LA VOIE DE L’OISANS
Egalement présenté à Claix le 26 novembre 2005 et à Herbeys le 16 mai 2008
Mesdames
et Messieurs,
Il
m’échoit, dans ce méritoire colloque de vous présenter, par l’image et dans un
temps limité, le possible tracé de cette quasi mythique « voie romaine de
l’Oisans ». Pour être plus précis, je devrais parler des « possibles
tracés » car, dans le segment Rochetaillée - Le Freney, ce ne sont pas
moins de cinq tracés qui s’avèrent vraisemblables. C’est donc une gageure que
de tenter de présenter, en une grande
heure, les problématiques qui s’offrent à notre sagacité.
Je le
ferai, si vous le voulez bien, en trois parties distinctes :
-
le segment Grenoble –
Rochetaillée, sur lequel je passerai assez vite car il ne présente pas de
problématique majeure,
-
le segment Rochetaillée – Le
Freney, le plus complexe, sur lequel tant d’auteurs ont buté et tant de
théories ont été examinées. Comme on le sait c’est ce segment médian qui
suscite encore le plus grand nombre d’interrogations. Bien évidemment nous ne
les résoudrons pas ici mais l’image, davantage que le texte, sera là pour
montrer combien la problématique est prégnante.
-
Et, enfin, le segment Le
Freney – le Lautaret, sur lequel les auteurs se sont à peu près accordés.
Auparavant,
il a paru souhaitable au organisateurs que quelques éléments introductifs
soient consacrés aux voies romaines en général. Je vais tenter de le faire en
un minimum de temps.
L’immense
réseau de voies de communication terrestres qui se dirigeaient vers tous les
horizons, est véritablement le symbole de la pénétration de la civilisation
romaine dans la majeure partie de l’Europe et de l’Asie ainsi qu’en Afrique du
Nord.
Avant
l’arrivée des Romains, la Gaule et, notamment ce qui deviendra la province de
Narbonnaise, disposaient d’un ensemble de pistes, très bien conservées et
conçues de manière à permettre des échanges commerciaux. Ces pistes étaient
entretenues, des relais prévus, des péages organisés à l’entrée des frontières
des peuples et au passage de certaines rivières que l’on franchissait à gué ou
sur des radeaux.
Les voies
romaines ont ainsi, très souvent, succédé aux chemins Gaulois et Ligures, les
Romains, en les organisant de manière méthodique n’ayant fait que mettre en
œuvre des mobiles stratégiques qui constituaient le moyen le plus sur d’assurer
une domination sur les pays conquis. C’est grâce à ces routes que les ordres
venus de Rome parvenaient dans toutes les Provinces, dans les moindres
districts. A son rôle militaire, la route joignait un rôle politique et
culturel.
En effet,
nul réseau n’a pu soutenir la comparaison avec celui des Romains qui ont
construit et entretenu, pendant plus de 8 siècles, plus de
Les voies
romaines se divisaient en voies militaires (« viae militares »),
construites par et aux frais de l’armée – qui deviendront les voies publiques –
en voies publiques (« viae publicae »), construites par l’Etat et
surveillées par des curateurs et en voies vicinales (viae vicinales »),
qui dépendaient des magistrats locaux.
Je vais
vous montrer quelques exemples de ces voies romaines, certaines proches de
nous, d’autres plus lointaines, mais vous observerez que la technique est,
quasiment, toujours la même :
-
à Saint Ours sur Veurey, la voie de Grenoble à
Valence, par la rive droite de l’Isère
-
aux Rampes de Pont Haut, la
voie de la Matheysine au stratum bien conservé,
-
, à Saint Thibéry, avec un
ouvrage d’art pour le passage de la voie Domitia
-
Cette même voie Domitia,
forée dans le passage des Cluses, non loin du col du Perthus,
-
sur le versant Italien du
col du Clapier qui vit peut-être passer Hannibal et son armée
-
à Ferrare, dans le Val Cenis, non loin de
l’abbaye de Novalaise,
-
et, bien évidemment, à
Donnas, en Val d’Aoste, dont la porte est tellement semblable à celle de Bons.
Mais il y
avait aussi les voies urbaines, particulièrement soignées, comme à Lyon, à Ambrussum, en Narbonnaise, mais
aussi en Tripolitaine, ou encore à Thuburgo Magus, cette colonie fondée par
Auguste pour commander les relations entre la Numidie et la Proconsulaire et
enfin, à Dougga, l’une des cités antiques les plus élégantes et les mieux
conservées des Provinces Africaines.
Partout,
la même remarquable technique. Mais, attention : toutes les voies pavées
ne sont pas romaines et toutes les voies romaines ne sont pas pavées !
Les voies
principales sont connues, essentiellement, par les Itinéraires Antiques, au
nombre de cinq :
-
les « Gobelets de
Vicarello », d’époque Augustéenne, décrivant l’itinéraire de Cadix à Rome
par la vallée de la Durance et le col du Montgenèvre,
-
l’itinéraire Antonin, daté
de la première moitié du 3ème siècle,
-
l’itinéraire dit de Bordeaux
à Jérusalem, livret de pèlerinage du premier tiers du 4ème siècle,
-
la « Cosmographie de
l’Anonyme de Ravenne », dite aussi « Ravennate », du 7ème
siècle,
-
et, surtout, la « table
de Peutinger » : ce document, fondamental pour l’étude des voies
romaines, est la copie médiévale d’un itinéraire antique découvert à Worms au
début du 16ème siècle, par l’érudit Celtes qui la légua en 1508 à
Conrad Peutinger d’Augsbourg – d’où son nom actuel -. Celle ci, aujourd’hui
conservée à la Bibliothèque de Vienne en Autriche, dérive d’une carte du monde
antique, de l’époque d’Auguste, sur laquelle on aurait surajouté, au Bas
Empire, le réseau routier de la première moitié du 3ème siècle.
Puis, entre 351 et 361, à Constantinople, un proche de l’Empereur Julien aurait
repris et complété le document, postérieurement modifié, pour la dernière fois,
dans le courant du 7ème siècle. Cette carte est édifiante mais ses
proportions – 12 rouleaux de
Pour le
secteur qui nous intéresse aujourd’hui, le segment Cularo – In Alpe Cottia est
bien figuré même si, comme on le verra, les stations restent difficiles à
localiser.
Au bord
de ces voies, on trouvait des « mutationes », relais destinés à
changer les chevaux (entre sept et dix milles, soit 10,5 à
C’étaient,
en général, des pierres cylindriques ou ovalisées, parfois parallélépipédiques,
dont la base était cubique pour permettre un enracinement plus solide, de forme
massive, mesurant 2 à
Raymond
Chevallier évalue à 8000 les miliaires retrouvés dans l’Empire Romain, dont 600
pour les Gaules. Encore ne s’agit-il que de ceux dûment répertoriés. Mais de
très nombreux miliaires ont disparu au cours des siècles : on en a
retrouvé en réemploi dans les remparts des chefs lieux de civitas, dans les
églises où, retaillés, ils servent de colonnes et de bénitiers. Ils ont aussi
servi de pierres domestiques, de rouleaux compresseurs, de polissoirs,
d’oratoires ou d’abreuvoirs une fois creusés…
Peu de
milliaires sont restés à leur emplacement primitif et notre voie, qui pourtant
dut être bornée, n’en a malheureusement livré aucun.
En ce qui
concerne le trafic routier, deux types de documents nous permettent de
connaître les véhicules utilisés : certaines sources littéraires et,
surtout, les représentations figurées telles que sculptures, peintures,
mosaïques, monnaies. Ainsi,
le
chariot monoplace figuré sur une stèle de Metz et surtout le gros véhicule de
transport de personnes, ancêtre de la diligence, de Wardatal, reconstitué au
Musée de Cologne.
Et, pour
en finir, avec ces propos introductifs, quelques explications sémantiques sur
les « Alpes Cottiennes » dont il sera beaucoup question : elles
tirent leur nom de Cottius, contemporain d’Auguste, fils de Donnus,
contemporain de César, tous deux roitelets d’un petit royaume, celui de Suse,
dit « Regnum Cottii ». Le col d’ « In Alpe Cottia »,
c’est l’Alpe de Cottius : Bernard François y reviendra tout à l’heure.
Il est
grand temps désormais d’en venir à ce qui nous occupe aujourd’hui : la
voie de l’Oisans.
Connue
par la Table de Peutinger et l’Anonyme de Ravenne, cette voie romaine a été
l’une des plus étudiées, sans pour autant que son tracé soit aujourd’hui connu
avec une certitude absolue.
Depuis
d’Anville, au XVIII° siècle, plus de soixante dix auteurs se sont directement
intéressés à la voie romaine de l’Oisans. Est ce dire la difficulté du
sujet !
On a
toujours opposé la « grande route » de Grenoble à Montgenèvre par la
Mathéysine, le Champsaur, Gap et Briançon (alors même que celle ci ne figure
pas, du moins pour sa partie septentrionale, dans les itinéraires antiques) à
la « petite route » (bien que celle ci soit expressément mentionnée
dans les mêmes itinéraires) par l’Oisans et le Lautaret, dite aussi
« grand chemin », qui présentait l’énorme avantage de raccourcir de
moitié la distance.
César, en
58 avant notre ère (ou du moins une partie de ses légions) aurait pu passer par
le Montgenèvre et la vallée de la Romanche.
Cette
voie, difficile mais directe, était, au moyen âge, la route préférée des
pèlerins de Rome, venant de la France centrale ainsi que des militaires mais
beaucoup moins des marchands.
On notera
qu’aujourd’hui, quatre des principaux ouvrages d’art utilisés par la Nationale
91 pour franchir la Romanche (Ponts de Gavet, de Livet, de la Vena et de la
Romanche) sont des sites attestés de ponts médiévaux au XIII° siècle et,
probablement d’origine antique.
L’étude
de la voie de l’Oisans pose encore bien des problèmes en ce qui concerne sa
partie médiane : plusieurs tracés, utilisés simultanément ou
successivement, sont aujourd’hui envisageables ainsi qu’on le verra lors de
l’étude détaillée de certains segments. Il y a bientôt trente ans que je
réfléchis sur la voie romaine de l’Oisans – celle de la Table de Peutinger –
et, plus le temps passe, plus je suis dubitatif car tant de tracés s’avèrent en
effet possibles.
Je ne
parlerai pas ici du problème des distances qui nous entraînerait trop loin me
contentant, dans la présentation qui va suivre, de mentionner seulement
quelques aspects de la problématique posée.
Venons en
très précisément au tracé de la voie.
1 –
Segment Grenoble-Rochetaillée :
Selon
Pilot de Thorey, la voie, au sortir de la « Porte Romaine » de
Cularo, suivait l’actuelle rue Saint Jacques (nécropole suburbaine) en bordure
du Draquet et se dirigeait par le chemin du même nom vers Saint Jacques
d’Echirolles et le site médiéval de la Commanderie. Entre Grenoble et
Echirolles l’éventail que représentait le Drac à l’époque antique ne permet pas
de restituer le tracé mais, selon toute évidence, celui ci devait être le plus
direct possible. En effet, les drainages naturels des Verderet de Bonne et
Verderet Très Cloîtres avaient fait surgir des terrains marécageux de la
plaine, une étroite langue de terre qui, descendant des coteaux du Midi jusque
vers l’Isère formait alors, sans doute, la seule voie praticable entre Grenoble
et Echirolles.
Echirolles,
on le sait, possède un autel à Mercure, témoin d’un culte remontant, peut-être
à l’époque de la conquête, emplacé au bord de la voie romaine.
De là,
par un chemin qui forme encore la limite communale entre Echirolles et Jarrie elle
se dirigeait sur l’Oratoire de Bresson ; c’est un site remarquable aux
confins de trois communes : Echirolles, Bresson et Jarrie. La vue est
saisissante sur la plaine de Grenoble jusqu’à la Bastille qui apparaît toute
proche.
Ce point
de passage évident était-il atteint par la voie venant de Saint Jacques et
traversant le « bois du Temple » (site primitif de l’importante
commanderie templière d’Echirolles) où des traces sont bien marquées à l’Ouest
et à l’Est - mais le chemin semble s’être perdu entre ces deux parties – ou
parvenait il directement à l’Oratoire par un axe direct Nord Sud encore marqué
sur près de 700 mètres ?
De ce
point – emplacement possible d’un ancien milliaire de la voie – on devait
apercevoir l’agglomération antique.
Puis la voie
s’élève par le « chemin ferré » gagnant
Toujours
sous la même appellation, la voie passe ensuite à l’Est du château Neuf et du
lac de Haute Jarrie ; tracée à flanc de coteau elle est encore très
discernable jusqu’au Plâtre et E. Thévenot la qualifie de « voie romaine
très probante ».
La voie
de l’Oisans s’infléchissait à l’Est, passant sous le lieudit « le Mollard.
Dans cette partie elle est maintenant bitumée. Par contre de la Combe à la
Croix de la Vue, son tracé est encore très apparent et caractéristique :
très souvent rectiligne, avec de petits murets de soutènement.
Elle
passe au lieudit « la Source », dans un très beau site puis à la
« Congagnie » où subsistent, dans un site de carrefour manifeste, des
traces de construction d’époque indéterminée.
De là,
elle gagne la « croix de la Vue » (de la Via ?) d’où un tracé
permettait de rejoindre le pont de Champ et la voie de la Matheysine.
Dans ce secteur des traces d’ornières sont
encore bien marquées. On sait que le problème des ornières a fait couler
beaucoup d’encre mais, en définitive, il semble bien que celles ci aient eu
pour but de servir de guide roues dans les passages difficiles.
La croix
de la Vue perpétue peut-être l’emplacement d’un milliaire : c’est en effet
un carrefour de plusieurs chemins anciens dont le mieux appareillé est
assurément la voie de l’Oisans : murs de soutènement, murets, ornières
imprimées dans de larges dalles de pavage…
Entre la
Croix de la Vue et le Cornage la voie présente, dans ce trajet, suspendu en
plusieurs points sur d’énormes murs de soutènement, des passages où l’on
retrouve, inscrits dans la pierre les rails en creux, nombreux en Oisans.
Elle est
particulièrement remarquable dans ce segment qui surplombe, de manière
spectaculaire, la vallée de la Romanche.
Au delà
du château du Cornage, la voie fait place à un chemin de terre puis goudronné
et il faut restituer son tracé au dessus des « Mattons » : au
lieudit « la Grande Vigne » un important habitat gallo romain occupé
du 1er siècle de notre ère jusqu’aux IV° - V° siècles, a été découvert
et fouillé en sauvetage en 1992.
Puis,
elle se dirige vers le « prieuré », site de l’antique monastère de
Sainte Marie de Viceria qui, dès l’époque mérovingienne, échangeait avec la
Novalaise « le service de refuge, de protection et de surveillance mutuel ».
Cette fondation qui existait, semble t-il, avant même la création de l’abbaye
de Novalaise, aurait pu succéder à une mansio ou une mutatio, la première au
delà de Cularo (Viceria ?).
On
n’insistera pas sur la littérature un peu fantaisiste qui a pu naître à propos
des origines et du rôle de Vizille durant la période antique :
« oppidum antiquum » (Aymar du Rivail), « camp des veilles,
castrum vigiliae » (Marigny), « station militaire »
(Bourne) : la réalité est moins prosaïque et hormis le site de la Grande
Vigne, Vizille n’a pas, à ce jour, livré de témoignages probants : tout au
plus peut-on mentionner un « chapiteau romain en marbre blanc »
trouvé sur le site du cimetière et conservé à Grenoble depuis son classement au
titre des Monuments Historiques en 1911.
De
l’ancien prieuré Notre Dame la voie se poursuivait sur les hauteurs en
direction du château médiéval de Vizille puis traversait du Nord au Sud le parc
du domaine de Lesdiguières jusqu’aux sources de la Dhuy qui passent pour avoir
été connues dès l’ époque romaine et où un « édifice antique » aurait
jadis été observé. Dans ce secteur un diverticule devait permettre de traverser
la Romanche (gué ?) vers le hameau du Pont puis par le lieudit « la
Croix » sur Saint Pierre de Mésage
de rejoindre la voie de la Matheysine.
La voie
de l’Oisans, quant à elle, se tenant rive droite de la Romanche et probablement
sur les hauteurs, gagnait la Rochette et la « Croix du Mottet » (ou
Moutet) sur la limite communale Vizille/Séchilienne. Ici commençaient les
difficultés : la voie, dont le tracé n’est pas conservé dans ce secteur,
était, semble t-il, régulièrement emportée par les crues.
Aux
rochers des Lauzes et des Sagnes et au Sud des Rivoirands, F. Vallentin et H.
Ferrand disent avoir vu les entailles de la voie romaine de l’Oisans. Cette
section est aujourd’hui détruite par les glissements de terrain du Mont Sec.
Selon
toute vraisemblance, celle ci passait vers l’éminence de l’église puis vers le
château de Séchilienne : une tradition obscure voit dans l’une des tours du château une construction d’époque
romaine.
C’est
dans ces parages que se situait, en 1344, l’ « Eychalier »,
limite occidentale de l’Oisans. On notera que c’est dans ce secteur que Cortès
et Armanet auraient relevé des « traces de route taillée dans le
rocher ».
Il est de
fait qu’à l’Ouest et à l’Est de l’église de Séchiliennne se voient encore de
très beaux tronçons d’une voie de belle facture, au pavement encore très
suggestif à certains endroits.
Je laisse
à Bernard FRANCOIS le soin d’évoquer la problématique de FINES, cette station
omise sur la Table de Peutinger, connue uniquement par le Ravenate et située,
depuis l’étude définitive d’Emile Thévenot au lieudit « Lavorant »
sur Gavet.
A cet
endroit, la voie franchissait la Romanche (traditionnellement ainsi nommée
selon Allix, en souvenir de l’ancienne voie romaine qu’elle longeait) :
Ferrand, après d’autres, a souligné l’existence en ce lieu d’un pont antique
dont les culées étaient encore visibles au siècle dernier. Une passerelle dite
« Pont de Gavet » s’élevait jusqu’il y a peu de temps à cet
emplacement, face au « Stade Nautique » et dans l’axe du ruisseau de
Gavet. C’était là, précisément la limite territoriale antique : une croix,
moderne, matérialise toujours cet emplacement.
On notera
que Ferrand, qui situait Fines à Vizille, donne à Gavet le nom de
« Catorissiacum » qu’il dit avoir relevé « sur certaines
vieilles cartes » ( ?). Mais cette mention est déjà dans Roussillon
(1878) qui parle de « vieilles cartes de la Gaule » ( !).
Mais où
était située la « statio » de Fines ?
Le lieu
le plus évident semble être l’actuel village de Gavet mais l’on observera que
la « mansio » pouvait aussi être située à Lavorant : ce lieu,
situé sur les hauteurs à
Bien
matérialisée à l’Est de Lavorant la voie est également très apparente vers les
Clos et entre les Clos et les Roberts.
Selon F.
Vallentin, la voie des Roberts aux Clos était dite « ancien chemin vieux
d’avant le déluge » ; d’une largeur de
Son tracé
est ensuite incertain. Restait-elle rive gauche de la Romanche ou, au contraire,
comme la route moderne, retraversait-elle la rivière à Livet – où un pont est
attesté au XIII° siècle - pour se tenir rive droite jusqu’au pont de la
Véna ? F. Vallentin, la fait passer des Roberts au « Saut du
Cheval », lieudit qui n’est plus mentionné sur la carte IGN.
Le seuil
de la Véna correspond à la limite occidentale des paléolacs de l’Oisans et à
l’emplacement du barrage accidentel de 1191 formé par l’effondrement de la
Vaudaine. La rupture de ce barrage, dans la nuit du 14 au 15 Septembre 1219,
devait provoquer, on le sait, l’une des plus grandes catastrophes du moyen
âge : tous les ponts sur la Romanche furent emportés et les eaux
s’élevèrent, à Grenoble, plus de neuf mètres au dessus de l’étiage de l’Isère.
Dans ce
secteur, profondément bouleversé, la voie paraît devoir être située sur la rive
gauche de la Romanche mais un pont est cité au moyen âge à la Véna et une
hypothèse de voie distincte est envisageable par la rive droite et Baton,
conduisant directement à Allemont Oz et Poutran. Nous y reviendrons tout à
l’heure.
Des
vestiges de la voie de la rive gauche auraient été vus vers le « Pont
Séchier » (que F. Vallentin attribue à Hannibal et qui est cité jusqu’au
XVII° siècle), limite des communes de Livet-Gavet et du Bourg d’Oisans. De là
elle devait être parallèle au tracé de la nationale 91, au pied des contreforts
du Cornillon, jusqu’à Rochetaillée. Des vestiges sont anciennement signalés
dans le « bois de Cornillon ».
Rochetaillée :
Presque
tous les auteurs anciens (à l’exception de Roussillon qui attribue le passage
taillé dans le rocher à la période 1220-1225 ( ?) et Cortès qui l’attribue
au XI° siècle) et la totalité des contemporains (à l’exception, notable, de P.
L. Rousset) considèrent comme authentique le tronçon de voie de Rochetaillée,
« a rupe inciso », roche cise, dans une charte de
A quatre
ou cinq mètres au dessus de la plaine apparaissent, en effet, des traces
manifestes de voie sous la forme d’entaille creusée dans le rocher du
Cornillon, sur une profondeur de deux mètres environ.
Plusieurs
tronçons, sur une longueur totale de plus de
A
l’extrémité du tronçon situé le plus au Sud, la demi voûte disparaît pour faire
place à un rocher taillé verticalement, donnant ainsi une voie d’une largeur de
près de trois mètres.
Ces
travaux considérables se justifiaient par la nécessité d’éviter le fond de la
plaine, soit inondé en permanence soit exposé à des inondations temporaires, et
témoignent, selon J. P. Jospin, de l’importance stratégique et économique que
revêtait la voie de l’Oisans à l’époque romaine.
Des
aménagements similaires procédant de la même technique d’élargissement
artificiel d’une voie taillée dans le roc par des planchers en encorbellement
sont connus en Mésie Supérieure (aujourd’hui Serbie) au défilé (« Gornja
Klisura ») de la voie dite du Djerdap
construite sous Tibère et réparée sous Trajan ainsi qu’en témoignent des
inscriptions gravées dans le rocher de la voie elle même.
Des
aménagements rupestres de même nature sont également connus au poste romain du
Néron et les suggestifs dessins établis par le fils d’Hyppolyte Müller montrent
la technique de taille du rocher en encorbellement, la taille des rainures et
la présence de traverses en bois.
2 –
Segment Rochetaillée – Le Freney :
Je laisse
également à Bernard FRANCOIS le soin d’exposer la problématique du secteur de
Rochetaillée à Bourg d’Oisans et j’en viens sans plus attendre à
CATORISSIUM,
CANTOURISA :
Citée par
la Table de Peutinger (Catorissium) et par l’Anonyme de Ravenne (Cantourisa),
cette station aurait été l’antique chef lieu de la vallée. G. Barruol y voit
même la capitale des Ucennii.
Catorissium,
dont l’emplacement précis n’est toujours pas connu, a été situé à des endroits
divers et variés et, notamment :
- au pont
de Gavet (Longnon)
- à Bourg
d’Oisans (Albert, Chabrand, Ferrand, Thévenot, Barruol, François)
- à la Garde
(d’Anville, Roussillon, Crozet)
- à Oz
(Rousset)
Le
segment CATORISSIUM – MELLOSEDO
est,
selon la Table de Peutinger, l’étape la plus courte du trajet (V milles). Même
si la distance doit être sans doute corrigée (X milles ?) c’est assurément
celle qui, de tous temps, a été considérée comme l’obstacle terrible.
Divers
tracés ont été envisagés et sont du reste nécessaires selon que l’on considère
que Catorissium correspond à Bourg d’Oisans, à la Garde ou à Oz (l’hypothèse de
Gavet devant être écartée pour les raisons que l’on a exposées précédemment) et
Mellosedo à Mont de Lans ou à Mizoën.
Je vais
successivement présenter les diverses hypothèses de tracé de la voie romaine.
A – Tracé
Bourg d’Oisans – Mont de Lans :
(environ
Le Bourg
d’Oisans a livré, en un lieu non précisé, une fibule « à Sanguisaga »
(en forme de sangsue), gravée en Etrurie ou dans le Latium dans la seconde
moitié du VIII° siècle avant J. C. provenant vraisemblablement d’une tombe
située à proximité d’une piste protohistorique et, selon Pilot, quelques
monnaies romaines.
F.
Vallentin et H. Ferrand y situent la « mansio », le second à Saint
Antoine, un peu au dessus du Bourg d’Oisans.
L’endroit
le plus propice – si Catorissium est bien à situer à Bourg d’Oisans – semble être
le site de l’église Saint Laurent, où un prieuré est mentionné dès 1036, placé
sur un promontoire qui surmontait le lac d’Oisans. Un hospice y est signalé au
début du XIV° siècle.
Mais,
pour autant, le tracé de la voie est fort incertain : on a souvent supposé
un double passage de la Romanche avec remontée sur le versant opposé, ce qui
entraîne d’important détours et des pentes assez considérables. On verra,
toutefois, que l’hypothèse d’un tracé par la Garde et Armentier mérite d’être
sérieusement considéré ; c’est, au demeurant, celui qui prévaut
aujourd’hui.
Avec
Ferrand, Thévenot est persuadé que la voie romaine se frayait un passage dans
les gorges de l’Infernet mais que la trace a du s’y effacer ; du reste on
a signalé, depuis Ferrand, un lambeau, estimé romain, au bas de la montée de
l’Infernet ; ce tronçon, abandonné sous le premier Empire, était appelé,
selon Armanet et Cortès, le « chemin ancien des romains dit les
Portes ». En dernier lieu, B. François estime que ce tracé direct est le
plus vraisemblable. emplacement. Même si l’actuel pont d’Auris date de 1849 –
comme le rappelait P. L. Rousset – il a toujours été désigné sous l’appellation
de « pont romain », ce qu’Allix admettait, expliquant l’absence de
vestiges par l’exhaussement et la montée des alluvions : le pont antique
pourrait, ainsi, se situer à plusieurs mètres en dessous du pont actuel. En
1720 le pont d’Auris est d’ailleurs mentionné, ce qui montre une continuité du
passage à cet endroit, où subsiste, en outre, un « champ du Gua » pouvant
rappeler un gué antérieur à la viabilisation de la voie de l’Oisans.
F.
Vallentin, entre le Bourg d’Oisans et le Châtelard, avait imaginé un tracé fort
compliqué, du moins dans sa partie occidentale : Bourg d’Oisans, les
Gauchoirs, les Escalons, la Danchère, l’Argentière, Bourg d’Arud, Venosc, (où
des tombes protohistoriques et des tombes romaines des 3° - 4° siècles ont été
découvertes et où des monnaies romaines sont signalées par Rochas-Aiglun en
1840), le Ferret, Côte Noire, Ferraret (où, dans des marmites de géant il
voyait les citernes d’une « forteresse romaine » qu’il nommait
« le Fort des Têtes » et près de laquelle il plaçait la station de
Mellosedo), Combe Chave, les Ougiers, les Buissons, Pierre Frête, la Combe du
Tuf ou Comboche, Serres du Coin, le ruisseau des Commères (où il signale un
rocher taillé), le Bois du Roi, le Rocher Rond, la chapelle Saint Sauveur, le
Mas de Rivoire le Haut, puis un franchissement du ruisseau de la Rivoire sur un
pont dit romain, les Mas des Drayes et de la Ferrière où il signale un rocher
taillé et des murs de soutènement et, enfin, le Châtelard.
Cette
hypothèse de tracé – un peu surprenante – est aujourd’hui reprise par J. P.
Jospin. On observera qu’elle double la distance entre les deux stations (
Mont de
Lans (Mellosedo de la Table de Peutinger ou Metroselon de l’Anonyme de Ravenne)
est situé sur une très ancienne voie de passage ayant livré en 1860, à
Entre la
Rivoire et le Châtelard, par le Penail, le chemin actuel porte encore
l’appellation de « chemin ancien des romains » : c’est le tracé
de la « route royale » du XVIII° siècle qui a du, selon l’usage,
emprunter le tracé antérieur. Le Probus ne laisse d’ailleurs aucun doute sur le
tracé de la voie médiévale antérieure (qui, très vraisemblablement devait être
le même que celui de la voie romaine) : on y mentionne une
« strata » entre le ruisseau de la Rivoire et celui des Commères. Or,
l’on sait que le terme « strata » indique, au milieu du XIII° siècle,
la grande voie de passage vers l’Italie.
Au col du
Châtelard (où Vallentin plaçait une mansio) la voie passe dans une sorte de
dépression séparée des abîmes de la Romanche, admirablement placée pour recevoir,
comme le nom l’indique, un ouvrage fortifié (Ferrand y voyait un fortin).
Les
traces sont ensuite moins évidentes jusqu’à la Porte de Bons : bien
marquées à certains endroits ce n’est à d’autres, de nos jours, qu’un sentier
même si l’assiette de la voie reste toujours manifeste.
La
« Porte de Bons » :
La quasi
totalité des auteurs ont considéré la Porte de Bons comme une construction
romaine, voire « éminemment romaine » (Grenier, Thévenot). F.
Vallentin rapporte même une tradition qui l’attribue à Hannibal
( !) ; mais cela était alors de mode. Seul, P. L. Rousset lui
attribue une origine récente (les guerres d’Italie du XVI° siècle), ce qui ne
tient plus, au demeurant, avec un document de 1319 récemment étudié par Bernard
François.
Au surplus, nombre d’auteurs modernes ont été
frappés par ses similitudes avec les saignées taillées de la porte de Donnas
dans le Val d’Aoste.
La
première mention de cette porte semble être faite dans les « mémoires
historiques sur le Briançonnais » de Brunet de l’Argentière, édités en
1754 : « …. On découvrit des vestiges en 1722 entre le village du
Mont de l’An et la rivière de la Romanche au dessous dudit village à mi côte il
y a un reste de chemein et un arc fait dans le roc avec des degrez pour monter
dessus que les gens du pays appellent Porte Sarrasine… ». Telle n’aurait
sans doute pas été la dénomination si, comme le pense P. L. Rousset, l’ouvrage
avait été édifié au cours du siècle précédent ce témoignage.
La Porte
de Bons est un portail rocheux ouvert dans les schistes chloriteux sur la paroi
qui domine le cours de la Romanche, à
Les
quelques quarante auteurs qui ont étudié la Porte de Bons y voient ou un tunnel
routier, ou une porte, ou un arc de triomphe ou encore un monument commémoratif
à mi distance entre Culabone et Brigantione (Allix). G. Barruol pense également
à un point de perception d’un droit de péage dans un passage obligé. Roussillon
y voyait un monument commémoratif d’une victoire remportée sur les Allobroges
( !).
L’inscription
dédicatoire de cette porte – qui a du vraisemblablement exister – serait, sans
doute, à rechercher dans les éboulis au dessous de la porte.
H. Blet,
pour sa part, a imaginé que le tracé par Bons, peut-être inachevé, avait pu être
interrompu par suite de difficultés insurmontables. G. Sentis, sans aller aussi
loin, y voit un passage exclusivement estival.
En
dernière analyse, J. P. Jospin y voit une construction d’époque augustéenne.
Au delà
de ces diverses opinions, on notera le souci ornemental qui a conduit les
constructeurs à ravaler à une épaisseur sensiblement égale tout le pourtour de
la porte : les coups de ciseaux qui ont opéré ce déblaiement se marquent
encore à une hauteur de plus de dix mètres du côté qui touche à la masse de la
montagne.
Par
ailleurs, la voie, bien tracée dans la roche en place, s’étend assez longuement
au dessus et au dessous de la porte avec des traces d’ornières assez nettes.
A
Des
vestiges de voie auraient été visibles au XIX° siècle, au delà de la porte, sur
A l’Ouest
de la porte, Ferrand dit avoir localisé la voie romaine aux Garcins, où sa
largeur moyenne était de
Après la
porte, la voie présente un trajet en encorbellement sur environ
Enfin, on
notera qu’a été trouvée à Mont de Lans, en un lieu non précisé, une monnaie
sénatoriale d’Auguste (23 avant J.C) et qu’un hôpital, en mauvais état est
signalé en 1455.
B – Tracé
La Garde – Mont de Lans :
(environ
L’hypothèse
d’un passage de la voie d’Oisans par la Garde et les terrasses d’Armentier a
été émise dès 1847 par Roussillon, sans preuves historiques. Il dit d’ailleurs,
laconiquement, « de la Garde, la voie antique descendait à la plaine par
les coteaux ». Cette voie, pavée sur certains secteurs, est l’actuel G. R.
54 aujourd’hui un peu périlleux mais il faut peut être imaginer un tracé mieux
sécurisé à l’époque antique.
La Garde
est dotée d’une solide tradition antique et il n’est pas utopique, loin s’en
faut, d’y situer Catorissium plutôt qu’à Bourg d’Oisans. Mais il faut, dès
lors, opter pour un tracé par les terrasses d’Armentier et la cheminée d’Auris.
C’est ce
qu’ont fait Marie Christine Bailly
Maître et Joëlle Bruno Dupraz après avoir définitivement établi que la Garde
était, au XI° siècle, le siège du « castrum Sageti » qui contrôlait
la circulation tant sur le lac d’Oisans que sur la voie romaine.
Le chemin
qui suit le flanc du rocher de l’Armentier est ancien : le cadastre
napoléonien montre que la spectaculaire route de l’Armentier, achevée en 1899,
ne présente pas un tracé inédit et s’est, en fait, implanté parallèlement au
très ancien « chemin de l’Armentier à la Balme » qui reliait la Garde
à Auris, mal conservé dans les schistes calcaires, en passant par les
Essoulieux, le Bassey et Vieille Morte.
Il surplombe,
dans un à-pic impressionnant, la vallée de la Romanche
La Garde
a, en outre, livré des monnaies romaines non décrites au site des
Châteaux et à Armentier et un as de Marc Aurèle.
Après les
terrasses d’Armentier la voie aurait desservi Auris où, au hameau de la Ville
(villa ?) ont été découvertes des monnaies de Trajan et d’Antonin le
Pieux. De la Balme elle empruntait le tracé dit « cheminée de la
Balme » (ou « cheminée d’Avoie » : de la voie ?) qui
descend jusqu’au fond des gorges de la Romanche franchie par le pont d’Auris,
probablement d’origine romaine.
Bien
pavée dans ses nombreux lacets cette voie est assurément de haute
origine : au moyen âge et même au delà, elle est qualifiée de
« chemin général », tronçon de la route delphinale puis royale.
Du pont
d’Auris cette voie gagne St Sauveur puis Mont de Lans par le trajet que j’ai
précédemment décrit.
C – Tracé
Oz – Le Freney : (environ
P. L.
Rousset a repris, en la développant et en l’argumentant, une hypothèse jadis
formulée par Roussillon. Celle ci
consiste à situer Catorissium à Oz et Mellodedo au Freney ou à Mizoën.
Cette
voie aurait eu son origine au pont de la Vena et se serait tenue sur la rive
droite de la Romanche. Assez rectiligne elle correspond aujourd’hui à la route
secondaire qui passe à la chapelle de Baton, au pied des montagnes des
Challanches, à Châtillon, à la Roche de la Ville et à la chapelle de la
Madeleine pour aboutir, sans difficultés particulières à Allemont où des
« objets romains » auraient été découverts et où un chemin porte
encore l’appellation caractéristique de « chemin ferret ».
L’hypothèse
développée par P. L. Rousset est argumentée par un certain nombre de
considérations : cette voie, située sur la rive droite de la Romanche,
offrait une alternative au franchissement du lac d’Oisans et présentait un
itinéraire un peu plus court (Fines – Oz : environ
Un lieu
pourrait fournir un argument important à cette hypothèse en apportant des
précisions sur l’une des stations de la Table de Peutinger. On trouve, en
effet, au cadastre du Freney, sur le versant Nord du col de Cluy, un chemin qui
va de l’ « Octave » à la « Pierre des Jeux » ;
sur celui ci une croix est nommée la « croix de l’Octave ». Excentrée
à l’Est du tracé présumé de la voie il faudrait néanmoins admettre, comme le
fait P. L. Rousset, qu’elle ait pu se déplacer au cours des âges. Il serait
ainsi possible que cette « octave » indique, sinon une borne
milliaire, tout au moins une indication de distance, précisant l’éloignement du
gîte d’étape à partir duquel le calcul aurait été fait. Or, à huit milles de la
croix de l’Octave se trouve Oz qui s’identifierait alors avec la station de
Catorissium.
On
notera, à cet égard, que l’une des rares trouvailles d’époque romaine faite en
Oisans est une pièce de monnaie de Caligula, trouvée justement à Oz, en 1860.
Cet
itinéraire offre, au surplus, deux sites qui méritent une grande
attention : le « camp des forçats » et la « croix de
Trévoux ».
Bien que
certains segments de cette voie aient été décelés depuis longtemps, on doit à
P. L. Rousset de l’avoir étudiée et même proposée comme tracé de la voie
romaine de l’Oisans. B. François, qui ne contredit pas totalement cette
hypothèse, y voit néanmoins un tracé qui se serait imposé vers le VI° siècle,
alors que la voie romaine était, peut-être, tombée dans l’oubli.
Du Besey
sur Oz jusqu’au col de Poutran cette voie ne pose, au demeurant, aucun problème
majeur, la longue montée s’effectuant presque toujours à vue. Au notera, de
plus, des tronçons pavés bien conservés, de nombreux murets de soutènement et
deux lieudits indicatifs : le « pont du Gay » et le « pré
de la Pierre ».
La
traversée du plateau de l’Alpe d’Huez ne pose pas davantage de problème :
un chemin, non pavé mais bien tracé, évitant les zones marécageuses, correspond
à l’axe col de Poutran – col de Cluy ; il est connu depuis longtemps et la
carte IGN le désigne toujours sous l’appellation « ancienne voie
romaine ».
Il
aboutit à « Pierre Ronde » d’où l’on gagne, par un tracé encore bien
marqué, le Gua sur Sarennes - ancien gué évident et emplacement d’un hameau
cité en 1339 – puis le col de Cluy.
Le
« camp des forçats » :
Au col de
Cluy, dans une grande étendue d’alpages, existe un vaste quadrilatère, à peu
près régulier, entouré d’un fossé bordé par un mur de pierres sèches.
A
l’intérieur de ce rectangle, se remarque un talus pouvant provenir du
déblaiement du fossé qui est situé de l’autre côté du mur ; on pourrait y
reconnaître le travail habituel effectué pour créer un camp militaire.
Le côté
Ouest de l’enceinte a
Le mur en
pierres sèches n’est pas continu mais, dans la partie inférieure du terrain –
la plus utile pour la défense si tel était son objet – la construction a
Du bas,
part une « allée » remontant vers l’intérieur sur
Selon P.
L. Rousset, les gens du pays auraient toujours surnommé ces restes le
« camp des forçats », ce qui semble exclure une origine pastorale, et
y voyaient une « colonie pénitentiaire » en relation avec les mines
de Brandes. On notera toutefois que les auteurs anciens, et notamment ceux
d’entre eux qui ont étudié toutes les possibilités de tracé de la voie
(Vallentin, Roussillon), n’ont jamais fait la moindre allusion à l’enceinte de
Cluy.
Jean
Prieur, pour sa part, pense qu’il est difficile d’admettre l’idée que cet
ouvrage puisse être un camp de haute époque. Par contre, il pense que cette
énigmatique construction pourrait être une « clusurae » du Bas
Empire. Ces fortifications frontalières – dont le seul exemple conservé de nos
jours se situe à « l’Ecluse »,
vers le col de Panissar, frontière antique entre la Gaule et l’Espagne – se
présentaient sous la forme d’un rempart peu étendu, accompagné d’un point
d’appui permettant facilement à une petite garnison de retarder le passage d’une
armée. Au Bas Empire, la protection de l’Italie a du passer par la
fortification des Alpes et ce sont ces « clusurae » qui sont
représentées de façon schématique sur la « Notitia Dignitatum » au
début du V° siècle mais dont la nature et l’emplacement exact ne sont pas
connus.
Une étude
récente de Jean Pascal Jospin ouvre de nouvelles perspectives de
recherches : selon lui, la structure originelle serait plus petite que le
« camp » :
J’ajouterai,
qu’au Sud du « camp des forçats » se voient encore des traces moins
distinctes d’un second enclos, presque de mêmes dimensions, qui était établi
parallèlement au premier. Comme on le voit, ce secteur un peu particulier est
loin d’avoir livré ses secrets.
De Cluy,
le « chemin du Lauzat », remarquable voie ancienne, de déclivité
raisonnable et constante, aboutit, dans un très beau site, à la « Croix de
Trévoux » c’est à dire des trois voies.
Dans celle qui vient de Cluy, P. L. Rousset
voit la voie venant de Vienne et de Grenoble ; dans celle qui se dirige
vers le Freney : la voie d’Italie.
Une
troisième s’en va, serpentant au milieu de larges polis glaciaires et conduit à
Auris et, de là, à la Garde.
P. L. Rousset jalonne ensuite la voie de
l’Italie des repères suivants : Le Puy Dessus, l’oratoire Saint Servant,
le chemin dit « la Charroutière », le Périer puis, après un
franchissement de la Romanche (pont romain ?), le Freney.
Ce tracé
est donc, globalement, bien identifié. Mais la déclivité laisse songeur :
d’Oz (
Enfin,
pour rester dans ce secteur on évoquera une dernière hypothèse :
D – La
Garde – Mont de Lans par le col de Maronne
(environ
Celle ci
est séduisante. En effet si l’on part de la Garde en direction de Maronne on
passe au lieudit « la Madeleine » qui évoque un hospice ou une
maladrerie édifiée selon toute vraisemblance au bord d’une voie fréquentée
Celle ci, selon Roussillon, aurait succédé à un « temple romain » et
une butte artificielle voisine a été décrite comme une « tour à
signaux » antique. Il s’agit, plus vraisemblablement d’une motte féodale.
A proximité, des sépultures ont été signalées à plusieurs reprises. Au delà se
situe le lieudit « le Châtelard », fortification probable.
De là est évident le passage par le col de
Maronne en suivant un chemin encore dénommé « chemin du Pape ». Du
col de Maronne on peut envisager un tracé au flanc des Côtes jusqu’à Cluy ou un
tracé un peu plus bas par les Orgières et la chapelle Saint Géraud jusqu’aux
sources dites « Font Bernard » et, de là, le chemin du Lauzat.
P. L.
Rousset n’écarte pas cette solution mais l’explique comme étant un
« raccourci de basse époque ». « Ce n’est pas – dit-il – qu’il
fut plus court ; en effet de la Croix de Trévoux à Gavet par le col de
Cluy, Poutran et Oz ou par Auris le col de Maronne, la Garde et Bourg d’Oisans,
la distance est sensiblement la même » mais il reconnaît qu’
« on économise un col » et que celui de Maronne est sensiblement
moins élevé que celui de Cluy.
Pour un
kilométrage équivalent la fatigue et l’effort dus aux montées et aux descentes
sont amoindris et l’altitude inférieure permet, pendant plus longtemps dans la saison,
l’utilisation des chemins.
E – enfin, au
point où l’on en est des hypothèses dans ce secteur tant controversé, j’en
proposerai une cinquième, inédite : Bourg d’Oisans – le Freney, par Auris.
De Sainte
Guillerme, au lieudit « le Clapier », la voie aurait pu, en effet
emprunter le pont d’Auris et la « cheminée d’Avoie » que nous avons
vue tout à l’heure, puis, d’Auris gagner la croix de Trévoux et le Freney.
La
remarquable cheminée d’Auris est parfaitement tracée dans un secteur pourtant
hostile. Tout incline à voir là un « travail de romain ».
Elle aboutit à l’oratoire Saint Christophe et,
tout proche de là, au hameau de la Balme, de haute origine. De la Balme existe
toujours un bon chemin qui conduit à « la Ville », centre probable de
l’habitat le plus ancien d’Auris.
On
rappellera que des monnaies de Trajan et Antonin le Pieux y ont été découvertes
et que c’est l’emplacement de l’église paroissiale Saint Julien, citée dès 1073
dans un cartulaire d’Oulx.
De là, un
chemin ancien conduit aux Cours puis franchit la Combe Gillarde. Vers la source
du même nom, ce chemin se raccorde à la très belle voie du Lauzat et aboutit à
la croix de Trévoux, les « trois voies ».
On
observera que cet itinéraire très rapide ne comportait aucune difficulté particulière
et pourrait, lui aussi, correspondre au tracé Catorissium – Mellosedum.
Ainsi qu’on la vu, cette station, citée par la Table de Peutinger
(Mellosedo) et par l’Anonyme de Ravenne (Metroselon), a été proposée à divers
endroits :
-
Mont de Lans, qui est
aujourd’hui l’hypothèse la plus communément admise,
-
Venosc (Ferraret), selon
l’hypothèse de Vallentin, que l’on doit écarter et qui, du reste, n’est pas
reprise par J. P. Jospin qui fait pourtant sien l’essentiel du tracé proposé
par Vallentin
-
Le Freney selon le tracé par
Oz retenu par P. L. Rousset
-
Mizoën, selon plusieurs
auteurs anciens (Gras, Roussillon… ), qui, au demeurant reste très plausible
Cette
hypothèse, qui ne remet pas en cause le tracé par la Porte de Bons est, en
effet, à considérer. La distance, depuis
la Garde, est sensiblement
comparable : tout au plus l’allongement de trajet est de l’ordre de deux
kilomètres. En outre, avant la mise en eaux du barrage du Chambon, qui a
profondément modifié la topographie des lieux, divers vestiges de voie ont été
remarqués sur le territoire de Mizoën :
-
aux « Eglières »,
où le rocher avait été entaillé, semble t-il, et où des rainures se voyaient,
-
aux « Condamines »
où des « vestiges de chaussée » se voyaient avant 1874 et où un pont,
détruit au début du XIX° siècle, est dit « pont construit par les
romains »,
-
à « Préforens »,
où plusieurs tronçons, en tranchée, avaient été repérés en 1875 avant d’être
détruits peu après ; chaque tronçon présentait trois niveaux : un
niveau pavé de grandes pierres irrégulières, une couche de mortier et de sable,
une couche de petits cailloux. La largeur moyenne de cette chaussée était de
-
le lieudit
« Oulme » où d’autres tronçons étaient également visibles avant 1875,
-
le lieudit « le
Rochas » où le rocher était taillé avec l’empreinte de deux rainures de
voie, profondes de 8 à
-
le lieudit
« l’Echirolle » où se voyaient d’autres rainures, également écartées
de
-
le lieudit
« Fernis » où le rocher avait été taillé et où des rainures
semblables avaient été vues
-
et enfin près du village où
Cortès voyait, dans le « chemin des Aymes » un reste de cette voie.
On notera
également la présence de sépultures du Bas Empire près de l’ancienne église
Saint Christophe.
F.
Vallentin, pour sa part, avait imaginé un tracé entre la Porte de Bons et
Mizoën par les Combes, le « mas de Fernis », le « mas de
l’Echirolle », le « mas de Rochas », le « mas de
Préforens », la « croix des Orars », le ruisseau du Gilibert –
où il situe un « pont romain » qui aurait été détruit en 1830 – les
« Condamines », Cotariol, Traverse, le « Pied des Serres »,
la Gardelle, Tardivière, le « mas de Daraire » et, enfin, Mizoën.
Bien
évidemment on ne suivra pas Roussillon qui, pour sa part, faisait passer la
voie à « la Loge » sur le plateau d’Emparis.
3 – SEGMENT MELLOSEDO – DUROTINCO : (environ
Quel
qu’ait pu être le trajet précédent, par Bons et Mont de Lans ou par les
différents itinéraires envisageables de la rive droite de la Romanche, les
auteurs s’accordent ensuite sur un tracé parallèle à la Romanche, à
l’emplacement du barrage du Chambon qui a noyé toutes les traces, puis le long
de la « Combe de Malleval ».
Dans ce
secteur, F. Vallentin dit avoir vu des « rainures taillées dans le roc,
identiques à celles de Rochetaillée » et Pilot y signale, sans précisions,
la découverte d’ « objets romains ».
Quoiqu’il
en soit la voie devait nécessairement passer aux anciens hameaux du
« Chambon », du « Dauphin » - bourg dont l’origine était,
pour le moins, médiévale – et de « Parizet ». Celle ci est mentionnée
sur l’ancienne carte du Service Géographique de l’Armée de 1922.
A
l’ancien hameau du « Dauphin », un « pont en pierre, à culées
très fortes et assez élevées » est signalé par Albert.
Après le
hameau de « Parizet », commençait la « Combe de Malleval »,
aride et désolée, justifiant sa sombre dénomination.
C’est là,
à la limite actuelle des départements de l’Isère et des Hautes Alpes, que se
situait l’ « hospice de Loche » (ou de l’Oche), reconstruit par
Humbert II à l’emplacement probable d’une « mansio », indispensable
dans ce pays désert.
La
localisation deDUROTINCO :
Citée par
la Table de Peutinger (Durotinco) et par l’Anonyme de Ravenne (Durotingo),
cette station, comme les précédentes, n’est toujours pas localisée avec
certitude. Elle était vraisemblablement située entre la Grave et Villard
d’Arène. Le toponyme (forteresse) pourrait indiquer la présence d’une garnison
au pied du Lautaret.
Diverses
hypothèses ont été envisagées :
-
le lieudit
« Degoul », sur la commune de Mont de Lans (Longnon dans le CIL
XVII,2 et, récemment, R. Chevallier)
-
« entre la Grave et le
Villard d’Arène » (Barruol),
-
les « Cours » ou
les « Hyères » sur la Grave (Roussillon)
-
« un des villages du
Villard d’Arène » (Ferrand)
-
les « Vernois »
(Vallentin, Roman et H. Müller qui a vu « trois routes superposées
appartenant à des époques diverses »,
-
« près du Villard
d’Arène » (Champollion-Figeac)
-
au « Pied du Col »
(Allix).
On
observera que la Grave a livré divers vestiges antiques :
-
des sépultures de l’âge du
Bronze, près de Ventelon,
-
une intaille en cornaline de
haute époque (entre 50 avant notre ère et 50 après notre ère)
-
des traces d’occupation
romaine au presbytère : lampe en terre cuite et monnaies romaines.
Au
surplus, des travaux routiers sur la Nationale 91 ont livré, en 1987, une tombe
du haut moyen âge et un hôpital est mentionné en 1458.
F.
Vallentin, dans ce secteur, fait passait la voie – qui, selon lui, portait
l’appellation d’ « ancienne voie sarrasine » - à Loches, les Balmes,
le Rif de la Girose, Méaris, Grand Champ, au mas de la Gela (tronçon
pavé ?), la Lauzelle, au mas des Fumas, aux petits et aux grands Vernois
(agglomération jadis importante selon la tradition), et, après une traversée de
la Romanche, au mas du Châtel à Negger, Binante, Saint Homme, les Ruines et au
Pied du Col.
Le
Villard d’Arène a également livré de nombreuses traces archéologiques :
-
au lieudit «Casse
Rousse », à
-
au lieudit « les
Cours » des traces d’occupation romaine : fiole en verre et scories
en fer
-
au « Pied du
Col », la trace de la voie romaine qui passait, presque rectiligne.
-
Segment
DUROTINCO – STABATIONE : (environ
Au delà
de « Pied du Col », probable emplacement de la station de Durotinco,
deux intervalles, selon l’ancienne carte du Service Géographique de l’Armée,
paraissent remarquables : la « Font des Vives » à
Le col du
Lautaret, jadis de l’Autaret (« altaretum », autel en 1042) a
toujours été la limite orientale de l’Oisans : « mandamentum Oysentii
ab Altareto usque ad Eychalerium prope Sechilinam » au XIV° siècle. Aucune
découverte archéologique n’est connue mais le col a peu été prospecté. H.
Müller indiquait y avoir trouvé une tuile qu’il estimait incontestablement
romaine. Ferrand y plaçait une « mansio », ce que semble corroborer
la mention d’un hospice connu au moyen âge.
S’il est
établi que cet hospice était bien situé au col lui même, l’éventuelle
« mansio » est peut être à rechercher sur le versant méridional du
col ; à peu de distance de celui ci, en effet, sur un replat bien protégé
à proximité de la voie romaine, subsistent des substructions d’une construction
compartimentée qui ne saurait s’assimiler à celle d’une bergerie.
Ces
vestiges, qui s’apparentent pourtant à ceux de la mansio du col du Petit Saint
Bernard, ne semblent pas avoir été étudiés.
Au delà
du Lautaret et sur le versant Briançonnais la voie est encore très bien marquée
notamment aux « Prés Brunets », à
Et,
surtout, à l’ancien hospice de la
Madeleine où certains auteurs placent la station de Stabatione, à la
« Font Gilbert » et au Lauzet et elle présente un tracé beaucoup plus
rectiligne que celui de l’actuelle route nationale. Enfin, sur les pentes de la
montagne de l’Aréas, des tumulii protohistoriques auraient été découverts non
loin de la voie romaine nommée ici « chemin Ferré.
Nous
n’irons pas au delà de la Madeleine car le tracé par Stabatione et Brigantione
jusqu’au Mont Genèvre, site de la station In Alpe Cottia, l’Alpe de Cottius,
sort nettement des limites fixées au présent colloque.
Mesdames et
Messieurs,
Il était
difficile, sinon téméraire, de vouloir en un laps de temps aussi limité de
brosser une synthèse de la vaste problématique qui se pose à nous. Les érudits
auront sans doute trouvé mes propos sans doute trop généralistes cependant que
le public moins averti aura trouvé cela sans doute un peu trop dense. Que les
uns et les autres, que je remercie pour leur louable attention, veuillent bien
me le pardonner.