LES
EVENEMENTS DE 43 AVANT NOTRE ERE
ET
CULARO
1 –
De la guerre de Modène à Cularo :
A – Les
principaux protagonistes :
Marcus
Tullius Cicero
(Cicéron) : avocat, sénateur, consul, philosophe et écrivain, auteur d’une
œuvre immense et en grande partie concernée, notamment plus de
Marcus
Antonius (Marc
Antoine ou Antoine) : consul en 44 avec César, il a 39 ans au moment des
faits et il tient l’un des premiers rôles de cette guerre civile. C’est du
reste le meilleur général de l’époque. Après les évènements de 43 il renouera
avec Octave, épousera Cléopâtre, la reine d’Egypte, avant de rompre avec Octave
et de se donner la mort en 30, peu après avoir été défait lors de la bataille
d’Actium.
Marcus
Aemilius Lepidus
(Lépide) : maître de la cavalerie de César pour l’Occident, associé en 46
au Consulat par celui-ci, il a 35 ans à l’époque des faits et gouverne
Decimus
Iunius Brutus Albinus
(Brutus) : à ne pas confondre avec son cousin, Marcus Iunius Brutus, le
fils adoptif de César et l’un de ses assassins. Mais Brutus Albinus fit
également partie des conjurés, ce qui lui coûtera la vie fin 43. Brutus avait
été lieutenant de César en Gaule dès 58 et il le secondera jusqu’au siège
d’Alésia. Il a alors 38 ans et gouverne
Caïus
Asinius Pollio
(Pollion) : orateur, poète, historien, correspondant régulier de Cicéron,
il avait accompagné César dans la campagne d’Espagne et celui-ci l’avait placé
à la tête de la première province d’Espagne. Il a 33 ans à l’époque des faits.
Caïus
Iulius Caesar Octavianus
(Octavien ou Octave) : personnage considérable de l’histoire romaine,
Octave, né vers 63, est adopté en 45 par son grand oncle, Jules César, dont il
prend le nom. En 27 avant notre ère il instituera le Principat, en fait
monarchie déguisée en république, et le sénat lui décernera le titre
d’Imperator Caesar Augutus. Auguste sera désormais son nom et il deviendra le
premier et l’un des plus illustres des 106 empereurs romains officiels. C’est l’un
des rares protagonistes évoqués qui mourra dans son lit, en 14 de notre ère, à
l’âge assez exceptionnel pour l’époque de 76 ans.
Lucius
Munatius Plancus (aux
pieds plats !) : légat de César en Gaule en 54, évoqué au livre V du
« Bellum Gallicum », il le suit en Espagne en 49 puis en Afrique en
47. Il est nommé gouverneur de
B – Le
contexte général :
Dans
la confusion qui suit la mort de César, le 15 mars 44, deux figures
émergent : le consul survivant, Marc Antoine et Lepide. Antoine a pour lui
l’armée d’Italie et, un instant, il parait être le successeur de César mais
l’ouverture du testament révèle que celui-ci avait institué pour héritier
légitime Octave, son fils adoptif. Celui-ci, alors à Apollonie dans l’actuelle
Albanie, décide de rentrer à Rome pour faire valoir son héritage. Antoine
l’accueille très froidement d’autant qu’après avoir fait revenir quatre de ses
légions de Macédoine, il a unilatéralement décidé d’échanger cette lointaine
province contres les Gaules cisalpine et chevelue. Comme Brutus refuse de céder
sa province, Antoine sans plus de cérémonie marche contre lui avec ses légions
et, dès décembre 44 l’assiège dans Mutina, Modène, en Emilie Romagne, place
forte située entre Parme et Bologne.
Les
nouveaux consuls, Hirtius et Pansa, faisant jonction avec l’armée levée par
Octave, tentent alors de dégager Modène. Dans le même temps, le sénat informe
de ces évènements les gouverneurs des provinces transalpines, Lépide en
Narbonnaise et Plancus en Gaule chevelue et leur enjoint de marcher sans tarder
contre Antoine.
Les
14 et 21 avril 44, Modène sera dégagée aux prix d’âpres combats au cours
desquels les deux consuls, Hirtius et Pansa, paieront de leur vie la défaite
d’Antoine qui parvient néanmoins à se dégager et à diriger, dès le 22 avril,
son armée en direction de
La
première phase de ce que l’on nomme « la guerre de Modène », terme
pouvant en fait s’appliquer à l’ensemble des opérations militaires de l’année
43, est alors achevée. Certains auteurs ont également considéré ces évènements
comme étant la « troisième guerre civile ». Dion Cassius, quant à
lui, parle de « guerre d’Antoine ».
C –
Chronologie des évènements :
On
connaît le détail précis des évènements qui vont alors se dérouler grâce à la
correspondance écrite par Cicéron ou reçue par lui et, plus particulièrement
par 53 des 71 lettres couvrant la période comprise entre septembre 44 et
juillet 43, conservées dans les livres X et XII des « Epistulae ad
Familiares » et dans le recueil de lettres dit « ad Brutum ».
Ces lettres, qui permettent de reconstituer une chronologie précise des
évènements, le rôle de Plancus et les raisons de son séjour prolongé à Cularo,
se répartissent ainsi :
-
13
lettres de Cicéron à Plancus,
-
12
lettres de Plancus à Cicéron,
-
3
lettres de Pollion à Cicéron,
-
3
lettres de Lepide à Cicéron,
-
1
lettre de Cicéron à Lepide,
-
7
lettres de Decimus Brutus à Cicéron,
-
6
lettres de Cicéron à Decimus Brutus,
-
4
lettres de Cicéron à Marcus Brutus,
-
2
lettres de Cicéron à Furnius, homme de confiance de Plancus.
ainsi
qu’un fragment de lettre de Plancus au sénat et un rapport conjoint de Plancus
et Brutus au sénat.
La
partie la plus importante est constituée de la correspondance échangée entre
Cicéron et Plancus : 25 lettres qui peuvent se diviser en deux
groupes : celles qui sont antérieures au séjour de Plancus chez les
Allobroges (8 lettres) et les 17 lettres écrites ou reçues de Narbonnaise.
On
n’entrera pas ici dans le détail des controverses qui se sont élevées pour
dater, à un jour près, chacune de ces lettres et pour en déterminer la
succession logique. On s’en tiendra, pour partie, à l’ordre proposé par
Sternkopf en 1910, repris par le doyen Perrochat en 1957 et par Paul Marie
Duval en 1970 et, pour partie, à l’édition 1996 de la correspondance de Cicéron
par les Belles Lettres.
Voici,
schématisée, la chronologie vraisemblable de ces évènements qui furent majeurs
pour l’histoire de Rome et qui, de ce fait, sont considérables pour notre
propre histoire locale.
(X1) : la lettre 1 se place au moment où
Cicéron a rejoint Rome, qu’il avait précédemment quittée par lassitude de la
vie politique. C’est également à cette époque qu’il commence à prononcer ses
« Philippiques », ainsi nommées par analogie aux harangues de
Démosthène contre Philippe II de Macédoine, qui seront au nombre de quatorze,
toutes dirigées contre Antoine et dont on a dit qu’elles constituaient le
dernier chef d’œuvre de l’éloquence républicaine.
La
correspondance aussi suivie entre Cicéron et Plancus tient, sans doute, à deux
éléments fondamentaux :
-
les
sentiments quasi filiaux que Cicéron, qui avait été très lié avec son père,
avait pour Plancus,
-
et
l’arrière pensée de convertir celui-ci à la cause républicaine contre la
tentation de la dictature.
Cette
correspondance met également en évidence le fait que Plancus était un lettré,
formé à l’art oratoire et donc largement digne d’être l’ami de Cicéron après
avoir été sans doute aussi un peu son disciple.
On
relèvera aussi, en outre, l’excellence du réseau routier romain dès cette
seconde moitié du premier siècle avant notre ère : les courriers mettaient
en effet quinze jour au maximum pour joindre
Dans
cette première lettre que Plancus reçoit à son camp de Confluent, futur
Lugdunum, Cicéron clame son ressentiment contre Antoine puis plide pour la
république et, habilement, lie le consulat que Plancus attend plus que toute
autre chose, au maintien du régime républicain. Il fait également appel à leurs
relations privilégiées : « l’amitié que je t’ai vouée dès ton enfance
est due à mes relations vec ta famille établies dès avant ta naissance »
dit-il, ajoutant : « elle s’est accrue avec le temps ».
(X2 et X3) : la seconde et la troisième
lettre de Cicéron, datées également de septembre 44 sont de même nature. Tour à
tour, il flatte Plancus : « on m’a parlé de tes talents militaires,
de ta justice dans le gouvernement de la province, de ta prudence en toutes
choses » et le met, dans le même temps, en garde : « quelle plus
belle occasion d’acquérir la gloire que de défendre la république ; il
n’est rien qui puisse te procurer plus de profit et plus de gloire, rien parmi
les choses humaines qui soit plus beau ou plus grand que de bien mériter de la
république ». Il lui parle aussi de ses défauts, disant qu’on lui reproche
« nimis servire temporibus »,
autrement dit « d’être trop souvent temporisateur ».
(X4) : Plancus répond fin novembre ou
début décembre 44 à Cicéron, s’excusant d’avoir laissé interrompre la
correspondance et protestant de son respect filial. Il affirme son dévouement à
la cause républicaine et précise, non sans fierté, qu’il protège
(X5) : Cicéron, le sentant largement
hésitant, l’exorde peu après de manière encore plus pressante : « je
ne te conseille donc pas seulement, cher Plancus, mais encore je te prie de
consacrer à la république toute la puissance de ton esprit et tout l’élan de
ton cœur ». Ainsi, ajoute t-il un peu perfidement, « ne pourra t-on
plus dire que tu n’as obtenu les plus beaux résultats que grâce à ta
fortune ».
Intervient,
à partir de cette lettre, un hiatus que les historiens n’ont pas expliqué. En
effet, du milieu de décembre 44 jusqu’au 20 mars 43 nous n’avons nulle trace de
correspondance entre Plancus et Cicéron.
(X31) : le 16 mars 43, Pollion, qui vient de
recevoir en Espagne une lettre du consul Pansa qui l’appelle, s’excuse auprès
de Cicéron de n’avoir pas défendu activement la république mais plaide dans le
même temps sa cause : on l’a laissé dans ordres précis et il est fort loin
de Modène et de Rome.
(XVII) (fragment non répertorié) : dans
le même temps et, en tout état de cause avant le 20 mars 43, le sénat avait
reçu des lettres officielles de Plancus et de Lépide préconisant de faire la
paix avec Antoine ou, à tout le moins, de négocier avec lui plutôt que de lui
faire la guerre.
Ces
lettres, qui semblent avoir été fort peu appréciées par le Sénat, amènent
Cicéron à hausser quelque peu le ton. Tout d’abord, le 20 mars 43 à l’égard de
Plancus :
(X6) : « c’est la sympathie qui me
pousse à t’écrire ainsi un peu sévèrement », rappelant peu après « en
prenant cette règle de conduite (celle que Cicéron lui conseille), qui est
digne de toi, tu reconnaîtras à l’usage qu’elle était la vraie ».
Puis,
sans doute le même jour, Cicéron écrit à Lepide :
(X27) : « tu serais plus sage, à mon
avis, en ne te mêlant pas d’une sorte de pacification qui n’a l’assentiment ni
du sénat, ni du peuple, ni d’aucun bon citoyen ».
(X7) : dans le même temps, Plancus qui n’a
bien évidemment pas encore reçu la lettre du 20 mars de Cicéron lui écrit,
toujours soucieux de sa gloire et de sa dignité : « ce que je te
demande, lui dit-il, c’est de travailler pour ma dignité et, après m’avoir
attiré vers la gloire en éveillant mes espérances, de stimuler pour jamais mon
ardeur en les réalisant », ajoutant « je suis certain que tu en as
tout autant le pouvoir que la volonté ». Il rappelle enfin, une fois de
plus, (mais est-ce bien réel ?) qu’il protège
(X8) : vers le 23 mars, nouvelle lettre de
Plancus qui, semble t-il, éprouve le besoin de se justifier tant auprès de
Cicéron que du sénat d’avoir « tenu trop longtemps en suspens l’attente de
ses concitoyens et l’espoir que la république plaçait en ses décisions ».
Il précise que s’il n’a pas pris de décision plus rapide c’est dans l’intérêt
public : il lui fallait d’abord s’assurer du loyalisme de l’armée, de la
fidélité de beaucoup de cités et se ménager l’appui de ceux qui étaient à la
tête des provinces et des armées du voisinage en vue d’augmenter ses effectifs
militaires. Il dit avoir désormais sous ses ordres cinq légions sur le courage
et la fidélité desquelles la république peut compter. Sa province, ajoute t-il,
est calme et lui fournit cavalerie et auxiliaires.
(X10) : le 30 mars Cicéron, qui ignore les
dispositions d’esprit de Plancus, lui exprime une fois de plus son amitié et
lui rappelle quelles seront les récompenses qu’il obtiendra s’il défend
résolument le république.
(X12) : le 11 mars 43, Cicéron qui a alors
reçu les lettres de Plancus, le remercie de lui avoir fait connaître ses
intentions et lui fait part de la satisfaction du sénat.
(X9) : fin avril intervient l’une des plus
importantes lettres de Plancus à Cicéron. C’est la première à être datée de
Narbonnaise en un lieu non précisé : « in Gallia Narbonnensis ».
Le 26 avril, il a traversé le Rhône (à Lyon selon les uns, à Vienne selon
d’autres) et envoyé au devant de lui des cavaliers (1000 selon cette lettre,
3000 selon une lettre écrite peu après) en direction de l’Italie, par le col du
petit Saint Bernard, en avant-garde de son armée qu’il met en ordre pour aller
délivrer Modène. Mais lui-même se donne, comme toujours, le temps de la
réflexion. Il est clair, dès ce moment là, que son objectif n’est pas Modène
mais Cularo. Son intention, mal étudiée par les historiens car fortement
problématique, parait être de saisir des gages, d’exercer sur Lepide une
pression de nature à l’empêcher de rejoindre Antoine et surtout, sans doute, de
s’assurer les passages des Alpes en vue de secourir, mais sans urgence, Brutus
dans Modène. Il est sans doute aussi, et avant tout, incertain des intentions
de Lepide, gouverneur légitime de
(XI9) : le 27 avril, peut être un peu
légèrement, le sénat décide de confier à Brutus le commandement de toutes les
forces rassemblées autour de Modène pour la poursuite des opérations contre
Antoine et, deux jours plus tard, Brutus, de Reggio Emilie, à
(X11) : peu après, vers le 1er
mai, Plancus dans une nouvelle lettre à Cicéron précise ses intentions. Il
pensait, dit-il, se diriger sur Modène lorsqu’il a appris en chemin que la
bataille avait été gagnée et que Brutus était délivré. Il a alors considéré
qu’Antoine et ce qu’il lui restait de troupes ne pouvait se replier qu’en Gaule
Narbonnaise et qu’il n’avait, dès lors, qu’une espérance : Lepide et son
armée « aussi enragée, dit-il, que celle qui avait été sous les ordres
d’Antoine ». Dans ces conditions, Plancus dit avoir rappelé sa cavalerie
(il parle ici de 3000 hommes) et s’être arrêté chez les Allobroges pour être,
selon ses termes « prêt à tout ce que dicteraient les
circonstances ».
Si
Antoine vient contre lui, soit seul, soit avec l’armée de Lepide, il résistera.
En attendant, en dépit de sa haine personnelle pour Lepide, il va négocier avec
lui par l’intermédiaire de son frère et de Laterensis, lieutenant de Lepide.
C’est dans cette lettre qu’il fait état, de manière non innocente, du soutien
qu’il s’est assuré de la 10ème légion, fameuse dans les commentaires
de César, celle en qui l’impérator avait la plus grande confiance (BG I, XVII)
et que Plancus dit avoir remis dans le droit chemin.
Interviennent
alors une lettre de Cicéron à Plancus (X14)
l’exhortant à « détruire ce qu’il reste de l’armée d’Antoine » et
une lettre de Brutus à Cicéron (XI, 11) datée
du lendemain de Ligurie Alpestre, par laquelle celui-ci indique avoir écrit à
Plancus, dont il se défie d’ailleurs comme nous l’avons vu, et précise qu’il
attend des députés des Allobroges et de toute
(X13) : vers le 10 mai, Cicéron, qui n’a pas
encore reçu la dernière lettre de Plancus, l’informe du senatus consulte pris, sur sa proposition et en son honneur, au
reçu de sa lettre l’informant du passage du Rhône (on ne connaît pas la nature
des honneurs décernés à Plancus) et l’exhorte à terminer la guerre contre
Antoine car, pour Cicéron, il parait clair qu’Antoine ne s’est pas enfui de
Modène mais qu’il a seulement déplacé le théâtre des opérations.
(X15) : 11 mai 43 ; Dans le même temps,
Plancus qui, bien évidemment, ignore le décret le couvrant de gloire, écrit à
Cicéron une longue lettre d’ « en deçà de l’Isère » (Cis Isaram U). Il a eu des négociations
favorables avec Lepide. Le gouverneur de
D’un
point de vue historique, cette lettre est d’une importance considérable pour
nous. Plancus jette, en un jour, un pont sur l’Isère, grand fleuve – j’y
reviendrai – fait traverser son armée et, apprenant que Lucius, frère
d’Antoine, parti en reconnaissance avec la cavalerie, s’est avancé jusqu’à
Forum Iulii (aujourd’hui Fréjus), envoie à sa rencontre son propre frère,
Plotius Plancus, avec ses cavaliers – il dit ici 4000 cavaliers – qu’il suivra
à grandes étapes avec quatre légions sans bagages et le reste de la cavalerie.
Se
posent ici deux problèmes majeurs :
-
la
date précise de l’évènement : la cavalerie part, cela est indiscutable,
après l’armée et non avant, ce qui induirait qu’elle ait traversé l’Isère avant
même l’édification du pont. C’est pourquoi, les auteurs modernes ont proposé de
corriger le manuscrit, qui indique littéralement que le pont aurait été
« franchi par l’armée le 4ème jour avant les Ides de mai et que
la cavalerie était partie le 5ème jour des mêmes ides, en
substituant à quatrième le septième jour avant les ides de mai et en consevant,
pour la cavalerie, le cinquième jour, ce qui conduit à dater le pont sur
l’Isère du 0 mai et le départ de la cavalerie du 11 mai.
-
La
situation précise de Cularo, alors emplacé selon toute vraisemblance sur la
rive droite : le très lourd débat entre rive droite et rive gauche, que
j’ai largement traité dans « Grenoble antique » n’a bien sur pas lieu
d’être évoqué ici. On observera néanmoins que Plancus, qui allège ses légions
en laissant à Cularo les bagages de la troupe, a sans doute, à ce moment
précis, l’intention d’y revenir prochainement.
(X21) : intervient alors la lettre de
Plancus à Cicéron, écrite sans doute el 13 ou le 14 mai du « camp de
l’Isère » (In castris ad Isaram) :
« je t’ai écrit dit-il, il y a deux jours que j’avais confiance dans
Lepide mais celui-ci vient de me faire savoir qu’il pouvait mener l’affaire à
bien par lui-même et que je dois l’attendre sur les bords de l’Isère ». Il
ajoute : « je ne veux pas fournir à ces traites pareille aubaine et
exposer mes troupes en compromettant irrémédiablement la situation. Je vais
donc, poursuit-il, revenir en arrière et me cantonner dans la défensive »
mais il demande, sans retard, des troupes en renfort pour sauver la république
car son sort peut se jouer ici, c'est-à-dire sur les bords de l’Isère.
(X34 et X34a) : les 18 et 22 mai 43, du sud
est de
(X18) : mais, nouveau revirement, le 8
mai 43 Plancus informe Cicéron qu’à la suite d’une nouvelle démarche de Lepide
– qui cherchait peut être alors à lui tendre un piège – il quitte son camp de
l’Isère ce même jour, après avoir muni de deux ouvrages fortifiés les têtes de
pont sur l’Isère, laissant sur place des troupes suffisantes pour les défendre
afin que Brutus, en y arrivant avec son armée, puisse franchir le fleuve sans
retard. « Quant à moi, ajoute t-il, j’espère que dans huit jours à dater
de cette lettre je ferai ma jonction avec les troupes de Lepide ».
(X17) : peu après le 18 mai 43, dans une
lettre écrite sans doute pendant qu’il faisait route vers le sud, « Scr.
Ex itinere ad Forum Voconii » (en route vers Forum Voconii), Plancus indique à Cicéron qu’il sait
qu’Antoine est arrivé à Forum Iulii, cependant que Lepide est campé à 24 milles
pas de là Forum Voconii et l’attend. Le choix de Forum Voconii semble avoir été
déterminé par l’arrivée sur ce point de la route venant de Cularo, ce qui le
mettait en communication directe avec Plancus. « Porte toi bien »,
souhaite t-il à Cicéron, ajoutant une fois encore « et défend ma
dignité ».
(XI13) : dans le même temps, Brutus, de
Pollentia en Ligurie, écrit à Cicéron qu’il a appris le déplacement d’Antoine.
Il se rend à marches forcées dans le pays des Allobroges et souhaite arriver
avant qu’il ne soit trop tard.
(X34) : toujours dans le même temps, Lépide
écrit à Cicéron : « … j’ai gagné Forum Vocontium à marches
ininterrompues et établi mon camp plus loin au bord de l’Argens, face aux
Antoniens… ». « Plus loin », c'est-à-dire, selon toute vraisemblance,
plus à l’est car, deux lignes plus loin il ajoute « au-delà du mien »
(sous entendu « qui viens de l’ouest »). Il date sa lette de
« In castris ad Pontem Argenteum ». Il implante donc son camp à
proximité d’un pont sur l’Argens.
(X34a) : une nouvelle lettre de Lépide
à Cicéron du 22 mai 43 est également datée d’ « Ad Pontem
Argenteum ». C’est le jour de sa jonction avec Antoine qui s’est donc
opérée sur le pont ou à proximité immédiate.
(X16, X19, X 20) : entre temps, Cicéron avait adressé à
Plancus plusieurs lettres pour l’informer de la satisfaction du sénat du 11 mai
pour louer son très grand courage et son extrême habileté et pour lui demander
également si Lepide suivait la république ou optait pour Antoine.
Ironie
du sort, la dernière de ces lettres, datée du 29 mai 43, était écrite au moment
même où Lépide et Antoine faisaient leur jonction au Pont d’Argens.
(X35) : le lendemain, en effet, Lepide écrit
au sénat que son armée s’est soulevée et que « pour éviter de faire couler
le sang des citoyens » il a joint ses forces à celles d’Antoine.
Discussion :
Lépide
vient, cela est incontestable, de Forum Voconii. S’il emprunte – ce qui est
largement vraisemblable – le tracé dit républicain, il passe alors à
Châteauneuf et s’arrête non loin du « Pons Argenteus » sur la rive
gauche. Ce pont serait alors celui d’Astros et, en ce cas, Antoine serait campé
sur la rive droite de l’Argens vers « le Pis » ou « le Plan de
Mais
selon Camille Jullian (H. G. I, 1149) Lépide aurait campé sur la rive sud dans
la plaine, en amont du pont d’Argens ou sur la colline « en arrière de la
chapelle Sainte Anne ». Dans le même temps, selon lui, Antoine aurait
campé aux « Quatre Chemins » ou « derrière la chapelle Saint
Martin ». Selon P. A. Février c’est également au pied de la butte de
Tardeau qu’aurait eu lieu la confrontation.
Ces
théories se heurtent cependant à deux obstacles : les « Quatre
Chemins » correspondent davantage au tracé post républicain et à Saint
Martin il n’y avait, au mieux, qu’un gué. Le contexte de Rondin se prête mieux
à une concordance avec les testes qui semblent montrer que les camps étaient
situés de part et d’autre de l’Argens et qu’il y avait sur cette rivière un
pont.
Telle
n’est cependant pas la version d’Appien (« les guerres civiles à
Rome », chapitre XII, 340) : « Antoine gagna le bord d’une
rivière ou Lépide avait installé son camp et il établit le sien à coté
(cela peut toutefois signifier en face) sans l’entourer d’une palissade ni d’un
fossé, exactement comme on campe à coté d’un ami ».
(X 33) : dans le même temps, Pollion toujours
très éloigné du théâtre des évènements écrit à Cicéron de Cordoue, en Espagne
Ultérieure, pour dire qu’il reçoit des nouvelles alarmantes de Gaule et combien
il déplore qu’on ne l’ait pas appelé en Italie par le même décret que celui
destiné à Plancus et à Lepide, assurant que si tel avait été le cas, la
république n’eut pas reçu cette dernière blessure (il s’agissait là, en
l’occurrence, non de la jonction de Lepide et Antoine mais de la fuite de ce
dernier de Modène car les courriers mettaient environ quarante jours pour
parvenir à Pollion).
(X23,2) : le 29 mai se produit le grave
évènement tant redouté par les républicains : « Lépide cédant plus ou
moins à la pression de ses troupes ouvre les portes de son camp aux soldats
d’Antoine qui fraternisaient de plus en plus ouvertement avec les gens d’en
face (Appien). Dorénavant, il fait cause commune avec lui. Sa brève dépêche
officielle datée du 30 mai ( X35)
alléguant la contrainte exercée sur lui par ses troupes mais faisant sienne
leur soir de concorde civile est confirmée pour l’essentiel par le récit
détaillé d’Appien et par les indications que fournit la lettre Plancus du 6
juin 43.
(X23) : doit être placée à ce moment
crucial de l’enchaînement des évènements la célèbre lettre du 6 juin 43 de
Plancus à Cicéron. Elle mérite une large attention car c’est la première à être
expressément datée de Cularo : « Octavo
idus Junias Cularone ex finibus Allobrogum » : « le huitième
jour avant les Ides de Juin de Cularo en pays Allobroge ».
C’est
une fort longue lettre dans laquelle Plancus cherche une fois encore à se
justifier. Il ne veut pas qu’on l’inculpe de témérité et prend soin de rappeler
pourquoi il s’est lancé dans cette aventure : « je ne regretterai
jamais, mon cher Cicéron, de m’être exposé aux plus grands dangers pour le
service de la patrie pourvu que si il m’arrive malheur on ne le reproche pas à
ma témérité. Je confesserais mon imprudence si j’avais vraiment confiance en
Lepide… Sur quoi faire tomber le reproche ? Sur ma pudeur, vertu très
périlleuse dans la guerre qui m’a forcé de subir cette
aventure ?… ».
Puis,
il raconte ce qui s’est passé depuis son départ de Cularo : « je
craignais en restant dans le même lieu que mes ennemis pussent penser que ma
haine contre Lepide était trop opiniâtre et que je cherchais à prolonger la
guerre par mon inaction. C’est pour cela que j’ai fait avancer mes troupes
presque en vue de Lepide et d’Antoine et que je me suis arrêté à 40 000
pas d’eux pour avoir la possibilité de les approcher promptement ou de me
retirer sans difficulté ».
Il
justifie ensuite sa stratégie : « le terrain que j’avais choisi me
donnait pour moi une grand fleuve – le Verdon – que l’ennemi ne pouvait passer
sans perdre de temps. Derrière, j’avais les Voconces dont la fidélité me
répondait de tous les passages. Lepide, désespérant de me voir arriver, avait
fait alliance avec Antoine le 4 des calendes de Juin – le 29 mai – et, le même
jour, tous deux s’étaient mis en marche dans ma direction. Ils n’étaient plus
qu’à 20 000 pas lorsque j’en fus informé. En un clin d’œil, grâce à la
bonté des dieux, tout fut disposé pour ma retraite et je pus l’effectuer sans
avoir l’air de fuir. Rien n’est resté en arrière et ces forcenés, qui croyaient
déjà tenir leur proie, ne purent saisir ni un fantassin, ni un cavalier, ni le
moindre bagage. La veille des Nones de juin – le 4 juin – mes troupes avaient
toutes repassé de l’autre coté de l’Isère et les ponts que j’avais fait jeter
étaient rompus ; « pontisque
quos feceram interrupi ». Mes hommes auront ainsi le temps de se
regrouper et je pourrai faire ma jonction avec mon collègue (Brutus) que
j’attend sous trois jours.
Il
précise enfin qu’il lui parait avoir bien mérité de la république et, tout en
témoignant une fois encore sa fidélité à Cicéron, réclame la venue d’Octave
avec ses troupes très solides.
La
vérification minutieuse des distances montre que le « Pons
Argenteum » de la rencontre doit bien être situé à Rondin : outre que
ce point est situé sur le tracé le plus ancien de l’accès à Forum Voconii, les
données épistolaires (« Forum Voconii qui locus a Foro Iuli quatuor et
viginti millia passus abest ») s’accordent parfaitement avec l’hypothèse
du pont ouest (situé à
Mais,
en admettant que les deux armées aient bien campé de part et d’autre du pont de
Rondin (Lépide sur la rive sud et Antoine sur la rive nord) que serait-il
advenu si Plancus avait poursuivi sa marche jusqu’à Forum Voconii, ignorant du
reste que dans le même temps Lépide avait quitté le Forum pour gagner les bords
de l’Argens ? Il serait alors nécessairement tombé sur l’armée d’Antoine
et non sur celle de Lépide. A moins d’admettre – ce que ne disent nullement les
textes – que Lépide, venant de Forum Voconni ait traversé l’Argens à Rondin et
ait établi alors son camp sur la rive droite, cependant qu’Antoine, venant de
Fréjus, aurait suivi une voie jusqu’à Châteauneuf puis établi son camp sur la
rive gauche. Ou, tout simplement, que Lépide avait bel et bien tendu un piège
fatal à Plancus !
(XI,14) : le 7 juin, Cicéron, dans un message
à Brutus, lui lisse entendre que les légions d’Afrique sont attendues. Où,
quand, comment ? Il ne s’y aventure guère.
(XI, 13a) : aux environs du 8 juin 43, les
légions de Brutus arrivent enfin à Cularo. Peu après, Plancus et Brutus
envoient un rapport officiel au sénat, daté de « Cularone » qui ne
nous est que partiellement parvenu. Ils promettent de résister à l’attaque
d’Antoine et de Lepide s’il advient qu’ils puissent franchir l’Isère mais
demandent avec insistance au sénat de ls pourvoir en troupes et en
approvisionnement de toute sorte.
(Ad Brutus, I,10) : vers la mi juin, Cicéron, dans
une lettre à Marcus Brutus campé en Macédoine, fait grief à son cousin Decimus
d’avoir laissé échapper la victoire par accumulation de fautes ayant notamment
permis à Lepide d’avoir tout le temps de s’organiser. Il admet toutefois pour
sures son armée et celle de Plancus qui disposent, de surcroît, de forces
gauloises loyales et considérables mais l’exhorte à accourir pour libérer, de
manière décisive, la république.
(XI, 25) (18 juin) : ne négligeant
absolument rien, Cicéron écrit à Decimus Brutus pour lui dire que, sur lui et
sur son collègue Planus, reposent désormais tous les espoirs de la république.
(X22) : la dernière lettre connue de Cicéron
à Plancus est de fin juin 43. Il lui indique que le sénat a été comblé de joie
de voir la bonne entente régnant entre Brutus et lui et lui tient, du reste, le
même discours qu’au susnommé : tous les espoirs de la république reposent
sur lui et sur son collègue. Il lui joint le compte rendu de la séance du sénat
au cours de laquelle a été voté le décret réglant les modalités de
l’attribution de terres aux vétérans que Plancus réclamait depuis un certain
temps.
(X24) : un terme est mis à cette
correspondance par la réponse de Plancus, datée expressément du 28 juillet 43
d’ « In castris ad cularonem »,
les camps de Cularo. Il remercie Cicéron de sêtre occupé des intérêts de
ses soldats : ce sera la fondation de la colonie de Lugdunum. Il lui
rappelle également, une nouvelle fois, qu’il compte sur des secours car,
dit-il, si l’ensemble de l’armée stationnée à Cularo est considérable (il la
décrit : trois légions de vétérans et une de recrues dans son camp, une
légion de vétérans, une formée deux ans plus tôt et huit de recrues dans le
camp de Brutus), elle est mince par sa solidité. Il déplore que, ni l’armée
d’Afrique, faite de vétérans, ni celle d’Octave ne soient venues le rejoindre
car, en ce cas, le sort de la république serait assuré.
On
observera que, si tel avait été le cas, une probable « bataille de
Cularo » aurait pu sauver la république romaine !
L’épilogue
est connu : en août 43, Octave se fait nommer consul et son premier acte
est la « Lex Pedia »
dirigée contre les meurtriers de César et révoquant l’amnistie de mars 44.
Brutus est banni et Plancus, craignant que son consulat ne soit remis en cause,
se sépare de lui en septembre 43. C’est sans doute vers cette époque qu’il
fonde effectivement la « Colonia
Copia Felix Munatia Lugdum », la « prospère et heureuse colonie
de Munatius » !
Peu
après, vraisemblablement en octobre 43, il fait allégeance à Antoine et à
Lepide, remettant au premier trois de ses légions et les deux restantes au
second. Dans le même temps, il remet le gouvernement de sa province aux
nouveaux maîtres que sont Octave, Antoine et Lepide qui scellent leur alliance
près de Bologne avant de marcher sur Rome pour se faire nommer « tresviri reipublicae constituendae »,
triumvirs à pouvoir constituant.
Peu
après, ce sont les proscriptions, l’assassinat de Brutus et, le 17 décembre 43,
celui de Cicéron sur l’ordre d’Antoine qui fera dépose sa tête et ses mains –
celles qui avaient écrit les « Philippiques » au sénat.
Revenu
à Rome, Plancus célèbre le 29 décembre son triomphe au Capitole et le 1er
janvier 42 il commence sont tant espéré consulat.
II –
le pont de Plancus à Cularo :
Illustre
mais éphémère pont de l’Isère ! Son existence aura été brève : du 9
mai au 4 juin 43 soit 27 jours.
Pour
l’étudier, il importe de revenir aux sources littéraires et, tout d’abord, la
lettre de Plncus à Cicéron du 11 mai 43. Plancus, pour rejoindre au plus vite
Lépide à Forum Voconii construit, en un seul jour (ponte uno die facto) un pont sur l’Isère qui, de toute évidence, ne
devait donc pas pouvoir être franchie à gué et le traverse le 9 mai avec son
armée. On a vu dans ce qui précède qu’en fait, ayant reçu peu après un message
contraire de Lepide, Plancus a repassé l’Isère et que le 18 mai il est donc
toujours sur la rive droite. Ce jour là, à la suite d’un revirement de Lepide,
il retraverse l’Isère sur son ouvrage après avoir muni d’une redoute chaque
tête de pont et y avoir laissé une garnison pour le défendre en attendant
Brutus qui, venant d’Italie, gagne à marche forcée Cularo.
Puis,
le 4 juin Plancus indique « j’ai fait repasser l’Isère à mes troupes et
j’ai rompu les ponts que j’avais construits. On notera qu’il dit ici « les
ponts » alors que dans les lettres précédentes il parle du pont.
Le
doyen Perrochat n’y voyait pas de contradiction particulière, le pluriel selon
lui étant employé parce que le pont devait être formé de plusieurs palées,
rappelant, à titre d’exemple, que Tacite dans le livre II de ses
« Annales » employait indistinctement en pareil cas le singulier
comme le pluriel.
A
quoi pouvait ressembler ce pont et où était-il situé ?
Sur
le premier point, la réponse est partiellement donnée par Plancus lui-même qui,
tout en vantant son exploit d’habile pontonnier – un pont jeté en un seul jour
sur le grand fleuve – rassure sur sa solidité : « j’y ai fait passer
mon armée » et sur sa pérennité : il a consolidé la jetée et a placé
deux redoutes à ses extrémités.
Ce
n’était donc pas comme on l’a parfois dit un « pont de bateaux » mais
un solide ouvrage en bois.
Mais
que faut-il penser de l’expression « flumine
maximo », littéralement « grand » voire même « très
grand » fleuve qu’emploie Plancus ? Pilot considérait que Plancus
avait trouvé l’Isère débordée, circonstance qui lui permettait d’employer cette
expression. Mais il y a sans doute une autre explication. A bien y regarder, en
effet, au mot « fleuve » devrait correspondre le terme « fluvius », indiquant comme de nos
jours un cours d’eau très important. Or, César ne l’emploie jamais dans
Enfin,
pou tenter d’aller plus loin encore dans la conceptualisation de ce pont
« édifié en un seul jour », il convient peut être, pour mieux
comprendre le sens des écrits de Plancus, de se référer au « Bellum
Gallicum » de César, écrit pour l’essentiel durant l’hiver 52-51 à
Bibracte où il avait pris ses quartiers. Selon toute vraisemblance Plancus, qui
faisait alors partie de l’état major de César, connaissait parfaitement le récit
de
En
effet de nombreuses analogies existent entre le récit de César et la
correspondance de Plancus. Celles-ci méritaient sans doute d’être relevées.
B.
G. IV,17 :
« César… avait décidé de franchir le Rhin ; mais les bateaux lui
semblaient un moyen trop peu sur et qui convenait mal à sa dignité et à celle
du peuple romain. Aussi, en dépit de l’extrême difficulté que présentait la
construction à cause de la largeur, de la rapidité et de la profondeur du
fleuve, il estimait qu’il devait tenter l’entreprise ou renoncer à aire passe
ses troupes autrement ».
Les
motifs qui président à l’entreprise, que Caton fustigea à Rome, sont finalement
mineurs face au désir de César d’accomplir un exploit propre à frapper les
imaginations : franchir ce fleuve mythique, d’une largeur extraordinaire,
Suivent
alors les détails très précis de la construction du pont sur le Rhin :
« Voici
la nouveau procédé de construction qu’il employa. Il accouplait à deux pieds (
Et
alors :
(B.
G. IV,18) : « dix jours après qu’on avait commencé à apporter les
matériaux, toute la construction est achevée et l’armée passe le fleuve ».
On
comprend dès lors mieux, face à cet extraordinaire exploit des pontonniers
romains que Plancus, avec une technique identique ait pu faire édifier en un
seul jour un pont sur l’Isère, dont la largeur était, même en crue, sans
commune mesure avec celle du Rhin.
En
outre, les précautions prises par César sont également celles que Plancus met
en œuvre douze ans plus tard.
(B.
G. IV,18) : « César laisse aux deux têtes du pont une forte garde et
se dirige vers le pays des Sugambres ».
(Ad
Fam. X 18) : « J’ai donc quitté mon camp de l’Isère le 19 mai après
avoir muni de deux redoutes les têtes du pont que j’avais fait construire et
j’y ai laissé des troupes suffisantes pour les défendre ».
Et,
au bout du compte, les deux ponts ont le même sort :
(B.
G. IV,19) : « Après dix huit jours complets passés au-delà du Rhin,
estimant avoir atteint un résultat suffisamment glorieux et suffisamment utile,
César revint en Gaule et coupa le pont derrière lui ».
(Ad
Fam. X 23) : « Et ainsi, la veille des nones de juin, mes troupes
avaient toutes repassé l’Isère et les ponts que j’avais fait jeter étaient
rompus ».
Sur
le second point – la localisation du pont de Plancus – on a généralement admis
qu’il fallait le situer à l’emplacement du pont Saint Laurent, c'est-à-dire,
pour ce qui concerne la rive droite, dans l’axe de la voie romaine de Vienne et
de celle du Petit Saint Bernard soit les actuelles place de
A
bien y regarder, cet emplacement était, sinon le seul possible, du moins le
plus rationnel entre les contreforts de
Toutefois
dans un ouvrage récent (Cularo, Gratianopolis, Grenoble, 2006), Bernard Rémy et
Jean Pascal Jospin proposent un emplacement inédit. Les deux auteurs
considèrent en effet qu’en raison de la place prise par les fortifications
construites à chaque extrémité du pont, l’ouvrage ne pouvait avoir été installé
à l’emplacement de la passerelle Saint Laurent car la place de
Enfin,
à ce stade du débat, on ne taira pas l’opinion de Camille Jullian :
celui-ci, curieusement traduit deux fois l’ « Isaram » de Plancus
(c'est-à-dire, sans confusion possible, l’ « Isara » de Florus, l’
« Isar » de Strabon, la « Skaras » de Polybe) par le Drac
(qui n’est pas cité dans les textes antiques) et estime que Plancus l’aurait
franchi le 12 mai 43 à Pont de Claix, avant de camper sur l’autre rive, à
Claix. Son explication est la même pour les évènements du 4 juin : Jullian
considère que Plancus repasse le Drac et coupe le pont, ajoutant paradoxalement
« et revient à Grenoble où Brutus le rejoint » !
C’est
ce que le doyen Perrochat appelait une « explication désespérée »
estimant, à juste titre, que Plancus, venant du nord, ne pouvait confondre
l’Isère et le Drac. Mais on retrouve d’ailleurs le même type d’explication chez
Gariel (Histoire du Dauhiné, 1864) qui voyait en Echirolles le nom corrompu de
Cularone.
Au
surplus, si l’on suit Jullian et Gariel, Plancus se serait donc retrouvé
nécessairement, après avoir coupé le pont, sur la rive gauche de l’Isère et,
dès lors, on voit mal comment Brutus, arrivant par la rive droite, aurait pu le
rejoindre.
De
plus, B. Rémy et J. P. Jospin rappellent, à juste titre, que le Drac, du moins
en 1407, est localisé vers l’actuel cours Jena Jaurès. S’il en allait de même
en 43, Plancus pouvait, dès lors, rejoindre Varces et le col de la croix Haute
en longeant le piémont du Vercors sans avoir a traverser un autre cours d’eau.
3 –
La problématique des « camps de l’Isère » :
Plancus
les évoque à quatre reprises : les 13, 15 et 18 mai, sous la forme « castris ad Isaram » et le 28
juillet sous la forme « castris ad
Cularonem ».
Dès
lors, ce quartier général ne peut qu’être situé, semble t-il, sur les
contreforts de Chalemont, servant de défense naturelle sur la rive droite pour
que le fleuve soit un fossé infranchissable à un ennemi venant du sud.
On
a toutefois la plus grande peine à conceptualiser que les cinq légions, leurs
auxiliaires et la cavalerie aient pu être installées aussi durablement (près de
trois mois) sur aussi peu d’espace car, au minimum, 100 à
Quant
au camp de Brutus, la lettre du 28 juillet est sans équivoque possible :
il était distinct de celui de Plancus. Mais il ne devait guère en être éloigné
et les deux camps additionnés représentent une concentration militaire
absolument prodigieuse. En effet, on l’a vu, Plancus disposait de cinq légions,
dont la prestigieuse dixième légion que César cite, avec insistance, au moins
douze fois dans
On
sait, à cet égard, que les légions comportaient de César jusqu’au Principat
chacune de 5000 à 6000 hommes outre les « calones » (valets), les esclaves, les palefreniers,
l’artillerie, le génie, soit, d’après Christian Goudineau, pour chaque légion
un nombre équivalent d’auxiliaires ce qui donnerait pour Plancus un minimum de
50 000 hommes, cavalerie en sus. A cet égard, Plancus parle d’abord de
1000 cavaliers (X9) puis de 3000 (X11) et enfin de 4000 (X15), non comprise
celle qu’il conservait avec lui, sans doute au moins une aile, peut être deux,
soit 1000 cavaliers supplémentaires c'est-à-dire, au total, environ 5000 hommes
supplémentaires.
Doivent
être ajoutées les bêtes de sommes (les « juventa ») nécessaires au transport des bagages réglementaires
et personnels des légionnaires : au moins 500 et autant de palefreniers
par légion. Puis les chariots transportant les pièces d’artillerie démontées,
les matériels nécessaires au Génie, les convois de vivre et de fourrage soit
3000 à 4000 bêtes de somme supplémentaire et leurs convoyeurs.
Ainsi,
l’armée de Plancus comportait-elle, au minimum, 50 00 hommes, 5000 cavaliers,
20 000 à 22 000 bêtes de somme, des milliers de chariots,
c'est-à-dire une colonne en marche d’au moins
Brutus,
pour sa part, avait quitté Modène avec ses propres légions, en avait levé de
nouvelles en cours de route et a atteint Cularo avec dix légions soit environ
100 000 hommes.
C’est
donc une armée de 150 000 hommes, au moins 60 000 bêtes de somme et
presque autant de chariots qui auraient été rassemblés à Cularo en 43 avant
notre ère.
Une
telle armée est prodigieuse à concevoir : c’est, par comparaison, près de
trois fois plus que celle d’Hannibal, 175 ans plus tôt.
Mais,
saura t-on jamais où avaient été installés les camps de cette extraordinaire
armée dont l’archéologie n’a, à ce jour, révélé aucune trace !
4 –
Plancus après les évènements de 43 :
Après
son accession au consulat en 42, Antoine l’envoie gouverner les provinces
d’Asie mais il s’en fait chasser, assez rapidement, par Labenius. En 36, il est
consul suffect (ceux qui succédaient aux consuls officiels). Gouverneur de
Il
semble ensuite avoir vécu une existence paisible et épicurienne dans sa
résidence de Tibur avec l’amitié de personnages comme Horace qui lui dediera
l’une de ses odes.
La
date de sa mort, comme du reste celle de sa naissance, est imprécise. Il avait
néanmoins atteint un âge avancé, entre 75 ans et plus de 90 ans.
Son
mausolée, l’un des mieux conservés du haut empire après celui d’Auguste existe
toujours près de Gaète au nord de Naples. Au dessus de la porte est encastrée
une inscription monumentale qu’il fit graver de son vivant : « Lucius
Muniatus, fils de Lucius, petit fils de Lucius, arrière petit fils de Lucius,
Plancus. Consul, censeur, imperator deux fois, septemvir du collège des Epulos.
Il triompha sur les Rhètes. Avec le butin il fit un temple de Saturne. Il lotit
des terres en Italie à Bénévent. En Gaule il déduisit les colonies de Lugdunum
et de Raurica.
Autrement
dit son épitaphe (si l’on excepte les titres honorifiques de consul suffect et
de censeur) ne retrace que la partie de sa vie antérieure à 42. Il est vrai que
le reste n’est guère glorieux tant Plancus s’était attiré de haines du fait de
ce que l’on a appelé son arrivisme et son « sens maladif de la
trahison ».
Seuls
les historiens français et et suisses ont accordé beaucoup de tolérance à
Plancus, notamment Amable Audin qui ne ne pouvait que tenter de réhabiliter la
mémoire du fondateur du Lugdunum qu’il aima tant en le décrivant comme
« un homme riche de qualités d’intelligence et même de cœur ».
La
trahison – ou du moins la mauvaise foi – de Plancus, passé de Cicéron à Antoine
pour accéder au consulat, puis d’Antoine à Octave pour conserver son rang et
ses richesses est analysée plus précautionneusement par Jullian qui en fait le
portrait suivant : « patient, prudent, ayant le flair des
situations, désireux sans doute de richesse et de faste mais dénué des vastes
et criminelles espérances qui germaient alors chez Antoine, Lepide et Octave,
il sut comprendre qu’il n’avait point l’envergure d’un héritier de César.
D’autre part, malgré son amitié pour Cicéron, il ne crut point que la liberté
put être restaurée. Alors il se laissa vivre d’une alliance à l’autre,
cherchant l’homme qu’il jugerait le plus capable de rendre la paix au
monde ».
Sur
ce point au moins, l’histoire a donné raison à Plancus : avec Auguste
commençait la « Pax Romana » qui durera deux siècles, c'est-à-dire la
plus longue période de paix de toute notre histoire.
On
a pu dire que si Plancus avait tout de suite marché contre Antoine et l’avait
attaqué avant que ses troupes ne corrompent les éléments sains de l’armée de
Lepide, les légions d’Antoine n’auraient sans doute pas offert une forte
résistance.
Que
se serait-il passé alors ?
Que
se serait-il également passé si Lepide et Antoine, après leur jonction avaient
marché sur Cularo ?
Bien
évidemment on peut spéculer indéfiniment sur de telles conjectures.
Quoiqu’il
en soit, les hésitations de Plancus, ses atermoiements, ses retournements ont
sans doute évité une nouvelle guerre civile et c’est en ce sens qu’il a joué un
rôle de premier plan dans tous ces évènements qui ont marqué un tournant
décisif dans l’histoire de Rome et donc, du monde.
Si
l’on peut critiquer à l’envi sa versatilité mise au service d’une ambition et
ses nombreux revirements politiques, il n’en demeure pas moins que nous devons
être particulièrement reconnaissants à Munatius Plancus d’avoir, il y a de cela
vingt siècles et demi deviné la primordiale utilité du site de Grenoble et
d’avoir ainsi préparé la « Ville du Pont » comme la nommera Raoul
Blanchard à s’étendre et à prospérer sur la rive gauche de l’Isère.