Conférence donnée à Vif le 10 octobre 1998, à Varces le 19 février 2000 et à Claix le 29 mars 2003
Mesdames
et Messieurs,
Présenté
pour la première fois à Varces le 19 Février 2000, ce
diaporama un peu particulier relate les fouilles archéologiques conduites en
deux campagnes, essentiellement sur la commune de Varces,
sur les terrains concernés par le tracé de l’ autoroute A 51.
Il
est issu d’une synthèse de près de 300 pages que j’ai établie sur les sites archéologiques
de l’Achard et de la plaine du Lavanchon qui ne sera,
vraisemblablement jamais publiée. Ceci mérite explications et j’en viens, dès à
présent, au fait.
Cette
conférence, à maints égards particulière, va nécessiter de votre part – et je
vous prie par avance de ne point m’en faire grief – une attention soutenue car,
en effet, en l’état actuel de la législation sur les fouilles archéologiques,
je ne suis pas autorisé à publier, comme je le fais usuellement, le texte qui
sert de support aux images qui vont vous être présentées.
Effectivement,
l’interprétation scientifique des données archéologiques appartient – stricto
sensu – aux seuls archéologues professionnels qui les ont conduites, dans le
cadre d’autorisations administratives strictement réglementées et pour
lesquelles l’ « imprimatur » m’a été refusé.
C’est
la loi et il ne saurait, bien évidemment, être question de la transgresser.
Cette
rigueur légale a toutefois des limites : ce sont celles de la prescription
trentenaire. La présente communication pourra donc librement être publiée… en
2027.
Je
doute d’être en capacité de le faire à cette date fort lointaine et, quand bien
même le pourrais-je, vous devriez patienter un quart de siècle. Il s’agit là,
vous en conviendrez, d’un horizon fort contraignant pour révéler ce qui, somme
toute, nous appartient de cœur et de raison car ces lieux sont nôtres et leur
histoire est notre histoire, davantage que celle d’archéologues, fussent ils
patentés, qui, du reste, gardent comme confidentiel le produit de leurs
recherches circonstancielles. Mais c’est la loi et je n’aggraverai pas mon cas en insistant davantage.
C’est
pourquoi, même si cette conférence demeurera vraisemblablement inédite, elle
peut néanmoins être présentée et tout particulièrement en un lieu qu’elle
concerne directement, au seul motif que si la plume est serve, demeure libre la
parole : c’est, du reste, le vieux précepte des procureurs.
Comme
ce froid sarcophage, fragile mais précieux témoin archéologique sur lequel je
reviendrai ultérieurement, beaucoup de choses inertes vont vous être présentées
et c’est pourquoi, je requiers, avec la solennité qui s’impose, votre assiduité
car la chose n’est pas aisée et, pour tout dire, l’exercice un peu périlleux.
Cette
parenthèse – dont vous comprendrez, j’en suis convaincu, le côté un peu
précautionneux – étant refermée voici donc la synthèse méthodique et
méthodologique que vous attendiez, je le crois, sur les sites archéologiques du
Lavanchon, fortuitement révélés par les travaux de
construction de l’A 51.
Muette
pendant de très longs siècles, cette plaine l’est redevenue car rien ne demeure
visible de la maison néolithique, des fossés de Hallstatt, des greniers laténiens, de la grande villa romaine, de l’aqueduc, des
voies ou encore de la basilique funéraire mérovingienne et de ses 180
sépultures. Est-il, dès lors, besoin d’ajouter que les images inédites que vous
allez voir sont d’inestimables documents historiques pour la connaissance de
notre terroir !
Un
dernier préalable, vaguement pédagogique est sans doute nécessaire, pour
préciser certains des termes que je vais employer et pour les situer sur
l’échelle du temps. Si nous ramenions celle ci non à des années mais à des
mètres et que le sommet du pic Saint Michel, à près de
Encore
plus bas, d’un niveau de –
Nous
plongeons ensuite plus profondément avec l’époque de la Tène
– ou second âge du fer – qu’il faut conceptualiser de la cote – 120 jusqu’à la
cote – 500.
Plus
bas encore, le premier âge du fer – ou époque de Hallstatt – de – 500 jusqu’à –
800.
Dès
lors nous abordons des eaux profondes :
-
le bronze final,
de – 800 à – 1200
-
le bronze moyen
de – 1200 à – 1500
-
le bronze ancien
de – 1500 à – 1800, terminus post quem conventionnel de la protohistoire.
Viennent
ensuite les larges abysses de la préhistoire :
-
de – 1800 à –
2300, ce que l’on nomme le chalcolithique ou âge du cuivre, début de l’époque
des métaux et, encore plus profondément, le néolithique ou âge de la pierre
taillée de – 2300 à – 3500.
Je
vous rassure : nous ne plongerons pas plus bas ce soir dans cet océan
virtuel dans lequel vous avez eu sans doute quelques difficultés à me suivre,
mais le voyage est d’importance car il va, en permanence, nous faire osciller
entre ces deux cotes extrêmes, de – 3500 avant notre ère à + 740 après J. C.
soit 43 siècles d’histoire de la plaine du Lavanchon,
à la découverte de ses nombreux sites archéologiques, totalement inédits.
Mais,
permettez moi, préalablement, un rapide flash back. Que connaissions nous, en
effet, jusqu’alors du lointain passé de notre plaine ?
L’oppidum
du Grand Rochefort, bien sur qui a livré maints et maints vestiges de tout premier
ordre, couvrant une période allant du néolithique au moyen âge…
…
dont quelques uns, parmi les plus suggestifs, sont ici rassemblés,
et
le balnéaire gallo romain, situé au pied de l’oppidum, sur une terrasse
méridionale qui a révélé, au milieu de substructions, ce très beau marteau
votif, l’un des plus beaux jamais trouvés en Gaule.
Plus
récemment, durant l’hiver 1980, les restes du viculus
d’Allières sur Claix.
Et,
peu après, durant l’hiver 82/83, au lieudit le Cellier, était exhumée, contre
toute attente, une ferme de type indigène, datée de la fin du 1er
siècle avant notre ère,
Dont
les substructions, à moins de
De
cette exploitation modeste, au caractère agricole marqué, apparaissaient en
1996, à l’occasion de travaux de terrassement vers le Pavillon, de nouvelles
structures de murs – extension de la ferme antique – ainsi que des débris
nombreux de tegulae, d’imbrices,
de briques et même un peson de tisserand.
La
zone fouillée en 1982 – 83 ayant livré très peu de tuiles, laissait supposer
une couverture de type périssable – sans doute en chaume – alors que
l’abondance de la tegula sur cette nouvelle partie ne
laisse aucun doute sur la nature du toit.
Et
puis vint, en 1994-95, la première des très importantes découvertes liées à la
construction de l’autoroute. Alors que tous les auteurs avaient jusqu’alors
admis que le site primitif de Varces devait être
situé sur le mamelon de l’église ou du cimetière, les découvertes de l’Achard
mirent définitivement fin à cette interprétation : le Varces
primitif n’était pas situé sur les hauteurs mais bel et bien dans la plaine, ce
qui, au surplus, mettait fin à toutes les théories sur les divagations de la Gresse, du moins en ce lieu.
En
effet, à l’Achard, à la sortie Sud de Varces,
subsistaient sous moins de
Plusieurs
bâtiments ont été nettement identifiés de cette agglomération qui assurait
vraisemblablement le contrôle des voyageurs et des marchandises à la sortie du
territoire des Allobroges. Il faut, à cet égard, savoir que Grenoble – alors Cularo – était le siège d’un important bureau de la Quadragesima Galliarum – c’est à
dire de l’impôt dit du 40ème des Gaules, qui frappait d’une taxe
uniforme de 2,5 % toutes les marchandises transportées – et qu’à l’Achard, aux
limites des civitates des Allobroges et des Voconces, un bureau secondaire du 40ème des
Gaules est hautement probable.
Cette
agglomération frontière – dont le nom malheureusement ne nous est pas connu –
peut être Varcia, possédait, comme il se doit, un
quartier cultuel matérialisé par un édicule en bois dans lequel plusieurs
centaines de vases miniatures, ainsi que des monnaies, étaient disposées à
l’intérieur, autour d’un galet fiché verticalement dans le sol. On peut penser
à un sanctuaire à Mercure, protecteur des voyageurs ou à une divinité topique,
le galet pouvant symboliser, pour sa part, le vieux fond néolithique.
Modifiée
à deux reprises, notamment vers la fin du 1er siècle, et aux 2ème,
3ème siècles, cette agglomération semble abandonnée dès la fin du 3ème
siècle, peut être vers 270, époque où Grenoble entreprend la construction de
son rempart et où l’enceinte gauloise de Rochefort est relevée et renforcée.
Après
une longue parenthèse, les bâtiments gallo romains, ruinés mais encore
visibles, sont réoccupés à l’époque mérovingienne et deviennent un important
domaine fortifié – on voit ici ce qui peut correspondre à un reste de tour –
qui sera ensuite abandonné au 7ème siècle, sans hâte, méthodiquement
même, pourrait on dire, pour se transporter alors sur le site du Varces actuel.
A
l’Est de l’Achard, au lieudit « les Maladières »,
traduisant à coup sur l’emplacement d’une ancienne maladrerie située au bord de
la voie romaine, les travaux de percement du tunnel d’Uriol,
dans sa partie Est, révélaient un édifice beaucoup plus récent mais ô combien
précieux : ce four à chaux du 18ème siècle qui est aujourd’hui
« conservé » - il s’agit d’un euphémisme – sous plusieurs centaines
de tonnes de sable fin.
Plus
au Sud des Maladières, dans la partie Nord du domaine
de Pellissière, une villa romaine a été localisée par
prospection aérienne. Non concernée par l’emprise de l’autoroute, elle attend
son fouilleur.
Mais
de l’autre côté de la montagne d’Uriol et avant
l’engagement des travaux autoroutiers, que savions nous de la plaine du Lavanchon ?
Etaient
connus, « les Mollards », cette oblongue colline où, non loin d’un
mamelon appelé « le camp des Sarrasins », dont l’origine n’a jamais
été étudiée, des tombes sous tuiles avaient été trouvées vers 1865 et quelques
autres sites isolés, tel celui dit de « Tuilerie Thomas ». Voilà
quelle était notre connaissance de ces lieux familiers avant l’ouverture du
chantier de l’autoroute dans sa traversée de la plaine du Lavanchon.
Cette
carte positionne, en sur lignage de couleur rose, les sites révélés en
1995 : l’Achard, les Maladières et Pellisière et, en jaune, ceux encore plus nombreux comme
vous pouvez le constater, découverts en 1996 que nous allons, si vous le voulez
bien, explorer pas à pas maintenant.
Une
observation préalable s’impose toutefois : les toponymes marquant
actuellement les sites archéologiques sont de deux ordres : certains sont
fort anciens cependant que d’autres ont été récemment corrompus. Vous voyez ici
une schématisation du cadastre de Varces et d’Allières de 1812 qui permet de bien comprendre de quoi il
s’agit
Ainsi
peut on voir, de gauche à droite sur ce cliché :
-
le Lavanchon de « Lavanches »,
apport de pierrailles et de gravats arrachés à la montagne,
-
Derbua, aujourd’hui Drabuyard, nom
révélateur pour un toponymiste, de la forme « erbue » et par
équivalence « arbue » ou « aubue », termes désignant des terres argilo calcaires,
en général de couleur claire et toujours fertiles,
-
Rochedure qui n’a pas varié, de même que la Fontanelle, de
fontaine, bien évidemment, à rapprocher de Fontanieu,
-
Le ruisseau de la
Marjoëre au centre, dérivé de Marga,
la boue
-
Mazetières, du latin « maceria »
qui, très souvent, désigne des ruines et, en particulier, des ruines d’époque
gallo romaines. Dans le contexte de Varces, cela est
totalement avéré
-
Les
« Gagnes », enfin, de l’ancien français « gaignier »,
c’est à dire labourer, puis, par glissement de sens, tirer profit.
Cette
vue générale permet, d’une autre manière, de situer les divers lieux évoqués et
l’évolution de leur toponymie au début du 20ème siècle.
Les
« Gagnes » (en bas et à droite) sont devenues Martinais d’en Haut et
le hameau historique de Martinais est devenu Martinais d’en Bas. On retrouve Derbua sous la forme corrompue de Drabuyard.
Les autres toponymes sont restés inchangés.
Voici
le plan d’ensemble des sites que nous allons maintenant parcourir, du Nord au
Sud, en cinq étapes :
-
Champ Nigat
-
Drabuyard Nord
-
Drabuyard Sud
-
Rochedure
-
La Fontanelle
Ultérieurement
nous poursuivrons ce voyage plus au Sud encore, aux confins de Varces et de Saint Paul de Varces,
à l’actuelle entrée Ouest des tunnels d’Uriol, pour
étudier le site archéologique des Gaberts.
Commençons
donc cet initiatique voyage par le site le plus septentrional, Champ Nigat, dont voici, dans un sommaire croquis, le plan
indicatif : vous remarquerez, d’emblée, que diverses périodes s’y
entrecroisent : le néolithique, la Tène, l’époque gallo romaine.
Cette
vue, prise le 31 Août 1996 de la route de Martinais d’en Bas, selon un axe Sud
Nord, montre l’ensemble du site : sous les protections une maison
néolithique et, à gauche de la photo, un bâtiment latenien.
Au premier plan une zone de structures gallo romaines. Mais voyons tout ceci en
détail.
Plusieurs
trous de poteaux, du type de celui ci, d’un diamètre moyen de
témoignent
de l’emplacement d’une structure en bois : auvent, portique ou autre
élément d’une époque gallo romaine indiscutable eu égard à l’ostentatoire
présence de la tegula.
A
Ce
n’est pas, tant s’en faut, le cas de la structure que nous voyons maintenant,
située quelques
qui,
toutes choses restant égales au demeurant, pouvait avoir l’apparence générale
de cette soigneuse reconstitution.
Vous
savez peut être combien sont rares les demeures néolithiques découvertes
jusqu’alors en France – à peine une douzaine – toutes construites en bois et en
torchis et dont, très souvent, le sol seul a conservé le négatif des poteaux
car le bois, en pourrissant, a parfois laissé – comme à Varces
– une indélébile marque noirâtre caractéristique. A proximité de cette
structure a été trouvée une sépulture néolithique dont la datation au Carbone
14 (- 3500 à – 3000 avant J. C.) peut servir de référence pour la datation
intrinsèque de la maison.
Au
Nord de Champ Nigat, d’autres trous de poteaux, avec
calage en pierre, peuvent témoigner d’une période plus récente, la Tene voire l’époque romaine,
ce
que sembleraient étayer ces structures de murs romains, non fouillés, auprès
desquelles on peut noter une forte concentration de tegulae.
On a trouvé, à proximité, une céramique allobroge estampillée qui est la
première découverte jusqu’alors au Sud de Grenoble.
Toujours
à Champ Nigat, au bord du site, ont été observées ces
substructions d’un bâtiment gallo romain également classiques (si je puis
m’exprimer ainsi) aux assises peu profondes comme en témoigne la butte témoin
de nivologie discernable en haut et à droite de ce cliché.
Beaucoup
plus intéressant, car plus rare, cet habitat de la Tene,
c’est à dire de la période de l’indépendance gauloise, situé à très peu de
profondeur, comme le montrent, là aussi, les buttes nivologiques.
On
voit très bien ici le détail du mur Est de ce bâtiment rural gaulois qui devait
sans doute être un grenier, destiné à la conservation des récoltes, surélevé
sur poteaux.
La
matérialisation du tracé au sol faite ici par un sur lignage jaune, permet
d’avoir une vue d’ensemble de ce type de construction,
dont
est proposée, ici, une reconstitution tout à fait représentative des greniers
de récoltes que la plaine du Lavanchon devait
présenter il y a de cela un peu moins de 2500 ans.
Le
second site archéologique est celui de Drabuyard Nord
tel qu’on pouvait le voir de Champ Nigat, c’est à
dire selon l’axe Nord Sud, à la date du 31 Août 1996.
Comme
à Champ Nigat, un habitat gallo romain, sans doute
précoce, est patent, caractérisé par cette structure de galets et de tegulae mêlés. Malheureusement, il n’a pas été fouillé car
le temps était compté et l’urgence s’est portée sur les zones archéologiquement
les plus prometteuses. J’ouvre ici une courte parenthèse pour indiquer que la
technique actuellement mise en œuvre sur les grands chantiers consiste à ouvrir
préalablement des fenêtres dans le sol par sondage à la pelle mécanique à
concurrence d’une vingtaine de sondages, d’environ
Sur
ce site, gisait ce beau col d’amphore, de grand modèle, s’apparentant aux
productions méridionales de type Pauvadou, que l’on
peut dater du 1er siècle avant notre ère et qui démontre, une fois
encore, l’existence d’échanges entre notre région et l’extrême Sud du pays à
l’époque gallo grecque.
Dans
ce secteur de Drabuyard Nord, était découverte, en
Septembre 1996, une grande voie romaine, bien carrossée, d’une largeur
surprenante eu égard à son caractère vraisemblablement secondaire,
Et,
dans le même temps, comme à Champ Nigat, des trous de
poteaux destinés à supporter l’infrastructure de greniers lateniens,
comme on peut le voir sur ce cliché d’ensemble.
En
détail ici, le plus grand de ces trous de poteaux, particulièrement bien
conservé.
Cette
autre reconstitution permettant de mieux comprendre – pardonnez moi cette
pédagogie un peu insistante – ce qu’étaient ces constructions lateniennes, décidément nombreuses et fort rapprochées les
unes des autres en ces lieux.
Poursuivant
la visite, nous voici maintenant à Drabuyard Sud où,
le 26 Mai 1996, sur un site qui n’a pas ultérieurement été exploré, j’avais
repéré cette structure carrée, d’époque romaine, au sol bien appareillé, de
type béton ocre, situé à
Un
peu plus au Sud se voyaient également, en Mai Juin 1996, des clous, des fers et
divers éléments métalliques,
ainsi
que de nombreux ossements d’animaux, traduisant sans doute la présence d’un
dépotoir.
Parmi
eux, ce bel osselet – peut être une pièce de jeu – ici présenté sur un fragment
de grande tégula.
Et
puis, une certaine abondance de céramiques réunies « in situ », le
temps de ce cliché : céramique dite commune, claire ou sombre, céramique à
vernis noir, rare dans la région grenobloise, céramique à parois fines,
céramique tournée, grise ou noire ou encore fragment de sigillée.
Et,
toujours à Drabuyard, un grand fossé du premier âge
du fer ou période de Hallstatt (800 à 450 avant J. C.) orienté Est Ouest, d’une
largeur maximale de
Plusieurs
structures excavées ont également été trouvées au Sud de ce grand
aménagement : il semblerait que l’on soit là en présence d’un site
d’habitat pré gaulois, ceinturé par un fossé peut être à usage défensif. Le
mobilier céramique du site est caractérisé par des vases en pâte grossière,
datés du 8ème siècle avant notre ère ; la présence de
céramiques d’importation méridionale (amphore massaliote et céramique grise
monochrome) est également attestée.
Ce
site très important – c’est le premier site hallstattien reconnu avec certitude
dans notre région – doit vraisemblablement être mis en relation avec les deux
nécropoles à inhumation de datation contemporaine découvertes par H. Müller, de
part et d’autre du Grand Rochefort.
Nous
arrivons maintenant au quatrième ensemble, le plus spectaculaire de tous, celui
de Rochedure. Cette coupe stratigraphique,
photographiée le 6 Mai 1996 au Nord de Rochedure,
montre, qu’au moins ici, eurent lieu de nombreux débordements du Lavanchon, matérialisés, comme on peut parfaitement le
constater, par les différentes couches de graviers et d’alluvions.
A
proximité de cette coupe, que l’on continue à apercevoir au fond et à gauche,
existait une première structure romaine de
Raccordée
sur un second bâtiment avec un sol en partie conservé, l’ensemble ayant
constitué, semble t-il, une structure artisanale à mettre en relation avec la
grande villa.
Voici
justement le plan de cette grande villa selon un relevé partiel dréssé en Septembre 1996 par Eric Plassot,
responsable de la fouille. D’une superficie minimale de
Sa
composition, avec une trentaine de pièces exhumées, d’une superficie moyenne
allant de 20 à
La
partie Est que vous voyez maintenant est prise selon un axe Sud Nord et montre
bien l’imbrication et la complexité d’une partie des pièces exhumées. Le Lavanchon, non visible ici, se situe à gauche de l’écran et
les murs voisins du torrent étaient nettement plus épais que les murs Ouest,
comme pour constituer autant de digues aux débordements du capricieux cours d’eau.
Quelques
sols, comme celui là, dans la partie Ouest de la villa avaient conservé leur
pavage en pierre : nous sommes ici au centre de la partie résidentielle et
cette pièce est contiguë à un exèdre de
L’ensemble
de la construction est soigné avec de très fortes fondations et un appareil
avec chaînage en briques aux angles : on en voit ici un bon exemple.
La
partie Nord Ouest montre également la puissance, presque même la
grandiloquence, des substructions de cette demeure, qui était peut être la
villa centrale d’un vaste domaine dont dépendaient sans doute toutes les
structures agricoles et artisanales découvertes dans le secteur.
Sur
l’ensemble du site, la brique, la tegula et l’imbrice abondaient. De nombreuses céramiques – on en voit
ici quelques unes – attestent de la variété et de la richesse des objets
domestiques.
Quelle
chronologie proposer pour cette villa, photographiée ici à la date du 1er
Février 1997, peu avant son nivellement définitif ?
Sur
un site protohistorique, occupé avec une certaine continuité à l’époque de la Tene, s’élève, au 1er siècle avant notre ère, un
habitat gallo romain, sans doute modeste à l’origine, qui sera transformé au
cours des 2ème et 3ème siècles en une grande villa. Sa
destruction semble intervenir vers la fin du 3ème siècle, au cours
d’un violent incendie dont on ne sait s’il fut accidentel ou lié à des troubles
locaux. La présence sur le site d’un four à chaux, sans doute médiéval, laisse
à penser qu’après destruction de la villa, beaucoup d’éléments ont pu
disparaître et, notamment, tous les éléments ouvragés : colonnes, fûts,
pilastres, ornements…
A
l’Est de la villa, dès Mai 1996, étaient apparues des structures moins soignées
et d’époque plus tardive. Quelques tessons céramiques permettaient une
attribution au haut moyen âge.
Le
décaissement de la route qui les recouvrait, intervenu le 22 Octobre 1996,
permettait d’en avoir une meilleure appréhension, comme on le voit ici sur ce
cliché d’axe Sud Ouest – Nord Est pris le 26 Octobre 1996.
Cette
autre vue prise peu après montre un appareil de pierres sèches, de construction
peu soignée. Le statut de ces bâtiments n’a pas pu être déterminé. L’urgence de
la fouille, la priorité donnée aux vestiges les plus significatifs, l’absence
quasi totale d’indices n’ont, bien évidemment, pas facilité l’interprétation.
Mais
il est grand temps, désormais, d’arriver au morceau de choix et à la plus
imprévisible des découvertes faites à Rochedure sur
le site de la grande villa romaine, celle d’un édifice religieux de très haute
époque, apparemment isolé dans la campagne, en marge des paroisses connues et
dont nul souvenir n’a subsisté.
La
découverte de cette insoupçonnée église restera un événement majeur de
l’histoire de notre plaine et une formidable découverte archéologique. Rien,
absolument rien, ne laissait pourtant présumer cela : ni la toponymie, ni
la mémoire collective qui est pourtant bien souvent la source la plus
fondamentale des recherches historiques, ni, justement, la totalité de la
recherche historique régionale que, personnellement, je croyais pourtant bien
maîtriser.
Rien,
absolument rien, je le répète, ne laissait pressentir que dans ce lieu banal de
Rochedure gisaient les restes d’un édifices cultuel
des premiers siècles de la chrétienté.
C’est
dire l’exceptionnelle importance que revêt la mise au jour, dans un tel
endroit, d’une église paléochrétienne insoupçonnée, dont l’origine est inconnue
tout autant que l’est sa disparition subite, il y a de cela au moins 9
siècles.
Pardons
donc, si vous le voulez bien, à la recherche de l’église perdue.
Le
relevé de l’édifice, que j’ai établi le 7 Décembre 1996, après exhumation
totale des vestiges, est simple : une nef de
L’emplacement
d’un édifice cultuel avait commencé à être pressenti dès le printemps 1996. On
voit ici une vue à la date du 26 Mai 1996. Des clous de cercueil et
l’emplacement évident de sépultures ont, dès ce moment là, laissé présumer un
site religieux et funéraire.
Les
premiers murs révélés ont conduit à penser qu’on était sans doute en présence
d’un édifice postérieur à l’époque romaine, implanté dans l’aile Sud de la
villa et peut être contemporain de la dernière période d’occupation de celle
ci.
Cette
vue d’ensemble, à la date du 16 Juin 1996, résume bien la problématique à
laquelle sont confrontés les archéologues, limités en temps comme en
moyens : faut-il investir sur des apparences, voire des intuitions, ou, au
contraire, aller à l’essentiel ? Même si, comme on peut le voir, les
premiers vestiges n'étaient guère probants, le choix a, fort opportunément, été
fait d’investir sur les premières présomptions.
Et,
dés lors, que de révélations en 6 mois ! Nous sommes maintenant le 1er
Décembre 1996 et l’église apparaît dans sa configuration globale. Mais quelle
église ? de quelle origine ? pour quelle vocation ?
Autant
de questions délicates auxquelles je vais m’efforcer d’apporter, sinon des
réponses définitives et assurées, du moins de sérieuses pistes d’analyse et
d’interprétation.
L’abside,
tout d’abord, suscitait nombre d’interrogations. Appartenait elle à la
construction originelle ? Etait-elle rapportée ? Et, surtout, à quoi
correspondait cette pierre centrale, particulièrement bien ouvragée qui
apparaissait partiellement en Juillet 1996 ?
Trois
mois plu tard la réponse devenait plus évidente. On était assurément en
présence d’un édifice de très haute origine, la présence d’un sarcophage
complet – en bas et à droite sur le cliché – étant un indice suffisamment
révélateur et la grande dalle de tuf, alors complètement dégagée, laissant
augurer de l’emplacement possible d’une relique d’importance.
Mais,
à la même date, le problème se complexifiait de nouveau. L’abside, vue ici
selon un axe Nord Sud, s’entrecroisait avec des murs romains montrant une
interpénétration ou un aménagement sans doute intentionnellement conçu dès
l’apogée de la villa. Ma religion personnelle – si vous me pardonnez
l’expression – était dès lors faite, fondée sur une intuition strictement
empirique. Je m’explique. Même si l’on connaît encore très mal le processus de
christianisation des campagnes, on pense que, pour une part importante, la
construction des premiers sanctuaires ruraux pourrait être due à l’initiative
de propriétaires privés, soucieux, au Bas Empire romain, de pratique religieuse
dans leur domaine. J’ai largement développé, en son temps, cet axe de réflexion
dans une étude consacrée aux origines de l’église Saint Jean Baptiste de Vif. A
mes yeux, l’établissement de l’édifice cultuel de Rochedure
procède du même raisonnement et, dès lors, pourrait remonter aux 3ème,
4èmes siècles de notre ère, c’est à dire à une période où la grande villa était
encore occupée ^par une famille gallo romaine christianisée. Je n’ai nulle
vanité, seulement un plaisir certain, à constater aujourd’hui que cette vision,
alors contestée par les archéologues professionnels, est désormais leur
interprétation officielle.
Mais,
revenons pour l’heure, à notre visite des lieux : à l’entrée de l’abside,
la pierre sépulcrale, au moment de son ultime dégagement, laissait augurer, je
l’ai dit, la présence possible d’un tombeau majeur : je vais laisser un
peu de suspense et nous y reviendrons tout à l’heure en parcourant l’importante
et surprenante nécropole funéraire.
Dès
lors, les découvertes allaient se multiplier : ainsi, en Octobre 1996, la
mise au jour d’un sol en terrazo dans l’abside,
démontrant que l’église était bien implantée sur une partie essentielle de la
villa romaine et que son origine était bien contemporaine de celle ci
et
découverte d’une rare et précieuse inscription funéraire paléochrétienne gravée
sur un marbre blanc : celle ci, malheureusement incomplète, est la
suivante :
deux croix,
paon, étoile, deux croix
(IN H)OC TVMV
(LO M)ESERECOR
(DIA)
(CH)RISTI RE
(QVIESC)ET IN
(PACE B)ONE
(MEMORIAE)
« dans
ce tombeau, par la miséricorde du Christ, repose en paix, de bonne
mémoire…. ».
Le
formulaire est classique et l’on peut, sans trop de risques, rapporter cette
inscription à la seconde moitié du 6ème siècle. Mais,
malheureusement, le nom du lapicide de Varces n’est
pas révélé.
Entièrement
dégagée dès le début Décembre 1996, l’église, que l’on voit ici dans sa
globalité, nonobstant cet aspect de chantier inhérent à la plupart des sites
archéologiques en cours de fouilles, avait livré, sinon tous ses secrets, du
moins celui de son origine.
Cette
vue à la même période confirmait l’interprétation générale, démontrant la
contemporanéité et la simultanéité d’existence des bâtiments privés et du site
religieux et la continuité de celui ci à une période postérieure.
En
effet, comme le montre, voire le démontre, cet instantané du 7 Décembre 1996,
on est bien en présence d’une église édifiée sur l’emplacement de l’une des
pièces de la villa avec réutilisation d’une partie des infrastructures
romaines.
Dans
la partie Nord, se voient parfaitement ici la totale juxtaposition des murs
romains et des murs d’un moyen âge de très haute époque, si l’on compare la
qualité de construction, le mur romain, à l’extrême gauche, ayant toutefois un
appareil plus puissant.
La
même observation vaut pour le mur Sud de l’église, également parallèle au mur
romain, à l’extrême droite, mieux appareillé et davantage ostentatoire.
Ceci
nous conduit à nous attarder quelque peu maintenant sur les origines possibles
de l’édifice de Varces. On connaît de nombreux
exemples d’églises implantées sur des vestiges gallo romains dans toutes les
régions de la Gaule. Dans certains cas c’est une tombe privilégiée – une memoria ou petit bâtiment destiné au culte du souvenir –
qui donne ensuite naissance à un édifice cultuel : ainsi en est-il à Tavers (Loiret), Roujan (Hérault) ou Briord
(Ain), tous datés du 5ème siècle.
Dans
d’autres cas il s’agit de chapelles privées – les oratorio – des propriétaires
chrétiens de grandes villae : par exemple Montcarret (Dordogne), Arnesp et
Montmaurin (Haute Garonne), Saint Herblain (Loire
Atlantique). Parfois, enfin, c’est la salle d’apparat de la villa, souvent à
abside, qui est transformée en chapelle ; ainsi, Sidoine Apollinaire au 5ème
siècle mentionne t-il un sacratium dans la villa Octavianus près de Narbonne.
Dans
la proche région, nombreux sont les édifices de haute époque implantés sur des
sites romains : Aoste, Hières sur Amby (Saint Martin), l’Isle d’Abeau
(Saint Germain), Merlas (Saint Sixte), Penol, Tourdan, Saint Romain de Jalionas pour les sites avérés, Bourgoin, Moirans, Saint
Jean de Soudain, la Terrasse, Tullins, Veurey, Vif et
Voiron pour les sites hautement probables.
La
présence à Rochedure d’une zone funéraire
considérable conduit à s’interroger sur l’état primitif de l’antique église :
s’agit-il ici d’une memoria distincte de la villa ou
d’une chapelle intégrée de type oratorium ?
Son
évolution ensuite est sans doute moins problématique. En effet, la découverte
d’un fragment d’inscription paléochrétienne dans le chœur de l’édifice – j’y
reviendrai – plaide nettement pour un édifice de type basilique funéraire
rurale comme à Saint Ours sur Veurey et, surtout,
Saint Julien en Genevois qui est le meilleur exemple comparatif connu.
On
le voit bien, le plan de l’église est dépouillé : une nef rectangulaire
prolongée à l’Est d’une abside semi circulaire, légèrement décalée au Sud. Un
parallèle s’impose avec la basilique funéraire mérovingienne de Saint Julien en
Genevois : dimensions similaires : nef de
Dans
les deux cas les basiliques sont entourées d’une zone funéraire allant de
l’antiquité au pré moyen âge. Au surplus, celle de Saint Julien intégrait un
sarcophage dans l’abside ; deux sarcophages, dont un complet, existent
dans la nef de l’édifice de Varces.
Demeure
une incertitude. L’église paléochrétienne de Varces
était-elle originellement, comme à Saint Julien en Genevois, consacrée à Saint
Martin ?
On
pourrait être tenté de rapprocher Martinais de Martin et pourtant rien, dans la
microtoponymie locale ne s’y apparente : Derbua,
Rochedure, la Fontenelle, Champ Perrigaud,
Champ Fleury sur le cadastre de 1812. Toutefois, ces appelatifs
ne traduisent pas une origine très ancienne et des toponymes plus lointains ont
pu disparaître.
Il
convient également de noter qu’il y a au Nord du Bourg de Vif un lieudit
« Saint Martin » mais celui ci est situé à l’Est de la Gresse et il est emplacé à
Mais
une autre piste demande a être explorée : s’agit-il de l’ « ecclesia Sancti Marcellini » qui n’a jamais été localisée ?
Le
culte à Saint Marcellin est plus ancien que celui de Saint Martin et rien ne
pourrait expliquer qu’un changement de patronage ait pu, à Martinais,
intervenir dans ce sens, les quelques rares églises dédiées à Saint Marcellin
qui nous sont connues étant toutes d’origine paléochrétienne, à l’exception
d’une unique fondation plus tardive connue en France à l’abbaye de Bonneval
dans l’Eure et Loir.
Pour
l’Isère, le cartulaire de Saint Hugues, de l’an 1100, ne mentionne qu’une seule
église dédiée à Saint Marcellin : celle, non localisée, située précisément
à Varces. L’étude toponymique iséroise se résume,
quant à elle, a fort peu de choses :
-
un manse Sancti Marcellini, au 11ème
siècle, lieudit disparu de la commune de Pommier la Placette,
-
l’église Sancti Marcellini citée par le
cartulaire de Saint Hugues
-
et une autre
église du même nom qui n’apparaît qu’au 13ème siècle à Saint
Marcellin en Bas Dauphiné
Saint
Marcellin de Varces existait donc vers 1100 (1080 –
1130) comme église paroissiale ; elle est alors taxée de 12 deniers, tout
comme Saint Pierre de Varces, Saint Paul de Varces, Saint Pierre de Claix et Saint Jean de Vif. Ceci
signifie que la paroisse était alors relativement importante. A titre de
comparaison, l’église de Cossey n’est taxée que de 6
deniers. Sachant que l’église Saint Marcellin de Varces
était le centre d’une paroisse importante et aisée, on a du mal à imaginer
qu’elle ait pu être l’édifice de Rochedure. Les
dimensions ne s’y prêtent guère :
En
outre, l’assimilation de l’édifice de Martinais à l’église Saint Marcellin ne
correspond pas à l’ordre, vaguement géographique, que le cartulaire de Saint
Hugues est censé respecter. En effet, le texte cite Saint Marcellin non après
Saint Pierre de Varces – ce qui aurait du être le cas
si elle avait été située à Martinais – mais entre Saint Paul de Varces et l’église de Chabottes,
ce qui induit qu’elle devait, en toute logique, se situer nettement au Sud de
Martinais.
Prudent,
Jules Marion ne situe pas Saint Marcellin et se borne à indiquer « église
depuis longtemps détruite, située sur le territoire de Varces ».
En
l’absence de publication officielle près de six ans après la fin des fouilles
du Lavanchon, je me hasarderai donc, à titre
d’hypothèse, à esquisser une possible chronologie du site de Rochedure.
Dans
une vallée partiellement protégée de l’axe de circulation le plus probant
fréquenté de très haute origine et où s’établissent dès la préhistoire des
sites de hauteur (Comboire, Rochefort, Saint Géraud,
Saint Loup) s’implantent, dès le néolithique, quelques foyers d’habitat de
plaine tels ceux de Champ Nigat. Ceux ci perdurent et
s'intensifient à la protohistoire (Champ Nigat, Drabuyard, les Gaberts). Durant
l’époque de la Tene, de nouveaux foyers apparaissent,
notamment à Rochedure jusque là vierge de toute
occupation.
A
l’époque gallo romaine s’implantent des domaines bien identifiés : Allières, le Cellier, Rochedure,
les Gaberts…
A
ce jour, Rochedure apparaît comme le plus important
de ces domaines : la grande villa en témoigne. Puis viennent les périodes
de troubles : le rempart de Rochefort est consolidé, celui de Saint Loup
également. Placidianus est à Grenoble et son armée
commence à édifier les remparts de la cité. Rochedure
est toujours occupée. Une partie de la villa est consacrée à un culte
funéraire. Une memoria, à l’emplacement de l’église
découverte, n’est pas improbable. Mais les pillages et les invasions se
succèdent. La villa est incendiée. Le temps passe. Quelques inhumations sont
encore faites sur le site dévasté dont, sans doute, subsistent quelques
élévations des structures antiques. Sans que l’on sache si l’habitat se
reconstitue à proximité ou, de nouveau, sur les hauteurs, Rochedure
perdure comme site funéraire : les sépultures en pleine terre ou en coffre
de bois (clous) en témoignent.
La
memoria originelle est alors peut être intégrée à un
petit bâtiment cultuel, de structure rectangulaire, s’appuyant en partie sur
les restes de murs gallo romains. On assiste peut être à la même évolution que
celle connue pour Saint Julien en Genevois. Y eut-il à Rochedure
un édifice de type basilique funéraire mérovingienne ? Le précieux
fragment d’inscription paléochrétienne et les deux sarcophages de la nef
pourraient le laisser penser.
L’édifice
primitif est ensuite consolidé ou reconstruit : une abside est établie
dont l’orientation à l’Est respecte les usages observés sur tous les sites du
haut moyen âge. S’agit-il alors toujours d’une basilique funéraire strictement
rurale comme à Saint Ours, du cimetière d’un proche village ou encore de
la chapelle privée d’un grand domaine ?
L’influence
– sans doute considérable – du baptistère de Grenoble, récemment exhumé,
n’est-elle pas, elle aussi, à invoquer à ce stade de la conjecture ?
Enfin,
dans une dernière période – sans doute vers le 11ème siècle –
l’édifice est enfin reconstruit, du moins partiellement, pour aboutir à l’état
où il nous a été révélé et comme semble l’attester la céramique caractéristique
produite par les niveaux fouillés.
Cette
probable reconstruction médiévale sera, sans doute, de courte
utilisation : peu après, cette inédite église disparaîtra pour des raisons
totalement ignorées et, avec elle, tout souvenir architectural ou même écrit,
pas davantage que la tradition orale – pourtant très souvent présente – n’en
conservera la mémoire, jusqu’à son exceptionnel ressurgissement
au début de l’été 1996.
A
quoi pouvait ressembler cette église et peut-on aujourd’hui, toujours à titre
d’hypothèse, en proposer une restitution ?
La
faiblesse des fondations semble induire une hauteur relativement peu élevée de
l’édifice. Le voûtement de l’abside reste, quant à lui, hautement
improbable : l’épaisseur de la maçonnerie, en effet, n’est pas plus
conséquente que celle des murs de la nef. Selon toute vraisemblance, une charpente
devait supporter le toit. Par ailleurs, aucune trace de clocher n’est
décelable. Compte tenu de la parfaite continuité des quatre murs de
soutènement, l’accès à la nef devait probablement se faire par des escaliers
sans doute situés à l’Ouest, un peu comme à Cossey.
En fin, l’existence de baies est envisageable sans toutefois être certaine.
Plus
précisément, on pourrait également se référer aux rarissimes édifices,
d’origine paléochrétienne avérée, qui sont encore conservés dans leur structure
originelle, comme ici certaines des chapelles de la grande abbaye de Novalaise, dans le Val Cenis, dont on connaît les très
larges possessions et fondations dans toute notre région.
Il
resterait encore à longuement disserter sur les proches hameaux de Martinais
d’en Bas, « villa de Martinaix » au 14ème
siècle, et sur celui de Martinais d’en Haut, anciennement dénommé les Gagnes, à
proximité duquel s’élève la belle maison forte de Brigaudière,
située à très peu de distance de notre troublante église,
Tout
autant que sur Saint Marcellin, dont
l’hagiographie nous révèle deux saints homonymes : un pape de l’extrême
fin du 3ème siècle et Marcellin l’Africain, évêque d’Embrun, ainsi
que sur la mystérieuse église qui lui était consacrée à Varces,
du temps de Saint Hugues et dont je n’ai fait qu’effleurer une problématique
qui nous entraînerait très loin. Bien que vous manifestiez une très patiente
attention, je ne saurais vouloir en abuser, d’autant plus que ce parcours un
peu initiatique dans les sites archéologiques du Lavanchon
n’est pas totalement achevé et que, après la basilique et, en complément de son
étude, il convient maintenant d’examiner quelques aspects de la très grande
nécropole qui l’entourait.
Au
demeurant, dois-je le rappeler, je ne fais que résumer ici près de 300 pages de
notes denses et donc, assurément, je suis conduit à faire des choix sélectifs
qui, inévitablement, sont donc arbitraires.
Avant
d’explorer le site funéraire proprement dit, et pour vous permettre de vous y
retrouver un peu dans les divers modes d’inhumation que vous allez découvrir,
voici, très sommairement faite, une synthèse typologique des divers modes de
sépultures de l’antiquité au moyen age.
Les
plus anciens sont figurés en bas et à gauche : il s’agit des coffres de tegulae de section quadrangulaire constitués de 4 à 6
tuiles romaines dans le sens de la largeur, rebords placés vers le bas pour
former le fond : ces tombes appartiennent à la tradition antique et sont
généralement antérieures à la fin du 4ème siècle.
A
coté sont figurés les coffres de tegulae en bâtière,
dont la datation classique va du 5ème au 7ème siècles
mais dont des exemples sont connus dès le 2ème siècle.
En
bas, à droite, les sépultures en pleine terre, du 4ème au 6ème
siècles.
Au
dessus, les coffres maçonnés en pierre, du 6ème au 8ème
siècles, puis les coffres complets de dalles du 5ème au 8ème
siècles, les coffres mixtes, c’est à dire en bois, dalles et tegulae des 6ème au 8ème siècles, et
enfin les coffres de plan ovalaire et les coffres anthropomorphes qui traduisent
une période plus récente : du 9ème au 13ème siècles.
Je
parlerai tout à l’heure des sarcophages de pierre.
Voici
un plan très sommaire des sépultures les plus significatives fouillées dans
l’église ou à proximité de celle ci : leur étude exhaustive n’est bein évidemment pas de mise ici, d’autant que plus de 180
tombes ont été étudiées, ce qui est considérable car, même dans les grandes
nécropoles rurales comme celle de la Grande Côte à Roissard,
jamais autant de sépultures, portant sur une aussi large période, n’avaient pu,
jusqu’alors être étudiées.
Pardonnez
moi maintenant des descriptions qui pourront peut être choquer un peu ou
paraître fastidieuses. Elles sont néanmoins nécessaires, je le crois, à la
compréhension de ce site exceptionnel.
Voyez
tout d’abord ce coffre en tegulae, placé contre le
mur Nord Est de l’église, de type peu commun, mais de tradition antique
certaine avec une datation très large : 2ème au 7ème
siècle.
Cette
sépulture de type maçonné, apparaissant ici, vidée de son couvercle de tuiles,
contenait les restes d’un enfant
Là,
une sépulture en pleine terre, orientée Nord Sud, d’une datation assez
haute : 4ème au 6ème siècle,
Tout
comme celle ci, de même orientation et de même datation.
Ici,
une sépulture de type anthropomorphe, au moment de sa découverte, en Juillet
1996, orientée tête à l’Ouest. On remarquera sur le haut du cliché, une seconde
sépulture, sans doute postérieure, dont sont nettement visibles les ossements
de la cage thoracique d’un enfant.
Cette
petite sépulture, également de type anthropomorphe, est aussi celle d’un
enfant. Vous remarquerez le crane en pain de sucre, forme très rare – connue
jusqu’alors dans une tombe de la nécropole de Meyzieu – transmise, croit-on,
(on
le voit ici de manière plus complète) par les Huns aux Burgondes et provenant
originellement de l’habitude prise par les populations migrantes, de lier les
nourrissons sur une planche, la tête solidement fixée. Il semble, en outre, que
celui ci ait subi une trépanation comme l’indique la marque explicite sur la
partie droite de la boîte crânienne.
Au
Nord Est de l’abside de l’église, cette sépulture de type coffre du Bas Empire,
dont le coffrage en bois a disparu, ne laissant subsister que les pierres de
calage
Cette
autre est également de type coffre. Elle était appuyée sur le mur Sud de
l’église, de telle manière que l’un des cotés du coffre soit formé par le mur
de l’édifice.
Là,
chose rare, un sarcophage en tuf incomplet – il manque le couvercle –
s’appuyant au Sud sur le mur romain ; la datation la plus probable est le
7ème siècle.
Le
redoublement de cette sépulture selon un axe Est Ouest. Il s’agit là, est-il
besoin de le dire, de documents exceptionnels que j’ai pu réaliser sur
autorisation particulière du responsable des fouilles, le 14 Septembre 1996.
Le
même sarcophage est présenté ici, à la date du 7 Décembre 1996, après que sa
sépulture ait été extraite.
On
voit maintenant le seul sarcophage complet du site, découvert dans la partie
Nord Est de la nef, qui était conservé sous une grande dalle : la datation
proposée est le 6ème, 7ème siècle.
Les
sarcophages paléochrétiens, on le sait sans doute, sont rarissimes dans notre
région et c’est dire l’importance des découvertes de Rochedure.
Certains subsistent encore in situ à Veurey, à
l’emplacement de la basilique mérovingienne de Saint Ours, mais pour combien de
temps encore ?
On
notera la similitude de conception de ces coffres en pierre, réservés, à
l’évidence, à des personnages importants ou aux membres des familles
dominantes.
Si
Saint Ours à la chance de conserver encore, à leur emplacement originel, ses
sarcophages mérovingiens, ceci n’était guère envisageable pour Varces.
Revenons
à Rochedure : on voit ici un coffre maçonné,
partiellement rempli de son contenant, datable des 6èmes, 8èmes siècles
s’appuyant également au Sud sur un mur romain.
Là,
des sépultures d’enfants car les dimensions sont réduites (
A
la même époque étaient visibles des sépultures en pleine terre – à moins qu’il
ne s’agisse de sépulture double – La plus grande des deux, au premier plan,
mesure
Là,
une belle sépulture anthropomorphe, orientée Ouest Est, située à peu de
distance de l’abside de l’église.
Une
autre sépulture, de même type, révélée fin Octobre 1996.
Là
encore, une grande sépulture en coffre de dalles ovalaire, d’orientation
traditionnelle, mesurant
Et,
sous ce qui était, jusqu’à fin Octobre 1996, une route communale, subsistaient
d’autres sépultures, extension méridionale de la nécropole que l’on voit ici
d’Ouest en Est. Des murs, en gros blocage, d’une largeur de
….
Bordaient une grande inhumation que l’on ne peut que distinguer ici, emplacée sous le bachage de
protection centrale. On peut penser qu’il s’agissait là d’une sépulture
importante.
On
se souvient sans doute de mon propose de tout à l’heure concernant la pierre
centrale située à l’entrée et au centre de l’abside qui, lors de sa découverte,
avait été interprétée comme pouvant être un autel recouvrant une sépulture
majeure.
Et
bien, voici ce qu’ a révélé l’enlèvement de la grande pierre d’abside :
une tombe en coffre de tegulae, d’époque romaine
tardive, voire mérovingienne, de faibles dimensions, donc réservée à un enfant.
Mais, son emplacement particulier, la qualité de la dalle couvrante, sa
situation dans l’église, inclinent à penser que l’enfant défunt était sans
doute d’appartenance noble et, vraisemblablement le fils d’un maître des lieux
à la période post romaine.
Enfin,
sera terminée cette nomenclature que d’aucuns pourront juger un peu morbide
mais qui était pourtant nécessaire – les cimetières ne sont ils pas des livres
d’histoire ? - avec cette ultime
sépulture de type coffre de dalles de plan ovale, d’une datation assez basse –
9ème à 11ème siècles – c’est à dire tout près du
« terminus post quem » d’occupation certaine du site funéraire et
religieux et son abandon de tous pour glisser dans les longs siècles d’un oubli
tel que, même la tradition orale et la mémoire populaire n’en conserveront
aucun souvenir pas davantage, ce qui est assez surprenant, que la toponymie.
Mais,
achevons ce voyage dans les sites archéologiques du Lavanchon
en poursuivant l’axe Nord Sud emprunté depuis notre départ. Le site de la
Fontenelle, au delà de l’église et de sa nécropole, révélait, lui aussi, dès
les premiers sondages – ici en Août 1996 – d’évidentes structures de murs…
…
qui, très vite, allaient pouvoir s’interpréter comme étant celles d’extensions
méridionales de la grande villa de Rochedure que nous
avons parcourue tout à l’heure.
Mais,
vous l’avez sans doute largement compris, rien n’est jamais simple sur un
chantier archéologique et, rapidement, était détectée une anomalie
d’importance : si la partie droite de ces extensions se raccordait
parfaitement avec la partie Ouest de la villa de Rochedure,
il n’en allait pas de même de la partie gauche, dont la destination posait
problème : s’agissait-il d’une annexe de la villa ou, au contraire, des
vestiges de constructions d’une autre époque ?
Ceci
n’a pu être établi. Néanmoins, cette partie des bâtiments (photographiée ici en
Septembre 1996 selon l’axe Nord Sud) montre une apparente homogénéité de
construction et laisse à penser que la grande villa de Rochedure
aurait pu être encore plus importante qu’on ne l’a cru.
Encore
plus au Sud, le lieudit « Pontcharra » - assurément le pont aux chars
– sur le Lavanchon, devait être également occupé à
l’époque antique. Le lieu n’a pas été fouillé car il était situé hors de
l’emprise de l’autoroute. J’ai néanmoins repéré, sur plus de
De
ce site, on connaissait jusqu’alors la maison de la Dame d’Arman, qui
dépendait, en 1673, de la paroisse de Saint Géraud.
Cette
vue des Gaberts, à la date du 21 Septembre 1996,
constitue désormais un document car, si la maison de la Dame d’Arman a été
conservée, il n’en est pas allé de même de ses dépendances et du moulin sur la Marjoëre.
Mais,
qu’a donc livré le site des Gaberts ?
Comme
on le voit sur ce relevé, superposant à la fois les structures découvertes en
Juillet 1996 et celles qui l’ont été un peu plus tard, là aussi, la
protohistoire côtoyait le gallo romain et le médiéval.
L’une
des révélations les plus surprenantes a été cette voie romaine que l’on voit
ici d’Est en Ouest ; au fond apparaît encore la ferme de Champ Fleury –
dans l’axe de laquelle elle se trouvait – détruite le 27 Août 1996 et sur le
site de laquelle j’ai observé, entre le 25 et le 31 Août, plusieurs sites à tegulae, témoins probables de constructions gallo romaines.
Plus
largement visibles ici, selon l’axe inverse Ouest Est, la voie relativement
large -– plus de
D’importants
murs, de belle facture romaine, étaient nettement apparents avec des
prolongements évidents sous l’ancienne route mais ils n’ont pu, faute de temps,
être décaissés.
Au
centre Est, une structure post romaine avec des murs en pierres sèches
réutilisant des substructions antiques : là aussi, et pour les mêmes
raisons, sa destination n’a pu être précisée.
Et
puis, tout aussi inattendu que la voie romaine, un bel aqueduc dont on voit ici
le plan que j’ai dressé à partir de plusieurs relevés de site effectués en
Septembre et Octobre 1996.
Cet
aqueduc, ici photographié le 28 Septembre 1996 dans l’axe Sud Nord, était sans
doute beaucoup plus long que les seuls vestiges révélés. Sa profondeur moyenne
était de
Comme
tous les autres sites, les Gaberts sont maintenant
rendus à leur long silence et seule l’autoroute témoignera, comme à l’Achard,
d’un tracé qu’empruntait déjà, il y a de cela 2000 ans, une voie romaine.
Mesdames
et Messieurs, nous voici parvenus au terme de ce long et particulier voyage
dans l’histoire de cette plaine jusqu’alors muette sur son surprenant passé et
qui l’est redevenue désormais car, de tout ce que je vous ai montré, plus rien
ne sera jamais visible. Faut-il le regretter ? Cela est un débat que je me
garderai bien d’ouvrir.
Je
préfère inviter à la méditation sur la relativité de nos connaissances du passé
qui peuvent, comme cela a été le cas ici, s’enrichir considérablement dans des
circonstances particulières et notamment à la faveur des grands travaux :
les récentes découvertes faites à Sinard sont là pour
en témoigner également si besoin était.
Mais
la plaine du Lavanchon doit désormais être considérée
comme un très grand site archéologique. On connaissait déjà, je l’ai rappelé en
introduction à cette soirée, les sites majeurs de Rochefort et ceux,
secondaires, des Mollards, de Tuilerie Thomas, de Saint Géraud et les sites
plus récents du Cellier, de Pellissière et surtout de
l’Achard. Viennent de s’y ajouter – et, dés lors, la nomenclature devient
impressionnante – une maison néolithique, un habitat hallstattien ceinturé d’un
fossé défensif, des greniers laténiens, des
établissements ruraux gaulois, une très grande villa romaine, une briqueterie
antique, divers habitats gallo romains, un aqueduc, une grande voie romaine,
une memoria ou un oratorium,
une église mérovingienne, une très grande nécropole présentant toute la
typologie des inhumations de l’époque romaine au moyen age et ayant révélé une
inscriptions paléochrétienne qui s’ajoute aux 39 jusqu’alors connues pour tout
le Département de l’Isère, hors Vienne et Grenoble, des bâtiments du haut moyen
age et bien d’autres choses encore dont je n’ai pas parlé dans ce qui n’avait
que vocation à présenter une synthèse.
Mesdames
et Messieurs, je vous remercie de votre bienveillante et très patiente
attention.