PROMENADE HISTORIQUE EN TRIEVES

 

Adaptation d’un diaporama présenté à Avignonet le 18 juin 1999

 

L’inédite promenade dans un Trièves un peu énigmatique et méconnu à laquelle je vous invite ici est  –autant le dire dès à présent – davantage sentimentale que raisonnée. L’on sait en effet que rares sont les historiens du Trièves et combien les toponymistes sont divisés sur l’origine même de son nom (1            ).

 

Est-ce dire qu’il relève un peu de la gageure de se hasarder à une telle « promenade » à maints égards un peu initiatique. Au demeurant, si celle-ci correspond dans ses fondements à un vague tracé géographique, elle ne saurait, à l’évidence, répondre à un quelconque ordre chronologique. Dès lors – et vous en aurez fait la rapide déduction – il s’agit bien davantage de présenter ici une mosaïque de lieux plutôt que d’un circuit touristique au sens littéral du terme.

 

Toujours, nous nous tiendrons à faible distance du Drac, ce torrent jadis terrible, qui sera omniprésent tout au long de ce vagabondage historique.

 

Le point de départ sera l’ancien mandement de Paquier et, plus précisément, son ancienne église vouée à Saint Christophe. Si les premiers textes par lesquels la paroisse de Paquier nous est connue ne sont d’aucune valeur pour dater le monument qui nous est parvenu, ils éclairent singulièrement la situation dans laquelle se trouvait l’église de Grenoble à la fin du 11ème siècle, sous l’épiscopat de Saint Hugues.

 

L’on sait, en effet, par un acte du 8 février 1006, que celui-ci concède alors à la prévôté d’Oulx les terres et églises de la Cluze, de Saint Martin et de Paquier. AU moins neuf chartes qui nous sont parvenues de ce début d’un 12ème siècle encore abscons à maint égards, témoignent de la donation et souvent de la restitution, à titre onéreux au profit de la grande Novalaise, des dîmes de ces paroisses que se partageaient alors sept ou huit grands propriétaires fonciers laïcs.

 

Si à cela on ajoute les prétentions que fit valoir le prieur de Saint Laurent de Grenoble sur ces dîmes, qui motivèrent du reste un nouvel accord avec l’évêque le 15 août 1108, on saisira l’ampleur de la confusion qui régnait alors dans la gestion du temporel de l’église, tout autant que l’âpreté des comportements auxquels la convoitise de tels bénéfices donnait lieu.

 

Mais, cette singulière situation qui, bien évidemment, n’est pas particulière au diocèse de Grenoble, permet d’expliquer, si par ailleurs l’on tient compte de la pauvreté ambiante, l’absence quasi généralisée d’édifices antérieurs à l’époque considérée.

 

(1) voir à cet égard mon étude, dans le même site Internet, sur les voies romaines du Trièves

 

 

Ce n’est en effet que vers la fin du 12ème siècle qu’il est convenu de placer la construction de l’église de Paquier, composée d’une simple nef voûtée en arceau brisé, soutenu par deux arcs doubleaux de même profils qui déterminent trois travées ouvrant sur une abside en hémicycle, couverte en cul de four.

 

Mais si, à bien y regarder, le socle sur lequel repose son bénitier pourrait vaguement évoquer une conne antique, on est encore sans doute très loin du luperque romain, unique en Gaule, que l’ai évoqué par ailleurs (2).

 

Bien que l’église soit citée dès 1042, ce qui laisse augurer d’une ascendance beaucoup plus lointaine, tout ce qui demeure aujourd’hui visible à Paquier ne saurait qu’évoquer, globalement, les 12ème et 13ème siècles, exception notable étant faite de la façade principale – porte et fenêtre – qui ne datent, selon toute apparence que du 17ème siècle, époque d’une évidente restructuration de l’édifice (3).

 

Mais le site, romantique à souhait, évoque assurément des temps plus reculés que l’archéologie viendra sans doute un jour, nécessairement, confirmer.

 

Non loin de l’ancienne église demeure le château des Alleman de Paquier érigé primitivement à une époque ancienne, vraisemblablement à la fin du 12ème ou au début du 13ème siècles, dont la partie nord, la mieux protégée, présente encore peut être l’aspect défensif originel.

 

Mais ce château a été, à l’évidence, remanié très profondément entre les 15ème et 17ème siècles, notamment par Alexandre Alleman, maréchal de camp sous Louis XIII. En effet, l’aile est du château et la tourelle renfermant l’escalier doivent être raisonnablement rapportées au 17ème siècle. Cette aile montre, en effet, de larges croisées à molures plates cependant que la tourelle s’orne d’une porte encastrée de pilastres, surmontée d’un fronton triangulaire. A l’extrémité du corps de bâtiment est, le logis situé transversalement pourrait, quant à lui, être un peu plus tardif.

 

Bâti par la famille Alleman, peut être vers 1566, le château actuel occupe t-il en parite le site de l’ancien castrum de Paquier ou en a-t-il récupéré, pour l’essentiel, les matériaux constitutifs ?

 

Même si la réponse n’est pas évidente, du moins la question méritait-elle d’être posée.

 

A bien y regarder on observe, en effet, à peu de distance et à l’ouest, une butte vraisemblablement artificielle et l’on pense, dès lors, à l’éventualité d’une motte féodale sur laquelle subsistent, au demeurant, quelques ruines informes du présumé château de Paquier mentionné dès le début du 12ème siècle par de probantes archives. Mais nous n’irons pas, pour l’heure, plus loin dans la réflexion liée à la problématique de l’originelle construction médiévale (4).

 

(2) voir, toujours dans le même site, l’étude consacrée à cette découverte

(3) voir Archéologie chez vous n° 4, notice n° 195, 1985

(4) voir notamment à cet égard mon étude sur le château des Alleman de Paquier, bulletin des AVG n° 36, décembre 1995, pages 45 à 47

 

De Saint Martin de la Cluse n’est pas loin le « Collet de Sinard » au bord duquel était emplacé l’ancien château médiéval de Clermont, situé sur une éminence remarquable qui, à un peu plus de 1000 m d’altitude, dominait tout le voisinage.

Certaines études historiques récentes, pourtant fort sérieuses, indiquent un peu légèrement (ou en l’absence d’une reconnaissance in situ) qu’il ne reste « pas pierre sur pierre » de ce château, connu dès le 13ème siècle mais sans doute d’origine plus ancienne, démantelé pour raison d’état sous Lesdiguières. Il est vrai qu’il faut perspicacité et ténacité pour rendre visite aux ruines de Clermont mais celles-ci existent bien et sont bien davantage qu’un vulgaire « tas de pierres » puisque des traces fort suggestives de l’une des ces enceintes subsistent bien.

 

 

Vue de l’une des enceintes (cliché de l’auteur)

 

 

Cependant on connaît mal ce château que l’enquête delphinale de 1339 décrit fort sommairement lui prêtant seulement une « grosse tour ronde de 40 m de circonférence et haute de 16 m » dont les fondations se voient également encore.

 

L’on sait néanmoins qu’une muraille, longue de 240 m, haute de 4 m, fermait la fortification. On peut suivre encore, dans la forêt, ce mur médiéval sur une longueur amplement significative. Ainsi, en certains points du versant ouest du site castral, la hauteur conservée reste t-elle fort importante au point que l’on peut se demander si elle n’est pas tout simplement significative de la hauteur originelle.

 

Beaucoup plus bas, d’autres traces de murs, de facture identique, laissent à penser qu’il pouvait y avoir, en sus de la fortification principale, une autre enceinte, concentrique, voire même peut être deux enceintes.

 

Dès lors se posent divers problèmes : ces restes sont-ils ceux de la seconde ou de la troisième enceinte de Clermont ? Bien que non mentionnée dans l’enquête delphinale précitée eu égard à l’éloignement du bourg de Monestier, on peut penser qu’une petite agglomération s’était développée à proximité immédiate du château comme en maints sites médiévaux. Plaiderait d’ailleurs en ce sens le fait qu’une chapelle, vouée à Saint Marcel, soit mentionnée par un texte de 1516.

 

Monestier de Clermont, on le sait, doit son origine et son nom à un monastère très ancien. Je laisse à d’autres que moi le soin d’établir un jour l’histoire complète, sinon définitive, de ce bourg mais en ce qui concerne le monastère éponyme et originel je suis enclin à penser – comme TERRAS – qu’il était sans doute situé en un lieu vierge de constructions, non loin d’une voie romaine et qu l’église actuelle est susceptible d’en marquer l’emplacement.

 

L’origine de ce monastère n’est pas connue mais l’on sait néanmoins que le Franc Abbon, fondateur de l’abbaye de la Novalaise dans le Val de Suse, avait également établi des monastères dans ses domaines étendus, certains pour assurer secours et assistance à ceux qui traversaient les Alpes – ce qui est le cas de Notre Dame de Vizille – et d’autres pour favoriser l’évangélisation des campagnes ce qui pourrait être le cas des monastères de Clermont, du Percy et d’Ambel.

 

Objectivement quatre faits au moins semblent plaider pour une origine mérovingienne du monastère Saint Pierre et Saint Paul de Clermont :

 

-       la proximité d’une voie antique d grande importance e je renvois à cet égard à mes différentes études sur les voies romaines du Trièves et, notamment, celle de Grenoble à Fréjus d’époque républicaine,

-       le vocable à Saint Pierre, comme à la Novalaise, qui de surcroît était le prénom du patrice d’Abbon,

-       la possession proche par celui-ci de considérables latifundia notamment à Gresse, à Roissard, à Lavars et à Ambel,

-       le fait enfin que Saint Eldrade, justement originaire d’Ambel, entré comme novice à la Novalaise en 775, en soit devenu l’emblématique abbé à compter de 822.

 

Les documents font malheureusement défaut sur ces temps reculés mais, si l’on suit TERRAS, le village primitif de Monestier de Clermont aurait été situé au lieudit « Talabar » où des vestiges d’époque antique paraissent avoir été découverts et ce ne serait qu’à la dévolution à l’abbaye d’Oulx – héritière de la Novalaise – du « monasterium Clarimontis » que le village de ce qui allait devenir Monestier de Clermont aurait été construit près du monastère et donc à son emplacement actuel (5).

 

Mais, je ne fermerai pas ici ce qui n’était, bien évidemment, qu’une parenthèse sur les hautes origines de ce bourg sans le quitter sans rendre une visite à la poste du lieu, au demeurant fort éloignée des temps mérovingiens précédemment évoqués.

 

(5) L. TERRAS : la vicomté de Trièves en vallée chevaleureuse, 1970, pages 17 et 18 

 

J’ai pris garde, en préambule, d’indiquer prudemment que ce vagabondage serait intemporel et, de ce fait, nous sommes maintenant à l’ancienne villa du Champ de Foire qu’Eugène SENES, architecte en chef de la ville de Marseille, grand prix de Rome, qui était tombé amoureux de Monestier de Clermont s’était fait bâtir en 1928 comme principale villégiature.

 

Alliant une composition symétrique à l’emploi d’un vocabulaire décoratif néo classique, l’ancienne villa est ornée d’un très beau relief (représentant son épouse, je crois) qui, bien qu’appartenant à notre siècle n’en mérite pas moins considération et, pourquoi pas, admiration.

 

Changeons de nouveau d’époque et, puisque j’ai parlé de la voie antique majeure du Trièves, rendons nous au col du Fau où, de temps immémorial, passait une piste protohistorique réaménagée à l’époque romaine. En témoigne la « pierre du prêtre » qui, pour for connue qu’elle soit, n’a toujours pas révélé le secret de son origine. Est-ce un mégalithe ? J’ai, en d’autres circonstances, hasardé des hypothèses sur cette pierre mystérieuse et Lionel RIONDET, dans un article qui remonte à quelques années, en a rappelé les légendes locales (6).

 

Les sondages archéologiques effectués de 1994 à 1996 ont permis de comprendre le contexte géomorphologique de ce secteur, marqué par d’importants phénomènes de solifluxion périglaciaire. La présence de structures, de soles de foyers, de silex et de céramiques ont confirmé la fréquentation du col dès l’époque néolithique et son utilisation pour des campements temporaires avec une possible utilisation cultuelle.

 

Une déception, toute relative il est vrai, est toutefois intervenue en ce qui concerne les grandes dalles couchées découvertes en 1994 qui laissaient présumer la présence d’un ensemble mégalithique, à priori concevable dans un tel site (7).

Mais, le décapage de celles-ci, durant l’hiver 1995-1996, a montré que, nonobstant la présence d’épandages de silex et de céramique néolithiques, leur disposition ne résultait, à l’évidence, que de glissements de terrain tout à fait naturels (8).

 

Du col du Fau, partons maintenant à la découverte de deux immémoriales localités citées dans le testament d’Abbon de 739 : Riaciosco (Roissard) et Lavarnosco (Lavars) (9).

 

Roissard est de très haute origine : une station néolithique y est connue de même qu’une voie romaine. Le village primitif de Roissard n’était pas situé à son emplacement actuel mais beaucoup plus au nord, au lieudit la Grande Côte » où l’on a découvert des substructions d’un habitat d’époque mérovingienne vraisemblablement contemporain de l’époque du Patrice d’Abbon et une très grande nécropole de même époque – près de 400 sépultures – particulièrement étudiée par M. COLARDELLE qui l’a fouillée de 1969 à 1986 et qui lui a consacré une partie de sa remarquable thèse (10).

 

(6) Revue d’histoire des AVG n° 29, juin 1992

(7) et( 8) DRAC Rhône Alpes, SRA, bilan scientifique, 1996, pages 95 à 96

(9) testament d’Abbon dans J. MARION : les cartulaires de l’église cathédrale de Grenoble dits cartulaires de Saint Hugues (1869)

(10) Sépulture et traditions funéraires du Vème au XIIIème siècles, 1983

Bien évidemment, la décrire sortirait des limites imparties ici à ce survol historique (11).

 

On notera néanmoins que le site d’habitat primitif était très probablement antérieur à l’époque mérovingienne : en témoigne notamment une sépulture du bas empire romain, découverte fortuitement en contrebas de l’habitat évoqué, qui a livré une belle cruche en céramique sigillée claire recouverte d’un fragile engobé orangé de la fin du 3ème siècle de notre ère (12).

 

Il n’est toujours pas avéré que l’on puisse déduire de la connaissance du passé quelque prescience du futur et, pour des raisons que l’on ignore, le village primitif de Roissard semble avoir été abandonné au 8ème siècle pour s’établir 1 km plus au sud sur son emplacement actuel.

 

L’église occupe un promontoire rocheux dont la topographie restituée conduit à conjecturer une origine castrale. Son vocable – Saint Etienne – que l’on trouve fréquemment associé à Saint Jean Baptiste, conduit à proposer une origine assez haute : au moins le 8ème siècle. Mais, l’église de Roissard, citée pour la première fois dans un document de 1095, a été reconstruite pour partie à la fin du 17ème siècle et au 19ème siècle à l’exception, notable, de son clocher qui remonte vraisemblablement au 14ème siècle et que la foudre d’un orage de mai 1999 a gravement endommagé.

 

Bien qu’une visite exhaustive de Roissard ne soit pas envisagée ici, on signalera néanmoins le manoir de Bardonnenche à la belle façade ordonnancée soulignée par le contraste entre les petites fenêtres du rez de chaussée et celle de l’étage noble. Le style de la porte est, quant à lui, caractéristique du 17ème siècle.

 

Au sud du village subsiste une belle demeure renaissance (13) et, plus loin encore, une construction d’origine médiévale.

 

Des nombreuses maisons fortes de Roissard il ne subsiste avec certitude que celle du Clot, située dans un site assez exceptionnel au bord de l’à-pic dominant le Drac et l’Ebron. Connue par un hommage de Guillaume du Clot de 1246, l’ancienne maison forte est aujourd’hui reconstruite en pastiche néo médiéval.

 

Dans le village même, témoins d’un riche passé, subsistent plusieurs demeures de caractère. Une période plus proche de nous révèle, au bord du chemin immémorial menant à l’église, un modeste oratoire voué à Notre Dame de la Salette et un précieux travail de maréchal ferrant – ou detré – utilisé pour ferrer les bœufs et les vaches. Il est composé de trois pieds entre lesquels les bêtes étaient maintenues par des courroies : une sangle servait à leur tenir le ventre tandis que leurs pieds étaient retournés pour procéder au ferrage.

 

 

(11) voir à cet égard, dans le présent site Internet la « carte archéologique de l’Isère » (article ROISSARD)

(12) carte archéologique de la Gaule, Isère 38/1, 1984, page 100

(13) appartenant jadis aux Bardonenche et dont trois pièces avec leur cheminée sont inscrites à l’inventaire des monuments historiques depuis 1966

 

Au sud est de Roissard, mais sur le versant méridional et donc déjà sur le territoire de Lavars, se trouve le piton de Brion, sentinelle avancée pour la surveillance du stratégique passage de l’Ebron.

 

Rien ne laisse aujourd’hui supposer au voyageur traversant le pont de Brion que se dressent, à quelques dizaines de mètres au dessus de lui, les vestiges enfouis sous la végétation d’un des plus anciens châteaux du Trièves et d’une petite agglomération qui lui était accolée. Bâti sur un promontoire escarpé et difficile d’accès, dominant le torrent de l’Ebron, le château de Brion contrôlait un pont construit dès l’antiquité cent mètre plus bas. 

 

 

Il est vrai que la position de ce site se prêtait admirablement à l’établissement d’un point fortifié.

Mentionné dès la seconde moitié du 11ème siècle, Brion appartient à la génération des châteaux issus de la révolution castrale de l’an Mil, époque à laquelle il aurait pu succéder à un ouvrage beaucoup plus ancien. Château de relief plutôt que motte castrale, Brion présente encore toutes les caractéristiques d’une fortification qui a su utiliser au mieux les atouts que lui offrait un relief aux falaises abruptes.

 

La plate forme sommitale de ce nid d’aigle, relativement exiguë – et l’on pense à d’autres châteaux de ce type, notamment Touchane en Trièves (14) ou encore Château Ratier en Matheysine – porte les ruines abruptes d’un donjon de 10 mètres de coté dont l’épaisseur des murs conservés est de 1,20 m.

La qualité du parement est assez exceptionnelle : les matériaux utilisés, moellons de quartz, schiste et calcaire, ont été pris sur place et donnent au bâtiment castral une couleur bien particulière, mêlant le blanc au noir.

En contrebas de ce donjon, s’étagent des terrasses étroites où s’élevaient logis et dépendances. Enfin, au sud, bien protégé, s’était jadis aggloméré le petit bourg castral de Brion, doté d’une église paroissiale dont plus rien ne subsiste aujourd’hui.

Et sous le château, coule toujours l’Ebron, ce torrent impétueux affluent du Drac, qu’il fallait à tout prix franchir ; un gué eut été impensable, un pont était donc nécessaire.

Ainsi, comme à Avignonet, comme à Ars, comme à Pont Haut, y eut-il un premier pont, peut être en bois à l’époque pré romaine, remplacé sans doute dès la conquête romaine par un pont en pierre. Et à Brion, à bien chercher, on retrouve les traces prégnantes de la voie romaine qui serpentait en courbes serrées mais de déclivité raisonnable pour parvenir jusqu’au pont situé beaucoup plus que de nos jours. De fait, la culée sud de l’ancien pont – mieux conservée que sont pendant de la rive nord  montre au moins deux états d’édification : l’ancrage dans la partie inférieure de la culée, qui révèle une maçonnerie de type antique, et la partie supérieure, réparée ou reconstruite au moyen âge qui présente un parement similaire à celui du donjon de Brion.

 

De l’Ebron n’est pas loin Lavars, l’antique Lavarnasco possession au début du 8ème siècle du Franc Abbon puis, dès 739, de l’abbaye de la Novalaise. Un manoir y subsiste qui, pour l’essentiel, pourrait remonter au 16ème siècle. Il appartenait, au début du 18ème siècle, à Alexandre d’Armand seigneur de Brion et de Lavars.

Il y avait aussi à Lavars plusieurs maisons fortes d’ont l’une dotée d’une prison que les seigneurs de Brion sont autorisés à reconstruire en 1317. Peut être s’agissait-il de la Véherie devenue Veyrie ? Enfin, il ne faut pas quitter Lavars sans admirer, comme à Roissard, un autre superbe detré.  

 

Il convient maintenant, pour achever cette mosaïque de communes circonvoisines du Drac, de ce rendre à Avignonet.

 

D’un nid d’aigle l’autre ! Celui du château delphinal d’Avignonet vaut bien celui de Brion. Et là, on constate le même parallélisme de situation. Le château féodal d’Avignonet, bâti sur un promontoire rocheux dominant toute sa terre et faisant face aux mandements de Monteynard et de la Motte, au lieudit « le Château » (15) avait pour première fonction de commander la voie et le pont construit sur le Drac très en contrebas.

 

 

(14) voir l’étude spécifique de ce château dans le même site Internet (Cf. « études historiques »)

(15) et non au lieudit « Mol » qui parait controuvé à moins qu’il ne s’agisse d’un ancien mollard

 

 

 

Il ne reste de nos jours que de rares traces du château d’Avignonet : quelques pierres et de très petits pans de murs parmi la végétation qui a repris possession du site. Ses murs étaient construits en petits galets qui ne peuvent être issus du socle de calcaire délité en surface tel qu’on peut le voir affleurer par endroits : on a donc du apporter la matière première du lit du Drac ou des moraines proches.

L’enquête de 1339, parfois prolixe dans ses descriptions des châteaux delphinaux, passe malheureusement très rapidement sur celui d’Avignonet et n’apporte aucune précision quant à son architecture. On sait seulement que ses revenus étaient de 600 florins, que dépendaient du château les paroisses d’Avignonet, de la Cluze et Paquier et que les nobles feudataires résidents étaient au nombre de dix sept (16).

 

Sous le piton du château, au bord de la voie sans doute d’origine antique, était située l’église vouée à Sainte Luce ou Lucie, martyrisée à Syracuse au 4ème siècle. S’agissait-il de l’église paroissiale ou de la chapelle castrale ?

 

 

 

(16) voir pour l’étude de ce château dans le présent site Internet l’article consacré aux châteaux delphinaux de la vallée de la Gresse

 

Il faut bien le reconnaître une certaine confusion règne à cet égard : si cette chapelle a bien été reconstruite en 1868 sur l’emplacement d’une église antérieure – mais dans le sens de sa largeur – tout laisse à penser que l’église disparue était bien l’église paroissiale originelle : un évident salmigonsis règne néanmoins en ce qui concerne les auteurs, au demeurant peu nombreux, qui se sont penchés sur son histoire. Ainsi, l’abbé MATHIAN qui a fouillé l’ancien édifice et nous a laissé un croquis de sépulture en coffre de lauzes, datable à priori des 11ème au 13ème siècles, situe l’église et son cimetière au « hameau des Cattiers » et, précisément, au lieudit « Champ Chapelle ». Aimé BEAUP, pourtant assez précis dans ses notices sur les sanctuaires du Trièves dit, pour sa part, qu’elle était « située près du château. TERRAS parle de « la Baulme » (la Baume ?) ainsi qu’Agnès BORG mais il ajoute, détail déconcertant, qu’elle était « sous le vocable de Notre Dame » (17).

 

Si l’on dispose toujours de la clé de porte de cette église problématique, trouvée par les parents de Mme GACHET de Sinard au lieudit « la Chapelle » que l’abbé MATHIAN, repris par TERRAS, croyait « carolingienne » et qui ne date selon toutes probabilités que des 12ème ou 13ème siècles eu égard à la typologie de la sépulture dans laquelle elle fut découverte, on ne sait néanmoins à quel site il faut la rapporter.

 

Lionel RIONDET, qui a récemment étudié le cadastre napoléonien d’Avignonet, n’a pas retrouvé de lieudit « la Chapelle » mais, par contre, il m’a signalé à peu de distance des vignes de la Baume un lieudit « Champ Charité ».

 

Quoiqu’il en soit, le chemin qui passe devant l’actuelle chapelle Sainte Luce, et c’est là une réalité topographique, conduisait d’une part au château féodal et d’autre part au Drac. Celui-ci, bien tracé, en larges courbes avec soutènements aux endroits délicats, est à mon sens la voie romaine qui conduisait aux thermes antiques de la Motte les Bains. Très en contrebas du niveau actuel du Drac existait un pont sans doute construit dès l’époque antique, réparé ou reconstruit à diverses époques. Ainsi, en 1228, la dauphine Beatrix fait-elle un legs pour sa reconstruction.

 

A cet égard, on ne saurait bien évidemment omettre de rappeler que, non loin de là, sur cette même terre d’Avignonet existait un autre pont sur le Drac, d’aussi lointaine origine, que surveillait vraisemblablement le château d’Ars (18)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(17) Abbé MATHIAN : l’Echo de Sinard, novembre 1934, L. TERRAS : la vicomté de Trièves, 1970, pages 345, 346, A. BEAUP : les sanctuaires du Trièves, 1980, pages 155 à 160, A. BORG : Archéologie chez vous n° 34, 1985, notice n° 159

(18) voir à cet égard l’étude consacrée au site d’Ars dans le présent site Internet.