UNIVERSITE INTER AGES DU DAUPHINE

 

 

 

 

 

 

 

 

                                               Conférence du 30 Janvier 2001

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                            GRENOBLE ANTIQUE : données pour une réhabilitation

 

 

 

                                                                       Par Jean Claude MICHEL

 

 

 

 

 

Nota : cette conférence a également été présentée à la Société Dauphinoise d’Ethnologie et d’Archéologie le 22 février 2001, sous la présidence de M. Aime BOCQUET

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Monsieur le Président,

 

Je vous remercie pour vos accortes paroles qui me présentent sous un jour tellement favorable qu’il me contraint à un exercice difficile afin de ne point décevoir, compte tenu des qualités que vous m’avez prêtées.

 

 

Il y a à peine plus d’un an était publié mon ouvrage « Grenoble Antique » et il y a quelques mois commençait, sous les auspices du C. S. V. G. un cycle de conférences spécifiquement consacrées à ce thème générique présidé par M. André LARONDE, professeur d’histoire ancienne à la Sorbonne.

Ce parrainage prestigieux montrait, tout à la fois, l’intérêt porté à mes recherches, la caution scientifique qui leur était ainsi apportée mais, surtout, le poids que tout cela faisait peser sur l’auteur à qui l’on demandait de synthétiser en trois conférences près de 300 pages denses, fruits de trois décennies de recherches.

 

Est ce dire combien l’exercice que vous m’avez demandé d’accomplir aujourd’hui est périlleux : il ne s’agit, rien moins d’autre, que de la synthèse de conférences qui n’étaient que la synthèse d’un livre qui, lui même, n’est rien d’autre, au demeurant, qu’une synthèse !

 

Si je suis, bien évidemment, très sensible à l’honneur que vous me faites en étant ici aujourd’hui, j’en mesure aussi à la fois le redoutable enjeu et tout le degré d’exigence que dès lors, on attend peut être de moi.

 

Or je ne suis, sans doute le sait-on, ni historien, ni archéologue de formation mais j’espère être devenu un peu l’un et l’autre par les très nombreuses années que j’ai consacrées à l’histoire locale en général et à la période gallo romaine en particulier. D’aucuns trouvent ce choix limité ; il me semble,  au contraire, fort vaste si l’on veut bien se souvenir que, dans notre région, ce qu’il est convenu d’appeler l’époque gallo romaine a duré 570 ans, c’est à dire un temps équivalent à celui qui nous sépare du lointain règne de Charles VII.

 

 

Et, puis au delà de cet argument, il s’agit sans doute de nature et de goût que je ne saurais rationnellement expliquer. L’empire romain, Gratien, Gratianopolis ! Il y a là, sans doute, un possible fil conducteur à cette quasi passion, davantage pour tous les aspects d’une époque, du reste, que pour les seuls personnages historiques, « non point » - si l’on m’autorise cet emprunt à Shakespeare – « que j’aimais moins César mais que j’aimais Rome plus encore ».

 

 

J’ai, par ailleurs, souvent expliqué que deux raisons majeures m’avaient conduites à écrire « Grenoble Antique » :

-          l’achèvement d’une trilogie consacrée à l’Isère gallo-romaine,

-          et l’envie, irrépressible, de montrer, sinon de démontrer, que Grenoble méritait infiniment mieux que le statut de « bourgade » dont on l’a, parfois, affublée.

 

L’absence, jusqu’alors, de synthèse d’envergure sur la seule époque gallo romaine laissait nécessairement accroire, sinon conforter, trop commodément un sentiment assez général de grande indigence de notre histoire locale pour la période considérée. Et pourtant, j’espère vous en convaincre, celle ci est éminemment riche mais trop méconnue d’où le sous titre un peu provocateur de cette conférence : « données pour une réhabilitation » car il ne s’agit rien de moins que de cela !

 

Le plan de mon intervention sera fort simple, même si, dérogeant à la règle  classique des trois parties, il en comprendra une de plus :

-          la première, intitulée « grands personnages, grands évènements » verra défiler Hannibal, César, Placidianus et Gratien.

-          La seconde sera consacrée à l’épigraphie lapidaire, Grenoble étant sur ce strict plan, l'une des villes les plus importantes des Gaules, et vous verrez combien les « cularonenses », ces premiers grenoblois, sont parfois proches de nous.

-          La troisième partie nous transportera près de 2044 ans en arrière pour les évènements qui se déroulèrent ici en 43 avant notre ère et qui virent défaillir à jamais la République romaine si chère au cœur de Cicéron.

-          Enfin, la quatrième partie sera consacrée à un très rapide examen des restes de l’urbanisme antique à Grenoble.

 

Je précise que chacune de ces parties sera limitée à 15 minutes environ, comme vous me l’avez demandé. Après les deux premières parties, de même qu’après les deux suivantes  quelques projections illustreront les  thèmes évoqués.

Tout cela devrait donc conduire à requérir votre attention durant environ 1 heure 20 à  1 heure 30, temps maximum imparti, qui m’a semblé au demeurant fort court, sensation que vous partagerez peut être à l’issue de cette conférence : si tel est le cas ce sera là mon plus grand mérite et ma plus belle récompense.

 

 

 

            I – GRANDS PERSONNAGES , GRANDS EVENEMENTS

 

1 – HANNIBAL

 

Hannibal est-il passé à Cularo ou, du moins, dans ce que pouvait être la préfiguration de l’agglomération antique ?

Vaste problématique qu’on ne résoudra bien évidemment pas ici, rappelant seulement que Polybe, pour se faire une opinion sur les récits, déjà contradictoires, qui couraient à son époque sur la traversée des Alpes par Hannibal refait – vers moins 150 – le parcours, tant étudié depuis, des évènements de 218 avant J. C. déclarant : « je puis parler de ces évènements avec assurance parce que je tiens mes renseignements de témoins contemporains et que j’en ai visité le théâtre au cours d’un voyage que j’ai fait dans les Alpes pour observer de mes propres yeux ce qui en était ».

 

Près de 150 ans après lui, Tite Live, on le sait, reprendra en partie ses écrits, les mêlant à d’autres sources non identifiées pour tenter également de reconstituer la fabuleuse épopée.

 

« Avec l’appui des Allobroges – dit Polybe – et, pendant 10 jours, Hannibal longe l’Isère sur 800 stades » (environ 145 km) ce qui, si l’on part du confluent de l’Isle, vers Valence, l’amènerait aux environs de Pontcharra.

 

Même si les récits de Polybe et de Tite Live divergent ensuite sur la traversée des Alpes, du moins s’accordent-ils sur cette partie d’itinéraire, comme l’ont fait, après eux, la presque totalité des auteurs qui ont cherché à reconstituer le parcours mythique.

 

L’extravagante armée, composée encore, lors de sa traversée du pays allobroge, de 38000 fantassins, 8000 cavaliers et 37 éléphants, aurait donc longé l’Isère, soit jusque vers Pontcharra si l’on opte ensuite pour le col du Cucheron, soit jusqu’au confluent de l’Arc et serait donc, nécessairement, passée par Grenoble, rive gauche, après avoir franchi le Drac à gué, sans doute vers Comboire.

 

Telle est l’opinion de nombre d’auteurs, au titre desquels je citerai Camille Jullian, Paul Azan, Guy Barruol, Roger Dion, Jean Prieur et, bien évidemment, Serge Lancel, grand spécialiste du Punique.

 

Il ne saurait toutefois être question, dans le cadre de cette conférence, d’aller plus loin et l’on verra du reste, tout à l’heure, que ce n’est pas la plus grande armée antique que vit passer notre cité.

 

 

 

 

 

 

 

2 – 160 ans plus tard, César !

 

On sait par le Belloum Gallicoum que, durant la guerre des gaules, César séjourne à plusieurs reprises chez les Allobroges. Passât-il à Cularo ? Il n’en fait point mention explicite. Néanmoins il semble envisageable qu’il l’ait fait, notamment, lors de la campagne de – 58.

 

A cet égard César dit, qu’avec 5 légions, il se porte d’Aquilée en Gaule ultérieure, en prenant au plus court à travers les Alpes. On connaît donc bien le point de départ ; quant au point d’arrivée, c’est Fines Vocontiorum, les limites du pays des Voconces et, enfin, le territoire des Allobroges.

 

Eu égard à l’insécurité relative des Alpes – César dit que les Ceutrons, les Graiocèles, les Caturiges, tentent de l’arrêter –il est concevable que ses 5 légions n’aient point emprunté le même itinéraire ; en se dissociant vers Suse, une partie pouvait passer par le Montgenèvre, l’autre par le col du Clapier, leur regroupement s’opérant soit dans la plaine valentinoise, soit à Cularo, débouché possible des 2 cols. De là ils auraient gagné la région de Lyon et le pays des Ségusiaves.

 

 

 

 Placidianus

 

Celle ci nous donne l’occasion de parler d’un personnage très important dans l’histoire de Grenoble, mais fort méconnu : Iulius Placidianus (Ioulious Plakidianous).

Cette inscription, peut-être piédestal d’une statue à l’empereur Claude II, trouvée en Mai 1879, Place Lavalette, dans le mur d’enceinte de la citadelle construite par Lesdiguières, mérite grande attention. Elle indique :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il s’agit là, en l’espèce – et le fait est très important – de soldats d’élite : ceux de la garde impériale. On s’est largement interrogé sur les raisons du séjour à Grenoble de ce corps expéditionnaire d’élite. Il faut, à cet égard, se souvenir qu’à cette période, Autun se révolte contre les usurpateurs du pouvoir et appelle Claude II à son secours. Celui ci qui lutte alors contre les Goths ne peut venir en personne à l’aide de l’emblématique capitale de la civitas des Eduens mais, soucieux de reprendre le contrôle de la Gaule, envoie alors, semble t-il, Iulius Placidianus, son préfet des vigiles, avec une petite armée.

 

 

Comment dater l’inscription de Grenoble que Chabert considérait comme étant l’une des plus importantes des Gaules ?

Elle paraît devoir être située dans le milieu ou avant la fin de l’année 269. En tout état de cause, elle est postérieure au 10 décembre 268, début de la seconde puissance tribunicienne de Claude II et elle est antérieure à la grande bataille de Naissus en Mésie supérieure car à compter de celle ci on le qualifiera, dans les  inscriptions, de «  Gôtico Maximo », le très grand gothique, car, selon l’Histoire Auguste, il aurait défait une armée composée de « Armantoroum Trequenta viginti milia, 320000 hommes en armes, chiffre étonnant que reprend pourtant Ammien Marcellin.

 

Pendant ce temps Placidianus est toujours à Grenoble : on ignore les raisons qui l’empêchent de secourir Autun qui, après un siège de 7 mois, disent les « Panegyrici » tombe aux mains de Victorinus, qui procède à une sanglante vengeance. Les historiens ne savent pas expliquer les raisons de l’attitude de Placidianus. Sans doute répondait-elle à de sérieux mobiles car il est tout à fait établi que lui et son armée ont séjourné longuement dans la région grenobloise : en témoigne une seconde inscription du même personnage, encastrée dans le clocher de l’église de Vif :

 

« Aux feux éternels, Julius Placidianus, clarissime, préfet du prétoire, a élevé cet autel à la suite d’un vœu ». On remarquera que le personnage à encore progressé dans la hiérarchie du pouvoir puisque de préfet des vigiles il est devenu préfet du prétoire, c’est à dire, quasiment vice empereur.

 

Celle ci peut-être datée de 270 au plus haut et de 272 au plus bas. On ne sait rien de Placidianus ensuite sinon qu’il devint consul ordinaire en 273 en compagnie d’Aulus Tacitus.

Mais Grenoble  doit peut-être, à ce personnage considérable qui séjourna près de 3 ans ici, son enceinte et, partant de là, son statut de chef lieu de civitas, car ce n’est point affabuler que de dire que, durant cette période, Cularo était devenue la quasi capitale des Gaules.

 

 

 

 

 

4 – Gratien, enfin

 

Il n’y a pas grand risque à considérer, comme l’ont fait du reste tous les auteurs – ou presque- que Grenoble doit, sinon son statut de civitas ce qui reste fort discutable, du moins son second nom antique, Gratianopolis, à l’Empereur Gratien.

 

 

Celui ci n’a guère eu la faveur des historiens et, dans une belle unanimité, ils se sont accordés à constater son incapacité à régner, voyant en lui un esprit davantage tourné vers les dévotions que préoccupé par les réalités d’un empire romain en déliquescence. De lui, l’historien de l’église, Rufin, dira même, un peu cruellement qu’il a été « plus pieux qu’utile à l’état ».

 

 

J’ai considéré que dans l’ouvrage que je consacrais à Grenoble, et même s’il est à peu prés avéré qu’il ne vint jamais dans cette cité qui porte son nom –la seule de l’Empire romain !- Gratien méritait bien qu’on lui consacrât quelques pages. Le même argument me conduit aujourd’hui à  faire place, dans cette conférence, à cet empereur mal aimé, et décrié, que l’on connaît fort mal au demeurant : quelques rares textes, quelques monnaies, surtout émises à Trèves, et un buste monumental découvert près de la basilique impériale de Trèves.

Avec Julien, dernier survivant mâle de la famille de Constantin, s’éteint en Février 364 la dynastie fondée par ce dernier en 307. Un officier romain, de condition modeste, originaire de Pannonie, est alors élevé à la dignité d’empereur : Valentinien 1er. En mars 364 celui ci nomme son frère cadet, Valens, co-empereur au titre des Balkans et de l’Orient.

Tous deux sont de fervents chrétiens. Ignorant l’aristocratie traditionnelle, ils choisissent leurs officiers et ministres parmi leurs compatriotes pannoniens. Valentinien consacre la majeure partie de son règne à combattre les Alamans sur le Rhin supérieur. En 375 il se rend en Illyrie pour prévenir une invasion des Quades et des Sarmates. Bon guerrier, Valentinien était aussi, semble t-il, bourru, coléreux et brutal. Il élevait, dit-on, deux ourses près de sa chambre.

Au cours d’une audience accordée à une délégation ennemie, il entre dans une colère telle qu’elle lui provoque une crise d’apoplexie.

 

Son fils ainé, Flavius Gratianus - Gratien – lui succède le 17 Novembre 375 bien que n’étant âgé que de 16 ans. L’année précédente il avait épousé Constantia, fille posthume de Constance II, ce mariage ayant eu, selon toute évidence, pour seul objectif de le rattacher à l’emblématique dynastie de Constantin.

 

D’après les canons de l’époque, Gratien est un bel homme, aimant la chasse et les livres mais beaucoup moins l’effort ; de plus il semble être totalement dépourvu du sens du commandement.

 

En 377, apprenant que son oncle Valens, l’empereur d’Orient, est au prise avec une nouvelle invasion de barbares mettant à feu et à sang la Thrace, il décide de lui porter secours. Mais, informé peu après son départ de la tentative de franchissement du Rhin par les Alamans, il revient sur ses pas, les décime près de Horbourg en Alsace – Jérome parlera de 30000 morts ! – et refoule les survivants dans les montagnes de la Forêt Noire. C’est, historiquement, la dernière fois qu’un empereur romain lancera une expédition au delà du Rhin.

 

Gratien qui, de ce fait, n’a pu secourir son oncle Valens, apprend, le 9 août 378 sa mort lors de la terrible défaite d’Andrinople en Thrace.

Végèce, auteur d’un traité d’art militaire rédigé après la mort de Gratien, soulignera que l’armement ancien, insuffisant pour une guerre de ce type, a été « en usage depuis la fondation de Rome jusqu’à l’époque du Divin Gratien » et expliquera ainsi le désastre d’Andrinople. L’Orient n’ayant dès lors plus d’Empereur, Gratien proclame Théodose, le meilleur de ses généraux.

 

 

 

 

C’est à cette époque que Gratien initié aux questions théologiques par Ambroise, évêque de Milan, publie un édit de tolérance en faveur des Ariens, accordant à chacun le droit, extraordinaire, de se tromper. Mais, le 3 Août 379, poussé semble t-il par Théodose, Ambroise et le pape Damase, il abroge cet édit et interdit d’enseigner les doctrines qui, telles celle d’Arius, sont jugées hérétiques par l’église.

En Mai 381 il siège au concile d’Aquilée qui condamne définitivement l’arianisme. On sait que, parmi les 35 membres de l’assemblée figure Domnin, premier évêque attesté de Grenoble. On pense que c’est à cette époque que le nom de Gratianopolis se serait substitué à celui de Cularo.

A l’automne 382, Gratien va encore plus loin, mettant quasiment hors la loi, par un décret resté célèbre, la religion romaine au propre sénat de Rome. Cette mesure provoque une résistance ouverte, aggravée par le fait que Gratien renonce à porter le titre de « Pontifex Maximus », comme l’avaient fait, depuis Auguste, tous ses prédécesseurs, signifiant ainsi ouvertement la séparation du paganisme et de l’Etat pour tendre à constituer un empire chrétien.

Il quitte dans le même temps Trèves, capitale officielle de l’empire depuis Constantin pour Milan dont il fait sa nouvelle capitale.

C’est alors qu’il part combattre une nouvelle fois les Alamans en Rhétie que l’un de ses officiers, Maxime, Commandant de l’armée de Bretagne, se fait proclamer empereur par ses troupes. L’usurpateur sait que les hauts dignitaires de l’armée méprisent Gratien, qu’ils jugent faible, incapable, livré à ses conseillers. L’armée de Germanie le reconnaît immédiatement comme empereur. Gratien n’a d’autre solution que de se porter alors contre Maxime. La rencontre a lieu près de Paris. Mais son armée le trahit et Gratien n’a que le temps de fuir avec 300 cavaliers Alains qui lui sont restés fidèles. Il est rejoint à Lyon par Andragathuis, général de Maxime, fait prisonnier et exécuté le 25 Août 383. Il avait 24 ans.

Maxime,  désavouera ce meurtre et fera inhumer Gratien à Trèves. Ambroise, pour sa part, lui décernera le titre de «  Christianissimus Impérator » et, 9 ans plus tard, lors de la mort de son demi frère Valentinien II prononcera l’homélie fameuse dite du Divin Gratien : « O Gratien, O Valentinien … Je pleure sur toi, Gratien, mon enfant si doux à mes yeux… ».

 

II – Venons en au second thème : une importante épigraphie lapidaire :

 

Le sujet peut paraître abstrus sinon abscons. Il mérite néanmoins une large attention car, on le sait trop peu, Grenoble se situe parmi les 25 cités antiques de Gaule et de Germanie qui ont livré le plus grand nombre d’inscriptions latines sur les 14000 connues à ce jour pour les seules Gaules.

 

Grenoble que l’on classe généralement dans la tranche des 50/100 inscriptions avec notamment Orange, Aix en Pce et Marseille, pourrait, à mon sens, relever de la catégorie des cités ayant livré plus de 100 inscriptions puisque si le Corpus, sur lequel ce classement est essentiellement fondé, relevait 86 inscriptions latines pour Grenoble, la CAG porte ce nombre à 97 et mon inventaire, que j’espère exhaustif, s’établit à 105 inscriptions. Mais au delà de cette querelle de puristes il n’en demeure pas moins que Grenoble figure bien dans ce « club » prestigieux des 20-25 cités antiques de Gaule et de Germanie ayant livré l’épigraphie lapidaire la plus importante.

En valeur relative, le constat est encore plus édifiant : en effet, les 105 inscriptions de Grenoble nous livrent 153 noms. Si l’on considère une espérance de vie de 30 ans (durée d’ailleurs inchangée de l’époque romaine jusqu’au 18° s, même si quelques belles longévités sont connues : Auguste, 75 ans, Tibère 78 ans, Tacitus 76 ans…) cela donne pour 3 siècles d’épigraphie et pour une population de Cularo estimée à 1500 habitants un ratio de 1,13 % alors que le même calcul donne un ratio 28 fois moindre pour l’ensemble des Gaules.

 

Pour bien comprendre ce qu’est l’épigraphie latine il faut rappeler quelques principes. L'inscription se présente comme une succession de lettres majuscules sans signe pour distinguer les mots les uns des autres. Les plus anciennes inscriptions -jusqu'au milieu du 2° s.- sont caractérisées par une écriture monumentale, gravée avec soin, cependant qu’à partir de 150 apparaissent des lettres écrites au pinceau, moins bien tracées, que le graveur à plus de mal à transcrire dans la pierre.

Le style que les auteurs utilisent est quasi officiel, simple, avec un vocabulaire restreint et une construction de la structure de l’inscription très conventionnelle.

Elément déterminant des inscriptions, notamment funéraires, la « Gens » (djins) ou ensemble des personnes portant le même gentilice(djintilique) ou non et se considérant comme les descendants d’un ancètre commun. Ainsi à Grenoble Aelius, Atticus, Cassius…

Le citoyen romain porte les « tria nômina », les trois noms, c’est à dire le prénom, le nom de famille et le surnom, énoncés dans cet ordre immuable : près de 45 % des inscriptions de Grenoble présentent les tria nomina et ce %, rapporté à la totalité des noms connus par l’épigraphie, soit 153, est encore de 31%. Ceci démontre un très important degré de citoyenneté romaine, renforcé par le fait que sur la quinzaine de prénoms usuellement utilisés dans la civilisation romaine 11 se retrouvent à Grenoble.

 

L’onomastique reflète, pour notre ville, la force de la population latine, tandis que les noms celtes ne représentent que 18% du total des noms connus pour les 3 premiers siècles de notre ère.

Le non citoyen porte un seul nom qu’il fait suivre, parfois, lorsqu’il devient affranchi, de la dénomination de son maître, au génitif : ainsi, Poublious Primitivous ou Loucrétia, affranchie de Quintus (kintous).

 

Les femmes, en général, n’avaient pas de prénom et conservaient comme nom de famille celui de leur père au génitif. On lit parfois, à la suite de leur nom, celui de leur mari également au génitif ; ainsi Attius (le père) + Marckianous (l’époux) donnent Attia Markiana : 54 inscriptions de ce type sont connues à Grenoble.

 Quant aux formules, elles ne doivent pas faire illusion ; en effet à en croire les inscriptions, tous les maris auraient été « pleins de mérites » et toutes les épouses « incomparables ». D’elles, surtout, on loue leur douceur, leur vertu, leur bonté, leur parfait caractère. Presque systématiquement les maris proclament leurs louanges. Si incontrôlable que soit leur sincérité, notamment sur leurs vertus conjugales, elles témoignent du moins que ces qualités étaient publiquement appréciées.

Elles ne doivent cependant pas nous abuser. Déjà Guy Allard, à propos des louanges faites par son mari à Hilaria Quintilla notait, non sans humour :

« ce mary avait des sentiments bien avantageux pour sa femme de croire que celle ci estoit vierge lorsqu’il l’épousa. Je doute que la foy des maris de ce siècle (ce n’était que le 17°) soit aussi grande… ».

 

Je ne m’arrêterai pas aux abréviations usuellement employées dans l’épigraphie romaine et très nombreuses, renvoyant pour cela aux nombreuses précisions données dans mon ouvrage. On notera seulement que la formule « vivus sibi posuit » (ouivous sibi posouit), « a élevé de son vivant », que l’on rencontre à maintes reprises, montre combien ces gens s’attachaient profondément à l’idée que leurs pierres tombales, souvent acquises par une vie de labeur, souvent élevées par précaution aussi, de leur vivant, leurs vaudraient une sorte de survie.

A cet égard ils ne se sont point trompés ; éparses aujourd’hui dans nos musées ou conservées dans nos ouvrages, elles n’ont pas encore cessé de nous parler d’eux.

La formule « Dis Manibus », que l’on trouve employée 38 fois dans le lapidaire grenoblois mérite explication. En effet, dès l’époque d’Auguste, les inscriptions funéraires prennent une forme plus structurée. L’inscription est conçue comme une dédicace aux D. M. ces divinités collectives qui symbolisent les esprits des morts : elles sont célébrées dans le calendrier religieux officiel lors de la fête des « parintalia » du 13 au 21 février.

 

Né sous Auguste, cet usage se généralise à partir du règne de Claude. Dans un premier temps, la formule reste concise : Manibus ou Diis Manibus en toutes lettres ou en abrégé. A partir du 2° s. l’invocation se fait sous la forme « Diis Manibus Sacrum », sous entendu « locum » : lieu consacré aux Dieux Manes.

 

Moins aisée est l’interprétation de l’askia, figurée sur 16 des stèles grenobloises, accompagnée de la formule « sub ascia dédicaouit », en toutes lettres ou en abrégé.

 

 

Le rite de l’ascia, c’est à dire l’herminette, le marteau qu’utilise le tailleur de pierre, né, semble t-il en Dalmatie avant le milieu du 1er s. de notre ère, se généralise de manière foudroyante en Gaule et en Cisalpine, aire cultuelle celtique. Nonobstant les nombreuses hypothèses émises sur la signification de la référence à cet outil, on n’en connaît pas avec certitude le sens religieux ; c’est, sans doute, la marque d’un rite de consécration qui place le monument funéraire avec ses annexes sous la protection divine et qui en assure l’inviolabilité.

Enfin, on notera que dans près d’une dizaine d’inscriptions, l’appartenance du dédicataire à la « tribou voltinia » est indiquée. On sait que la représentation des citoyens en tribu remonte à l’origine de Rome et que la Narbonnaise avait été versée en bloc dans la «tribou voltinia », qui venait au second rang des tribus rustiques. Cette mention, assez usuelle en Narbonnaise au début du haut empire, cesse avec Caracalla qui, en étendant le droit de cité à tous les habitants de l’empire, rendit inutile l’indication de l’appartenance à une tribu.

Avant d’en venir à une rapide synthèse typologique il me semble utile de préciser que, sur les 105 inscriptions romaines de Grenoble que j’ai étudiées :

 

-          25 proviennent de la Porte Romaine

-          20  de la Porte Viennoise

-          38  d’emplacements identifiés à Grenoble

-          20 sont de provenance inconnue mais sont traditionnellement attribuées à Grenoble, et 2 sont extérieures mais se rattachent à l’histoire de la ville.

 

46 de ces inscriptions sont conservées :

-          37 au M. D. dont 4 visibles dans le cloître et 1 dans la chapelle,

-          4 au Musée de l’ancien évêché,

-          2 à la Cathédrale N. D.

-          1 encastrée dans un mur, 20 grande rue et 1 déposée au fond d’une cour, 56 rue St Laurent.

 

66 des inscriptions sont complètes cependant que 38 sont fragmentaires. 65 %, enfin, sont des inscriptions funéraires.

 

 

Venons en maintenant à une rapide typologie des inscriptions lapidaires de Grenoble par grands thèmes :

 

-          tout d’abord, celles consacrées aux divinités ; elles sont peu nombreuses, une petite douzaine : on y trouve Isis, Les Fortunes, Jupiter, MaÏa Auguste pour laquelle les cularoninsès semblent avoir eu une faveur toute particulière (2 dédicaces et, sans doute, un temple vers la rue Brocherie actuelle) puis Mars, les Mères Augustes et les Mères Nemetiales, Diane, Mercure et une rare inscription à Saturne, la seule connue en Narbonnaise.

 

- celles consacrées aux empereurs, au nombre de 4 : l’une à Antonin le Pieux, qui était peut-être le piédestal d’une statue, les 2 inscriptions dédicatoires des Portes Viennoise et Romaine, consacrées à Dioclétien et Maximien et l’importante inscription à Claude II le Gothique.

 

-          4 inscriptions sont relatives à des militaires : un vétéran de la 3° légion Gallica, retiré à Cularo après avoir fait la guerre sur les bords du Rhin et en Syrie, un tribun de légion nommé Pompéius Pollion, un centurion et, enfin, un sous préfet de cavalerie, Décimus Decmanius Caper, grand évergète, cité 3 fois dans l’épigraphie antique de Grenoble.

 

-          Les fonctions municipales sont mieux connues, qu’elles soient liées au culte ou à l’administration de la cité. Au titre des premières on citera un flamine du culte impérial, Caprilio Antullo, des flamines de Mars et de la Jeunesse, des flaminiques et des sévirs (séouirs) augustaux ; au titre des secondes, on a l’embarras du choix : 15 inscriptions relatives à des magistrats sont connues et montrent l’importance considérable de Grenoble qui fournit 12% des magistrats de l’immense civitas des allobroges : décurions, questeurs, édiles, duumvirs (dououmvouir)

 

-          L’administration publique de l’état nous fait connaître, par 3 inscriptions, l’existence à Grenoble d’un bureau de la « coidradjésima galliaroum » où impôt du 1/40° des Gaules, qui frappait d’une taxe de 2,5 % toutes les marchandises en provenance ou à destination de la Gaule. Mais, l’étude du système fiscal antique nous mènerait assez loin et l’inscription grenobloise de Gaius Sollius Marculus mériterait, à elle seule, une conférence !

 

On l’a vu, l’essentiel des documents épigraphiques sont des autels funéraires. Mais, le plus grand nombre concerne de modestes citoyens qui n’étaient ni militaires, ni prêtres, ni édiles, ni fonctionnaires. C’est ainsi que l’on trouve parés de ce seul titre, des « époux remarquables », des « épouses vertueuses », des « parents si affectionnés » ou encore des enfants prématurément décédés, tel ce Caius Innokentius » à l’âge de 6 ans, 9 mois et 16 jours que pleure sa mère.

 

La plupart des noms, je l’ai signalé, sont romains. Quelques rares exceptions méritent toutefois d’être relevées ; ainsi, Bitounia Titiola et Bitoudjia Modestina qui sont probablement d’anciens patronymes gaulois, cependant que d’autres traduisent des ascendances grecques tels Eoudrépitès, Eoudaémon, Threpté.

 

Il y a donc bien là, Mesdames et Messieurs, une épigraphie de tout premier ordre, tant par le nombre et la diversité des inscriptions que par l’exceptionnel degré de romanisation, et dont Grenoble devrait s’enorgueillir.

 

 

 

J’aimerais pouvoir dire beaucoup plus sur ces premiers grenoblois qui avaient noms : Aelius, Antonius, Cassius, Coetius, Larinius, Scibonius et autres Clemens, Fronto, Lebeo ou Pollio

Je n’aurais garde d’oublier leurs compagnes, tellement présentes dans l’épigraphie, bien que la parité, dans les temps qui nous occupent n’ait jamais été, si peu que ce soit, un soucis. Elles avaient noms : Devillia Titiola, Gratia Gratinae, Prima Valeria, vinikia Véra…

 

Même si leurs épitaphes continuent, 19 siècles plus tard, à nous chanter leurs louanges que savons nous réellement de leurs conditions d’existence ?

Sans doute, les plus fortunés d’entre eux vivaient-ils, à l’encontre de tous les clichés jusqu’alors reçus, dans de fort riches demeures : il suffira de rappeler la « maison aux fresques », les mosaïques, les enduits peints, dont certains de style pompéïen, la grande villa suburbaine de St Martin le Vinoux, le marbre blanc, le marbre vert, les bijoux d’or et d’argent…

 

Certes, n’ont malheureusement pas été retrouvés les bâtiments publics, notamment les thermes et, peut-être l’édifice de spectacles que toute cité romaine a dû posséder. Sans nul doute ont-ils existé à Grenoble mais en découvrirons nous jamais les traces ?

 

Quant à leur alimentation, jamais aucune étude spécifique n’a été entreprise sur ce sujet particulier. Et pourtant, celle ci se laisse deviner par les ossements ou autres restes découverts dans les dépotoirs : fortement carnée, elle était à base de bœuf, de cheval, de mouton, de chèvre et de porc mais faisait aussi sa place aux produits de la chasse comme le lièvre, le cerf et le sanglier. Des os de gallinacés et de petits oiseaux ont également été trouvés.

 

Plus surprenants sont des fragments de carapaces de tortues et de nombreuses coquilles d’huîtres en plusieurs points, et notamment, rue du Pst Carnot. Il semble donc que celles ci aient été appréciées, nonobstant les difficultés que devaient engendrer un tel approvisionnement et son coût de possession. Enfin, les nombreuses amphores retrouvées montrent que le vin, notamment d’importation, n’était pas absent de l’alimentation de nos lointains prédécesseurs.

Bien que dans mon livre je me sois quelque peu hasardé à imaginer, à différentes périodes, ce qu’avaient pu être les repas des cularoninsès, je me garderai bien de réitérer ici cet exercice de style pour le moins aventureux.

 

C’est pourquoi, si vous le voulez bien, c’est sur l’évocation de ces agapes antiques que je vous proposerais, Mesdames et Messieurs, de clore cette conférence en l’ illustrant maintenant par quelques diapositives.

 

 

 

 

I – Le site de pont.

 

Pourquoi une ville est-elle née à cet emplacement ou – autrement dit – selon la formule de Raoul Blanchard, pourquoi Grenoble ?

 

Les rivières – Isère et Drac – apportent, on le sait la réponse. C’est à leur point de rencontre que s’est , en effet, constitué au pied des contreforts de Chartreuse un vaste cône de déjection, interdisant, en ce seul point, toute divagation à l’Isère et permettant ainsi son franchissement par un pont : celui de Munatius Plancus, le premier connu, mais aussi celui qui lui a nécessairement succédé au cours de la longue période gallo romaine, celui reconstruit sous St Hugues, ceux de 1267, 1417, 1656, 1785 et le pont suspendu de 1837, d’abord en bois puis en maçonnerie en 1909, toujours au même emplacement, en cet endroit un peu particulier qui, jusqu’au XIX° s. fut le seul point de franchissement de l’Isère, de Pontcharra à Rovon soit, quasiment sur 100 km.

 

Carrefour de vallées et site de pont : tels sont les avantages naturels qui peuvent expliquer l’installation des hommes sur le petit dôme alluvial, que l’on croit aujourd’hui être d’origine anthropique, et dont le sommet correspond à peu près à l’actuelle place aux Herbes, le point haut à partir duquel, à l’abri relatif des débordements incessants des deux cours d’eau, s’est développé la ville, au carrefour d’un certain nombre de voies de grande importance : celle de Vienne à Rome, celle du Petit St Bernard par la rive droite de l’Isère, celle de Grenoble à Fréjus, pour ne citer que les 3 plus importantes parmi les 8 ou 9 que l’on peut identifier.

 

C’est dire combien le pont est d’une importance considérable dans la naissance de Grenoble et dans son développement ultérieur.

 

 

 

Le premier pont, celui de Munatius Plancus, nous est bien connu grâce aux Epistulae ad Familiares, de Cicéron mais permettez moi de vous présenter brièvement les protagonistes de ces évènements dont Grenoble fut en partie le théatre et qui se passèrent les années 710 et 711 de Rome, c’est à dire en 44 et 43 avant notre ère.

 

Tout d’abord, celui grâce à qui nous connaissons si bien ces évènements :

 

Marcus Tullius Cicéro, Cicéron, avocat, sénateur, consul, philosophe et écrivain, auteur d’une œuvre écrite immense et en grande partie conservée, notamment plus de 35 livres de correspondance. Il a 63 ans à l’époque des faits et ne verra pas la fin de cette funeste année 43 puisqu’il sera assassiné le 17 Décembre.

 

Marcus Antonius, nous dirons Marc Antoine ou Antoine ; consul en 44 avec César, il a 39 ans au moment des faits et il tient l’un des premiers rôles de cette guerre civile. C’est, du reste, le meilleur général de l’époque. Ultérieurement, il renouera avec Octave, épousera Cléopâtre, la reine d’Egypte, avant de rompre avec Octave et de se donner la mort en 30.

 

Marcus Aémilius Lépidus, Lépide ; maître de la cavalerie de César pour l’Occident, associé en 46 au Consulat par celui ci, il a 35 ans à l’époque des faits et gouverne la Gaule Transalpine, la Narbonnaise et l’Espagne Tarragonaise.

 

  Décimus Iunius Brutus Albinus, Brutus, à ne pas confondre avec son cousin Marcus Iunius Brutus, le fils adoptif de César et l’un de ses assassins. Le Brutus qui nous intéresse a été lieutenant de César, en Gaule, dès 58 et il le secondera jusqu’au siège d’Alésia. Il a alors 38 ans et gouverne la Cisalpine.

 

Caius Iulius Caesar Octavianus, Octavien ou Octave, personnage considérable de l’histoire romaine, né vers 63, adopté en 45 par son grand oncle, Jules César, dont il prend le nom. Il lui succède en 44. A l’époque des faits il a environ 20 ans. En 27 il instituera le Principat, en fait monarchie déguisée en république et le sénat lui décernera le titre d’ « Impérator Caésar Augustus ».

Auguste, c’est à dire le Majestueux, sera désormais son nom et il deviendra le premier et l’un des plus illustres des 106 empereurs romains officiels. C’est l’un des rares protagonistes évoqués qui mourra dans son lit, en 14 de notre ère, à l’âge, assez exceptionnel pour l’époque, de 76 ans.

 

Enfin, Lucius Munatius Plancus ; légat de César en Gaule en 54 évoqué au livre  5 du Belloum Gallicoum, il le suit en Espagne en 49 puis en Afrique en 47. Il est nommé gouverneur de la Gallia Comata, la Gaule chevelue en 44. Il a alors entre 42 et 47 ans en raison de l’imprécision sur sa naissance. L’année 43 sera, incontestablement, sa plus grande année : commencée au camp de Confluent, continuée par son séjour à Cularo, achevée à Rome par son triomphe au Capitole et couronnée enfin par la dignité des dignités romaines : le Consulat. Au cours de cette même année il aura également fondé la colonie de Raurica et celle de Lugdunum.

Munatius dit Plancus – aux pieds plats – est, bien évidemment, le personnage qui nous intéresse le plus ici.

 

 

Je résumerai les faits à l’essentiel, m’excusant par avance de ramener des éléments considérables de notre histoire à quelques données schématiques.

 

 

Le 21 Avril 43 (je dirai systématiquement 43 mais vous vous rappellerez qu’il s’agit bien de 43 avant notre ère) la première phase de ce que l’on appelle la « guerre de Modène » s’achève avec la fuite d’Antoine en Narbonnaise et la mobilisation, par le sénat, des gouverneurs des provinces transalpines.

 

 

 

 

Pour mieux comprendre la problématique cruciale de ces évènements j’ai repris l’analyse des 53 lettres des livres X et XI des « Ad Familiares » avec un éclairage un peu inédit, visant à mettre tout particulièrement en relief le rôle de Plancus et, surtout, celui relatif à l’aspect stratégique que notre ville a joué lors de ces évènements dont l’enjeu était, bien évidemment, situé très au delà de l’Isère.

 

La partie la plus importante de cette correspondance est constituée des lettres échangées entre Cicéron et Plancus, 25 au total. On relèvera au passage l’excellence du réseau routier romain dès cette seconde moitié du 1er siècle avant notre ère : les courriers mettaient, en effet, 15 jours, au maximum, pour joindre la Gaule Chevelue de Rome, 12 ou 13 jours de Cularo à Rome et 3 ou 4 jours au maximum de Cularo à la région de Fréjus.

 

Mais, venons en au fait : Plancus, parti de Lyon, est arrivé à Grenoble, a franchi l’Isère et se porte à la rencontre d’Antoine campé dans la région de Fréjus. C’est la fameuse lettre 15, du 11 mai 43 par laquelle Plancus donne à Cicéron tous les détails de sa marche :

« Lépide m’a engagé sa foi et dit que, s’il ne pouvait empêcher Antoine de pénétrer dans sa Province, il entrerait en guerre contre lui. Il m’a demandé de le rejoindre –ajoute t-il- et, ainsi itaqué in Isara, fluminé maximo, quod in finibus est allobrogum, ponte uno dié facto, exerkitoum ad quartoum Idous Maias traduxi (ayant construit en un jour un pont sur l’Isère, grand fleuve sur les frontières des Allobroges, je l’ai traversé le 4 des Ides de Mai avec mon armée), cette armée qui, selon Camille Jullian, ressemblait à celle que César avait menée à la conquête du monde !

 

D’un point de vue historique, cette lettre est d’une importance considérable : Plancus jette un pont en un jour sur l’Isère, grand fleuve, - j’y reviendrai tout à l’heure- fait traverser son armée et envoie sa cavalerie au devant de lui en direction de Forum Iulii où l’avant garde d’Antoine est arrivée.

Suivent de nombreuses correspondances entre Plancus et Cicéron, Plancus et Lépide, Lépide et Cicéron qui nous renseignent sur la progression des trois armées.

 

Et puis intervient la célèbre lettre du 6 Juin 43 de Plancus à Cicéron. Elle mérite large attention car c’est la première à être expressément datée de Cularo :

« Octavo Idous Jounias Coularoné ex finibous Allobrogoum » (le 8° jour avant les Ides de Juin, de Cularo en pays Allobroge). C’est une fort longue lettre dans laquelle Plancus cherche tout d’abord à se justifier : il ne veut pas qu’on l’inculpe de témérité et prend soin de rappeler pourquoi il s’est lancé dans cette aventure. Puis il raconte ce qui s’est passé depuis son départ de Cularo :

« je craignais, en restant dans le même lieu, que mes ennemis pussent penser que ma haine contre Lépide etait trop opiniâtre et que je cherchais à prolonger la guerre par mon inaction. C’est pour cela que j’ai fait avancer mes troupes presque en vue de Lépide et d’Antoine et que je me suis arrêté à 40000 pas d’eux pour avoir la possibilité de les approcher promptement ou de me retirer sans difficultés ».

Sa marge de sécurité était, somme toute, importante puisque le pas – passous ou double pas romain – équivalait à 5 pieds, soit 1,47 m par pas. Plancus s’est donc arrêté à 59 km de Lépide !

Il justifie ensuite sa stratégie :

« le terrain que j’avais choisi me donnait pour barrière devant moi un grand fleuve –le Verdon- que l’ennemi ne pouvait passer sans perdre de temps. Derrière j’avais les Voconces dont la fidélité me répondait de tous les passages. Lépide, désespérant de me voir arriver, avait fait alliance avec Antoine, le 4 des Kalendes de Juin et, le même jour, tous deux s’étaient mis en marche dans ma direction. Ils n’étaient plus qu’à 20000 pas lorsque j’en fus informé. En un clin d’œil, grâce à la bonté des Dieux, tout fut disposé pour ma retraite et je pus l’effectuer sans avoir l’air de fuir… La veille des nones de Juin – le 4 Juin – mes troupes avaient toutes repassé de l’autre côté de l’Isère et « pontisqué quos fekeram interroupi » (les ponts que j’avais fait jeter étaient rompus). Mes hommes auront ainsi le temps de se regrouper et je pourrai faire ma jonction avec mon collègue – c’est de Brutus qu’il parle – que j’attends sous trois jours ».

 

Nous laisserons là le récit de ces évènements pour nous attacher au premier pont jeté sur l’Isère puis rompu peu après, volontairement, par Plancus.

Illustre mais éphémère premier pont dont l’existence aura été fort brève : du 9 mai au 4 juin 43, soit 27 jours.

 

Pour tenter d’aller plus loin dans la conceptualisation de ce pont « édifié en un seul jour » il convient, peut-être, pour mieux comprendre le sens des écrits de Plancus de se référer au Belloum Gallicoum de César écrit, pour l’essentiel, durant l’hiver 52-51, à Bibracte où il avait pris ses quartiers. Selon toute probabilité, Plancus, qui faisait alors partie de l’état major de César, connaissait parfaitement le récit de la guerre des Gaules. Et c’est sans doute dans le livre IV, qui se rapporte à l’année 55 avant notre ère, et plus précisément dans les chapitres 17 et 18 que se trouvent les réponses aux questions, irrésolues jusqu’alors. En effet, de nombreuses analogies existent entre le récit de César et la correspondance de Plancus. Celles ci méritaient sans doute, d’être relevées :

 

B.G. « César…. avait décidé de franchir le Rhin ; mais les bateaux lui semblaient un moyen trop peu sûr et qui convenait mal à sa dignité et à celle du peuple romain. Aussi, en dépit de l’extrême difficulté que présentait la construction d’un pont, à cause de sa largeur, de la rapidité et de la profondeur du fleuve, il estimait qu’il devait tenter l’entreprise ou renoncer à faire passer ses troupes autrement ».

Les motifs qui présidèrent à l’entreprise – que Caton fustigea à Rome – sont finalement mineurs face au désir de César d’accomplir un exploit propre à frapper durablement les imaginations : franchir ce fleuve mythique, d’une largeur extraordinaire : 500 m selon Camille Jullian, 400 m selon Christian Goudineau, à Neuwirth, près de Coblence, où des vestiges du pont de César ont été récemment découverts.

Suivent alors les détails, très précis, de la construction du pont sur le Rhin.

 

 

 

C’est César qui parle :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On comprend dès lors mieux, face à cet extraordinaire exploit des pontonniers romains, que Plancus, avec une technique identique, ait pu faire édifier en un seul jour, un pont sur un fleuve respectable, même si sa largeur était sans commune mesure avec celle du Rhin, peut-être dans un rapport de 1 à 5.

Et c’est là que l’examen comparé du Belloum Gallicoum et des Epistolares prend toute sa signification :

 

Plancus : « ayant construit en un jour un pont sur l’Isère, grand fleuve qui est aux frontières des Allobroges, je l’ai traversé le 12 mai avec mon armée ».

 

Les précautions prises par César sont également celles que prend, 12 ans plus tard, Plancus :

 

César : « César laisse aux deux têtes du pont une forte garde et se dirige vers le pays des Sugambres »

 

Plancus : « j’ai donc quitté mon camp de l’Isère le 19 mai après avoir muni de deux redoutes les têtes du pont que j’avais fait construire sur le fleuve et j’y ai laissé des troupes suffisantes pour les défendre »

 

Et, au bout du compte, les deux ponts ont précisément le même sort :

 

César : « après 18 jours complets passés au delà du Rhin, estimant avoir atteint un résultat suffisamment glorieux et suffisamment utile, César revint en Gaule et coupa le pont derrière lui ».

 

Plancus : « et ainsi, à la veille des nones de juin, mes troupes avaient toutes repassé l’Isère et les ponts que j’avais fait jeter étaient rompus ».

 

On connaît l’épilogue de cette guerre civile : Lépide s’unit à Antoine, peu après Plancus les rejoint et se seront les proscriptions, l’assassinat de Brutus, puis celui de Cicéron, le triomphe de Plancus au Capitole et, surtout, l’avènement d’Octave qui verra d’abord le triumvirat puis, très rapidement, la fin de la république et le début de l’Empire.

 

Mais revenons à Grenoble où, au delà de ce pont bien connu –vous avez pu en juger- se pose un problème irrésolu qu’aucun historien n’a traité à ce jour : celui du « camp de l’Isère » que Plancus cite 3 fois, les 13, 15 et 18 mai sous la forme « castris ad Isaram » et 1 fois, le 28 Juillet, sous la forme « castris ad coularonem ».

 

Ce quartier général ne peut, dès lors, qu’être situé, semble t-il, sur les contreforts de Chalemont, servant de défense naturelle sur la rive droite, pour que le fleuve fut un fossé infranchissable à un ennemi venant du sud.

 

On a toutefois peine à conceptualiser que les 5 légions, leurs auxiliaires et la cavalerie aient pu être installés aussi durablement – près de 3 mois – sur aussi peu d’espace car, au minimum, 100 à 120 ha devaient être nécessaires pour le stationnement d’une telle armée, c’est à dire, en ce cas, tout l’espace occupé aujourd’hui par le M. D. les instituts de géographie et de géologie, la cité universitaire, avec de larges débordements sur tous les contreforts Est et Ouest de la Bastille, voire même jusqu’à son plateau sommital.

 

On a parfois dit que le sort de Rome – et donc du monde – s’était joué en 43 avant notre ère à Cularo où, pour être un peu moins cocardier, à Cularo certes, mais également à Modène, à Forum Voconii, au pont de l’Argens et, enfin à Bologne. Ce qui mérite d’être relevé avec insistance, pour ce qui concerne notre ville, est qu’entre Mai et Juillet 43, la plus grande part des armées romaines –hors Afrique et Asie- ont stationné à Cularo d’une part et vers Forum Voconii, d’autre part.

 

On peut donc considérer que les prolongements de la guerre de Modène avaient mobilisé 43 légions (c’est à dire 3 fois plus que celles dont disposait César lors de la dernière année de la guerre des Gaules) soit, avec leurs auxiliaires et la cavalerie, sans doute au moins 450000 hommes engagés dans cette guerre civile. C’est, reconnaissons le, tout à fait considérable !

 

Cularo, pour sa part, a accueilli, au moment de l’arrivée de Brutus, soit à compter du 8 juin 43, environ 150000 hommes, au moins 60000 bêtes de somme et presque autant de chariots. Même répartie en deux camps, une telle armée, pour le site de Grenoble, est prodigieuse à concevoir : c’est près de 3 fois plus que l’armée d’Hannibal, 175 ans plus tôt.

 

Mais, saura t-on jamais où avaient été installés les camps de cette extraordinaire armée en campagne, la plus importante, assurément, que notre ville aura reçue durant sa longue histoire.

 

 

Venons en maintenant au dernier point :

 

IV – LES RESTES DE L’URBANISME ANTIQUE

 

De ce prestigieux passé que nous reste t-il aujourd’hui ? Fort peu de choses tangibles en vérité mais Grenoble n’est pas, loin s’en faut, un cas isolé ; d’importantes capitales de civitas, voire même des métropoles antiques, n’offrent pas plus de vestiges antiques visibles que Grenoble, et je songe tout particulièrement à Toulouse, à Strasbourg, à Rennes, à Nantes ou encore à Aix en Provence.

Et pourtant ?

 

Au risque, une fois de plus, de paraître trop simplificateur, je me limiterais ici, tant le sujet est vaste, à une simple énumération de l’urbanisme antique de Grenoble. Celle ci sera, du reste, complétée par des diapositives dont certaines vous permettront, peut-être, d’avoir une vision différente d’un Grenoble gallo romain trop méconnu à mon goût.

 

Evacuons les grands problèmes : ainsi, le débat toujours ouvert, sur la possible agglomération double : Cularo, rive gauche, Chalamont, rive droite.

Evacuons la problématique de la ville du haut empire, dont les limites sont mal appréhendées, mais qui couvrait une superficie infiniment plus conséquente que celle de l’agglomération remparée. Evacuons encore les indices qui peuvent conforter l’idée, au demeurant peu répandue, d’une possible trame viaire de type colonial.

 

Que va t-il nous rester ? Bien des choses encore, parmi lesquelles je vais nécessairement devoir effectuer une ultime sélection. Il est néanmoins un point sur lequel je ne saurais tergiverser tant il est majeur : il s’agit de l’enceinte du bas empire.

 

Grenoble, on le sait, est l’une des nombreuses cités de la Gaule a avoir été dotée, au bas empire, d’une enceinte. Tel n’était pas le cas pour la ville du haut empire, mais l’on sait que les enceintes du haut empire sont des enceintes de prestige, rares, et, souvent, d’origine coloniale : Arles, Fréjus, Orange, Nîmes, Autun, Vienne, peut-être Lyon…

 

Cularo, jusqu’au 3° siècle fut donc une « ville ouverte », d’une superficie beaucoup plus importante que la « ville remparée » : environ 32 ha, uniquement sur la rive gauche de l’Isère. Rome même, entre la fin de l’époque républicaine et la fin du 3° s resta pratiquement sans murailles et ce n’est que sous Aurélien que débuta la construction d’une enceinte, terminée sous Probus, en 280.

 

C’est de cette époque aussi que datent la plupart des enceintes du bas empire de la Gaule : on en connaît au moins 85, mais celle de Grenoble est la seule à être précisément datée du règne conjoint de Dioclétien et Maximien, par deux inscriptions, aujourd’hui perdues, qui surmontaient les deux portes de la ville.

 

 

Sa forme était de type ovale, forme assez rare dont on ne connaît qu’une douzaine d’exemples parmi lesquels Sens, Senlis, Bourges, Périgueux, Reims, Dijon, Gap…

Ses dimensions, 1160 M de long, enserrant un territoire de 9 ha peuvent paraître faibles, mais il faut savoir que les enceintes du bas empire étaient des enceintes réduites qui n’entouraient pas forcément l’ensemble du tissu urbain, ce qui est le cas à Grenoble où plusieurs traces d’habitats « extra muros » sont connues : rue Raoul Blanchard, rue Bressieux, parking Philippeville, Place Jean Achard, Place Grenette…

 

Sur les 85 enceintes connues, Grenoble se situe au 46° rang, au même niveau que des cités prestigieuses : Evreux, Tours, Angers, Le Mans, Paris… ou encore Autun dont l’enceinte du haut empire enserrait pourtant 200 ha, et nettement avant d’autres cités importantes telles Périgueux, Limoges, St Bertrand de Comminges, Chalons sur Marne, Bavay, Clermont Ferrand ou Auch.

 

D’une élévation de 8 à 9 m pour sa seule partie aérienne, l’enceinte reposait, en certains points, sur des pieux en bois. Epaisse de 4,5 m à 5 m à sa fondation, elle présentait un appareil d’une largeur comprise entre 2,50 m (rue Renauldon, rue Hector Berlioz) et près de 4 m (rue Cujas, rue Guy Pape).

A intervalles réguliers, l’enceinte était renforcée par des tours.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le tracé de l’enceinte romaine est parfaitement connu car celle ci a subsisté quasi intégralement, jusqu’en 1591, date de son arasement sur l’ordre de Lesdiguières. Peu de vestiges subsistent aujourd’hui mais on peut aisément en faire le tour en suivant les clous dorés posés au sol avec la mention « enceinte de Cularo, 3° siècle ».

 

 

L’enceinte romaine était percée de 2 portes de prestige qui commandaient l’une la voie de Vienne, l’autre la voie de Rome. Toutes deux étaient surmontées d’une monumentale inscription :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

-          la porte Viennoise, ou Herculea, était située place Notre Dame, perpendiculairement à la façade de la cathédrale et aux bâtiments situés aux numéros 4 et 6 de cette même place. Ses substructions ont été retrouvées en 1991 et sont partiellement conservées dans la crypte archéologique.

 

-          la porte Romaine, ou Jovienne, (ou encore Traine) était située au début de la place Grenette, côté Grande Rue, à peu près à l’emplacement de l’actuelle fontaine.

 

 

J’évoquerai maintenant un problème fondamental, mais un peu tabou : celui de la datation de l’enceinte. On a dit et redit, à l’envi, que l’enceinte de Grenoble était quasiment la seule enceinte des Gaules à pouvoir être datée précisément, grâce aux dédicaces offertes par Dioclétien et Maximien.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Conception, mise en œuvre et achèvement de ce lourd programme auraient donc pris place entre 285 et 293. Or, les indications chronologiques fournies par la fouille dans le secteur de la place Notre Dame invitent à considérer avec circonspection cette datation admise.

En toute logique, la datation par dendrochronologie des pieux de fondation du rempart aurait du indiquer le début de la construction. Or, celle ci fournit une fourchette comprise entre 130 et 270. La datation au radiocarbone donne, quant à elle, la date surprenante de 146 après J. C.

Cette datation est elle erronée ou faut-il croire qu’il a pu exister dans cette zone des vestiges construits au haut empire et que l’un d’eux a été détruit à l’exception de sa fondation de bois dès lors intégrée au soubassement de l’enceinte ?

S’agissait-il d’une porte isolée du haut empire à l’entrée de la ville et au point d’aboutissement d’une voie si importante qu’elle ait déterminée la trame orthogonale de l’habitat et dont la porte Viennoise aurait repris le strict emplacement ?

 

Les monnaies retrouvées dans les remblais apportés pour la construction de l’enceinte s’échelonnent de 267 à 282. Plus à l’Est a été trouvé un antoninianus de Claude II le Gothique, émis en 270. A cet égard il faut se souvenir, j’en ai largement parlé tout à l’heure, du long séjour de l’armée de Placidianus à Cularo et l’on peut supposer, avec quelque vraisemblance, que les travaux auraient pu débuter à cette occasion ; ainsi, Prudhomme, le premier, pensait-il déjà que l’enceinte romaine de Grenoble avait pu être ébauchée dès 269, sur les ordres du futur préfet du prétoire, Iulius Placidianus.

 

En outre, le soin apporté à la construction de cet ouvrage de prestige ne saurait s’accorder avec la période de moins de 8 années du règne conjoint des empereurs dédicataires. Dès lors on pense aujourd’hui, que seul l’achèvement de l’enceinte aurait eut lieu sous leur règne, le début se situant alors, au plus tôt, sous Claude II ou, plus vraisemblablement, sous Probus, « restaurateur des Gaules » selon la formule de Camille Jullian, époque marquée par le retour de la paix et par la réalisation de nombreux ouvrages publics confiée aux légions.

 

La problématique de la datation  de l’enceinte ayant été ainsi posée, je citerai, simplement pour mémoire, les nombreux sites d’habitat intra muros connus ; place Ste Claire, rue Hache, rue Pierre Duclos, rue Bayard, place aux Herbes, rue des Clercs, rue Valbonnais, place Notre Dame et, tout particulièrement Grande Rue avec une importante densité et, probablement, des thermes.

 

Au titre des objets remarquables découverts dans le sous sol de la ville antique, j’évoquerai :

-          un buste d’enfant, rue J. F. Hache

-          un Mercure près du baptistère

-          un torse de statue sous la cathédrale

-          des bagues en or, Grande Rue, un collier en or, place Ste Claire, une perle en émeraude, rue Pierre Duclos

 

 

 

-          des coupes en verre, rue des Clercs et place Ste Claire

-          quelques objets en marbre, en bois, en cuivre

-          des fibules en bronze rue Pst Carnot et, dans la même rue un simpulum

-          de la céramique très abondante, un peu partout, dont un médaillon d’applique représentant un aurige, un acteur et un gladiateur

-          des amphores, rue Bayard, Grande Rue, rue de la République

-          des lampes, des mortiers, des pesons

-          des monnaies, enfin, un denier gaulois place Ste Claire, un quinaire place Notre Dame

-          des monnaies républicaines, rue Pst Carnot, rue de la République

-          des monnaies impériales un peu partout dont un trésor du 3° s à l’angle de la Place St André et de la Grande Rue

-          et quelques monnaies de très basse époque portant le nom de Gratianopolis.

 

Trop de temps serait nécessaire pour évoquer, même synthétiquement, le site cathédral édifié dès le milieu du 4° siècle, peut-être même avant Domninus, présent au concile d’Aquilée organisé par Gratien en 381.

Dès cette époque existait un dispositif de cathédrale double, comme à Trèves, Genève, Lyon, que le moyen âge fera perdurer par St Vincent (qui deviendra St Hugues) et Notre Dame. Le baptistère, indispensable à cette organisation, longtemps conjecturé, a finalement été révélé, vous le savez, en 1989.

 

Une telle cité devait nécessairement disposer de la parure monumentale dont était dotée toute capitale de civitas. Mais, outre le fait que les recherches archéologiques n’ont jamais été systématiques à Grenoble, la sédimentation ne facilite guère les choses ; le sol gallo romain de Grenoble subsiste sans doute encore en grande partie mais en des profondeurs telles qu’on ne peut le rencontrer qu’à l’occasion de grands travaux : - 3m rue des Clercs et place aux Herbes, - 3,5 m rue Lafayette, - 5 m rue Bayard et rue Pst Carnot et sans doute davantage encore quand on se rapproche de l’Isère : c’est le cas notamment de la place St André qui présente la particularité d’être une zone quasiment vierge de recherche archéologique et donc, sans doute, un possible champ d’exploration future.

 

Mesdames et Messieurs,

Comme cela a été le cas tout à l’heure, je vais maintenant illustrer ces deux dernières parties par des diapositives. Je ne sais si les promesses du titre un peu ambitieux de cette conférence auront été tenues mais vous avez sans doute compris, et je vous en sais gré, que je n’ai livré aujourd’hui qu’une partie des clés de la connaissance de ce que fut notre cité à l’époque romaine. J’espère néanmoins ne point vous avoir lassés par un discours un peu trop savant – ce qui n’était point le but – ou, à l’inverse, trop simpliste à force d’être réducteur – ce qui était l’autre écueil possible -

Quoiqu’il en soit, voici donc la deuxième série de clichés se rapportant au legs de l’antiquité.