Saint Paul de Varces à l’aube de l’histoire

 

Conférence prononcée le 9 mars 1990 à Saint Paul de Varces (*)

 

Il y a quelque difficulté à tenter de brosser un tableau global de l’histoire de Saint Paul de Varces tant il est vrai que celle-ci est indissociable de celle de Varces.

En effet, jusqu’à l’époque révolutionnaire où la terre de Saint Paul fut érigée en commune distincte (1) elle ne fut qu’une paroisse du mandement de Varces qui, de très haute origine, en comprenait cinq :

 

- Saint Marcellin, peut être d’origine paléochrétienne,

- Saint Géraud sur la colline du même nom au sud de Varces,

- Saint Pierre de Risset à l’extrémité nord de la terre de Varces, contiguë à celle de Claix, qui abrita un prieuré modeste dès le 12ème siècle,

- Saint Maurice de Fontanieu, au hameau du même nom

- Saint Paul, dont l’église actuelle construite en 1840 a repris à peu près la place qu’occupait selon toute vraisemblance l’église primitive citée dès la fin du 11ème siècle dans le cartulaire de Saint Hugues mais aux origines peut être plus lointaines eu égard à son patronage et qui, selon la tradition, aurait été détruite ainsi que le village construit autour d’elle par un effondrement de la paroi rocheuse du Vercors (2). Cette église releva très tôt du prieuré Saint Michel de Connexe ainsi qu’en témoigne la bulle délivrée le 1er avril 1179 par le pape Alexandre III à Guillaume V de Varces, abbé de Saint Chaffre. S’agissait-il alors toujours de l’église primitive ou celle-ci avait elle déjà été ruinée ? La bulle pontificale la désigne sous le nom d’ « ecclesia Pauli de Encotz » du nom du hameau d’Encoin qui connut au cours des siècles nombre d’écritures différentes (3) et qui, sous la révolution, transmettra de manière éphémère son nom à la commune qui s’appellera alors Paul d’Ancoin.  La seconde église de Saint Paul fut située à une date indéterminée, mais sans doute dès le 12ème siècle, à l’extrémité de la paroisse, tout à coté du territoire de Varces, sans doute à l’emplacement de bâtiments composites dans lesquels se voyaient encore il y a quelques années des traces de fenêtres romanes. C’est cette église que décrit la visite pastorale de Mgr Le Camus de 1672 :  

 

     (*) les notes ont été postérieurement ajoutées

(1)  la commune de Saint Paul de Varces fut créée en 1790 par démembrement de la communauté de Varces. Par arrêté du représentant du peuple du 16 Frimaire An III (6 décembre 1794) elle est de nouveau réunie à celle de Varces. Elle en définitivement distraite par arrêté du 9 Brumaire An X (1801).

(2)  Tradition rapportée par l’abbé VAUJANY : nos paroisses (BMG)

(3)   - Sancti Pauli (ecclesia), 11ème siècle

-       Sancti Pauli de Encotz, 12ème siècle

-       Sancti Pauli de Incocio, 13ème siècle

-       Inconcio (ecclesia de), 14ème siècle

-       Incatio, 14ème siècle

-       Inquocio (parrochia de), 14ème siècle

-       Inquetz, Incocio, de Incoto, Incassio, 15ème siècle au 17ème siècle 

-       Saint Paul d’Enconcin, 18ème siècle

-       Paul d’Encoin, (ou Ancoin) période révolutionnaire

-        

« …après que l’église qui était autrefois au milieu de la paroisse où était un village qui fut ruiné par un rocher qui s’étant séparé de la grande roche écrasa le village et l’église, on emprunta alors l’église qui est présentement paroissiale laquelle, selon la tradition du pays, appartenait autrefois aux templiers ». Cette même relation précise encore que « du temps de la visite de Laurent Alleman elle était toute peinte » et « qu’il parait encore quelques marques de peintures ». Saint Paul fut donc toujours une paroisse distincte de Varces mais relevant, sur le plan séculier, de celle-ci.

Le considérable château de Varces sur la colline de Saint Géraud, connu dès au moins le 11ème siècle et dont il subsiste des vestiges importants (4) fut sans doute suffisant, selon toutes probabilités, pour protéger à la fois le versant de Varces et celui de Saint Paul. Ainsi donc, au risque de se répéter, n’est-il pas réaliste d’envisager une histoire de Saint Paul de Varces distincte et ignorante de celle de Varces.

Mais Saint Paul a néanmoins des racines très lointaines. Dans un environnement très riche en vestiges préhistoriques (5), Saint Paul a livré les restes régionaux les plus importants de cette période. En septembre 1960, en effet, fut découvert un gisement exceptionnel au lieudit « les Râcles », au pied du versant nord de la montagne d’Uriol, à l’aplomb de l’infractuosité naturelle nommée « Porte Coche (6). C’est le seuil d’une petite grotte sépulcrale qui, en s’effondrant fortuitement le 11 septembre 1960, fut à l’origine de la découverte d’une nécropole d’une telle importance qu’on a pu dire qu’il s’agissait « du site préhistorique et protohistorique le plus important de la région grenobloise » (7).

A 15 mètres au dessus du bas de la falaise alors exploitée en carrière un premier gisement devait révéler 28 restes plus ou moins complets de squelettes d’enfants et d’adultes (8) accompagnés d’un abondant matériel. Les premiers de ces corps avaient sans doute étaient inhumés au chalcolithique (9) au seuil de la grotte.  

 

(4)  voir à cet égard mon article dans « vieux chemins, vieilles pierres », bulletin des AVG n° 10, décembre 1982 et, plus récemment « les châteaux delphinaux de la vallée de la Gresse », 2008

(5)  voir notamment « Histoire de Claix », 2005

(6)  en raison de la fortification qui barrait ce passage au moyen âge et dans laquelle une porte avait été établie

(7)  pour une étude complète de la nécropole, voir notamment :

-       GALLIA préhistoire, IV, 1960

-       A. BOCQUET : découverte d’une nécropole protohistorique à Saint Paul de Varces, 1962

-       A. BOCQUET : la nécropole protohistorique de Saint Paul de Varces, 1963

-       A. BOCQUET : l’Isère préhistorique et protohistorique, 1969

-       Catalogue de l’exposition « Archéologie chez vous, la vallée de la Gresse, n° 4, juin 1985

-       J. C. MICHEL : la préhistoire dans le canton de Vif, bulletin des AVG n°8, décebre 1981 et « à propos de quelques objets préhistoriques de Saint Paul de Varces », même bulletin n° 17, juin 1986

-       Voir également la Carte archéologique de l’Isère dans le présent site Internet

(8)  13 enfants de moins de 10 ans, 2 enfants de 7 à 12 ans, 15 adultes

(9)   Entre 2000 et 1800 ans avant notre ère

 

Quelques siècles plus tard, des populations protoceltiques ou largement influencées par cette civilisation utilisèrent à nouveau les mêmes lieux (10). 7 à 8 mètres plus bas, un second groupe sépulcral devait livrer trois corps sans aucun mobilier (11). 15 mètres plus haut que la première nécropole, une tombe collective de 27 individus (12) dont les os avaient été broyés avant l’inhumation définitive suivant une coutume assez répandue à l’époque chalcolithique, miraculeusement inviolée postérieurement à son établissement, livrait également un matériel important et très homogène. Enfin, à 400 mètres au nord est, dans le bas de la falaise, une petite grotte renfermant un squelette sans aucun mobilier devait être découverte le 13 mai 1961.

Sans doute d’autres points sépulcraux, irrémédiablement détruits par la carrière, existaient-ils dans cette falaise utilisant les abris et cavités naturelles.

 

Au titre des pièces les plus remarquables trouvées dans ces gisements on peut signaler :

 

Ø  un gobelet caliciforme d’époque chalcolithique,

Ø  une coupe en céramique bistre à fond rond,

Ø  une coupe en céramique brune,

Ø  une épingle en bronze,

Ø  9 bracelets en bronze, ouverts, ovalaires pour la plupart,

Ø  Des anneaux et des tubes spiraux,

Ø  Des lames de silex très ouvragées,

Ø  Une pioche en  bois de cerf,

Ø  Un poinçon en os, très affûté, comparable à ceux trouvés dans le fond de cabane de Saint Loup sur Vif (13).

 

L’abondance des productions trouvées à la nécropole de Saint Paul de Varces laisse supposer une certaine prospérité des populations inhumées en ce lieu.

Il s’agit là d’une nécropole complexe, étagée sur un versant rocheux au hasard des possibilités d’utilisation offertes par la disposition des blocs. Cette destination s’est curieusement perpétuée, des siècles durant, malgré les profondes transformations des rites funéraires ; au chalcolithique, les ossuaires collectifs ont occupé les espaces offerts par la disposition naturelle des rochers en s’étageant le long de la pente sur une trentaine de mètres de hauteur. A l’âge du bronze, la nécropole antérieurement utilisée devait être encore assez visible pour que les nouveaux venus en reconnaissent le caractère et y perpétuent la tradition du lieu réservé aux morts au même endroit. Et la richesse comme la variété des mobiliers funéraires recueillis indiquent bien qu’il s’agit d’un mode de sépulture nullement occasionnel ou dégradé mais aussi élevé socialement que les tombes mégalithiques ou tumulaires.

L’absence quasi-totale de vestiges postérieurs à l’âge du bronze peut s’expliquer soit par la désaffectation progressive du site pour d’autres emplacements plus propices que nous ne connaissons pas, soit par l’interruption des inhumations au profit de   

 

(10)              au bronze moyen, entre 1500 et 1300 avant notre ère

(11)               un adulte d’environ 25 ans et deux enfants de 4 à 5 ans

(12)              7 adultes, 14 enfants de moins de 10 ans et 6 entre 10 et 20 ans

(13)              Pour la description complète du matériel voir notamment A. BOCQUET (op. cit.) et la carte archéologique de l’Isère (Saint Paul de Varces) du présent site Internet

l’incinération des restes dont on sait qu’elle devint à peu près systématique vers 1200 avant notre ère.

Le site des Râcles est donc strictement un site cultuel funéraire. Dès lors se pose cette question : d’où venaient les individus en ce lieu et quels étaient-ils ?

Tout porte à croire qu’il s’agissait d’immigrants groupés venant du sud qui se seraient installés sur place en s’adaptant aux conditions de vie et aux habitudes locales.

Mais où demeuraient-ils ? Il y a là une alternative conjecturelle : soit l’on considère la vallée de Saint Paul comme une vallée refuge – et il faut alors admettre que les sites d’habitat devaient être implantés dans la plaine non loin de la nécropole – soit l’on considère la vallée comme lieu de passage et il faut alors penser à un habitat de hauteur.

J’ai personnellement le sentiment que les habitants de Saint Loup (14) avaient remarqué ces failles dans le rocher du flanc ouest du rocher et qu’ils en avaient fait un lieu éminemment vénéré. Ceci peut être corroboré par le fait que Saint Loup n’a pas livré la moindre sépulture et par une analogie certaine entre les diverses pièces récupérées sur les deux sites.

Au surplus, dans les deux cas, les influences sont méridionales et montrent les rapports culturels sinon ethniques qui semblent lier les Alpes au Midi dès les origines de la métallurgie du cuivre puis du bronze.

Alors, sauf à imaginer une densité élevée de population sur les deux versants, laquelle parait toutefois extrêmement aléatoire, on ne peut manquer d’établir une relation entre cette nécropole et l’oppidum de Saint Loup si proche par la brèche de Porte Coche.

Quoiqu’il en soit, la perduration de l’utilisation des Râcles comme nécropole durant de longs siècles montre la symbolique qui était attachée à ce lieu à la fois protégé et discret et, sans doute, sa haute valeur cultuelle.

Mais, au-delà de cette découverte, c’est tout le problème du mode de vie de ces premiers occupants qui reste posé.  

 

 

(14) voir notamment ma conférence sur « le Mont Saint Loup, acropole vifoise », et les pages que j’ai consacrées à ce site dans l’ « histoire de Vif » (2006)