A la recherche de Placidianus

 

Article publié dans le bulletin n° 9 des AVG de juin 1982 et revu et complété en décembre 2008

 

Julius Placidianus a attaché perpétuellement son nom à VIF, sans doute un jour de l’an 271 de notre ère (1) où il fit édifier un autel qui a été conservé depuis lors.

Depuis la fin du 17ème siècle, époque de la reconstruction du clocher de Vif, cet autel est encastré dans la façade orientale du clocher de telle sorte que les lignes sont placées verticalement ; un crampon, fixé entre la quatrième et la cinquième ligne l’a nettement endommagé et la hauteur de l’encastrement, par rapport au sol en rend difficile la vision exacte. L’inscription (2) que nombre de générations de vifois ont pu voir sans pour autant sans doute en comprendre le sens et qui figure dans les principaux ouvrages d’épigraphie romaine est la suivante :

 

                                               IGNIBUS

                                               AETERNIS IVL

                                               PLACIDIANVS

                                               VC PRAEF PRAE

                                               TORI

                                               EX VOTO POSVIT

 

Littéralement «  Ignibus Aeternis Julius Placiadianus vir clarissimus praefectus praetori ex voto posuit ».

 

La traduction couramment admise (3) est la suivante : « Aux feux éternels, Julius Placidianus homme consulaire, préfet du prétoire a élevé (cet autel) d’après un vœu ».

Il faut néanmoins noter certaines divergences d’appréciation quant à la traduction littérale des lettres « V C », certains exégètes proposant l’expression « vir consularis », homme consulaire, d’autres celle de « vir clarissimus », personnage clarissime, c'est-à-dire de l’ordre sénatorial (4) ou tout simplement sénateur (5) selon une formule usuelle depuis Marc Aurèle (6). On notera que cette expression se retrouve également dans l’inscription dite de Valerianus du troisième quart du 6ème siècle conservée dans la sacristie de l’église de Vif (7)

 

Le deuxième titre du personnage, préfet du prétoire, qui n’est pas sujet à interprétation, est beaucoup plus intéressant. J’y reviendrai un peu plus tard.

 

 

 

(1)  tout au moins dans la première partie du règne d’Aurélien et avant 273 (infra)

(2)  classée monument historique au titre des objets mobiliers le 30 septembre 1911

(3)  J. J. A. PILOT : note sur une inscription gallo romaine gravée sur une pierre du clocher de Vif, BSSI, 1860, pages 366 à 368 ; F. VALLENTIN : l’inscription de Vif, bulletin de l’Académie delphinale, 1876, pages 236 et 237 ; CIL XII n° 1551 (1888)…

(4)  ALLMER et TERREBASSE : 3ème supplément aux inscriptions antiques et du moyen âge de Vienne, n° 2069 (1880) ; CAG 38/1, 1994, page 155

(5)  MERCIER et SEGUIN : l’épigraphie et les fontaines ardentes du Dauphiné (1938)

(6)  R. CAGNAT : cours d’épigraphie latine (1926)

(7)  R. GIRARD : rapport sur les fouilles exécutées en 1966 près de l’église de Vif (CAHMGI) ; M. F BOIS : écoutons parler nos pierres, bulletin des AVG n° 5, juin 1980 ; E. CHATEL : monuments sculptés en France (IV° - X° siècles), II, 1980, pages 100 et 101

 

 

Certes, l’inscription de Vif n’est pas datée mais une autre inscription, découverte en mai 1879 place Lavalette à Grenoble dans l’un des murs de l’enceinte de Lesdiguières fait mention de ce même Julius Placidianus et permet, par recoupement, de situer la date d’érection de l’autel de Vif.

 

Cette seconde inscription faisait vraisemblablement partie d’une statue élevée à Grenoble en l’honneur de l’empereur Claude II, surnommé « le Gothique » en référence à ses victoires remportées sur les Goths. Cette dédicace, en pierre calcaire de Sassenage, maintenant conservée au Musée Dauphinois (34.5692) est ainsi rédigée :

 

                                               IMP CAESAR

                                               M AUR CLAVDIO

                                               PIO FELICI INVICTO

                                               AVG GERMANICO

                                               MAX PM TRIB POTES

                                               TATIS II COS PATRI PA

                                               TRIAE PROC VEXIL

                                               LATIONES ADQVE

                                               EQVITES ITEMQVE

                                               PRAEPOSITI ET DVCE

                                               NAR PROTECT TEN

                                               DENTES IN NARB

                                               PROV SVB CVRA IVL

                                               PLACIDIANI V P PRAE

                                               FECT VIGIL DEVOTI

                                               NUMINI MAIESTA

                                               TIQ EIVS

 

Soit, en développé : « Imp(eratori) Caesar(i) / M(arco) Aur(elio) Claudio / pio felici invicto : Aug(usto) Germanico / Max(imo) trib(uniciae) potes / tatis iterun co(n)s(ulli) patri pa / triae proc(onsuli) vexil / lationes adque / equites itemque / praepositi et duce / nar(ii) protect(ores) ten / dentes in Narb(onensi) / Prov(incia) subcurra Iul(ius) / Placidiani(us) v(iri) p(erfectissimi) prae / fect(i) vigil(um) devoti / numini maiesta / tiq(ue) eius ».

 

« A l’empereur César Marcus Aurelius Claudius, pieux, heureux, invincible auguste, très grand vainqueur des Germains, grand pontife, dans sa seconde puissance tribunicienne, consul, père de la patrie, proconsul, les « vexillationes », les « adque equites », de même que les « praepositi » et les « ducenarii protectores » cantonnés dans le Province de Narbonnaise sous le commandement de Julius Placidianus, homme perfectissime, préfet des Vigiles (de la ville de Rome), dévoué(s) à la puissance et à la souveraineté de l’empereur (ont élevé ce monument) » (8)

 

 

(8) l’Impartial des Alpes du 2 août 1879 ; F. VALLENTIN : l’inscription de Grenoble, Bulletin Monumental T 45, 1879, page 120 ; Revue anthropologique T 38, 1879, page 120 ; Congrès archéologique de France, 66ème session, 1879, pages 323 à 332 ; E. PILOT de THOREY : inscription découverte à Grenoble à la Citadelle, BSSI 3ème série, T IX, 1880, pages 5 et 6 ; H. DESSAU : ILS, 1892 – 1916, n° 569 ; S. CHABERT : catalogue des inscriptions romaines, 1927, pages 27 et 28 ;H. MULLER : les origines de Grenoble, 1930, pages 34 et 35 ; Catalogue des trésors du Musée Dauphinois, 1968, n° 39, pages 27 à 29 ; M. REDDE : l’armée romaine en Gaule, 1996, pages 229 et ss ; M. CHRISTOL : l’empire romain du 3ème siècle, 1997, page 157 ; M. BATS, S. BENOIT, S. LEFEBVRE : l’empire romain au 3ème siècle, 1997, pages 334 à 338 ; X. LORIOT et D. NONY : la crise de l’empire romain, 235 – 285, 1997, page 95 : J. C. MICHEL : Grenoble antique, 1999, pages 49 et 50

 

 

Certains termes de l’inscription méritent d’être explicités :

 

Les « vexillationes » sont, au 3ème siècle, les légionnaires et les auxiliaires maintenus en réserve dans les villes fortifiées au nord de l’Italie (Milan notamment) qui forment les détachements expéditionnaires.

 

Les « adque equites » correspondent aux troupes de cavalerie, cependant que les « praepositi » désignent ici les officiers placés à la tête des vexillationes et des adque equites. Ce qualificatif s’applique presque toujours, à cette époque, aux commandants des détachements expéditionnaires.

 

Enfin, en ce qui concerne les « ducenarii protectores », la CAG traduit l’expression par « ducenaires gardes du corps » alors qu’ALLMER parlait de « tribuns des cohortes prétoriennes ». Or il semble qu’à compter de Gordien III ou de Valerien les « protectores » aient remplacé les anciens « equites singulares », soldats à cheval de la garde de l’empereur. C’est un corps d’élite sans doute constitué d’anciens centurions ayant rang d’officiers.

 

Il s’agit là, en l’espèce, de soldats de la garde impériale. FLAUM y voit les gardes du corps de Placidianus qu’il qualifie de « dux » c'est-à-dire duc (9).

 

Cette inscription est extrêmement intéressante à divers titres. D’abord elle présente l’intérêt particulier de pouvoir être datée de l’année 269 et, précisément avant le 10 décembre qui marque la fin de la seconde puissance tribunicienne de l’empereur Claude II. Celui-ci est en effet surnommé « Germanicus Maximus » en souvenir sans doute de sa victoire de 268 sur les Alamans. Ensuite elle fait connaître d’une manière certaine que dès le temps de Claude II une partie de la Narbonnaise n’appartenait pas aux empereurs dits « Gaulois » et montre, cantonné dans le vicus de Cularo un corps de troupes en partie composé de la garde de Rome (10). A ce titre elle peut prendre place parmi les plus importants témoignages de l’histoire de notre pays sous la domination romaine. Enfin, et ceci est primordial pour ce qui nous intéresse ici, elle permet de retrouver et de situer à l’échelle du temps le personnage de Placidianus.

 

Mais que faisait donc ce personnage important à Grenoble ? Il faut se souvenir qu’au  moment de la nomination de Claude II comme empereur en mars 268, peu après la mort de Gallien, l’unité de l’empire romain était rompue depuis neuf ans.

 

C’était en 259 en effet qu’un officier responsable du front rhénan, Postumus, avait été proclamé empereur par ses troupes. Cette proclamation n’avait d’ailleurs pas fatalement, de l’avis des historiens, une volonté de sécession. Il s’agissait non de constituer un empire gaulois mais bien un « empire romain des Gaules », d’assumer sa défense contre les barbares et, par là, de sauver le monde romain (11)

 

 

(9)  H. G. PFAULM : les fastes de la province narbonnaise, 30ème supplément à GALLIA, pages 191 à 193 (1978)

(10)               S. CHABERT : op. cit. « … il est remarquable qu’on ait détaché des troupes d’infanterie et de cavalerie appartenant à la garnison de Rome comme l’indiquent leurs dénominations ».

(11) E. THEVENOT : les gallo romains (1948)

 

 

 

 

Postumus régna, sagement et habillement, jusqu’en 267 ou 268 époque où il fut assassiné par ses propres troupes. De cet évènement naquit en Gaule une période de guerre civile qui incita, semble t-il, l’Espagne et la Narbonnaise à reconnaître Claude II plutôt que les pales successeurs de Postumus, Laelianus et Victorinus. Claude II, également appelé peu après par la cité d’Autun qui s’était soulevée, s’apprêtait à marcher contre la Gaule lorsqu’une nouvelle invasion des Goths l’obligea à négliger pour un temps ses intérêts personnels pour ne songer qu’au salut de l’empire (12). C’est à cette occasion, sans doute vers la fin de l’année 268, qu’il envoya en Gaule un corps de troupes d’élites prises dans les cohortes prétoriennes (13) sous la conduite de Julius Placidianus, son préfet des Vigiles, pour y surveiller les menées des successeurs de Postumus. Ces troupes qui arrivèrent dans notre contrée vraisemblablement par le Lautaret et la voie de l’Oisans (14) ne dépassèrent pas Grenoble puisqu’elles étaient encore cantonnées à cet endroit lorsqu’elles apprirent les premiers succès de Claude et lui élevèrent la statue dont le piédestal a été conservé.

 

Placidianus, qui était donc déjà un personnage très important dans la hiérarchie romaine, ne parait pas être originaire de Gaule ni avoir accompli l’essentiel de sa carrière dans cette contrée (15). En effet, l’épigraphie romaine ne permet pas de le retrouver antérieurement dans d’autres inscriptions que les deux précédemment citées. Le texte de Grenoble le qualifie de « vir perfectissimus », littéralement « grand personnage ou préfet », titre d’honneur attribué comme attribut officiel depuis Septime Sévère aux fonctionnaires de l’ordre équestre. La préfecture de Vigiles de Rome, dont Placidianus était alors le titulaire, avait été instituée ne l’an 7 avant notre ère par Auguste pour veiller aux incendies et à la police de la capitale de l’empire. Elle disposait de sept cohortes de vigiles, de mille hommes chacune, placées sous les ordres d’un préfet de l’ordre équestre. Cette préfecture devint rapidement l’une des plus élevées car elle n’avait au dessus d’elle que la préfecture de l’Annone, chargée de l’approvisionnement de Rome et celle d’Egypte (16).

 

Placidianus était-il de noble origine ? Il est difficile de le savoir mais, en tout état de cause, rien ne le démontre, sauf à penser qu’il pouvait descendre de l’illustre « Gens Iulia », celle de César lui même. En effet, aux premier et second siècles de notre ère, il fallait pour aborder la carrière équestre posséder une fortune personnelle et être inscrit sur la liste des chevaliers dressée sous le contrôle de l’empereur (17). Depuis les Sévères et le milieu du 3ème siècle (18), l’ordre équestre avait, on le sait, pris le pas sur l’ordre sénatorial.

Dès Septime Sévère en effet, la promotion sociale du soldat s’accélère sensiblement. Les gradés sortis du rang sont alors admis en masse parmi les chevaliers alors qu’auparavant on était chevalier de naissance ou on le devenait par faveur impériale.

 

 

 

(12)à cette même époque les rapports s’envenimèrent avec les Palmyréniens qui s’emparèrent pratiquement de tout l’Orient.

(13)Sans doute composé de plusieurs milliers d’hommes.

(14)B. BLIGNY : histoire du Dauphiné (1973)

(15)Sauf pour E. CIZEK (l’empereur Aurélien et son temps, 1994, page 82) qui considère qu’il était peut être originaire de la Gaule Narbonnaise où il jouissait, selon lui, d’une notable réputation

(16)La préfecture du Prétoire, considérée comme un poste sénatorial, est ici mise à part.

(17)R. CAGNAT, op. cit.

(18)Règne de Gallien

 

 

 

 

L’ordre équestre, précédemment issu de la caste des notables des cités, devint alors l’émanation directe de l’armée et la seconde moitié du 3ème siècle vit le triomphe de l’ordre équestre, préparé du reste de longue date il est vrai par des souverains comme Domitien et Hadrien à une époque où, déjà, nombre de chevaliers étaient issus des élites municipales ou provinciales.

 

Cette généralisation devait conduire à ce que l’ordre occupât pratiquement tous les hauts postes administratifs : préfectures, commandements militaires, gouvernement d’un grand nombre de provinces. Mieux même, au sommet de la hiérarchie, les préfets du prétoire accédèrent au sénat et aux plus hauts postes de celui-ci.

 

Ceci a fait dire à un auteur (19) que « … à cette époque le soldat sorti du rang peut, s’il est énergique, actif et assez heureux pour survivre, espérer parvenir aux plus hautes dignités. En devenant préfet, il reçoit régulièrement les ornements consulaires et entre au sénat. L’armée est ainsi devenue le moteur de l’ascension sociale ».

 

Après avoir situé ce contexte général, revenons à l’inscription vifoise qui apparaît donc comme légèrement postérieure à l’année 269 puisque Julius Placidianus est qualifié alors de préfet du prétoire et de personnage de l’ordre sénatorial, ce qui semble indiquer que s’il ne l’était pas déjà auparavant il aurait été fait sénateur du fait de sa promotion à cet éminent poste sur le contenu duquel il est intéressant de s’arrêter quelques instants.

 

En effet, la fonction de préfet du prétoire était l’une des fonctions supérieures de l’ordre équestre. A l’origine le prétoire « praetorium » désignait la tente du général dans un camp. Par extension, le prétoire devint ensuite le palais du gouverneur d’une province. Enfin, au bas empire, le préfet du prétoire, chef de la puissante garde prétorienne, était en fait le second personnage de l’empire. On a même dit jadis (20) qu’il était « un empereur sans diadème ». Son pouvoir, qui était celui d’un quasi vice empereur s’étendait à toutes les troupes (21). Sur le plan civil, il jugeait en appel à la place de l’empereur. Cumulant les deux pouvoirs, civil et militaire, il exerçait auprès de l’empereur une triple activité : de conseil, en lui donnant ses avis, de suppléance en ayant des compétence en ses lieu et place et de service enfin en étant chef d’état major commandant les prétoriens. En quelque sorte, c’était un quasi « vice empereur ».

 

C’est probablement au début du règne d’Aurélien (22), proclamé empereur par ses soldats, à la mort de Claude II que Placidianus fut élevé à la dignité de préfet du prétoire (23). Il était encore vraisemblablement en poste à Grenoble lors de sa nomination car semble établi que ses troupes et lui-même aient séjourné longtemps dans la contrée. On peut d’ailleurs s’interroger sur les raisons d’un aussi long séjour pour ce corps expéditionnaire d’élite, composé de soldats pris dans la propre garde de Rome. Sans aucun doute, l’enjeu devait-il être capital. A défaut d’argument définitif on peut avancer deux hypothèses : peut être ses troupes, somme toute réduites et  l’échelle du conflit empêchèrent-elles Placidianus d’aller plus avant en Gaule ou bien resta t-il cantonnée en cet endroit sur ordre en attendant qu’Aurélien vienne le rejoindre avec son armée.

 

(19)P. PETIT : histoire générale de l’empire romain (1974)

(20)L. MORERI : grand dictionnaire historique (1759)

(21)Eu égard à ces commandements et compte tenu qu’il devait accompagner l’empereur à la guerre il était naturel que le préfet du prétoire eut nécessairement un passé de soldat à son actif.

(22)Entre mars et août 270

(23)A moins que ce ne soit à l’extrême fin de celui de Claude II (L. HOMO : essai sur le règne d’Aurélien, 1904).

 

Prud’homme pense même (24) que Placidianus aurait profité de ce long séjour d’observation et d’attente pour commencer, dès 269, la fortification de Grenoble (25).

 

Bien que la nomination de Placidianus ne soit pas très explicable, il faut relever que c’est le seul préfet du prétoire du règne d’Aurélien connu avec certitude (26). Peut-être celui-ci nomma t-il Placidianus en récompense de sa mission menée à bien ou encore voulut-il honorer un compagnon d’armes, de surcroît particulièrement fidèle, qualité rare en cette époque où la trahison et les complots étaient pratiques courantes.

 

Cette seconde hypothèse, si elle était avérée, pourrait indiquer que Placidianus était alors d’un âge avancé car Aurélien avait alors environ soixante ans lors de sa nomination (27).

 

Ce qui semble avéré c’est que Placidianus fut maintenu à Cularo, du moins pendant quelque temps encore après son élévation à cette dignité. Telle est bien celle-ci, en effet, que nous mentionne l’inscription de Vif.

 

Combien de temps resta t-il préfet du prétoire ? La durée de cette fonction avait souvent été de trois ans sous Gallien mais Aurélien tendit à la réduire. On sait en effet que pendant son règne aucun préfet ne resta en charge plus de deux ans. Ainsi donc on peut, avec une bonne part de probabilité, fixer à l’an 271 (28). En effet, si l’on admet que Placidianus est resté deux ans préfet du prétoire on peut raisonnablement penser que c’est à l’issue de cette charge qu’il serait devenu consul comme nous le verrons un peu plus tard.

 

Sans nous écarter des pas de ce haut personnage et en évitant de tomber dans une exégèse répétitive, il y a lieu de revenir sur l’inscription de Vif et de s’arrêter sur l’autre aspect de son contenu, tant qu’il est vrai que l’on ne peut occulter la référence aux « feux éternels ».

 

Ainsi donc, Julius Placidianus, préfet du prétoire, membre du sénat romain, éleva vers l’an 271 et à la suite d’un vœu à Vif, ou dans les environs immédiats, puisque tous les auteurs s’accordent à penser qu’il n’a guère été déplacé au cours des siècles, un autel dédié aux « feux éternels ». Mais ce vœu quel était-il ?

 

 

 

 

(24)Histoire de Grenoble (1888)

(25)Traditionnellement attribuée à Maximien et Dioclétien. Mais, selon  Prudhomme et d’autres auteurs après lui « … l’examen des restes de remparts parvenus jusqu’à nous autorise cette supposition : en effet, on y distingue nettement la trace des interruptions diverses qui ont eu lieu pendant la période de construction ». De fait, une monnaie de Claude II a été retrouvée dans les substructions de l’enceinte.

(26)L. HOMO, op. cit. On notera toutefois que l’ « Histoire Auguste », au demeurant très controversée, dans le chapitre que Flavius Votiscus de Syracuse consacre au « divin Aurélien », ne mentionne nullement Placidianus et cite comme préfet du prétoire Ablavius Murena, personnage qui semble avoir été inventé de toutes pièces (Histoire Auguste, traduction A. CHASTAGNOL, 1994, page 949)

(27)J. F. MICHAUD : bibliographie universelle, ancienne et moderne, T 8 (1966)

(28)ou à l’année 272 si l’on considère que Placidianus est resté en poste à Grenoble jusqu’à l’automne 273 (Cf. infra).

 

 

 

Selon Hirschfeld (29), Placidianus aurait exprimé sa reconnaissance à la suite de sa campagne menée avec succès contre Tétricus. Mais ceci n’est guère satisfaisant puisqu’il ne semble pas que Placidianus ait jamais été au contact direct de l’usurpateur.

 

Reste le problème infiniment plus complexe des feux éternels ! Les auteurs sont là fortement divisés. On peut, en simplifiant, dire qu’il y a ceux qui voient en ces feux éternels une allusion à la Fontaine Ardente proche et ceux qui sont d’un avis différent. Et la, comme nous le verrons, les nuances d’interprétation ne manquent pas.

 

Les auteurs les plus anciens (30) pensaient qu’il s’agissait d’un autel consacré par Placidianus « aux feux éternels de la ville de Vif au pays des Voconces », c'est-à-dire de la fameuse « fontaine ardente » du Gua. Que l’ex voto ait pu se rapporter à celle-ci est du reste parfaitement concevable. On sait, en effet, que les romains divinisaient toutes les puissances. « Avant l’établissement du christianisme » observe LONG, « les peuples se faisaient des dieux des objets divers qui frappaient l’imagination : les montagnes, les fleuves… Une fontaine dont l’exhalaison s’enflammait devait attirer leurs hommages. Placidianus… voyait dans ce phénomène de feux éternels Vesta, symbole de la ville éternelle… ». Il émet cependant un doute puisqu’il ajoute : « les feux éternels, « ignes sempiterni » désignaient aussi les astres ; notre inscription leur serait-elle adressée ? » s’interroge t-il (31).

 

Ce qui est établi est que la fontaine ardente était extrêmement connue au début de l’ère chrétienne et avait dans l’empire un retentissement amplifié : vers 350, Saint Hilaire de Poitiers lui aurait consacré des vers (32) bien avant le passage célèbre de la « Cité de Dieu » de Saint Augustin : « … au sujet des autres phénomènes dont j’ai parlé et que je n’ai pas éprouvés mais seulement lus, exception à propos de cette fontaine où les flambeaux allumés s’éteignent et où ceux qui se sont éteints se rallument… Pour cette fontaine je n’ai trouvé personne qui mait dit l’avoir vue en Epire mais j’en sais qui m’ont dit en avoir vu une toute semblable en Gaule près de Grenoble » (33).

 

Que Placidianus ait connu la fontaine ardente est plus que probable puisque ce sont les armées, et peut être même la sienne, qui devaient en apporter la réputation à Rome où Saint Augustin en recueillerait l’écho, près de cent quarante ans après.

 

Au nombre des partisans de cette première interprétation il faut également citer Camille Jullian qui écrit : « … la Gaule ne perdait nulle part la sensation de ces feux éternels qui réchauffaient les fontaines du sol et la vie des malades » (34).

 

La première opposition parait venir de Hirschfeld qui conteste que les feux éternels puissent se rapporter à la fontaine ardente et pense qu’ils désignent le soleil et la lune. Pour lui, à la suite de la réussite de sa mission, Julius Placidianus aurait exprimé sa reconnaissance envers des divinités particulièrement en faveur à la cour de son temps et suivant une formule qui serait d’Aurélien lui-même.

 

 

 

(29)O. HIRSCHFELD : corpus inscriptionum latinarum, T XII, n° 1552 (1888)

(30) J. D. LONG : mémoires présentés par divers savants à l’Académie des Inscriptions et des Belles Lettres de l’Institut (1849), F. VALLENTIN : bulletin épigraphique de la Gaule (1881)

(31)J. D. LONG : op. cit.

(32)U. CHEVALLIER : Regeste dauphinois, I, 28 (1913)

(33)MAROUD : Saint Augustin et la fin de la culture antique (1937)

(34)C. JULLIAN : histoire de la Gaule, I (1907)

 

 

C’est ainsi qu’il penche nettement pour une dédicace au soleil et à la lune. Il faut se souvenir, en effet, que la constitution de la religion solaire en culte d’état est le couronnement de la politique intérieure d’Aurélien. Cette réforme importante s’articulait en effet en trois parties :

 

-       la reconnaissance officielle du soleil comme dieu suprême de l’empire,

-       la construction d’un temple du soleil à Rome avec l’instauration de fêtes périodiques en son honneur,

-       la création d’un collège des pontifes du soleil (35).

 

Mais le véritable contre-pied, avec argumentation méthodique, vient de Jacques Chevalier (36) pour qui les explications associant les feux éternels à la fontaine ardente ne sont pas convaincantes. Il se demande si l’épithète « aeternis » appliquée à ces feux leur convient bien. Il note, pour réfuter l’argumentation de Long, que le feu de Vesta est toujours désigné par un singulier. Il indique que, selon Horace et Ovide, le culte du feu était très répandu chez les anciens peuples mais que les feux éternels « ines sempiterni » désignaient aussi les astres. Il reprend ainsi l’interrogation de Long : « l’inscription de Vif ne leur était-elle pas adressée ? » et tient alors le raisonnement suivant : « … D’après la tradition platonicienne, les astres étaient des êtres divins, dieux visibles et engendrés. Or cette tradition était très vivante à Rome précisément à l’époque qui nous occupe… ». Selon lui, en effet, l’un des écrivains les plus représentatifs de la mentalité de cette époque, Macrobe, philosophe et philologue, cite dans l’un de ses ouvrages (37) cette phrase de Cicéron : « Les hommes sont nés sous la condition d’être les gardiens du globe que vous voyez au milieu de ce même temple et qu’on appelle la terre. Leur âme est une émanation de ces feux éternels que vous nommez constellations et étoiles et qui parcourent leurs orbites avec une admirable célérité ». Et Macrobe d’expliquer comment l’homme, habitant ce temple qu’est l’univers, les regards élevés vers le ciel, participe à la divinité parce qu’il parut apte à recevoir une parcelle de l’intelligence qui anime les corps célestes : c’est de cette intelligence qu’il est question lorsqu’il est parlé de cette âme qui est une émanation des feux éternels, c'est-à-dire, non pas de leur corps mais de l’esprit divin qui les anime.

 

J. Chevalier ayant amené à ce point précis le raisonnement n’a plus alors qu’à conclure sa démonstration, ce qu’il fait en ces termes : « … quoi d’étonnant dès lors qu’à une époque où le paganisme finissant cherchait à raviver ses dieux vieillis en restaurant les anciennes croyances et en les combinant aux croyances orientales dans un syncrétisme plus compréhensif que le christianisme attaché à une vérité unique, un préfet du prétoire romain ait élevé un autel à ces feux éternels d’où les hommes, croyait-on, tiraient leurs âmes. Ignibus aeternis, à un mot près, c’est l’expression de Macrobe mais Placidianus, plus platonicien que Macrobe, aurait préféré au mot « sempiternus » qui désigne ce qui dure comme le temps lui-même et marche avec lui d’un pas égal, le terme « aeternis » qui surpasse toute durée et qui a une portée non pas seulement mathématique mais encore métaphysique et religieuse ».

 

 

 

 

(35)L. HOMO, op. cit. qui traduit « Ignibus aeternis » par « sol et luna »

(36)J. CHEVALIER : sur l’inscription de Vif, bulletin de l’Académie delphinale, 1927

(37)Commentaire du songe de Scipion

 

 

 

 

Enfin, Mercier et Seguin dans une intéressante brochure publiée en 1938 (38) reprennent, sous forme d’inventaire, les diverses théories avancées et font état, en outre, d’échanges de correspondances avec divers spécialistes. C’est ainsi que Gaston Letonnelier note que « … l’inscription de Vif est par trop proche de la fontaine ardente pour qu’il n’y ait pas un rapport entre la dédicace et le phénomène igné… L’auteur de la dédicace avait sous les yeux des feux qui ne s’éteignaient pour ainsi dire jamais et qu’il appela, tout naturellement des « feux éternels (39).

Jules Toutain remarque pour sa part que le culte institué à Rome ne concerne que le soleil et ne voit pas pourquoi, en cette région de la Gaule, une dédicace aurait été adressée au soleil et à la lune, alors que l’importance de la fontaine de Vif était de nature à frapper tous les esprits ainsi qu’en témoigne le texte de Saint Augustin (40).

Jérôme Carcopino, alors directeur de l’école de Rome, devait pour sa part répondre : « … quant à votre dédicace, je persiste à penser qu’elle est astrologique » (41).

 

Enfin, nanti de tous ces avis, Mercier devait conclure son étude en ces termes : « les rapports entre la dédicace Ignibus aeternis et la fontaine ardente sont à notre avis absolument nuls… Que Placidianus ait connu la fontaine ardente c’est plus que probable mais, supposer qu’au moment où la dédicace a été conçue la pensée de la fontaine ardente a pu entre un instant en balance avec la révérence due au soleil et à la lune dans l’esprit de ce fonctionnaire respectueux de la religion en honneur, ne serait donc pas seulement une naïveté mais constituerait une véritable hérésie ».

 

Plus récemment, R. Turcan pense que l’inscription serait équivalente de « Soli invicto » (le soleil invincible) mais pourrait néanmoins concerner la fontaine ardente (42).

 

Pour être complet autant que faire se peut, il faut verser au débat que, selon divers auteurs, étrangers au problème de la fontaine ardente, la lune faisait l’objet à Rome et dans l’empire d’un culte à l’imitation de celui rendu au soleil. Les deux astres présentaient en effet l’image la plus évocatrice de l’éternité puisque l’un descend quand l’autre monte.

 

On observera qu’un certain nombre d’inscriptions s’adressent soit au soleil éternel « soli aeterno », soit à la lune éternelle « lunae aeterno », soit aux deux réunis. Mais dans aucune autre inscription on ne retrouve l’expression « ignibus aeternis » qui apparaît donc comme unique. Peut-on admettre, dès lors, que Placidianus ait pu utiliser cette expression inusitée en lieu et place de « soli et lunae aeternis » à la façon dont ses concitoyens s’adressaient au dieux manes sans les citer et, dans ces conditions, pourquoi un citoyen de son rang aurait, dans un monument votif à des divinités si souvent invoquées, employé de tels termes ? Aurait-il voulu jouer sur une certaine ambiguïté ?

 

On ouvrira ici une parenthèse sur le culte « soli et lunae aeternis », dont les termes sont souvent isolés et parfois associés. Diverses inscriptions aux astres sont connues en Gaule et, notamment, pour ce qui concerne le dieu Sol :

 

-       à Aix en Provence (43)

 

 

 

(38)A. MERCIER et A. SEGUIN : l’épigraphie et les fontaines ardentes du Dauphiné (1938)

(39)Lettre à M. Mercier, 1938

(40)Lettre à M. MERCIER, 1938

(41)Lettre à M. MERCIER, 1938

(42)R. TURCAN : les religions de l’Asie dans la vallée du Rhône, EPRO 30, 1972

(43)CAG 13/4, 2006, page 461

 

 

-       à Equevillon dans le Jura (44)

-       à Deneuvre dans la Meurthe et Moselle (45)

-       à Cocheren en Moselle (46)

-       à Entrains sur Nohain dans la Nièvre (47)

-       à Strasbourg (48)

 

Pour ce qui concerne la déesse Luna :

 

-       à Manduel dans le Gard (49)

-       à Cocheren en Moselle (50)

-       à Sarrebourg également en Moselle (51)

-       à Entrains sur Nohain (52)

-       à Rinxent dans le Pas de Calais (53)

-       à Hyères (54)

-       à Vaison la Romaine (55)

-       à Beaumes de Venise dans le Vaucluse (56)

 

Les deux (Soli et Lunae) sont associés dans un cas :

 

-       à Reischoffen dans le Bas Rhin (57)

 

On notera à cet égard que la Prosopographia  assimile cette formule (Soli et Lunae) à celle de Vif (Ignibus aeternis) (58)

 

Je n’ai pu résister à l’envie de parler de cette querelle d’interprétation, toujours ouverte d’ailleurs. Celle-ci situe bien, en effet, l’importance que revêt notre inscription. J’ajouterai mon sentiment sur la question : si Placidianus n’a pas voulu faire allusion à la fontaine ardente en parlant des feux éternels, pourquoi cet autel a-t-il été élevé à Vif ? Un autel d’inspiration astrologique eut trouvé beaucoup plus naturellement sa place à Grenoble qui était le siège officiel de la garnison et qui, en outre, était de loin l’agglomération la plus importante de toute la contrée. La dédicace à Claude le Gothique, faite par le même Placidianus, avait bien été élevée à Grenoble et non ailleurs. Ainsi donc, pour moi, l’inscription aux feux éternels de Vif ne peut s’expliquer en cet endroit que par une invocation, même indirecte, à la fontaine ardente.

 

 

(44)CAG 39, 2001, page 372

(45)CAG 54, 2004, page 179

(46)CAG 57/1, 2004, page 368

(47)CAG 58, 1996, page 142

(48)CAG 67/2, 2002, page 452

(49)CAG 30/3, 1999, page 437

(50)CAG 57/1, 2004, page 368

(51)CAG 57/1, 2004, page 714

(52)CAG 58, 1996, page 142

(53)CAG 62/2, 1994, page 430

(54)CAG 83/1, 1999, pages 444 et 459

(55)CAG 84/1, 2003, page 113

(56)CAG 84/1, 2003, page 413

(57)CAG 67/1, 2000, page 524

(58)Prosopographia Imperii Romani, saec I, II, III (1943), page 249

 

 

 

 

 

Et pourquoi Vif, plutôt que le Gua ou Miribel Lanchâtre ? Sans aucun doute parce que ces deux dernières localités n’existaient pas encore alors que Vif pouvait être un village, peut être même un vicus si l’on s’en tient à l’étymologie la plus probable, en tout cas le lieu habité le plus proche de la fontaine. Ce qui est sur est que l’ancien oppidum de Saint Loup fut sans doute fortifié précisément à cette époque, vraisemblablement par les soldats de Placidianus comme en témoignent les restes de rempart et une monnaie de Claude II découverte sur le site.

 

Mais, revenons à Placidianus. Qu’était-il devenu après avoir fait ériger cet autel ? Etait-il toujours cantonné à Grenoble ? La seule chose que l’on sache avec certitude c’est qu’Aurélien allait le récompenser et l’honorer encore davantage et ce, vers le mois d’octobre 272 sans doute puisqu’on retrouve son nom dans les « fastes consulaires » de l’an 273 (59). Les fastes consulaires, on le sait, étaient les tables où l’on inscrivait dans l’ordre chronologique les noms des consuls de l’empire. Au bas empire, c’est l’empereur lui-même qui faisait désigner consuls ceux qu’ils voulait honorer. Il y avait ainsi, chaque année, un certain nombre de personnages revêtus du titre de consul :

 

-       deux consuls ordinaires, qui étaient éponymes (60) et qui prenaient leur charge le 1er janvier,

-       un nombre plus ou moins important de consuls suffects désignés le 9 janvier de l’année où ils allaient exercer leur charge et qui se succédaient, par groupe de deux, tous les quatre mois ou même, à certaines époques, tous les deux mois.

 

L’empereur lui-même ne revêtait pas le consulat en permanence, mais seulement certaines années, surtout pour honorer tout particulièrement le collègue qu’il se choisissait. Mais seuls les consuls ordinaires figuraient dans les Fastes. Toutefois, il s’agissait avant tout d’un titre honorifique, l’intérêt du consulat, mis à part l’honneur très grand, était d’ouvrir l’accès aux très hauts postes de l’empire : curatelles (61), gouvernement des grandes provinces impériales, proconsulats (62)…

 

Sur les cinq consuls ordinaires du règne d’Aurélien dont l’origine est connue, trois avaient suivi la carrière sénatoriale, Pomponius Bassus en 271, Junius Veldumianus en 272 et Marcus Claudius Tacitus en 273. Les deux autres, Julius Placidianus et Marcellinus étaient, pense t-on, des chevaliers qu’Aurélien avait élevés au consulat en récompense de services exceptionnels (63).

 

Placidianus garda le consulat toute l’année 273, charge qu’il partagea avec Claudius Tacitus qui devait devenir empereur peu après (64). Ce dernier était présent à Rome en 273, ce qui tendrait à indiquer que Placidianus était toujours en mission et que sa nomination comme consul était nettement plus honorifique que fonctionnelle.

 

(59) Fasti anni 273. Toutefois, une inscription de la grotte du Taya (CIL 8, n° 1884) ne mentionne que le nom de Claudius Tacitus alors que, d’ordinaire, les ex votos de la grotte sont datés par les deux consuls ordinaires de l’année en question. Nous ignorons quelles ont été les raisons qui ont prévalu pour que les dothenenses aient omis le nom de Placidianus mais nous supposons que le témoignage de tous les « Fasti » suffit pour assurer l’authenticité du consulat de notre personnage.

(60) c'est-à-dire qui donnaient leur nom à l’année.

(61) très hautes fonctions équestres attribuées par l’empereur : chancellerie, routes, eaux…

(62) gouvernements d’une province sénatoriale

(63) pour sa part, E. CIZEK (op. cit.) considère que c’est Aurélien qui l’aurait introduit au sénat sans pour autant lui défendre de conserver la charge de préfet du prétoire.

(64) de fin septembre 275 à juin 276

 

Sa trace se perd à partir de l’année 273. On peut raisonnablement penser que compte tenu de son long séjour en Narbonnaise et de sa connaissance des problèmes particuliers de la Gaule et de son rang il accompagna Aurélien lors de la première campagne de celui-ci en Gaule. Peut être même Aurélien était-il venu le rejoindre à Grenoble ou dans les environs. Le point de rencontre aurait même pu se situer à Chapareillan. Pilot nous dit à ce propos que « la route de Grenoble à Chambéry a conservé le nom de Chemin de l’Empereur, dénomination qui lui est donnée sur les communes de Chapareillan, de Barraux, de la Buissière, de Sainte Marie d’Alloix, de la Terrasse, de Lumbin, de Crolles et de Bernin. On dit qu’elle doit ce nom à l’empereur Aurélien qui la fit sinon construire, du moins réparer et élargir en plusieurs endroits et que c’est alors que cet empereur serait venu par cette route dans notre contrée à la tête de son armée, car on prétend que le bourg de Chapareillan devrait son nom suivant la tradition locale et peut être même son origine à un campement de l’armée d’Aurélien, « campus Aureliani », dénomination primitive d’où serait venu Chapareillan (65).

 

Au-delà de ce problème particulier, on peut conjecturer que Placidianus participa sans doute à l’expédition de l’automne 273, lors du semblant de campagne mené contre Tetricus (66). En effet, au cours d’un simulacre de combat à Chalons sur Marne, celui-ci se rendit à Aurélien. On peut du reste se demander si cette mise en scène, qui prouve des contacts entre Aurélien et Tetricus n’avait pas été préparée de longue date par Placidianus lui-même.

 

Ainsi finit l’empire romain des Gaules.

 

A la mort d’Aurélien, assassiné fin août ou au commencement de septembre 275 et après un interrègne sur la durée duquel les historiens ne sont pas d’accord, les sénateurs se décidèrent à élire Tacitus alors âgé de 65 à 75 ans selon les sources, qui prétendait descendre du grand historien du même nom dont il remit les œuvres au goût du jour. Peu après sa nomination il partit pour l’Asie Mineure, attaquée par les Goths de la Mer Noire, confiant une armée à son frère Florianus qui était aussi son préfet du prétoire. Parvenu à Tyane en Cappadoce il y mourut en juin 276 soit de maladie, soit assassiné par ses soldats comme son prédécesseur, soit encore victime d’une vengeance privée. .Florianus se proclama alors empereur mais l’armée choisit Probus.  

 

C’est alors le début du lent processus de désagrégation de l’empire romain qui durera encore deux siècles et ne connaîtra que quelques pauses, notamment avec la Tétrarchie et Constantin le Grand.

 

Et Placidianus ? Il ne semble qu’il ait suivi Tacitus en Asie. Peut être avait-il été nommé dès 274 par Aurélien à l’une des charges illustres ouvertes par le consulat ? A moins que se sentant suffisamment âgé et comblé d’honneurs parce que les ayant tous obtenus sans avoir pour autant l’ambition de l’empire il ne se soit retiré sur des terres qu’il ne devait pas manquer de posséder, soit dans la campagne romaine, soit en Narbonnaise, soit encore en tout autre endroit du vaste empire.

 

 

(65) J. J. A. PILOT : sur un édit d’Aurélien et le chemin de l’empereur, BSSI (1861)

(66) Préfet de l’Aquitaine, proclamé Auguste par ses soldats, qui prit la pourpre à Bordeaux en 268, d’abord associé à Victorinus puis seul empereur gaulois à la mort de celui-ci.

Ce qui va  le sens d’un accord tacite entre les protagonistes est le fait que, bien que Tetricus ait paru au triomphe de son vainqueur, il fut peu après nommé par celui-ci gouverneur de Lucanie.

 

 

 

Ainsi donc, en l’état actuel des sources écrites disponibles, peut-on résumer le séjour dans notre région de ce personnage illustre mais méconnu, dont on ne connaît que le nom Iulius, et le surnom « le Placide », qui fut presque empereur et qui foula, il y a plus de dix huit siècles le sol de notre contrée en y laissant le souvenir d’un vœu énigmatique.

 

 

                                                                                                                                J. C. MICHEL