UN CHATEAU OUBLIE : FOLLIANS EN TRIEVES
Situé
à l’extrémité sud de la commune de Prébois, le
château de Follians (Foillans,
Foliant, Feuillans), appelé
aujourd’hui « Tour des Feuillans » est un
site riche d’histoire. C’est pourtant aussi l’un des plus méconnus du Trièves.
On
peut accéder à ses ruines depuis le col du Banchet
sur la D 66 par un chemin d’abord bien tracé puis par une sente en forte pente
permettant en quarante cinq minutes de marche de passer de l’altitude 888 m à
l’altitude 1114 m. Edifié sur un piton isolé adossé au mont du Ménil, le
château dominait tout le bas Trièves. Les ruines
subsistantes montrent une construction de type motte castrale. On remarque, en
effet, la présence d’un tertre massif en partie naturel mais retaillé de main d’homme
et d’une basse cour (1) qui semble avoir été entourée d’un fossé. La tour qui
s’élève au sommet du tertre principal, sans doute le donjon, mesure environ 8 m
de coté. Sauf à l’est où l’élévation du mur – construit en moyen appareil avec
parement – est encore de 5 mètres environ, la tour est complètement éboulée et
l’intérieur comblé. A peu de distance du site castral et en contrebas de
celui-ci se voit encore la carrière dont ont été extraits les matériaux de
construction. Certains fronts de taille restent encore très visibles mais le
lieu est très pentu et difficilement accessible aujourd’hui.
Follians est vraisemblablement un château de
l’an mil installé en un site inaccessible, entouré de pentes abruptes. Il
apparaît pour la première fois en 1080 : Ponce de Domène fait donation à
l’abbaye de Cluny de divers biens, dont un champ « situé près du château
de Follians » (2). Dès le 11ème
siècle, un château est donc attesté dans ce nid d’aigle mais l’on peut penser
que son origine est nettement plus ancienne. Un siècle s’écoule avant que l’on
ne retrouve mention du château ; en 1165, Raymond Bérenger, chanoine de
Die et membre de l’illustre famille de Morges (3) cède une partie de ses biens
à l’église de Die et, notamment, le château de Follians
avec son mandement (4). Le 1er février 1183, alors que l’évêque de
Die et son chapitre se partagent les châteaux de Prébois,
Tréminis et Thorannes (5),
celui de Follians demeure indivis entre eux (6).
Vers
1200, parmi des redevances dues au monastère de Domène on relève des vignes à Follians (7). En 1218, le château de Follians
est reconnu à la fois de l’évêque et du Dauphin ; en effet, Sofred, prieur de Saint Laurent, Ponce, Gautier et Arbert mettent fin à des contestations entre Didier, évêque
de Die et Guigues Bérenger de Morges au sujet des
châteaux et mandement de « Foleanis » (Follians) et de « Pratibux »
(Prébois) (8). Guigues les
remet à l’évêque qui, de concert avec son chapitre, les lui rend en fief sous
condition d’hommage lige (9) sauf celui du Dauphin et de remise pour un jour à
chaque mutation du seigneur et du vassal (10). Cet hommage est renouvelé en
termes identiques le 23 août 1250 par Raymond Bérenger qui offre d’abandonner
ses fiefs de Foillans et Prébois
s’il a commis quelque faute. Mais l’évêque lui pardonne (11). Peu après, le 13
novembre 1252, Ufred, abbé d’Entremont, atteste que
Guillaume, Comte de Genevois, à son lit de mort lui fit aveu en confession et
sur le salut de son âme que les châteaux de Follians
et Prébois lui devaient hommage lige et que Raymond
Bérenger, durant la maladie dont il mourut, reconnut qu’il les avait tenus à
tort et les lui rendit (12). Il faut néanmoins attendre 1277 pour que Guigues Bérenger, fils de Raymond, donne à l’évêque de Die
tout ce qu’il avait au château de Follians (13).
Mais, en réalité, il continue à occuper son nid d’aigle. Ceci conduit les
troupes épiscopales à l’expulser du château le 5 janvier 1279 (14). Il semble
qu’alors les seigneurs de Morges cèdent une partie de ce château âprement
disputé à la famille Alleman, leur parente. En effet,
le 5 août 1289, une procédure arbitrale intervient entre Odon Alleman, seigneur de Champ et le procureur de l’église de
Valence et de Die (15) au sujet du château de Foillans
revendiqué par chaque partie (16). Odon Allemand ut avoir satisfaction car, peu
après, le 5 juillet 1292, il lègue à son fils aîné, Guigues,
le château de Follians ainsi que 10 livres à prendre
sur les revenus du château pour son fils cadet Gilet (17). Trois ans plus tard,
le 27 mai 1295, Jean de Genève, évêque de Valence et de Die, donne en fief à Guigues Alleman le château de Folians « qu’Amédée de Genève avait jadis enlevé à Guigues Bérenger pour cause de félonie ». Il ne sera
tenu qu’à son hommage pour ce château (18).
Le
12 février 1297 (ou 1298), Guigues Alleman vend à sa mère Sibylle d’Aix, dame de Saint Jalle et Prébois, tutrice de son
fils Gilet Alleman, seigneur de Champ, les châteaux
de Foillans et Prébois au
prix de 4000 livres viennois (19). Le 13 août 1315, Gilet Alleman
vend la terre de Follians et la moitié du château à
Raynaud Bérenger, seigneur de Tréminis (20). Mais,
l’acte devait être problématique car 48 heures plus tard intervient une
sentence arbitrale rendue par Guigues Alleman, seigneur de Valbonnais
et Guillaume Alleman, prieur de la Mure, entre Gilet Alleman et Raynaud Bérenger (21). Le 16 août 1315
intervient alors un nouvel acte de vente entre les susnommés qui reconnaissent
tenir la terre de Follians en fief de Guillaume de
Roussillon, évêque de Die (22). Pue après, Raynaud Bérenger fait hommage au
chapitre de Die de cette partie de Follians, château
et territoire, mandement, juridiction haute et basse (23). Cette indivision ne
devait pas aller sans problèmes car le 16 novembre 1316, Raynaud Bérenger et
Gilet Alleman décident de placer des bornes pour
séparer les terres de Prébois et Follians
(24). Bien que l’acte n’ait pas été conservé, il semble que Gilet ait vendu peu
après à Raynaud Bérenger la part qu’il conservait du château de Follians car le 19 janvier 1322 ce dernier est dit
« seigneur de Foillans ». Il acquiert
alors, du même Gilet, le château de Prébois (25).
Mais, pour autant, tout n’était semble t-il pas réglé car, peu après 1330,
s’élève un différend entre le Dauphin et l’évêque de Die quant aux prétentions
du Dauphin à la juridiction sur les hommes de Prébois
et la moitié de Foillans. Il est reconnu que
l’hommage était du aux deux seigneurs (26). En 1332 et en 1335, le seigneur de Follians est Bertrand Bérenger, fils de Raynaud (27).
L’enquête
pontificale de 1339 montre qu’à cette date le mandement de Follians
reste très important puisqu’il regroupe 233 feux (28) dans les trois paroisses
de Prébois (74 feux), de Sainte Eugénie (34 feux)
(29) et de Tréminis (125 feux). Au milieu du 14ème
siècle, des distributions de sel aux pauvres à la porte des châteaux de prébois et de Follians sont
attestées (30). Vers 1352, il semble que les plaintes accumulées à la cour delphinale contre Bertrand Bérenger, agressif et
querelleur, aient conduit à une expédition militaire contre lui, au cours de
laquelle le château aurait été pris d’assaut et incendié (31). Telle dut être
la fin de ce château tant convoité. Dès lors, les légendes ne tardèrent pas à
se propager, embellies au cours des siècles, et, notamment, celle d’une chèvre d’or
qui subsisterait dans les souterrains effondrés du château (32).
Vers
1360, Bertrand Bérenger laisse par testament à sa fille Galburge
ses terres de Prébois, Sainte Eugénie et Feuillans (33). Le mandement de Feuillans
passera peu après, par mariage, à la famille de Monteynard qui le possédait
encore à la veille de la révolution. Mais, du château, il n’est dès lors plus
question. En 1486, ses ruines sont mentionnées pour servir de confins lors
d’une délimitation foncière.
EN
1844, la pasteur Blanc les décrit ainsi : « … Elles s’élèvent au
couchant de Mens sur un coteau en vive arête ressemblant à un grand moulin que
la foudre a renversé. Le mur du nord, haut de 20 m sur les bords d’un précipice
presque perpendiculaire est percé d’une fenêtre en ogive de 2 m de hauteur sur
63 cm de largeur. L’arceau est en tuf taillé, le reste en pierres brutes. Le
vide intérieur de ces masures forme un rectangle de 8 m de long sur 6 m de
large » (34). En 1912, outres les pans de murs de la tour, on voyait
encore quelques restes de construction. Actuellement, seules des buttes
recouvertes de végétation laissent supposer l’emplacement de bâtiments
castraux. Combien de temps subsistera encore le pan de tour encore
conservé ? Pour l’heure, et pendant qu’il en est temps, on peut toujours
méditer sur ces ruines évoquant tant de siècles d’histoire.
Notes :
(1) il s’agit, dans les constructions
de l’an mil, de la cour située entre la première et la deuxième enceinte d’un
château, renfermant les dépendances.
(2) Cartulaire de Domène, charte n° 12
(3) dont le berceau existe toujours à
Château Vieux sur la commune de Saint Sébastien.
(4) U. CHEVALLIER : cartulaire de
l’église de Die T 2, X, pages 30 et 31, 1868. Le mandement était une
circonscription administrative, judiciaire et financière, fort ancienne en
Dauphiné. Le terme de « châtellenie » lui sera ensuite substitué.
(5) Sur la commune de Saint Michel les
Portes. Le lieudit existe toujours.
(6) U. CHEVALLIER : op. cit. XIV,
page 36
(7) Cartulaire de Domène, charte 207-44
(8) Le château de Prébois,
qui pouvait être situé dans le bourg actuel, a depuis longtemps disparu.
(9) L’hommage lige ou plein (par
opposition à l’hommage simple) était celui par lequel un vassal (dit lige)
devait fidélité à son seigneur pour un suprême hommage.
(10)
Regeste
Dauphinois n° 6429
(11)
Regeste
Dauphinois n° 8668
(12)
Regeste
Dauphinois n° 8898
(13)
Regeste
complémentaire n° 1565
(14)
Regeste
Dauphinois n° 11954
(15)
lesquelles
avaient été unies en 1275 par le pape Grégoire X
(16)
Regeste
Dauphinois n° 13508
(17)
Regeste
Dauphinois n° 14064
(18)
Regeste
Dauphinois n° 14534
(19)
Regeste
Dauphinois n° 15040
(20)
Regeste
Dauphinois n° 19112
(21)
Regeste
Dauphinois n° 19113
(22)
Regeste
Dauphinois n° 19114
(23)
Regeste
complémentaire n° 2802
(24)
Regeste
complémentaire n° 2891
(25)
Regeste
Dauphinois n° 21296
(26)
Regeste
Dauphinois n° 25136
(27)
Regeste
Dauphinois n° 27688 et Regeste complémentaire n° 3826
(28)
un
feu représentait alors environ 6 habitants
(29)
paroisse
disparue de Prébois
(30)
ADI,
B 3974
(31)
Aimé
BEAUP : géographie du Trièves, 1982, page 266
(32)
Aimé
BEAUP : histoire du Trièves, 1977, page 50. On
notera qu’une tradition identique existe également à Saint Baudille
et Pipet et au Château Vieux de Saint Sébastien.
(33)
Abbé
LAGIER : le Trièves et son passé, 1889
(34)
André
BLANC : lettres à Lucie sur le canton de Mens, 1844, page 49