde et les terrasses d’Armentier a été émise dès 1847 par Roussillon, sans
preuves historiques. Il dit d’ailleurs, laconiquement, « de la Garde, la
voie antique descendait à la plaine par les coteaux ». Cette voie (prise
ici dans le sens Est/Ouest), pavée sur certains secteurs est l’actuel G. R. 54
aujourd’hui un peu périlleux mais il faut sans doute imaginer un tracé mieux
sécurisé à l’époque antique.
La Garde est dotée d’une solide tradition antique et
il n’est pas utopique, loin s’en faut, d’y situer Catorissium plutôt qu’à Bourg
d’Oisans. Mais il faut, dès lors, opter pour un tracé par les terrasses
d’Armentier et la cheminée d’Auris.
C’est ce qu’ont fait M. C. Bailly Maître et J. Bruno
Dupraz après avoir définitivement établi que la Garde était, au XI° siècle, le
siège du « castrum Sageti » qui contrôlait la circulation tant sur le
lac d’Oisans que sur la voie romaine. Ce château doit être situé à la motte
castrale subsistant au lieudit « le château » ou hameau de Fayes ou
Fayet, à
Le chemin qui suit le flanc du rocher de l’Armentier
est ancien : le cadastre napoléonien montre que la spectaculaire route de
l’Armentier, achevée en 1899, ne présente pas un tracé inédit et s’est, en
fait, implanté parallèlement au très ancien « chemin de l’Armentier à la
Balme » qui reliait la Garde à Auris, mal conservé dans les schistes
calcaires, en passant par les Essoulieux, le Bassey et Vieille Morte.
Roussillon – qui place Catorissium à la Garde – fait
état, en 1854, de « constructions anciennes attribuées aux romains »,
dans le village même, au lieudit « les châteaux » (mais on a vu qu’il
s’agissait dans ce cas du « castrum Sageti ») et au hameau de la
Salle, non loin du prieuré : ce dernier toponyme est intéressant car c’est
ainsi que l’on désigne, à l’époque carolingienne, les résidences seigneuriales
(« Sala »).
La Garde a, en outre, livré des monnaies romaines
non décrites (site des Châteaux et Armentier) et un as de Marc Aurèle.
Après les terrasses d’Armentier la voie aurait
desservi Auris où, au hameau de la Ville (villa ?) ont été découvertes des
monnaies de Trajan et d’Antonin le Pieux (Musée Dauphinois 74.41. 1 et 2). De
la Balme elle empruntait le tracé dit « cheminée de la Balme » (ou
« cheminée d’Avoie » : de la voie ?) qui descend jusqu’au
fond des gorges de la Romanche franchie par le pont d’Auris, probablement
d’origine romaine. Bien pavée dans ses nombreux lacets cette voie est
assurément de haute origine : au moyen âge et même au delà, elle est
qualifiée de « chemin général », tronçon de la route delphinale puis
royale.
Du pont d’Auris à Mont de Lans le trajet est celui
décrit précédemment par la Rivoire, le Châtelard et la Porte de Bons.
C – Tracé Oz – Le Freney : (environ
P. L. Rousset a repris, en la développant et en
l’argumentant, une hypothèse jadis formulée par Roussillon. Celle ci consiste à situer Catorissium à Oz
et Mellodedo au Freney ou à Mizoën.
Cette voie aurait eu son origine au pont de la Vena
et se serait tenue sur la rive droite de la Romanche. Assez rectiligne elle
correspond aujourd’hui à la route secondaire qui passe à la chapelle de Baton,
au pied des montagnes des Challanches, à Châtillon, à la Roche de la Ville et à
la chapelle de la Madeleine pour aboutir, sans difficultés particulières à
Allemont où des « objets romains » auraient été découverts et où un
chemin porte encore l’appellation caractéristique de « chemin ferret »
et, de là, à Oz par le hameau de la Voûte ou, selon M. C. Bailly Maître et J.
Bruno Dupraz, on perçoit une portion de la voie, « ad Voutam sub
strata » au moyen âge.
L’hypothèse développée par P. L. Rousset est
argumentée par un certain nombre de considérations : cette voie, située
sur la rive droite de la Romanche, offrait une alternative au franchissement du
lac d’Oisans et présentait un itinéraire un peu plus court (Fines – Oz :
environ
Enfin, en comparant les toponymes de la rive droite
et ceux de la rive gauche P. L. Rousset note que l’accumulation de noms latins
à l’adroit et leur absence à l’envers, surprend :
-
Mizoën, d’après Duraffour, viendrait de l’union de deux mots latins
correspondant à la forme française « mi-jour ».
-
Auris, nommée « ecclesia de Abriis » ou « Abrias »,
au XI° siècle est à rapprocher de l’Abricolam de la vie de Saint Géraud, forme
authentiquement latine du mot « apricus », exposé au soleil.
-
Les Cours, le plus gros hameau d’Auris, serait issu du bas latin
« cortem », les fermes.
-
Armentier, sous la Garde, dériverait du latin « Armentum »
-
Roberand, l’agglomération jumelle d’Oz, rappelerait « robur »,
les chênes.
-
La Sarenne et le Ferrand seraient à rapprocher de « seraie »,
fermé et de « ferus », sauvage, d’autant que ce dernier torrent
descend d’un sommet encore nommé « les crêtes du Sauvage ».
-
Rif Jany, près d’Oz, de l’autre côté d’une rivière dont le nom semble
aussi d’origine latin puisque dénommé « le Flumet »
(« flumen » : la rivière) évoquerait tout ce vallon de Vaujany,
appelé le « Val des Portes » (« janua » : porte
d’entrée). Il faut noter qu’à cette époque on ne pouvait remonter la rivière de
l’Eau d’Olle (le passage de Maupas au dessus du Rivier d’Allemont n’ayant pas
encore été forcé) et la porte de Savoie était Vaujany et le col du Sabot
(« Saboiam » : Savoie en 811 au partage de l’empire de
Charlemagne). On notera également qu’un hospice est connu en 1261 à Vaujany.
-
Enfin « les jeux » maintenus à Oz, Huez et au Freney seraient
la déformation du substantif « jugum », crête, sommet.
Un dernier lieu pourrait fournir un argument
important à cette hypothèse en apportant des précisions sur l’une des stations
de la Table de Peutinger. On trouve, en effet, au cadastre du Freney, sur le
versant Nord du col de Cluy, un chemin qui va de l’ « Octave » à
la « Pierre des Jeux » ; sur celui ci une croix est nommée la
« croix de l’Octave ». Excentrée à l’Est du tracé présumé de la voie
il faudrait néanmoins admettre, comme le fait P. L. Rousset, qu’elle ait pu se
déplacer au cours des âges. Il serait ainsi possible que cette
« octave » indique, sinon une borne milliaire, tout au moins une
indication de distance, précisant l’éloignement du gîte d’étape à partir duquel
le calcul aurait été fait. Or, à huit milles de la croix de l’Octave se trouve
Oz qui s’identifierait alors avec la station de Catorissium.
Il faut néanmoins remarquer que les deux toponymes
n’ont aucune parenté mais, là encore, Rousset y voit le nom indigène conservé
par les autochtones après l’époque romaine. Il pense que l’on pourrait bien
retrouver là l’endroit fortifié ( ?) par les romains car l’un des
quartiers, bien situé à l’entrée du village, au dessus du ravin s’appelle
encore « le Château ». On observera, à cet égard, que la Poype d’Oz a
été récemment étudiée : il s’agit vraisemblablement d’une motte médiévale
à proximité d’un ancien village dit « Pré Reynaud » ou « Puy
Reynaud » ; une origine antique n’est pas démontrée.
On notera toutefois que l’une des rares trouvailles
d’époque romaine faite en Oisans est une pièce de monnaie de Caligula, trouvée
justement à Oz, en 1860.
Cet itinéraire offre, au surplus, deux sites qui
méritent une grande attention : le « camp des forçats » et la
« croix de Trévoux ».
Bien que certains segments de cette voie aient été
décelés depuis longtemps, on doit à P. L. Rousset de l’avoir étudiée et même
proposée comme tracé de la voie romaine de l’Oisans. B. François, qui ne
contredit pas totalement cette hypothèse, y voit néanmoins un tracé qui se
serait imposé vers le VI° siècle, alors que la voie romaine était, peut-être,
tombée dans l’oubli. G. Sentis, pour sa part, pense à un passage « de
printemps et d’automne », Bons n’étant, selon elle, pratiquée qu’à la période
estivale.
Du Besey sur Oz jusqu’au col de Poutran cette voie
ne pose, au demeurant, aucun problème majeur, la longue montée s’effectuant
presque toujours à vue. Au notera, de plus, des tronçons pavés bien conservés,
de nombreux murets de soutènement et deux lieudits indicatifs : le
« pont du Gay » et le « pré de la Pierre ».
La traversée du plateau de l’Alpe d’Huez ne pose pas
davantage de problème : un chemin, non pavé mais bien tracé, évitant les
zones marécageuses, correspond à l’axe col de Poutran – col de Cluy ; il
est connu depuis longtemps et la carte IGN le désigne toujours sous
l’appellation « ancienne voie romaine ». Il aboutit à « Pierre
Ronde » d’où l’on gagne, par un tracé encore bien marqué, le Gua sur
Sarennes - ancien gué évident et emplacement d’un hameau cité en 1339 – puis le
col de Cluy.
Le « camp des forçats » :
Au col de Cluy, dans une grande étendue d’alpages,
existe un vaste quadrilatère, à peu près régulier, entouré d’un fossé bordé par
un mur de pierres sèches. A l’intérieur de ce rectangle, se remarque un talus
pouvant provenir du déblaiement du fossé qui est situé de l’autre côté du
mur ; on pourrait y reconnaître le travail habituel effectué pour créer un
camp militaire. Le côté Ouest de l’enceinte a
Du bas, part une « allée » remontant vers
l’intérieur sur
Selon P. L. Rousset, les gens du pays auraient
toujours surnommé ces restes le « camp des forçats », ce qui semble
exclure une origine pastorale, et y voyaient une « colonie
pénitentiaire » en relation avec les mines de Brandes.
On notera que les auteurs anciens, et notamment ceux
d’entre eux qui ont étudié toutes les possibilités de tracé de la voie
(Vallentin, Roussillon), n’ont jamais fait la moindre allusion à l’enceinte de
Cluy.
J. Prieur, pour sa part, pense qu’il est difficile
d’admettre l’idée que cet ouvrage puisse être un camp de haute époque. Par
contre, il pense que cette énigmatique construction pourrait être une
« clusurae » du Bas Empire. Ces fortifications frontalières – dont le
seul exemple conservé de nos jours se situe à
« l’Ecluse », vers le col de Panissar, frontière antique entre
la Gaule et l’Espagne – se présentaient sous la forme d’un rempart peu étendu,
accompagné d’un point d’appui permettant facilement à une petite garnison de
retarder le passage d’une armée. Au Bas Empire, la protection de l’Italie a du
passer par la fortification des Alpes et ce sont ces « clusurae » qui
sont représentées de façon schématique sur la « Notitia Dignitatum »
au début du V° siècle mais dont la nature et l’emplacement exact ne sont pas
connus.
Une étude récente de J. P. Jospin ouvre de nouvelles
perspectives de recherches : selon lui, la structure originelle serait
plus petite que le « camp » :
De Cluy, le « chemin du Lauzat » aboutit,
dans un très beau site, à la « Croix de Trévoux » (les trois voies).
Dans celle qui vient de Cluy, P. L. Rousset voit la voie venant de Vienne et de
Grenoble ; dans celle qui se dirige vers le Freney : la voie
d’Italie. Une troisième s’en va, serpentant au milieu de larges polis
glaciaires et conduit à Auris et, de là, à la Garde. P. L. Rousset jalonne
ensuite la voie de l’Italie des repères suivants :Le Puy Dessus, le chemin
dit « la Charroutière », le Périer puis, après un franchissement de
la Romanche (pont romain ?), le Freney.
Ce tracé est donc, globalement, bien identifié. Mais
la déclivité laisse songeur : d’Oz (
Enfin, pour rester dans ce secteur on évoquera une
dernière hypothèse :
D – La Garde –Le Freney par le col de Maronne (environ
Celle ci est séduisante. En effet si l’on part de la
Garde en direction de Maronne on passe au lieudit « la Madeleine »
qui évoque un hospice ou une maladrerie édifiée selon toute vraisemblance au
bord d’une voie fréquentée Celle ci, selon Roussillon, aurait succédé à un
« temple romain » et une butte artificielle voisine a été décrite
comme une « tour à signaux » antique. Il s’agit, plus
vraisemblablement d’une motte féodale. A proximité, des sépultures ont été
signalées à plusieurs reprises. Au delà se situe le lieudit « le Châtelard »,
fortification probable. De là est évident le passage par le col de Maronne en
suivant un chemin encore dénommé « chemin du Pape ». Selon H. Müller,
des monnaies romaines auraient été découvertes sur ce chemin. Du col de Maronne
on peut envisager un tracé au flanc des Côtes jusqu’à Cluy ou un tracé un peu
plus bas par les Orgières et la chapelle Saint Géraud jusqu’aux sources dites
« Font Bernard » et, de là, le chemin du Lauzat.
P. L. Rousset n’écarte pas cette solution mais
l’explique comme étant un « raccourci de basse époque ». « Ce
n’est pas – dit-il – qu’il fut plus court ; en effet de la Croix de
Trévoux à Gavet par le col de Cluy, Poutran et Oz ou par Auris le col de
Maronne, la Garde et Bourg d’Oisans, la distance est sensiblement la
même » mais il reconnaît qu’ « on économise un col » et
que celui de Maronne est sensiblement moins élevé que celui de Cluy.
Pour un kilométrage équivalent la fatigue et
l’effort dus aux montées et aux descentes sont amoindris et l’altitude
inférieure permet, pendant plus longtemps dans la saison, l’utilisation des
chemins.
Et toujours selon P. L. Rousset, deux toponymes
viennent, là encore, donner de précieuses indications : le « Creux de
Jany » et « Maronne ». Le « Creux de Jany » c’est le
creux des Portes (« janua »). En effet, dans ce parcours par la Garde
pour rejoindre Auris il y a peu de passages praticables. Les pentes au dessus
de « la Ville » qui dominent le cours de la basse Sarenne, sont très
fortes ; mais il existe sur le chemin de la Garde à Maronne une sorte de
dépression qui facilite les accès : c’est, précisément, le « Creux de
Jany ». C’est par là que l’on pouvait descendre des prairies supérieures à
la zone des cultures. Le village de Maronne et le col du même nom ont, quant à
eux, probablement leur origine dans le mot « marron » signifiant
« guide » (cf : la vie de Saint Géraud d’Aurillac et les
« marronniers » du Grand Saint Bernard à Bourg Saint Pierre ou encore
ceux du Mont Cenis). Ainsi Maronne devait être le point où l’on prenait un
guide pour franchir les passages estimés difficiles pour ceux qui redoutaient
la montagne.
Ainsi qu’on la vu, cette station,
citée par la Table de Peutinger (Mellosedo) et par l’Anonyme de Ravenne
(Metroselon), a été proposée à divers endroits :
-
Mont de Lans, qui est aujourd’hui l’hypothèse la plus communément admise,
-
Venosc (Ferraret), selon l’hypothèse de Vallentin, que l’on doit écarter
et qui, du reste, n’est pas reprise par J. P. Jospin qui fait pourtant sien
l’essentiel du tracé proposé par Vallentin
-
Le Freney selon le tracé par Oz retenu par P. L. Rousset
-
Mizoën, selon plusieurs auteurs anciens (Gras, Roussillon… ).
Cette dernière hypothèse, qui ne remet pas en cause
le tracé par la Porte de Bons, est à considérer. La distance, depuis la Garde, est sensiblement comparable : tout au
plus l’allongement de trajet est de l’ordre de deux kilomètres. En outre, avant
la mise en eaux du barrage du Chambon, qui a profondément modifié la
topographie des lieux, divers vestiges de voie ont été remarqués sur le
territoire de Mizoën :
-
aux « Eglières », où le rocher avait été entaillé, semble t-il,
et où des rainures se voyaient,
-
aux « Condamines » où des « vestiges de chaussée » se
voyaient avant 1874 et où un pont, détruit au début du XIX° siècle, est dit
« pont construit par les romains »,
-
à « Préforens », où plusieurs tronçons, en tranchée, avaient
été repérés en 1875 avant d’être détruits peu après ; chaque tronçon
présentait trois niveaux : un niveau pavé de grandes pierres irrégulières,
une couche de mortier et de sable, une couche de petits cailloux. La largeur
moyenne de cette chaussée était de
-
le lieudit « Oulme » où d’autres tronçons étaient également
visibles avant 1875,
-
le lieudit « le Rochas » où le rocher était taillé avec l’empreinte
de deux rainures de voie, profondes de 8 à
-
le lieudit « l’Echirolle » où se voyaient d’autres rainures,
également écartées de
-
le lieudit « Fernis » où le rocher avaient été taillé et où des
rainures semblables avaient été vues
-
et enfin près du village où Cortès voyait, dans le « chemin des
Aymes » un reste de cette voie.
On notera également la présence de sépultures du Bas
Empire près de l’ancienne église Saint Christophe.
F. Vallentin, pour sa part, avait imaginé un tracé
entre la Porte de Bons et Mizoën par les Combes, le « mas de
Fernis », le « mas de l’Echirolle », le « mas de
Rochas », le « mas de Préforens », la « croix des
Orars », le ruisseau du Gilibert – où il situe un « pont
romain » qui aurait été détruit en 1830 – les « Condamines »,
Cotariol, Traverse, le « Pied des Serres », la Gardelle, Tardivière,
le « mas de Daraire » et, enfin, Mizoën.
Bien évidemment on ne suivra pas Roussillon qui,
pour sa part, faisait passer la voie à « la Loge » sur le plateau
d’Emparis.
5 – SEGMENT MELLOSEDO –
DUROTINCO :
(environ
Quel qu’ait pu être le trajet précédent, par Bons et
Mont de Lans ou par les différents itinéraires envisageables de la rive droite
de la Romanche, les auteurs s’accordent ensuite sur un tracé parallèle à la
Romanche, à l’emplacement du barrage du Chambon qui a noyé toutes les traces,
puis le long de la « Combe de Malleval ».
Dans ce secteur, F. Vallentin dit avoir vu des « rainures
taillées dans le roc, identiques à celles de Rochetaillée » et Pilot y
signale, sans précisions, la découverte d’ « objets romains ».
Quoiqu’il en soit la voie devait nécessairement
passer aux anciens hameaux du « Chambon », du « Dauphin » -
bourg dont l’origine était, pour le moins, médiévale – et de
« Parizet ». Celle ci est mentionnée sur l’ancienne carte du Service
Géographique de l’Armée (La Grave 5 : 1913-1922) reproduite ci après.
A l’ancien hameau du « Dauphin », un
« pont en pierre, à culées très fortes et assez élevées » est signalé
par Albert.
Après le hameau de « Parizet », commençait
la « Combe de Malleval », aride et désolée, justifiant sa sombre
dénomination. C’est là, à la limite actuelle des départements de l’Isère et des
Hautes Alpes, que se situait l’ « hospice de Loche » (ou de
l’Oche), reconstruit par Humbert II à l’emplacement probable d’une
« mansio », indispensable dans ce pays désert.
La localisation de Durotinco :
Citée par la Table de Peutinger (Durotinco) et par
l’Anonyme de Ravenne (Durotingo), cette station, comme les précédentes, n’est
toujours pas localisée avec certitude. Elle était vraisemblablement située
entre la Grave et Villard d’Arène. Le toponyme (forteresse) pourrait indiquer
la présence d’une garnison au pied du Lautaret.
Diverses hypothèses ont été envisagées :
-
le lieudit « Degoul », sur la commune de Mont de Lans (Longnon
dans le CIL XVII,2 et, récemment, R.
Chevallier)
-
« entre la Grave et le Villard d’Arène » (Barruol),
-
les « Cours » ou les « Hyères » sur la Grave
(Roussillon)
-
« un des villages du Villard d’Arène » (Ferrand)
-
les « Vernois » (Vallentin, Roman – qui corrige, lui aussi, le
VII de la Table de Peutinger en XII – et H. Müller – qui a vu « trois
routes superposées appartenant à des époques diverses »,
-
« près du Villard d’Arène » (Champollion-Figeac)
-
au « Pied du Col » (Allix).
On observera que la Grave a livré divers vestiges
antiques :
-
des sépultures de l’âge du Bronze, près de Ventelon,
-
une intaille en cornaline de haute époque (entre 50 avant notre ère et 50
après notre ère)
-
des traces d’occupation romaine au presbytère : lampe en terre cuite
et monnaies romaines.
Au surplus, des travaux routiers sur la Nationale 91
ont livré, en 1987, une tombe du haut moyen âge et un hôpital est mentionné en
1458.
F. Vallentin, dans ce secteur, fait passait la voie
– qui, selon lui, portait l’appellation d’ « ancienne voie
sarrasine » - à Loches, les Balmes, le Rif de la Girose, Méaris, Grand
Champ, au mas de la Gela (tronçon pavé ?), la Lauzelle, au mas des Fumas,
aux petits et aux grands Vernois (agglomération jadis importante selon la
tradition), et, après une traversée de la Romanche, au mas du Châtel à Negger,
Binante, Saint Homme, les Ruines et au Pied du Col.
Le Villard d’Arène a également livré de nombreuses
traces archéologiques :
-
au lieudit «Casse Rousse », à près de
-
au lieudit « les Cours » des traces d’occupation romaine :
fiole en verre et scories en fer
-
au « Pied du Col », la trace de la voie romaine qui passait,
presque rectiligne.
6
– SEGMENT DUROTINCO – STABATIONE : (environ
Au delà de « Pied du Col », probable
emplacement de la station de Durotinco, deux intervalles, selon l’ancienne carte
du Service Géographique de l’Armée, paraissent remarquables : la
« Font des Vives » à
Le col du Lautaret, jadis de l’Autaret
(« altaretum », autel en 1042) a toujours été la limite orientale de
l’Oisans : « mandamentum Oysentii ab Altareto usque ad Eychalerium
prope Sechilinam » au XIV° siècle. Aucune découverte archéologique n’est
connue mais le col a peu été prospecté. H. Müller indiquait y avoir trouvé une
tuile qu’il estimait incontestablement romaine. Ferrand y plaçait une
« mansio », ce que semble corroborer la mention d’un hospice connu au
moyen âge. S’il est établi que cet hospice était bien situé au col lui même,
l’éventuelle « mansio » est peut être à rechercher sur le versant
méridional du col ; à peu de distance de celui ci, en effet, sur un replat
bien protégé à proximité de la voie romaine, subsistent des substructions d’une
construction compartimentée qui ne saurait s’assimiler à celle d’une bergerie.
Ces vestiges ne semblent pas avoir été étudiés.
Au delà du Lautaret et sur le versant Briançonnais
la voie est encore très bien marquée notamment aux « Prés Brunets »,
à
La station Stabatione :
Connue par la Table de Peutinger (Stabatione) et par
l’Anonyme de Ravenne (Savatione) cette station, tout comme les précédentes,
n’est pas localisée avec certitude. On a proposé :
-
les Fréaux sur la Grave (Longnon)
-
« vers le Monétier » (Thévenot, Barruol)
-
le Monétier (Ferrand, Roman, Allix, Samivel)
-
la Madeleine
L’emplacement le plus probable reste toutefois le
Monétier : les eaux thermales de la Rotonde, de Font Chaude et de la Liche ont du être exploitées dès
l’antiquité mais ne subsiste, de cette période, que le toponyme « Aquae
Levae » en 739 dans le testament du Patrice d’Abbon et une mention, dans
la « Chronique de la Novalaise » de « bains, piscines et
murailles antiques ». Par ailleurs, selon Thévenot, au lieudit « les
Césars », près des eaux thermales, des monnaies romaines auraient été
découvertes.
7
– SEGMENT STABATIONE – BRIGANTIONE : (environ
Sur cette courte étape la distance réelle s’accorde
totalement avec les VIII Milles de la Table de Peutinger. Pour autant le tracé
n’est pas connu avec certitude, notamment à l’Est du Monétier et sur les
communes de la Salle et de Saint Chaffrey (actuel GR 50 ?). Sur cette
dernière commune, l’emplacement d’un hospice dit de la Madeleine, au Villard,
peut-être un jalon utile.
La voie devait ensuite passer à proximité de
Briançon mais non traverser la localité : Ferrand situe une
« mansio » vers la « Tête du Château » ou au
« Fontenil » où l’on a localisé l’emplacement d’un sanctuaire avec
probablement des thermes, situés, selon toutes probabilités, au bord de la
voie.
Briançon (Brigantion,
Strabon, Brigantione, Table de
Peutinger, Brigantium, Brigantio,
Gobelets de Vicarello, munic[ipium]
Brigantiens[ium] CIL XII,95 Castellum
Virgantiam – corrigé en Birgantiam -,
Ammien Marcellin) est la capitale des Brigianii/Bricianii chef lieu de civitas dès le 1er
siècle. Ce fut peut-être également le chef lieu secondaire des Alpes
Cottiennes.
L’agglomération pré romaine de Brigantio se
trouvait, semble t-il, à l’emplacement du bourg médiéval de Briançon, alors que
la ville romaine s’est développée dans le faubourg dit de Sainte Catherine au
pied de l’oppidum : on y a notamment découvert les traces d’un rempart du
Bas Empire avec tours, d’un amphithéâtre de 95 X
8 – SEGMENT BRIGANTIONE – IN ALPE COTTIA :
(environ
Seuls 6 Milles séparent ces deux stations mais, là
encore, le tracé n’est pas connu. Deux hypothèses sont envisageables :
l’actuelle Nationale 94 et le GR 5. Ce dernier est plus évident, notamment des
limites communales de Briançon jusqu’au col de Montgenèvre, où il est quasiment
rectiligne, alors que la route nationale, dans ce secteur, est très tortueuse
vers les « Voûtes ».
Le col de Montgenèvre et la station In Alpe
Cottia :
Fréquenté dès l’âge du fer, le col du Montgenèvre
est l’un des points de passage essentiels du relief alpin. Relativement bas (à
C’était le passage principal de la «
voie Heracléenne » puis de la voie des Alpes Cottiennes, aménagée au
premier siècle avant notre ère par les maîtres du royaume alpin, dont Suse
était la capitale, les rois Donnus à l’époque de César et Cottius à l’époque
d’Auguste. Aux dires d’Ammien Marcellin, la seule obligation imposée par
Auguste à Cottius était d’entretenir cette route, grâce aux prestations des
montagnards, dans toute la traversée du Royaume, d’Ocelum (Chiusa) à Eburodunum
(Embrun) et d’en assurer la protection.
Vers l’Ouest, en Transalpine, puis en Narbonnaise,
elle se prolongeait par la « Via Domitia ». Cet itinéraire
transalpin, emprunté par les troupes de Pompée puis par celles de César, était
si fréquenté au premier siècle avant notre ère que Tite Live (5,34,8) dénomme
le Montgenèvre « Saltus Alpis Juliae » et, à l’époque d’Auguste,
Strabon rapporte (4 – 1, 2 et 4) qu’entre la Gaule et l’Italie la route qui
empruntait les vallées de la Durance et de la Doire était la plus courte et la
plus utilisée entre la Gaule et l’Italie.
Cette position capitale sur cet itinéraire explique
que, dès le Haut Empire, une petite agglomération se soit installée à
l’emplacement du col. Elle est dénommée « Druantium » (à cause des
sources de la Durance) ou Summae Alpes »(par référence au sommet qui la
domine) sur les Gobelets de Vicarello et « Alpis Cottia » sur la
Table de Peutinger et se trouvait au pied d’une montagne qualifiée de
« Mons Matrona » par Ammien Marcellin au IV° siècle et par
l’Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem. Pour G. Barruol, cet oronyme pourrait
garder le souvenir d’un culte aux sources de la Durance et de la Doire, aux
divinités protectrices des passages transalpins et à Jupiter, honoré du reste
sur presque tous les cols.
De toute antiquité, un sanctuaire important
s’élevait au niveau du col, ce dont témoigne la découverte, vers 1880, près de
l’église, de divers éléments antiques : fragments de sculptures en marbre,
pierres taillées de
Parmi les illustres voyageurs antiques qui passèrent
le Montgenèvre on peut citer Bellovèse et les populations qui le suivaient au
V° siècle avant notre ère, peut-être Hannibal en 218 avant notre ère, Domitius
Ahenobarbus et ses successeurs immédiats peu après 120 avant notre ère, Pompée
– qui prétendait avoir ouvert la voie – en 77 avant notre ère, César, Auguste,
Vitellius en 69, Vespasien, Domitien, Septime Sévère, Posthume en 257, Maximien
en 290-291, Constantin en 312, Constantin II en 353, Julien en 335, Maxime en
387, Théodose en 394.
10 – AU DELA D’IN ALPE COTTIA :
Entre le Montgenèvre et Turin, la voie antique est
relativement bien située. On citera notamment, pour les premières stations,
Goeaso ou Tyrio (Cesana), Ad Martis (Oulx), Excingomagus (les Fenils) et
Segusio (Suse) à XXV Milles du Montgenèvre. Chef lieu des Segusini, Segusio était aussi la capitale du royaume de Cottius. La
dédicace de l’Arc de Suse fait connaître les 14 peuples qui, à la fin du
premier siècle avant J. C. composaient le Royaume alpin de Donnus puis de son
fils Cottius, contemporain d’Auguste.
Outre l’Arc d’Auguste, Suse conserve de nombreux
vestiges antiques : la « Porte Savoia », où passait la voie des
Gaules, des restes d’enceinte, un amphithéâtre et les « thermes de
Gratien » ainsi dénommés du fait de l’interprétation d’une inscription
découverte dans les environs du monument qui dénommait les thermes restaurés
entre 375 et 378 par les empereurs Gratien, Valens et Valentinien, ainsi que
l’aqueduc qui les alimentait.
Enfin, on notera qu’entre Segusio et Taurini se
situait la station d’ Ad Fines (Aviglina), important bureau douanier de la
Quadragesima Galliarum, à la limite du Royaume de Cottius et de l’Italie
proprement dite ; on a retrouvé l’emplacement exact de cette statio et
même son tabularium : un tel centre de comptabilité, qui ne se trouve
généralement que sur les très grands itinéraires, témoigne de l’importance du
trafic qui se faisait sous le Haut Empire par le Montgenèvre.
(Texte au 3 Août 2002)