LE GRAND ROCHEFORT

 

Conférence donnée à Varces le 6 novembre 1993, à Saint Paul de Varces le 25 mars 1995 et à Claix le 3 décembre 2004

 

Mesdames et Messieurs,

 

Nous vivons à proximité d’un lieu chargé d’histoire, malheureusement bien mutilé de nos jours, qui fut durant des siècles, un lieu refuge et cultuel de la plus haute importance du point de vue de l'archéologie.

 

C’est à sa découverte que je vous propose de me suivre ce soir dans une évocation sinon exhaustive, du moins largement vulgarisée.

 

Voici donc, sur l’écran, et à très peu de distance des lieux dont il s’agit, le site de « Ruppa Forti », la « Roche Forte », dont on a fait, depuis le moyen âge, Rochefort.

 

Site majeur de notre histoire locale antique, ce rocher méritait bien qu’on lui prête une attention toute particulière. C’est chose faite depuis la parution, il y a de cela plusieurs années d’un article de fond dans le « bulletin des AVG », repris et enrichi, depuis peu, dans la récente « histoire de Claix ».

 

Mais au delà de ces textes, auxquels vous pourrez, si vous le souhaitez, vous reporter à loisir, ce sont des images peu familières et parfois même inédites que je vous propose de découvrir ce soir.

 

Vous connaissez tous, je pense, le Grand Rochefort qui fait partie du paysage immémorial de la plaine de Claix et de Varces.

 

Ce que l’on sait sans doute moins c’est que ce rocher et ses proches environs ont livré de très importants vestiges, essentiels pour la connaissance de notre passé local. A l’exception de restes de dinosaures toutes les époques où presque, ont laissé des traces à Rochefort.

 

Pour la clarté du propos, je vous propose d’aller à leur découverte en examinant, successivement, cinq secteurs définis un peu arbitrairement :

 

-          la nécropole dite du « champ des sources » (en bas et à droite sur ce plan d’ensemble),

-          la nécropole Ouest (en bas à gauche),

-          l’oppidum proprement dit, en marron sur le plan avec son rempart et l’énigmatique lieu de culte,

-          le balnéaire,

-          et, enfin, ce que j’ai génériquement appelé « les autres vestiges ».

 

Voyons tout d’abord, si vous le voulez bien, la nécropole du champ des Sources, dite aussi « nécropole Est ». Dans les premiers jours d’Avril 1884, en effectuant les travaux de prise d’eau des Sources de Rochefort, destinées à alimenter en eau potable la Ville de Grenoble, les ouvriers rencontrèrent dans les terrasses dominant le Champ des Sources, et à huit mètres au dessus du lit actuel de la Gresse, les débris de plusieurs sépultures, bordées de gros cailloux et orientées Nord Sud.

 

D’après les témoins visuels il y avait, avec des squelettes humains mélangés comme dans la plupart des sites protohistoriques ayant connu des bouleversements de terrain, un important matériel constitué pour l’essentiel de bracelets en bronze dont seule une faible partie a, malheureusement, été conservée.

 

Certains de ces bracelets – en très bon état de conservation comme on peut en juger – ont constitué la base du matériel que l’on a éponymement dénommé « Groupe de l’Oisans », individualisé par Ernest Chantre en 1880 à Ornon.

 

Des bracelets similaires ont été ultérieurement découverts à Seyssinet-Pariset, la Tronche, Saint Michel les Portes, Saint-Égrève et Sassenage. L’inspiration hallstattienne de ces bijoux ne fait pas de doute et il semble bien que le matériel du « Groupe de Rochefort » soit issu d’une production locale assez homogène.

Mais, au delà de ces remarquables bracelets, la nécropole Est a livré un important matériel protohistorique :

 

Bracelets et anneaux, pour l’essentiel, mais aussi bague en bronze et en lignite.

 

Presqu’un demi siècle plus tard – en 1931 – une seconde nécropole, dite Ouest, devait être découverte en ce lieu, le long d’un très ancien chemin tracé au ras du rocher, en face de la plaine de Claix.

 

Les travaux de carrière entrepris sur le flanc Ouest de Rochefort firent, en effet, apparaître quatre tombes emplacées de 4 à 5 mètres au dessus de la plaine.

 

De l’important matériel qu’elles renfermaient et qui a malheureusement été en grande partie perdu, subsistent quelques bracelets ou fragments de bracelets en bronze, d’une facture moins élaborée que les bracelets découverts dans la nécropole Est.

 

Ces deux nécropoles ne sont, peut-être, que des parties d’un seul et même site funéraire antique qui pouvait s’étendre, il y a 2500 à 3000 ans de cela, de part et d’autre du rocher et couvrir l’ensemble de l’actuel Champ des Sources. Mais il ne s’agit là que de conjectures qui ne peuvent plus être vérifiées maintenant.

Demeure une question prégnante : de quel habitat provenaient tous ces corps ? A la lueur des révélations récentes de la plaine du Lavanchon et de ses habitats on ne peut manquer d’être tentés d’établir une évidente corrélation.

 

Mais voyons maintenant l’oppidum proprement dit. Le rocher de Rochefort, qui domine toute la plaine, est situé, comme on peut le voir sur ce plan cadastral, pour partie sur la commune de Claix et, pour partie, sur celle de Varces. C’est du reste, surtout cette partie, doive notre amour propre en souffrir, qui a livré les vestiges les plus importants.

 

En effet, l’oppidum proprement dit correspond à la partie supérieure du rocher qui forme une plate forme d’environ 75 m de long sur 35 m de large et qui domine la plaine d’environ 100 mètres.

 

Des chemins anciens, sans doute d’origine protohistorique, parfois encore bordés de vagues restes de murets, sillonnent les pentes de cet oppidum du côté de l’Est.

 

On peut en voir des traces intéressantes comme ici…

 

… Ou encore comme là.

 

La structure du plateau est un rocher calcaire fissuré : la couche de terre, très irrégulière, contient des blocs de la roche locale, des débris erratiques et des cailloux roulés. H. Müller a pratiqué, de 1904 à 1913, sur toute la partie sommitale, des tranchées et des sondages importants portant sur plus de 250 m3 de terrain. Mais les occupations antérieures et, surtout, l’édification de la levée de terre encore conservée, notamment à l’Est, ont complètement bouleversé le sol, rendant impossible l’établissement d’une coupe stratigraphique.

 

Le site a été fréquenté dès le néolithique, mais de façon très restreinte, et il paraît établi, comme le pressentait H. Müller, que Rochefort n’ait pas vu s’élever, à cette période, un groupe de cabanes comparable à celui découvert sur le site voisin de Saint Loup sur Vif.

 

L’âge du bronze traduit un abandon à peu près complet du plateau, hormis quelques fréquentations ponctuelles révélées par de rares tessons de poteries.

L’âge du fer, par contre, a du connaître une fréquentation beaucoup plus constante, prouvée par les nécropoles Est et Ouest dont j’ai parlé, mais rien de tangible n’a été retrouvé, pour cette époque, sur l’oppidum.

 

Les bouleversements postérieurs du site, notamment à des fins défensives, sont, vraisemblablement, à l’origine de cette absence, assez inexplicable, d’éléments sur le rocher lui même.

Un habitat gaulois a été signalé par H. Müller sur une petite plate-forme située à l’Est, entre 25 et 30 mètres en dessous de l’oppidum mais celui-ci, malgré une forte quantité de tessons, représentatifs d’une période échelonnée sur quatre à cinq siècles, n’a fourni que peu d’objets.

A partir de 270 après J. C. l’oppidum paraît avoir servi de refuge permanent ou épisodique jusqu’à l’époque carolingienne.

L’abandon définitif du site est à placer vers le 9ème, 10ème siècles qui, depuis lors et jusqu’à l’époque contemporaine, ne tut, semble t-il, qu’un plateau boisé de broussailles et de taillis.

H. Müller, à l’occasion de ses très importantes fouilles, exhuma un matériel composite et important recouvrant une période de près de 4000 ans.

La description exhaustive de ce matériel figure dans ma communication détaillée que j’ai évoquée en préambule et je ne veux ici présenter que quelques éléments significatifs.

 

L’époque néolithique – 3000 ans avant notre ère – la plus ancienne témoignant d’une occupation permanente de Rochefort, a livré des lames en silex, des éclats et des fragments d’outil tels ce manche de pioche en bois de cerf, démontrant l’activité agricole de la population de Rochefort.

 

L’époque du bronze a livré des débris céramiques très importants (plus de 250 kg) comprenant notamment des restes de jattes, coupes, plats lustrés, bols et vases à cannelures décoratives, comme le récipient que l’on peut voir ici,

 

Ou encore comme ce gobelet caliciforme en céramique bistre,

 

Ce ciseau poli en roche verte ou ces 9 perles en os…

 

De la même période date cette belle rouelle à rayons, en bronze, sans doute incomplète.

 

L’époque de la Tène et surtout l’époque gallo romaine ont livré un très important mobilier, malheureusement perdu. Parmi celui ci il faut relever des objets en os, en verre, en céramique et, surtout 16 morceaux en beau marbre dit ophite d’Egypte, retrouvés éparpillés sur l’oppidum par H. Müller, certains mesurant 23 mm d’épaisseur et les plus minces 17 mm.

 

Plusieurs avaient été altérés par un feu violent. Ces marbres, en un tel lieu, présentent un caractère anachronique. Avaient-ils été apportés dans la région pour orner une riche villa ? Sans doute, mais l’emplacement de cette luxueuse demeure reste à découvrir. Elle devait être assez proche de l’oppidum mais on se doit d’exclure l’hypothèse d’une provenance de l’établissement du Cellier que l’on voit ici et qui, à l’évidence, était une simple ferme ou du moins la dépendance d’une villa non localisée.

 

Mais on peut penser aussi à la grande villa de Rochedure révélée lors des fouilles de l’A 51.

 

Lors des troubles de la fin du 3ème siècle les villae de plaine ont dû, selon toute probabilité, être abandonnées et incendiées, fournissant aux malheureuses populations réfugiées sur l’oppidum, des débris de fer, de bronze et des vases plus ou moins entiers. Il semble évident que les tessons de vases sigillés ou unis recueillis sur Rochefort et, surtout, ces plaques de marbre n’avaient pas été faits pour ses habitants ; on peut difficilement les considérer par ailleurs comme des offrandes. Il reste alors à supposer, pour expliquer leur présence sur le rocher, que des enfants, séduits par les belles couleurs de ces débris dans les ruines des villae les auraient récupérés et transportés sur le plateau-refuge.

 

Après l’époque gallo romaine, l’occupation de l’oppidum semble s’être prolongée, du moins jusqu’au 10ème siècle voire même au 11ème. De cette époque qu’Hippolyte Müller nommait « méro-carolingienne », on connaît un important lot de ferrailles trouvées en grande partie au Nord de l’oppidum et laissant supposer l’emplacement d’un possible site métallurgique, parmi lesquelles, ces clous et fragments d’outils.

Enfin, 8 à 10 kg de culots de fonderie entiers ou brisés montrent qu’il a sans doute existé sur Rochefort au haut moyen âge des fours à fondre le fer.

Si nous reprenons l’ordre des choses que je vous ai proposé, il convient de s’arrêter maintenant sur le seul vestige encore visible de Rochefort : le rempart situé dans la partie Est du site, c’est à dire dans la partie centrale droite de ce plan.

 

La levée de terre et de blocailles qui protégeait le plateau sur ses côtés accessibles, le Sud, l’Est et le Nord et qui subsistait presque en totalité au début du 20ème siècle, paraît avoir été édifié à l’époque gauloise tardive mais il a pu aussi résulter de la reconstruction d’un rempart plus ancien comme pourraient en témoigner les gros blocs qui forment la base de la levée à l’Est et au Nord.

 

Il en subsiste de notables parties sur le côté Est, dans la forêt et vers le Nord. A certains endroits, l’élévation est encore de 1,50 m environ ; il n’apparaît pas, eu égard à sa faible assise, qu’il ait dû être beaucoup plus élevé à l’origine.

Par certains sondages pratiqués dans la partie Est du rempart, révélant des débris de tegulae, il a semblé à H. Müller que celui ci avait pu être reconstruit ou renforcé au moment des périodes troublées amorcées avec l’année 270 et que le plateau aurait alors servi, de nouveau, de refuge permanent comme du reste bon nombre de sites voisins : St Loup, Comboire, Château Bouvier...

 

Au delà de l’oppidum proprement dit, vers l’extrémité Sud-Est du plateau et à proximité du petit col qui sépare Rochefort du rocher du Mollard, H. Müller dit avoir rencontré sur la crête des traces de maçonnerie indiquant probablement quelque ouvrage défensif. Ces vestiges, qui ne sont plus visibles, n’étaient sans doute pas en liaison directe avec l’oppidum mais plutôt complémentaires aux défenses de celui-ci.

 

La découverte la plus importante faite par H. Müller à peu près au centre de l’oppidum est celle d’un mur en pierres sèches, formant un demi cercle, la convexité tournée au Sud-Est, de 2,50 m de diamètre et d’environ 0,35 m d’épaisseur sur 0,40 m de hauteur, entièrement enfoui dans le sol et dont subsistent ces maigres vestiges réutilisés semble t-il pour des agapes champêtres qui n’ont rien d’antique.

 

Selon le plan qu’il en fit et dont on voit ici une reproduction sommaire, il y avait au centre même de cet hémicycle un gros galet sphérique en quartzite blanc de 4 à 5 kg ; on peut y voir, peut-être, une pierre sacrée ou bétyle ou encore la matérialisation d’une divinité. Il y avait, à proximité, un petit bronze de Gallien.

Autour de l’hémicycle, H. Müller devait recueillir, sur une surface d’environ 8 m2, 90 monnaies groupées curieusement : au Sud les monnaies les plus anciennes puis, en allant vers l’Est les impériales et, enfin, encore plus à l’Est les pièces les plus récentes, comme si au fil du temps une rotation du culte s’était opérée par rapport à l’emplacement de la pierre sacrée. 

 

Ces monnaies traduisent une continuité d’occupation de près de sept siècles ; encore faut-il admettre que les 90 monnaies recueillies par H. Müller ne représentent qu’une faible partie des offrandes déposés à Rochefort durant cette longue période.

 

La pièce la plus ancienne (qui porte le n° 1 sur ce cliché) est une obole grecque de Marseille, en argent, tête d’Apollon à gauche sur l’avers et au revers les lettres MA pour Massilia, dans les rayons d’une roue. Cette pièce peut être datée de 300 à 250 avant notre ère.

 

Portant le n° 2, un quinaire gaulois en argent avec cavalier combattant au revers, du type légendé COMA attribué aux Voconces et pouvant être daté de l’extrême fin du 1er siècle avant  J. C.

 

Avec les n° 4 et 5, ce sont des as de Vienne et de Lyon, représentant à l’avers les têtes adossées de César et d’Octave et, au revers, l’identification des colonies de Vienne et de Lyon.

Au titre des monnaies les plus anciennes figuraient également des as de Rome et de Nîmes puis, pour la période intermédiaire, des moyens bronze à l’effigie des premiers empereurs et, enfin, pour la période la plus récente, des petits bronzes de Constantin le Grand, Constance II, Julien… La pièce la plus récente était un petit bronze d’Honorius qui régna de 395 à 423.

 

Comment interpréter tout cela ?

 

Alors qu’en certains lieux on offrait des lampes (par exemple à Lachar à très peu de distance de Rochefort), des petits miroirs en bronze, des statuettes en bois, à Rochefort ce sont des monnaies qui servaient d’offrandes.

La situation exceptionnelle du lieu, la vue incomparable dont on y jouissait, la proximité de gués et de pistes voisins ont pu, comme pour de nombreux autres sites antiques, le faire choisir comme siège d’un culte, probablement Sylvestre.

Ce lieu sacré, établi vers la fin de l’indépendance gauloise aurait ensuite été assimilé par les Romains et, aurait perduré jusqu’au début du 5ème siècle, traduisant par cette exceptionnelle longévité (près de 7 siècles) la réputation certaine dont il jouissait.

 

Contre le talus de cette terrasse, une autre découverte importante devait être faite en 1913. A l’occasion d’un des creusements de drains et entre 5 m et 5,80 m de profondeur, des moellons épannelés en calcaire et des tuiles romaines furent mis au jour.

Il y avait probablement là un balnéaire érigé sans doute sur la terrasse et qui aurait été détruit par une crue violente du Drac. Parmi les restes de cet établissement furent découverts ce très beau marteau votif en plomb. Monté sur un manche allongé, d’une longueur de 25 cm pour une largeur de 10 cm, il est formé d’une seule pièce coulée dont la face inférieure est plane.

 

Ce marteau paraît être un ex-voto déposé à l’emplacement d’une source, probablement au cours du 1er siècle de notre ère. Des marteaux semblables ont été découverts en divers lieux et, notamment, pour la proche région à Uriage. Il s’agissait dans tous les cas connus d’ex-voto déposés en offrande à une divinité de source. Mais un culte à Vulcain n’est pas improbable. J’ai étudié, en son temps, les différentes hypothèses envisageables dans une étude spécifique que l’on ne reprendra bien évidemment pas ici.

 

A 100 mètres du lieu de cette découverte et sur la terrasse proprement dite, des travaux agricoles mirent ultérieurement à  jour des moellons absolument semblables qui faisaient partie d’un mur de plus de 20 mètres de longueur. Un sol constitué par un mortier de chaux grasse et de briques pilées s’étendait entre les deux murs.

Une corrélation est possible entre cette construction et la source. Il s’agit, peut-être, du captage d’une source cultuelle ou encore d’une source destinée à l’alimentation d’une villa, non retrouvée, qui pouvait être située à proximité, ou bien encore – comme le pensait H. Müller – d’installations balnéaires.

 

Si l’on pouvait certifier que les moellons, les tuiles et le marteau étaient bien « in situ », cela signifierait que le niveau habitable était, en ce lieu, il y a deux mille ans, cinq à six mètres plus bas qu’actuellement. Mais les ravages de la Gresse et du Drac confondus et les bouleversements stratigraphiques du début du siècle rendent malheureusement impossible toute recherche permettant d’interpréter, avec suffisamment de certitudes, ces vestiges fortuitement exhumés.

 

Il reste à citer, brièvement, les autres vestiges de Rochefort :

 

-          ainsi, un petit défrichement pour une vigne de la pente Est de l’oppidum a livré, en 1905, des tessons de l’époque de la Tène et a révélé les vestiges d’un pavage en gros cailloux roulés du Drac,

-          à 50 m de là, sur une sorte de petit col, assez spacieux, de nombreuses tuiles à rebord ont été découvertes, traduisant peut-être l’emplacement d’une construction antique disparue ?

-          dans les déblais de la carrière, à l’Ouest, H. Müller a recueilli un petit bronze de Constantin et une magnifique clé romaine en fer qui, selon toute vraisemblance, est à rapprocher de l’une des demeures de la plaine,

-          à l’extrémité Sud de l’oppidum, un sondage effectué en 1912, toujours par H. Müller, a livré une sépulture sans mobilier, placée entre deux murs espacés d’ 1,50 m, remployant des fragments de briques romaines,

-          tout le long du rocher, en face de Claix, de nombreux fragments de tegulae ramassés par H. Müller à ras de la roche, lui laissaient à penser qu’ils venaient de son sommet où, sur l’emplacement de cette terrasse existait de toute évidence une construction d’observation,

-          enfin, au même endroit, dans l’escarpement Ouest, au dessus de la carrière, à environ 10 m sous l’oppidum, existait un boyau dans le rocher, à moitié plein de limon ; un sondage a livré un fragment de poterie non tournée et une monnaie en argent de Charles VII frappée à Paris.

 

Comme je l’ai indiqué en préambule, j’ai souhaité limiter mon propos aux vestiges antiques les plus significatifs et c’est pourquoi je ne parlerai pas ici de Rochefort du moyen âge à nos jours, période de désaffectation du rocher, que j’ai toutefois traitée dans mon étude générale sur Rochefort, publiée il y a quelques années et désormais partiellement reprise dans l’ « histoire de Claix ».

 

De ce foisonnement extraordinaire de vestiges sur un site somme toute restreint, il ne reste malheureusement plus rien de visible sur le plateau, hormis quelques restes du rempart dont nous avons parlé tout à l’heure et toute visite est nécessairement profondément décevante.

Les travaux de captage ont irrémédiablement détruit les vestiges antiques que pouvait receler le bas du rocher et que dire des « embellissements » apportés par notre époque ?

 

 

Petit rocher, grande histoire ! Rochefort, ainsi qu’on a pu en juger, est donc bien un site majeur de notre histoire locale. Situé à proximité de plusieurs voies fréquentées de puis la plus haute antiquité, le rocher et ses environs immédiats a donc été, tout à la fois, site funéraire, cultuel, balnéaire, métallurgique, tout en servant, dans les périodes troublées, d'oppidum ou site défensif.

 

Fréquenté presque sans discontinuité du néolithique au haut moyen âge, il a vu se succéder les différentes civilisations qui ont forgé notre histoire : agriculteurs et chasseurs néolithiques, civilisations du Bronze, cavaliers hallstattiens, Gaulois de l’indépendance, conquérants romains puis, durant de longs siècles de paix, Gaulois et Romains, fondus dans cette civilisation gallo romaine solide et originale et enfin, après eux, les envahisseurs de tous ordres et de toutes origines qui devaient anéantir en ce lieu, comme en tant d’autres, les réalisations antérieures, Burgondes, Francs, mérovingiens et carolingiens jusqu’au tournant de l’an Mil où le vieil oppidum cessa définitivement d’être occupé, au profit des villages stables qui s’étaient établis dans les environs.

 

On ne saurait toutefois isoler le rocher du Grand Rochefort et les riches vestiges qu’il nous a laissés de son contexte naturel ; en effet, si par un fait curieux le Petit Rochefort – sa continuation naturelle – n’a pas donné un seul tesson de poterie protohistorique ni le moindre débris de tuile romaine, le proche environnement témoigne d’une intense et riche occupation humaine :

 

On rappellera simplement à cet égard, le gué antique sur le Drac, au Nord de Rochefort, qui a livré cette épée de bronze du 14ème siècle avant notre ère,

 

L’oppidum de St Loup sur Vif, ses fonds de cabanes, ses vestiges de fortifications et ses énigmatiques citernes,

 

La très importante nécropole préhistorique de St Paul de Varces dont j’ai largement parlé en d’autres circonstances,

 

L’oppidum présumé de Comboire avec sa diaclase funéraire du trou des Renards,

 

Encore un autre oppidum – aérien et superbe – celui de Château Bouvier dans les contreforts du Vercors,

 

La ferme gallo romaine du Cellier, juste au pied de Rochefort,

 

Et, enfin, le viculus d’Allières que l’on voit ici à sa découverte durant l’hiver 1980.

 

Les sites du Lavanchon, révélés lors des fouilles préalables à la construction de l’A 51, si importants soient ils pour la connaissance de notre passé ne semblent toutefois pas avoir eu de rapports directs avec Rochefort,

 

A l’exception peut-être de l’habitat hallstattien, le premier identifié comme tel de toute la région grenobloise.

 

Et puis, il y a tous ces chemins immémoriaux, intemporels témoins de la riche fréquentation de ces contrées qui sont les nôtres.

 

Passionnante et irritante réalité qui pose toute la problématique de la recherche archéologique de nos racines les plus lointaines ! Encore ne s’agit-il que des vestiges connus à ce jour ; d’autres ont sans doute été irrémédiablement détruits par l’industrialisation et l’urbanisme mais d’autres restent sans doute encore à découvrir car en matière d’archéologie rien n’est jamais définitif.

 

Toutefois, et même si nous disposons – par rapport à H. Müller – d’une meilleure connaissance du passé et aussi d’un meilleur recul, une interprétation globale des données du Grand Rochefort n’est guère aisée et la présente contribution, qui aura peut-être su vous plaire, n’est pourtant à considérer que pour ce qu’elle voulait être : un prolongement des découvertes et des observations visionnaires du grand préhistorien.

 

Même si le temps d’une photo, sont rassemblés ici certains de ses plus beaux vestiges, l’oppidum de Rochefort n’a pas livré – tant s’en faut – tous ses secrets et il est probable qu’il ne les livrera jamais : le temps et les hommes sont passés, effaçant la plupart de ses clés de compréhension.

Il en est peut-être d’ailleurs mieux ainsi car ce rocher, qui fait partie intégrante de notre cadre de vie, permet encore les rêves et laisse flotter ce parfum un peu magique que seuls dispensent les hauts lieux chargés d’histoire.

 

Il aurait toutefois mérité de notre siècle de meilleurs égards compte tenu de ce qu’il fut et de ce qu’il représentât pour les civilisations passées : s’il est vain de se lamenter sur ce qui est advenu tentons au moins dorénavant de le mieux respecter.