Saint Paul de Varces à l’aube de
l’histoire
Conférence
prononcée le 9 mars 1990 à Saint Paul de Varces (*)
Il
y a quelque difficulté à tenter de brosser un tableau global de l’histoire de
Saint Paul de Varces tant il est vrai que celle-ci
est indissociable de celle de Varces.
En
effet, jusqu’à l’époque révolutionnaire où la terre de Saint Paul fut érigée en
commune distincte (1) elle ne fut qu’une paroisse du mandement de Varces qui, de très haute origine, en comprenait
cinq :
-
Saint Marcellin, peut être d’origine paléochrétienne,
-
Saint Géraud sur la colline du même nom au sud de Varces,
-
Saint Pierre de Risset à l’extrémité nord de la terre
de Varces, contiguë à celle de Claix, qui abrita un
prieuré modeste dès le 12ème siècle,
-
Saint Maurice de Fontanieu, au hameau du même nom
-
Saint Paul, dont l’église actuelle construite en
(*) les notes ont été postérieurement
ajoutées
(1) la commune de Saint Paul de Varces fut créée en 1790 par démembrement de la communauté
de Varces. Par arrêté du représentant du peuple du 16
Frimaire An III (6 décembre 1794) elle est de nouveau réunie à celle de Varces. Elle en définitivement distraite par arrêté du 9
Brumaire An X (1801).
(2) Tradition rapportée par l’abbé
VAUJANY : nos paroisses (BMG)
(3) - Sancti Pauli (ecclesia), 11ème siècle
-
Sancti
Pauli de Encotz, 12ème siècle
-
Sancti
Pauli de Incocio, 13ème siècle
-
Inconcio
(ecclesia de), 14ème siècle
-
Incatio,
14ème siècle
-
Inquocio
(parrochia de), 14ème siècle
-
Inquetz,
Incocio, de Incoto, Incassio, 15ème siècle au 17ème
siècle
-
Saint
Paul d’Enconcin, 18ème siècle
-
Paul
d’Encoin, (ou Ancoin)
période révolutionnaire
-
« …après que l’église qui était autrefois au
milieu de la paroisse où était un village qui fut ruiné par un rocher qui
s’étant séparé de la grande roche écrasa le village et l’église, on emprunta
alors l’église qui est présentement paroissiale laquelle, selon la tradition du
pays, appartenait autrefois aux templiers ». Cette même relation
précise encore que « du temps de la
visite de Laurent Alleman elle était toute
peinte » et « qu’il parait
encore quelques marques de peintures ». Saint Paul fut donc toujours
une paroisse distincte de Varces mais relevant, sur
le plan séculier, de celle-ci.
Le
considérable château de Varces sur la colline de
Saint Géraud, connu dès au moins le 11ème siècle et dont il subsiste
des vestiges importants (4) fut sans doute suffisant, selon toutes
probabilités, pour protéger à la fois le versant de Varces
et celui de Saint Paul. Ainsi donc, au risque de se répéter, n’est-il pas
réaliste d’envisager une histoire de Saint Paul de Varces
distincte et ignorante de celle de Varces.
Mais
Saint Paul a néanmoins des racines très lointaines. Dans un environnement très
riche en vestiges préhistoriques (5), Saint Paul a livré les restes régionaux
les plus importants de cette période. En septembre 1960, en effet, fut
découvert un gisement exceptionnel au lieudit « les Râcles »,
au pied du versant nord de la montagne d’Uriol, à
l’aplomb de l’infractuosité naturelle nommée
« Porte Coche (6). C’est le seuil d’une petite grotte sépulcrale qui, en
s’effondrant fortuitement le 11 septembre 1960, fut à l’origine de la
découverte d’une nécropole d’une telle importance qu’on a pu dire qu’il s’agissait
« du site préhistorique et protohistorique le plus important de la région
grenobloise » (7).
A
(4) voir à cet égard mon article dans
« vieux chemins, vieilles pierres », bulletin des AVG n° 10, décembre
1982 et, plus récemment « les châteaux delphinaux
de la vallée de la Gresse », 2008
(5) voir notamment « Histoire de
Claix », 2005
(6) en raison de la fortification qui
barrait ce passage au moyen âge et dans laquelle une porte avait été établie
(7) pour une étude complète de la
nécropole, voir notamment :
-
GALLIA
préhistoire, IV, 1960
-
A.
BOCQUET : découverte d’une nécropole protohistorique à Saint Paul de Varces, 1962
-
A.
BOCQUET : la nécropole protohistorique de Saint Paul de Varces, 1963
-
A.
BOCQUET : l’Isère préhistorique et protohistorique, 1969
-
Catalogue
de l’exposition « Archéologie chez vous, la vallée de la Gresse, n° 4, juin 1985
-
J.
C. MICHEL : la préhistoire dans le canton de Vif, bulletin des AVG n°8, décebre 1981 et « à propos de quelques objets
préhistoriques de Saint Paul de Varces », même
bulletin n° 17, juin 1986
-
Voir
également la Carte archéologique de l’Isère dans le présent site Internet
(8) 13 enfants de moins de 10 ans, 2
enfants de 7 à 12 ans, 15 adultes
(9) Entre 2000 et 1800 ans avant notre ère
Quelques
siècles plus tard, des populations protoceltiques ou largement influencées par
cette civilisation utilisèrent à nouveau les mêmes lieux (10). 7 à
Sans
doute d’autres points sépulcraux, irrémédiablement détruits par la carrière,
existaient-ils dans cette falaise utilisant les abris et cavités naturelles.
Au
titre des pièces les plus remarquables trouvées dans ces gisements on peut
signaler :
Ø
un
gobelet caliciforme d’époque chalcolithique,
Ø
une
coupe en céramique bistre à fond rond,
Ø
une
coupe en céramique brune,
Ø
une
épingle en bronze,
Ø
9
bracelets en bronze, ouverts, ovalaires pour la plupart,
Ø
Des
anneaux et des tubes spiraux,
Ø
Des
lames de silex très ouvragées,
Ø
Une
pioche en bois de cerf,
Ø
Un
poinçon en os, très affûté, comparable à ceux trouvés dans le fond de cabane de
Saint Loup sur Vif (13).
L’abondance
des productions trouvées à la nécropole de Saint Paul de Varces
laisse supposer une certaine prospérité des populations inhumées en ce lieu.
Il
s’agit là d’une nécropole complexe, étagée sur un versant rocheux au hasard des
possibilités d’utilisation offertes par la disposition des blocs. Cette
destination s’est curieusement perpétuée, des siècles durant, malgré les
profondes transformations des rites funéraires ; au chalcolithique, les
ossuaires collectifs ont occupé les espaces offerts par la disposition
naturelle des rochers en s’étageant le long de la pente sur une trentaine de
mètres de hauteur. A l’âge du bronze, la nécropole antérieurement utilisée
devait être encore assez visible pour que les nouveaux venus en reconnaissent
le caractère et y perpétuent la tradition du lieu réservé aux morts au même
endroit. Et la richesse comme la variété des mobiliers funéraires recueillis
indiquent bien qu’il s’agit d’un mode de sépulture nullement occasionnel ou
dégradé mais aussi élevé socialement que les tombes mégalithiques ou
tumulaires.
L’absence
quasi-totale de vestiges postérieurs à l’âge du bronze peut s’expliquer soit
par la désaffectation progressive du site pour d’autres emplacements plus
propices que nous ne connaissons pas, soit par l’interruption des inhumations
au profit de
(10)
au
bronze moyen, entre 1500 et 1300 avant notre ère
(11)
un adulte d’environ 25 ans et deux enfants de
4 à 5 ans
(12)
7
adultes, 14 enfants de moins de 10 ans et 6 entre 10 et 20 ans
(13)
Pour
la description complète du matériel voir notamment A. BOCQUET (op. cit.) et la
carte archéologique de l’Isère (Saint Paul de Varces)
du présent site Internet
l’incinération
des restes dont on sait qu’elle devint à peu près systématique vers 1200 avant
notre ère.
Le
site des Râcles est donc strictement un site cultuel
funéraire. Dès lors se pose cette question : d’où venaient les individus
en ce lieu et quels étaient-ils ?
Tout
porte à croire qu’il s’agissait d’immigrants groupés venant du sud qui se
seraient installés sur place en s’adaptant aux conditions de vie et aux
habitudes locales.
Mais
où demeuraient-ils ? Il y a là une alternative conjecturelle : soit
l’on considère la vallée de Saint Paul comme une vallée refuge – et il faut
alors admettre que les sites d’habitat devaient être implantés dans la plaine
non loin de la nécropole – soit l’on considère la vallée comme lieu de passage et
il faut alors penser à un habitat de hauteur.
J’ai
personnellement le sentiment que les habitants de Saint Loup (14) avaient
remarqué ces failles dans le rocher du flanc ouest du rocher et qu’ils en
avaient fait un lieu éminemment vénéré. Ceci peut être corroboré par le fait
que Saint Loup n’a pas livré la moindre sépulture et par une analogie certaine
entre les diverses pièces récupérées sur les deux sites.
Au
surplus, dans les deux cas, les influences sont méridionales et montrent les
rapports culturels sinon ethniques qui semblent lier les Alpes au Midi dès les
origines de la métallurgie du cuivre puis du bronze.
Alors,
sauf à imaginer une densité élevée de population sur les deux versants,
laquelle parait toutefois extrêmement aléatoire, on ne peut manquer d’établir
une relation entre cette nécropole et l’oppidum de Saint Loup si proche par la
brèche de Porte Coche.
Quoiqu’il
en soit, la perduration de l’utilisation des Râcles
comme nécropole durant de longs siècles montre la symbolique qui était attachée
à ce lieu à la fois protégé et discret et, sans doute, sa haute valeur
cultuelle.
Mais,
au-delà de cette découverte, c’est tout le problème du mode de vie de ces
premiers occupants qui reste posé.
(14)
voir notamment ma conférence sur « le Mont Saint Loup, acropole vifoise », et les pages que j’ai consacrées à ce site
dans l’ « histoire de Vif » (2006)