Le château d’Avignonet

 

Le souvenir de Gabrielle d’Estrées plane t-il sur ces lieux ?

 

Même s’il y a très peu de vraisemblance pour que la belle maîtresse d’Henri IV y soit jamais venue, une tradition tenace indique que c’est pour elle que son royal amant aurait fait construire ce château.

 

La date de construction de l’édifice n’est pas connue mais, selon toutes probabilités, il s’agit de la fin du 16ème siècle ce qui – au moins au plan de la véracité chronologique – semble corroborer la tradition populaire.

 

Cette brève étude, fragmentaire et strictement limitée, se bornera d’une part à rappeler le contexte de la liaison d’Henri IV avec Gabrielle d’Estrées et d’autre part à rechercher les relations possibles entre le fait historique et la terre d’Avignonet.

 

Gabrielle d’Estrées et Henri IV :

 

Gabrielle d’Estrées naquit en 1573 en Picardie (ou en Touraine) d’une famille de l’Artois tirant son nom de la petite ville d’Estrées près de Béthune. Son père, Antoine d’Estrées gouverneur de l’Ile de France était en outre grand maître de l’artillerie royale. Celui-ci, croit-on, était fort rigoriste et l’éducation donnée à Gabrielle aurait été des plus puritaines. Très jeune, celle-ci était d’une grande beauté et cet avantage ne fit que progresser au fil des ans.

 

On dit qu’Henri IV s’étant un jour arrêté par hasard au château de Coeuvres en Picardie où elle résidait alors s’éprit alors instantanément et follement d’une telle beauté et que, dès lors, il fit tout pour la séduire.

Antoine d’Estrées fort contrarié de cette passion royale pour sa fille, fit alors renforcer la surveillance mise en place autour d’elle.

 

Mais, par ailleurs, Gabrielle elle-même éprise du duc de Bellegarde, grand écuyer, ne répondait pas, dans les premiers temps, aux empressements du roi. On raconte à cet égard que le « Vert Galant » se serait un jour déguisé en paysan pour la rencontrer, se glissant même, pour ce faire, aux travers de gardes ennemis en Flandre, courant à cette occasion le risque de sa vie.

 

Dans le même temps, il comblait de faveurs la famille de Gabrielle amenant la belle, peu à peu, à s’émouvoir d’une si grande et si généreuse passion.

 

Ainsi semble t-il qu’au prix de ces divers subterfuges Henri IV arriva à faire succomber Gabrielle d’Estrées. C’est alors que pour la soustraire à son père que contrariait cette idylle et qui était par ailleurs un tuteur trop vigilant le roi fit marier Gabrielle à Nicolas Damerval de Liancourt, gentilhomme picard. Mais, raconte Sully, il sut empêcher la consommation du mariage qui fut ensuite dissout pour cause « d’impuissance du mari ». Le fait est d’ailleurs plaisant quand on sait que Damerval avait eu quatorze enfants d’une première femme !

 

Mais de préliminaire était sans doute nécessaire pour conduire Gabrielle sur le trône qu’Henri IV, toujours aussi éperdu, lui destinait après toutefois qu’il soit parvenu à la dissolution de son propre mariage avec Marguerite de Valois. Dans ce dessein et après l’avoir en 1595 faite Marquise de Montceaux, Henri IV érigea pour elle en 1597 le comté de Beaufort en duché prairie.

 

Sans qu’elle eut le titre de reine, Gabrielle d’Estrées jouissait alors d’honneurs similaires à ceux attachés à ce titre en sa qualité de maîtresse officielle.

 

Les choses en étaient là lorsque le jour du jeudi saint de cette année 1599, alors qu’elle était à Paris chez le financier Zamet, elle fut tout à coup, après avoir mangé une orange, attaquée d’une apoplexie accompagnée de convulsions si violentes que, a-t-on écrit, « sa bouche fut tournée jusqu’au derrière de la tête ». Elle mourut dans cet état le samedi saint 10 avril 1599. Ce visage orné de tant d’attraits n’offrait alors plus qu’une figure hideuse.

 

On soupçonna bien évidemment qu’elle avait été empoisonnée. Mais par qui ? Il y a là une incertitude de l’histoire.

 

Elle laissait au roi trois enfants légitimés dont César qui devait devenir le chef de la maison de Vendôme et elle était, lors de son décès, enceinte d’un quatrième enfant du roi. Celui en porta le deuil comme d’une princesse de sang.

 

Le château :

 

Le château du hameau des Marceaux fut-il construit pour Gabrielle d’Estrées ?

 

Rien ne permet de trancher dans ce sens plutôt que dans son contraire. Peut être simplement la terre d’Avignonet fut elle donnée par le roi au titre des largesses qu’il eut pour sa favorite ?

Il semble par contre établi que Gabrielle ne vint jamais dans ce coin du Dauphiné. Mais il est troublant – et sans doute significatif pour corroborer la tradition – de constater que le château appartenait en 1650 au duc de Beaufort, roi des Halles, petit fils d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées. Ses armes – deux licornes et une fleur de lys – figurent du reste sur le coté est du château.

 

Après lui, la famille de Nantes, issue de celle de Beaufort, l’habita jusqu’à la révolution, époque où le seigneur de Nantes Avignonet émigra et fut ruiné.

 

Dans le même temps, les titres féodaux qui étaient conservés au château et qui auraient pu nous éclairer plus largement sur sa construction et son origine précise furent brûlés sur la place de l’église d’Avignonet par les paysans du lieu.

 

Après la période révolutionnaire un fils de Nantes se fixa en Algérie et se désintéressa du château à tel point que les nombreux créanciers de l’ancienne famille seigneuriale le firent vendre.

 

Après diverses tribulations, il échut le 9 juin 1835 à Alexandre Royer de Loche. Né à Grenoble en 1756 d’une famille de Saint Baudille et Pipet, avocat élu député à la Convention, il fur maire de Grenoble de 1818 à 1820 et mourut au château d’Avignonet en 1842. Sa veuve s’en dessaisit quelques années plus tard. Il fut alors adjugé le 30 août 1856 à Jean Royer de Loche pour la somme de 30 030 F avec 16 hectares de terres et la chapelle d’Avignonet.

 

Vers 1890 il fut revendu une nouvelle fois à un sieur Brunster. En 1909 la comtesse de Boisamé l’habitait. Au début de la dernière guerre l’intendance militaire fit couper les tilleuls centenaires qui ombrageaient le parc.

 

En dépit de diverses vicissitudes, le château a encore belle allure. Son architecture, de style classique assez répandu dans la région (Sinard, Monestier de Clermont…)  est d’une grande homogénéité ce qui traduit une période de construction limitée.

 

Fut-il pour autant érigé pour Gabrielle d’Estrées ? Comme on l’a vu il est fort hasardeux de se prononcer et, pourtant, l’ombre de cette si belle dame du temps jadis semble toujours planer un peu sur lui.

 

Bibliographie :

 

MICHAUD ; bibliographie universelle ancienne et moderne, 1854, T 3, pages 122 et 123

Grand armorial des familles nobles de France, (familles d’Estrées et de Beufort), 1867

Lanry TERRAS : la vicomté de Trièves en vallée chevaleureuse, 1970, pages 360 et 361

Histoire des communes de l’Isère, T 1, 1988