GENERALITES SUR LES VOIES ROMAINES

 

 

Créateur d’unité, l’immense réseau de voies de communications terrestres qui se dirigeaient vers tous les horizons est véritablement le symbole de la pénétration de la civilisation romaine dans la majeure partie de l’Europe et de l’Asie ainsi qu’en Afrique.

 

Avant l’arrivée des Romains la Gaule et la Provence disposaient d’un ensemble de pistes très bien conservées et conçues de manière à permettre des échanges commerciaux. Ces pistes étaient entretenues, des relais prévus, des péages organisés à l’entrée des frontières et au passage de certaines rivières que l’on franchissait à gué ou sur des radeaux.

 

Les voies romaines ont ainsi, très souvent succédé aux chemins Gaulois le Ligures en les construisant d’une manière durable et en organisant la circulation de façon méthodique, car ce sont des mobiles stratégiques plus qu’économiques qui ont poussé les Romains à construire de telles routes qui constituaient le plus sur moyen d’assurer une domination sur les pays conquis.

 

C’est grâce à ces routes que les ordres venus de Rome parvenaient dans toutes les Provinces, dans les moindres districts. A son rôle militaire la route joignait un rôle politique et culturel.

 

« Véhicule de marchandises certes, véhicule aussi des idées, véhicule de la langue, elle devient le plus puissant moyen d’assimilation que l’on puisse concevoir. Ni les techniques, ni les arts, ni la langue ne se seraient diffusés aussi complètement sans ce complexe réseau de voies… » (Emile Thevenot).

 

En effet, nul réseau n’a pu soutenir la comparaison avec celui des Romains qui ont construit, pendant plus de huit siècles, plus de 100 000 km de « viae » qui traversaient plaines, montagnes et marécages sans chercher à contourner les obstacles de la nature mais en les domptant avec des ponts, des digues, des tunnels.

 

Les voies romaines se divisaient en voies militaires (« viae militares ») construites par et aux frais de l’armée (qui deviendront des voies publiques) en voies publiques (« viae publicae ») construites par l’Etat et surveillées par des curateurs et en voies vicinales (viae vicinales ») qui dépendaient des magistrats locaux. Les deux premières étaient des voies stratégiques et de grande communication qui servaient aux mouvements des troupes, aux grands transports et à la poste.

 

Au bord de ces routes on trouvait des « mutationes », relais destinés à changer les chevaux (entre sept et dix milles, soit 10,5 à 15 km) et des « mansiones », généralement établies à une journée de marche l’une de l’autre (entre vingt et vingt quatre milles, soit 30 à 36 km) et tous les milles « pasus » (le double pas romain), soit tous les 1481 mètres on trouvait un milliaire.

 

Tout un réseau de voies vicinales, qui n’offraient sur leur parcours ni mutationes, ni mansiones, ni même milliaires – sauf exceptions – complétaient les artères principales : quelques une étaient très importantes, difficiles à distinguer des viae publicae.

 

Il existait aussi des chemins plus étroits, des sentiers parcourus antérieurement par les habitants des localités conquises par les Romains et des chemins privés desservant les domaines agricoles.

 

Le secteur étudié croise ou recoupe quelques unes des plus grandes voies romaines :

 

-          les voies héracléennes, portant ce nom dès le 4ème siècle avant notre ère – peut-être même dès le 7ème siècle – ainsi nommées par les phocéens par association à la figure légendaire d’Héraclès qui exécutait les travaux les plus difficiles.

 

. l’une de ces voies longeait la côte de Gènes à Vintimille qui, dans ce qui sera la future Province des Alpes Maritimes, traversait la Roya, coupait le Cap Martin, rejoignait la Turbie pour atteindre Villefranche et Nice. Une grande partie de cette « voie Héracléene » est à l’origine de la « Via Julia Augusta », route de corniche qui sera considérablement améliorée sous le règne d’Auguste à partir de 13 avant J. C.

 

. l’autre voie Héracléenne deviendra la « Via Domitia » reliant l’ Italie du Nord à la Gaule méridionale en direction de l’Espagne. C’était la plus importante et la plus ancienne de l’Europe Ociidentale. Polybe la désignait sous le nom légendaire de « route d’Hercule suivie par Hannibal ». Ce vieil itinéraire, déjà utilisé par les tribus en déplacement, les troupeaux de transhumance et les marchands grecs, perfectionné par le Proconsul Domitius Ahenobarbus, fondateur de Narbonne, à partir de 121 avant J. C. devint la Via Domitia qui devait faciliter la pénétration politique et économique de Rome en Occident. D’après Strabon c’était, sous Auguste, l’itinéraire le plus fréquenté de l’Italie au Rhône : il le restera pendant toute l’époque romaine et même au moyen âge.

 

Cette « Via Publica », empruntée par l’armée, les fonctionnaires, les commerçants, la poste impériale et les voyageurs de toutes catégories fut un facteur de développement extraordinaire pour les régions qu’elle traversait, avec la création de nombreuses routes secondaires, l’implantation de grands domaines ruraux avec de nouveaux modes de culture et des échanges multiples entre les différentes régions.

 

Construite et entretenue aux frais de l’Etat, elle avait, en rase campagne, une largeur moyenne de 8 mètres, fossés et accotements compris, donc une chaussée de 5 à 6 mètres. Pavée à l’intérieur et aux abords immédiats des cités elle était, en dehors des parcours urbains, recouverte de gravier en surface et empierrée en infrastructure. Son allure était, en général, rectiligne en plaine, avec des tournants brusques et mêmes à angle droit dans certains cas. Passant les Alpes au Montgenèvre, elle suivait la Durance par Briançon, Embrun, Chorges, Gap, la Saulce pour atteindre Sisteron.

 

A Siseron arrivaient également la voie de Cimiez et Vence par Castellane, Senez et Digne et celle de Fréjus par Draguignan et Riez. Après avoir franchi le Jabron, aux « Bons Enfants » et le Buès au pont de Ganagobie elle gagnait Alaunium (Notre Dame des Anges), Céreste, Apt, Cavaillon et Tarascon où elle retrouvait la Via Aurelia.

 

La grande voie vers l’Espagne traversait ensuite Nîmes, les plaines du Languedoc et du Roussillon et passait les Pyrénées à Panissar, non loin du Perthus.

 

-          la « Via Aurelia » avait, elle aussi, une importance considérable car elle permettait de rallier Rome au Rhône puis à l’Espagne en passant par des cités méridionnales peu éloignées de la côte. Elle faisait partie du long parcours ininterrompu de 2700 km entre Rome et Cadix. Commencée vers 177 avant notre ère, elle quittait Rome par le Nord et, près de Gènes, prenait le nom de « Via Aurelia Scauri », du nom de M. Aemilius Scaurus qui, en 109 avant J. C. avait prolongé la Via Aurelia au delà de Gènes jusqu’à Vado Liguria, en deçà de Savone, d’où un embranchement rattachait la voie côtière au réseau de la plaine du Pô et aux routes des cols alpestres vers la Gaule.

 

Au delà de Vada Sabata, le parcours se réduisait aux vieux chemins indigènes peu commodes. L’amélioration et l’achèvement de la route de corniche furent réalisés par Auguste aussitôt après la soumission des tribus montagnardes des Alpes Maritimes en 13 avant J. C. Cette nouvelle voie fut dénommée « Vai Julia Augusta » depuis la Trébie jusqu’au Var, pour reprendre alors le nom de Via Aurelia – du nom de Caïus Aurelius Cotta, Consul en 75 avant notre ère – passant aux abors d’Antipolis, Neapolis, Ad Horrea, Forum Julii, Lucus, Forum Voconii puis Aquae et Salo pour rejoindre la Via Domitia à Tarascon.

 

Mais, Via Aurelia et Via Julia Augusta sont, sous ces noms différents, la même route en Provence.

 

-          la Via Agrippa qui, depuis Arles, se dirigeait vers Vienne et Lyon en suivant la rive gauche du Rhône, passait par le carrefour d’Ernaginum (Saint Gabriel), coupait la Via Domitia et gagnait Avignon puis Orange, Saint Pierre de Senos, Saint Paul Trois Châteaux, Montélimar et Valence.

 

-          les autres routes importantes étaient celles qui rattachaient Lyon à Rome à travers les Alpes, l’une par le col du Petit Saint Bernard, l’autre par Grenoble et les cols du Lautaret et du Montgenèvre. Une troisième gagnait Gap par le col de Cabre et, en remontant la vallée de la Durance, rejoignait la précédente.

 

-          Parmi les nombreuses « viae vicinales » qui formaient une trame extrêmement dense on peut citer celles qui constituaient avec les trois grandes voies (Domitia, Aurelia, Agrippa) une grande partie de l’armature de la Provence, sans omettre toutefois de se rappeler qu’il existait également de nombreux chemins muletiers ou de simples pistes, accrochés aux flancs des montagnes qui passaient par les cols en évitant les vallées par crainte des crues, souvent importantes, dans ces régions, ainsi :

 

. la « Voie de Vence » (Via Ventiana) qui, de Sisteron gagnait Digne par la rive gauche de la Bleone, puis Senez, Castellane, Séranon, Caille, Andon, Gréolières, Coursegoules, pour arriver à Vence par le col du même nom. Cette voie – qui n’était pourtant qu’une voie secondaire – possédait cependant un nombre important de milliaires (18 entre Vence et Andon sur 42 kilomètres !).

 

. la voie qui, depuis Draguignan, rejoignait la Via Domitia à Cavaillon par Salernes, Tavernes et Rians.

 

. celle d’Aix à Riez par Allemagne en Provence et Saint Martin de Bromes (3 milliaires connus)

 

. celle de Cavaillon à Vaison par Venasque et Carpentras

 

. celle, enfin, de Grenoble à Fréjus, d’importance au moins équivalente à celle de la Via Ventiana qui n’a pas d’appellation particulière autre que celle de « Voie de Plancus » qui lui est généralement donnée.

 

 

On ajoutera à cette énumération générale les très nombreuses voies, principales ou secondaires, recensées autour de Grenoble :

 

-          la voie des Alpes Graies par la rive droite de l’Isère et le Petit Saint Bernard,

-          la voie d’Italie, dite d’Hannibal, par la rive gauche de l’Isère et le col du Clapier,

-          la voie de Grenoble à Vienne,

-          la voie de Grenoble à Valence, dite d’Hannibal, par la rive gauche de l’Isère,

-          la voie de Grenoble à Valence, ou « Via Valentiniana, par la rive droite de l’Isère,

-          la voie d’Italie par l’Oisans,

-          la voie de Grenoble à Chambéry par le Voironnais,

-          la voie de Grenoble au Montgenèvre par la Matheysine et Gap,

-          la voie, dite Ligure, de Grenoble à l’Oisans par la Mure et Ornon,

-          la voie de Grenoble à Mens par Avignonet et Savel,

-          la voie de Grenoble à Mens par la Mure,

-          la voie de Grenoble à la Mure par la Motte Saint Martin et Ars,

-          la voie de Grenoble à la Croix Haute par Roissard et Mens,

-          la « Via Publica » de Grenoble à Die par le Vercors,

-          la voie de Grenoble à Die par Gresse et la Quayrie,

-          la voie de Grenoble à Die par le col de Menée,

-          la voie de Grenoble à Lyon par Heyrieux.

 

 

 

CONSTRUCTION DES VOIES

 

    

 

En ce qui concerne la construction des voies, il n’y avait pas de schéma unique : les constructeurs romains s’adaptaient à l’environnement géologique et économique, ainsi qu’à la nature du terrain, solide ou instable.

 

Mais, la plupart des chaussées avaient un profil transversal bombé afin de faciliter l’écoulement des eaux dans des fossés latéraux de drainage, au delà desquels il y avait parfois des bas côtés pour les piétons et les cavaliers.

 

Elles étaient souvent limitées par des bordures de pierres. Leur largeur, en Narbonnaise, oscillait entre 5 et 8 mètres avec une moyenne, hors fossés et bas côtés, de moins de 6 mètres. Les virages étaient calculés plus larges en raison des essieux rigides des voitures romaines. Dans les zones humides ou marécageuses on avait recours à une infrastructure en bois avec des pilotis ou des troncs d’arbres disposés tranversalement et placés sur deux ou trois poutres parallèles.

 

Le tracé était souvent rectiligne et on n’hésitait pas à gravir directement des pentes assez importantes sans chercher à la détourner (par exemple, sur la voie de Grenoble à Fréjus, au « Poteau de Telle »).

 

En terrain accidenté, la voie était une succession de lignes brisées, presque toujours établie sur les hauteurs afin de pouvoir surveiller l’environnement, ce qui était le propre des « viae militares ».

 

Les passages de rivières se faisaient, chaque fois que possible, à gué, passages aménagés par simple empierrement ou par des galets maçonnés à la chaux ou par des ponts de bois et, surtout, de pierre.

 

En Narbonnaise, Auguste utilisa, pour établir un réseau de voies de communication efficace, les anciennes pistes, les « drailles » de transhumance, dont certaines, encore visibles, doivent remonter à une époque reculée, les voies que les Ligures avaient élaborées pour communiquer entre les différentes tribus, pour réunir les bourgs, les capitales politiques, les centres de la vie économique régionale.

 

Alors que ces chemins ne servaient pratiquement aux indigènes que pour le passage des piétons, des chevaux et des troupeaux, il fallut les améliorer, les élargir, les empierrer, leur adjoindre des ouvrages d’art – en particulier des ponts – afin d’y faire passer les convois militaires et les chariots de marchandises. Toutefois, dans les Préalpes et dans certaines vallées des Alpes, au relief accidenté, peu fait pour le roulage, les marchandises étaient surtout transportées à dos de mulets et d’ânes, comme cela se fera encore, du reste, jusqu’à l’ancien régime.

 

 

LE TRAFIC ROUTIER

 

Deux types de documents nous permettent de connaître les véhicules des Romains et des Gallo Romains : certaines sources littéraires et, surtout, les représentations figurées, telles que sculptures, peintures, mosaïques, monnaies…

 

Pour le transport des marchandises, c’est, le plus souvent, le véhicule à deux ou quatre roues, qui était utilisé, avec coffre de bois dans lequel on entassait les marchandises. Les charrettes les plus lourdes pouvaient charger jusqu’à 500 kg.

 

Pour l’acheminement des voyageurs on avait recours à des véhicules massifs bâchés et à des chars à bancs munis de sièges, les passagers s’asseyant dos à dos, derrière le cocher, à des voitures légères individuelles ou à deux places, quelquefois avec la possibilité de se protéger avec des capotes.

 

Ces véhicules étaient tirés par des chevaux (de un à quatre) ou des mulets, les bœufs assurant la traction des lourds charrois.

 

 

                                               LES BORNES MILLIAIRES

 

Les voies romaines étaient bordées de « milliaria » les bornes milliaires qui, en Italie, indiquaient la distance à partir de Rome et, à dans les Provinces, la distance à partir de la capitale ou de la ville la plus proche.

 

Les plus anciennes furent érigées à partir de 123 avant J. C. tous les milles pas (le double pas romain soit 1481,45 mètres) soit tous les 1481 mètres et toujours sur le côté gauche de la voie, tournant le dos à Rome.

 

C’étaient, en général, des pierres cylindriques ou ovalisées, parfois parallélépipédiques, dont la base était cubique, pour permettre une enracinement  plus solide, de forme massive, mesurant 2 à 3 mètres de haut, 50 à 80 centimètres de diamètre et pesant deux tonnes, voire plus. Elles étaient enfoncées à près de 70 centimètres dans le sol, ce qui donne une hauteur moyenne de 1,50 mètre au dessus du sol.

 

En Italie, le numéro de chaque borne correspondait à la distance la séparant du « Milliarium Aureum » , le milliaire d’or, placé par Auguste à l’extrémité du forum, près du temple de Saturne.

 

Certaines bornes précisaient que la route avait été réalisée ou restaurée aux frais personnels de l’Empereur et spécifiait la qualité de son revêtement : route de gravier (« via glarea strata ») ou pavée (« via silica strata »).

 

Sur la Via Julia, par exemple, des milliaires furent placés sous Auguste, Hadrien et Caracalla ; c’est pourquoi on a pu trouver trois bornes aux mêmes emplacements à chaque mille, celle d’Auguste en 12 avant J. C. celle d’Hadrien vers 126 et celle de Caracalla entre 212 et 217. Si le rassemblement de ces trois bornes n’est presque jamais signalé, il ne semble pas que cela soit du au fait qu’à chaque réfection on abattait le milliaire placé par le prédécesseur mais plutôt qu’elles furent détruites ou récupérées au cours des siècles.

 

R. Chevallier évalue à 8000 les milliaires retrouvés dans l’Empire, dont 600 pour les Gaules. Encore ne s’agit-il que de ceux dûment répertoriés. Mais de très nombreux milliaires ont disparu au cours des temps : on en a retrouvé en réemploi dans les remparts des chefs lieux de civitas, dans les églises (colonnes, bénitiers) ; ils ont aussi servi de pierres pour battre le linge, de rouleaux compresseurs, de polissoirs, d’abreuvoirs une fois creusés… Peu de bornes milliaires sont restées à leur emplacement primitif. Souvent des croix de chemin les ont remplacés.