Deux prieurés varçois : Saint Pierre de Risset et Saint Imbert de Saint Ange

 

Le département de l’Isère conserve la trace archéologique ou textuelle de 242 prieurés dont deux sont situés sur la commune de Varces.

 

Mais, tout d’abord, qu’est ce qu’un prieuré ?

 

Pour simplifier autant que faire se peut, on peut dire que c’est en fait une petite abbaye ne disposant que de quelques moines – parfois même un seul – à demeure et placés non sous la responsabilité d’un abbé mais d’un prieur. Les abbayes apparaissent avec les Coptes au 3ème siècle de notre ère sous l’appellation « apa, abba ou ampta ». Le terme abbatia apparaît vers 651. Le mot français abbeie ne prend naissance qu’à la fin du 12ème siècle. Selon le dictionnaire philosophique de Voltaire « l’abbaye est une communauté religieuse gouvernée par un abbé ou une abbesse ». Mais cette définition est manifestement trop limitative. En fait, une abbaye doit présenter plusieurs critères cumulatifs :

 

-       la soumission parfaite des moines à l’autorité absolue de l’abbé,

-       la soumission à une vie en clôture plus ou moins sévère,

-       les capacités morales et matérielles nécessaires pour tenir le rang de monastère principal et diriger des dépendances telles que les celles et les prieurés,

-       une organisation adaptée à la vie conventuelle avec église, cloître, réfectoire, cellier, infirmerie, bains et scriptorium, l’abbaye modèle étant établie selon le modèle dit de « Saint Gall » au 9ème siècle.

 

Le mot prioratum, prieuré, apparaît plus tardivement vers 1060. Contrairement à l’abbaye, le prieuré n’a pas de statut juridique autonome même si l’on distingue des prieurés « simples », comme ceux de Risset ou de Saint Imbert et des prieurés « majeurs » comme celui de Saint Michel du Connexe sur la commune de Champ sur Drac. Ce préalable étant posé, partons à la découverte des deux prieurés varçois.

 

Le prieuré de Saint Pierre de Risset, un prieuré de plaine :

 

L’origine historique du hameau de Risset est inconnue mais elle pourrait remonter à l’antiquité. En effet, les découvertes archéologiques du Val d’Allières à quelques pas de Risset ont laissé à penser que pouvait exister sur le site actuel de la chapelle de Risset un culte paléochrétien correspondant au viculus installé sur la pente du coteau. Cela pourrait expliquer pourquoi dès 1091 on a mention d’une église à Risset. Sa situation semble en effet assez inexplicable sauf à y voir, effectivement, un lieu de culte remontant à la fin de l’antiquité.

 

Pour le moins, on est donc assurés dès avant la fin du 11ème siècle de la présence d’une église dépendant alors de l’importante abbaye bénédictine de Saint Chaffre en Velay. La charte 16 du cartulaire de cette abbaye, écrite sous le pontificat du pape Urbain II et datée de l’an 1091 en porte témoignage. Cette charte est adressée à Guillaume, abbé du monastère de Saint Chaffre. Après une homélie destinée à justifier des biens de l’église, le pape confirme à l’abbé toutes ses dépendances. Cette charte est particulièrement intéressante pour ce qui concerne Risset : elle montre qu’il y avait déjà en ce lieu une église, que celle-ci était vouée à Saint Pierre, qu’elle disposait de dépendances et qu’elle relevait précédemment à la donation – ce qui confirme un établissement antérieur à 1091 – directement du Saint Siège.

 

Les archives anciennes, c’est un fait établi, sont très aléatoires sinon capricieuses. Certaines ont malheureusement disparu cependant que d’autres ont miraculeusement survécu. C’est ainsi qu’il faut ensuite attendre un siècle pour voir de nouveau évoquée l’église de Risset. Dans une bulle datée du 1er avril 1179, le pape Alexandre III évoque énumère les possessions de Saint Chaffre et l’on y retrouve, avec notamment les églises de Vif, de Miribel Lanchâtre « l’ecclesiam de Rivo Sicco ». On peut y voir avec quelque certitude le « rif » ou « ruisseau sec » probablement le ruisseau de la Pissarde qui coule toujours à proximité et qui était peut être tari à cette époque, bien avant le « réchauffement climatique » de notre siècle.

 

On ne saurait toutefois dire à quelle époque fut fondé le prieuré éponyme. Sans doute peut-on l’envisager à une date assez haute, peut être même dès le rattachement de cette terre au Saint Siège puis à Saint Chaffre. Quoiqu’il en soit, dès 1158 un prieur est expressément mentionné : il s’agit d’Etienne. Un siècle plus tard l’église prieurale devait avoir une certaine renommée puisque le dauphin André la dote dans son testament nuncupatif (c'est-à-dire fait devant témoins).

 

Le prieuré avait alors sous sa dépendance les églises paroissiales de Saint Pierre et de Saint Paul de Varces et il était lui-même sous la dépendance du prieuré majeur de Saint Michel du Connexe. De cette époque seul le nom d’un prieur nous est parvenu : il s’agit de Gontier en 1275. Le prieuré devait être florissant car au 14ème siècle il est taxé de la somme assez importante pour l’époque de 62 livres et 10 sous. 

 

Jean de Chissé, évêque de Grenoble, lors de sa visite pastorale de 1340 trouve l’église et le prieuré en fort bon état et ne relève – ce qui est rare – que quelques défectuosités mineures.

 

La visite de Laurent 1er Alleman de 1488 est davantage critique. Il relève que l’église est alors annexée à la paroisse de Varces. Elle comporte 12 feux (environ 50 habitants). L’évêque est accueilli par Guillaume Humbert, vicaire perpétuel de Varces, et Jacques Chabrollis, sacristain du lieu et prieur de Saint Ange. Il relève que le saint sacrement est dignement honoré mais qu’il conviendrait que l’armoire où il est gardé soit munie de portes et qu’on la surélève. Suit l’inévitable énumération des autres injonctions (voir à cet égard l’article d’Edmond COFFIN cité dans la bibliographie). On relèvera encore que ce jour là 48 personnes furent confirmées, ce qui est manifestement très supérieur au nombre de feux susvisés.

 

Or donc, dès cette époque, le prieuré n’existait plus en tant qu’entité religieuse puisqu’il était alors réuni à celui du Connexe. Quant à la cure, elle fut unie à celle de Saint Pierre de Varces cependant que l’office de sacristain était joint à celui de Saint Ange. De fait, certains titulaires de ce dernier prieuré se crurent autorisés par la suite à prendre le titre de prieur de Risset bien que celui n’existât plus.

 

Durant son long épiscopat, Mgr le Camus, évêque de Grenoble, fit plusieurs visites à Risset durant le dernier tiers du 17ème siècle. Ainsi, en mai 1673 il fait noter le nombre surprenant de 103 communiants pour seulement deux familles hérétiques (celles de Laurent Périssol Alleman, seigneur d’Allières, et de son fermier). En 1698, il obtiendra de son successeur, Claude Etienne de Roux Déageant, diverses améliorations à la cure de Risset et tranchera la répartition des biens affectés aux pauvres entre Claix et Risset.

 

Si le prieuré n’existait alors plus, la cure subsistait. C’est ainsi que l’on peut relever le nom de Messire Charles Meoullion en 1727. Cette possession passera en à Claix en 1758 par permutation avec le curé Charbot. Son vicaire, François Pégaux, était alors un vieillard de 80 ans qui devait avoir, on l’imagine, les plus grandes peines à assurer également le service de la chapelle de Cossey sur Claix.

 

Mais, parmi les anciens curés de Risset, il en est un qui fut particulièrement célèbre : il s’agit d’Antoine Chélan dont Stendhal prit le nom et quelques uns de ses traits de caractère pour en faire le curé de Verrières dans le « Rouge et le Noir ». Stendhal le décrit comme un petit homme maigre, tous nerfs, tous feux, pétillant d’esprit, déjà d’un certain âge, qui paraissait vieux mais qui n’avait peut être en fait que 40 ou 45 ans. En réalité, Antoine Chellan avait déjà la soixantaine quand Stendhal fit sa connaissance. Ce dernier raconte plusieurs de ses repas avec l’abbé et, notamment, ce souper tardif où l’abbé, tenant à la main une cuillère de fraises mais absorbé par une discussion sans doute passionnante, il oubliait de goûter à ce dessert jusqu’à ce que l’heure de minuit fut passée ce qui posa un évident problème de son jeune pour la messe du lendemain.

 

 

A la révolution, les divers immeubles de l’ancien prieuré de Risset furent vendus, comme tous les biens nobles ou d’église, au titre des « biens nationaux ». Tout ce qui était situé au Mas de Rivolas sur Varces fut adjugé au sieur Berthier pour la somme importante de 23 500 livres cependant que ceux de la sacristie, située sur Claix, étaient vendus le même jour pour 17 500 livres à M. de Charancy descendant d’une famille de conseillers du roi et de trésoriers généraux connue à Claix depuis 1683.

 

L’église actuelle, vestige du prieuré, n’a plus grand-chose de médiéval si ce n’est le chevet carré qui est probablement celui du premier édifice. La voûte sur croisée d’ogives dont les nervures retombent en pénétration dans les angles et les petits contreforts qui épaulent ces angles à l’extérieur semblent caractéristiques de l’art gothique tardif. Cette partie de l’église peut donc être datée des derniers temps du prieuré.

 

Trois éléments du mobilier de cet antique sanctuaire sont intéressants :

 

-       le tableau représentant l’adoration des mages du 16ème siècle : il s’agit, selon toute vraisemblance, d’une copie ancienne d’après Goltzius. Ce tableau est aujourd’hui classé monument historique au titre des objets mobiliers.

-       Le tabernacle polychrome à gradins du 17ème siècle.

 

 

 

 

 

A n’en point douter, les murs qui ceinturent le cimetière remontent aux origines même du prieuré. Sans doute les prieurs de Risset furent-ils ensevelis ici mais la trace de leur sépulture n’a pas résisté à l’usure du temps.

 

 

Le prieuré Saint Imbert de Saint Ange, un prieuré perdu dans la montagne

 

 

 

 

Celui-ci est dédié à Saint Imbert, ermite du Nivernais au 7ème siècle. Ce vocable est inédit dans nos contrées puisque, hormis ici, on ne connaît pas d’édifice cultuel qui lui soit consacré dans notre région. Comment a-t-on pu établir son culte ici ?

Il faut penser que c’est sans doute le résultat du passage des pèlerins du moyen âge qui voyageaient beaucoup et parlaient abondamment. Dès lors peut-on imaginer ce dialogue entre un pèlerin en route vers Rome et des autochtones du coin :

 

-       « Comment ? Vous ne connaissez pas Saint Imbert ? C’est un saint de par chez nous qui a fait de grands miracles et fondé à Chantnay un monastère… ».

 

A défaut d’autres explications il faut sans doute y voir, comme à Saint Géraud de Varces, une exportation de ferveurs populaires médiévales.

 

Quoiqu’il en soit, ce prieuré fut établi par des religieux bénédictins du monastère de Saint Michel du Connexe, lequel dépendait de la grande abbaye du Monastier de Saint Chaffre en Velay. Sa fondation reste toutefois imprécise puisque Saint Imbert de Saint Ange ne figure pas encore parmi les dépendances chaffriennes dans la bulle précitée du pape Alexandre III de 1179. De fait, il apparaît pour la première fois dans un pouillé des bénéfices du diocèse de Grenoble daté de 1307. L’église paroissiale concernait alors le hameau de Saint Ange mais également les deux hameaux supérieurs de Claix : Savoyères et le Peuil.

 

Le mardi 18 janvier 1340, le prieuré est visité, dans la neige, par Jean de Chissé, évêque de Grenoble. Il dit la messe et confirme des paroissiens.

 

Il faut ensuite attendre un siècle et demi pour voir un prélat remonter en ce liei. Il s’agit de Laurent 1er Alleman le 11 juillet 1488. Le compte rendu de cette c=visite est moins succinct que celui de 1340. On y apprend que le prieuré dépend toujours du Connexe, qu’il compte trois paroissiens et que le prieur est en même temps sacristain de Risset. Il est alors chargé de célébrer une messe tous les 15 jours. L’état des lieux apparaît comme lamentable. L’évêque dicte alors ses ordonnances :

 

-       la nef est quasi découverte et menace d’écraser l’église. Que les paroissiens la fassent recouvrir et la munissent de portes neuves fermant à clé d’ici la prochaine fête de Saint Michel,

-       il faut aussi refaire le toit au dessus du presbyterium de l’église et réparer les vitres de la fenêtre aux frais de celui qui perçoit les dîmes (c'est-à-dire le sacristain de Risset),

-       il faut encore munir d’une serrure l’armoire où sont conservées les reliques (on suppose qu’il s’agit de celles de Saint Imbert),

-       l’évêque fait également noter que le saint sacrement n’est pas gardé et qu’il n’y a pas de baptistère. Ceci s’explique par le fait que les paroissiens se font baptiser et reçoivent la communion dans l’église de Varces. Toutefois, il y a un cimetière. On peut penser que, selon l’usage, il entourait le lieu cultuel. Enfin, Laurent Alleman demande encore que l’on installe une cuve sous le presbyterium pour contenir de l’eau bénite en attendant que l’église ait enfin une toiture.

 

Un pouillé du diocèse de l’an 1497 montre que le prieuré a un revenu modeste de 50 florins.

 

En 1561, les terres de Saint Ange appartiennent au seigneur de Varces, Pierre de Briançon. Divers actes de cette époque ont été retrouvés par Michèle PISTONE, historienne, qui me les a aimablement communiqués. Ils témoignent de diverses transactions intervenues sur des terres et immeubles du lieu.

 

En 1766 on ne célébrait plus la messe dans cet antique sanctuaire que tous les 15 jours ainsi qu’en témoigne une ordonnance de l’évêque de Grenoble en date du 10 juin de cette année là.

 

Le 1er décembre 1781, les biens qui dépendaient de ce bénéfice furent apportés au sieur Barthélemy Durand moyennant le paiement annuel de 12 quartaux de froment, 12 livres de beurre, 12 livres de fromage, deux paires de poulets, la moitié d’une coupe de bois rendue à Grenoble et de la somme de 450 livres.

 

Sous la révolution, les biens d’église furent vendus comme « biens nationaux ». C’est ainsi que Saint Imbert fut adjugé le 12 mars 1791 au sieur Alleyron pour la somme de 9125 livres, somme importante pou l’époque.

 

Pilot de Thorey, ce puits de science, archiviste du Dauphiné, a relevé le nom de la plupart des prieurs de Saint Imbert, ce qui est assez exceptionnel puisque du prieuré de Risset seuls deux noms sont parvenus jusqu’à nous :

 

-       Rondet de Porte Traine (dont la famille possédait la vehérie de Grenoble et le château d’Allières) était prieur en 1307 comme en fait foi un acte du 10 juillet de cette année là où il apparaît comme témoin lors d’un acte intervenu entre le dauphin Jean II et Jean Alleman, prieur de Connexe, au sujet de la juridiction de Saint Firmin au diocèse de Gap,

-       Jacques Chabal, prieur de Saint André de Grenoble qui apparaît en 1488 lors de la pastorale de Laurent 1er Alleman, évêque de Grenoble

-       En 1530, le prieur est Humbert Alleman, par ailleurs sacristain du prieuré de la Mure et curé d’Entraigues, de Valjouffrey et de Saint Eusèbe. On imagine les distances qu’il devait alors couvrir pour satisfaire à toutes ses charges ! Il possède alors, à raison du prieuré Saint Imbert, 50 seterées de près, 20 seterées de terres labourables, des bois, des hermes et des paquerâges. Il perçoit 40 setiers de blé, 2 de seigle, 4 quataux d’avoine, 6 poules et deux livres en argent,

-       En 1555, le prieur est Charles de la Colombière, chanoine de Saint André de Grenoble,

-       Lui succède Jean Grail qui meurt en 1595 et est alors remplacé par Nicolas Bruno venu tout droit de Cluny, la grande abbaye bénédictine. Il est également prieur de Saint Nazaire et de Notre Dame de Bernin.

-       Résigné en 1598, il est remplacé par Claude Caligon.

-       Lui succèdent Antoine le Maistre, Hugues Baille, Marc de Garcin, Pierre de Garcin, Ennemond Charosal, François de Garcin, Pierre de Garcin, Georges Isoard, Pierre Bernard puis Pierre Antoine Courrière, bénédictin de Boscodon. Nous sommes alors en 1754.

 

Il sera le dernier prieur et figurera parmi les députés de l’assemblée des Trois Ordres de Vizille à la veille de la révolution. Il est notable de relever que, jusqu’à ces heures tragiques, la messe était toujours célébrée ici tous les 15 jours.

 

Nonobstant le fait que le prieuré soit devenu en 1781 un bien laïc, il semble que la messe continuait à être sporadiquement célébrée, surtout l’hiver, en raison des difficultés qu’éprouvaient les habitants de Saint Ange, de Savoyères et du Peuil pour descendre jusqu’à Varces.

 

Atteinte de vétusté avancée, l’église fut restaurée postérieurement à la révolution, par Jacques Garnier de Varces. Le 1er septembre 1818 intervint, en effet, la bénédiction d’une nouvelle cloche. C’est alors le curé de Varces, Claude Bare qui officie, selon le rituel romain, en présence du sieur Joubert le propriétaire d’alors et de nombreux habitants de Varces, Allières, Claix et Saint Paul.

 

Je ne saurais dire jusqu’à quand le culte fut célébré. Toujours est-il que l’ancien sanctuaire est aujourd’hui en péril.

 

Bibliographie :

 

-       cartulaires de l’église cathédrale de Grenoble dits cartulaires de Saint Hugues, J. MARION, 1869, pages 129, 277 et 352

-       E. PILOT de THOREY : les prieurés de l’ancien diocèse de Grenoble compris dans les limites du Dauphiné, BSSI, T XII, 3ème série, 1883, pages 237 et ss

-       E. COFFIN : Antoine Chellan, curé de Risset, bulletin des AVG n° 11, juin 1983, pages 58 à 60

-       Archéologie chez vous, la vallée de la Gresse, n° 4, 1985, notice n° 205 (JCM)

-       J. C. MICHEL : églises et chapelles de Varces, bulletin des AVG n° 26, décembre 1990, pages 64 à 66

-       E. COFFIN : visite pastorale de Laurent 1er Alleman, 1488, bulletin des AVG n° 59, juin 2007, pages 37 et 38

-       Archives de la paroisse de Varces : bénédiction de la cloche de la chapelle Saint Ange, 1er septembre 1818

-       Voir également dans le présent site Internet, « cantons de l’Isère », Varces