DISCOURS DE RECEPTION A L’ACADEMIE DELPHINALE DU 15
décembre 2012 de JEAN CLAUDE MICHEL
L’EPIGRAPHIE LAPIDAIRE GALLO
ROMAINE DE GRENOBLE
C’est
avec une émotion certaine que j’aborde maintenant ce discours de réception qui
consacre une large partie de ma vie partagée entre actions professionnelles et
écrits littéraires. Mais c’est surtout pour ces derniers, je pense, que vous
m’avez élu parmi vous.
Certes,
j’ai bien conscience que le sujet que j’ai choisi, après moult hésitations, peut paraître abstrus mais le thème méritait sans
doute pour notre Académie une large attention car – on le sait trop peu et je
vais essayer de vous le démontrer – Grenoble se situe parmi les 25 cités
antiques de Gaule et de Germanie qui ont livré le plus grand nombre d’inscriptions
sur les 14 000 connues à ce jour pour les seules Gaules. Permettez-moi une
brève énumération. En effet, en partant du haut du tableau qu’a établi
Christian Goudineau du Collège de France, dans son « histoire de la France
urbaine », on trouve deux villes qui ont livré plus de 1000
inscriptions : Nîmes et Narbonne. Entre 500 et 1000 inscriptions, deux
villes également : Mayence et Lyon. Entre 250 et 500 inscriptions, le
nombre de cités s’accroît un peu ; cinq au total : Cologne, Trêves,
Vienne, Arles et Bordeaux. Il y en a neuf avec plus de 100 inscriptions :
Bonn, Metz, Reims, Dijon, Autun, Bourges, Périgueux, Die et Vaison. Grenoble,
que l’on classe ensuite dans la tranche suivante des 50 / 100 inscriptions,
avec notamment Genève, Orange, Aix en Provence et Marseille, pourrait, à mon
sens, relever de la catégorie des cités antiques ayant livré plus de 100
inscriptions puisque, si le Corpus sur lequel ce classement est essentiellement
fondé, relevait 86 inscriptions latines pour Grenoble, le fascicule 38/1 de la
carte archéologique de la Gaule, établi en 1994 sous l’égide de l’Académie des
Inscriptions et Belles Lettres, auquel j’ai eu l’honneur de participer, porte
ce nombre à 97 et mon inventaire dans l’ouvrage que j’ai consacré à Grenoble
antique en 1999, que j’espère exhaustif à ce jour, décrit 105 inscriptions dont
quelques une il est vrai à la périphérie actuelle de Grenoble.
Mais
au delà de ces querelles qui, du reste, ne sauraient passionner que les
spécialistes, Grenoble doit bien figurer, semble t-il, dans le
« club » prestigieux des 20 / 25 cités antiques de Gaule et de
Germanie ayant livré l’épigraphie lapidaire antique la plus importante. Ceci
met donc à mal, vous me le pardonnerez peut être, une large partie de ce qu’on
disait jusqu’alors de Grenoble sous l’antiquité.
Voici
en effet Grenoble, telle que l’on se la représentait jadis. On peut y voir, au
nord et au sud deux temples, peut être ceux de Mars et de Saturne. J’y
reviendrai.
Puis telle qu’on la voit aujourd’hui. Ce n’est
donc pas, dans les deux cas, un village mais bien une ville avec ses remparts
et ses portes. C’est du moins celle de la fin du 3ème siècle.
Auparavant on a du mal à concevoir son organisation sinon qu’elle débordait
largement des 9 ha du bas empire.
Mais,
rassurez vous, il ne saurait être question d’entreprendre ici l’étude
systématique de la considérable épigraphie de notre ville.
Pour
éviter au contraire, autant que faire se peut, la monotonie qu’un tel sujet
pourrait engendrer, je vous proposerai, dans un premier temps, de rappeler très
brièvement les caractères généraux des inscriptions romaines et la recherche
historique, longue, riche et méritoire, de l’épigraphie lapidaire antique de
Grenoble.
Puis,
je présenterai une typologie des inscriptions grenobloises :
-
tout d’abord,
celles consacrées aux divinités, et nous parlerons, à cette occasion, des
sanctuaires connus ou conjecturés,
-
puis, celles
consacrées aux Empereurs et il m’a paru intéressant d’y inclure quelques mots
sur le séjour à Grenoble de Placidianus, sous les règnes de Claude II et
Aurélien.
-
il sera ensuite
question des inscriptions relatives à des militaires puis de celles concernant
les fonctions municipales, liées à l’administration locale et de celles, peu
nombreuses au demeurant, relatives à l’administration publique, ce qui
permettra de s’intéresser fugitivement aux douanes et à l’impôt dit du 40ème
des Gaules.
-
Puis, seront
brièvement examinées les plus intéressantes des inscriptions funéraires.
Quelques
instants seront ensuite consacrés aux inscriptions réputées douteuses et il
sera alors temps de conclure en s’interrogeant sur la vie et les mœurs des
Cularonenses, ces premiers grenoblois.
J’ajoute
que j’ai tenté d’illustrer au mieux cette conférence mais que cela était fort
complexe. Vous ne verrez donc que quelques photos des monuments encore
accessibles ainsi que des croquis de l’atlas d’Allmer et de Terrebasse
photographiés par Claude Varanfrin qui m’assiste tout au long de cette
conférence. Je m’excuse donc dès à présent pour la relative indigence de cette iconographie.
I
– Les caractères généraux des inscriptions et la recherche historique :
A
– Caractères généraux :
Pour
bien comprendre ce qu’est l’épigraphie latine, sans déjà vous lasser, il faut
sommairement rappeler quelques principes. L’inscription se présente
généralement comme une succession de lettres majuscules sans signe pour
distinguer les mots les uns des autres : les séparations traduisent
uniquement des soucis esthétiques de présentation sans signification réelle. Les
plus anciennes inscriptions – jusqu’au milieu du 2ème siècle – sont
caractérisées par une écriture monumentale, gravée avec soin, cependant qu’à
partir de 150 apparaissent des lettres écrites au pinceau, moins bien tracées,
que le graveur a plus de mal à transcrire dans la pierre.
Voici,
à titre d’exemple, la plus ancienne des inscriptions connues dans l’Isère,
celle de la Grive à Bourgoin Jallieu que l’on date du 2ème ou du 1er
siècles avant notre ère. Tous les patronymes, Dubnacus, Cobrovillus, Bitena,
Troucetis, sont en effet encore gaulois.
Le
style que les auteurs utilisent ensuite est quasi officiel, simple, avec un
vocabulaire restreint et une structure de l’inscription très conventionnelle.
L’élément
déterminant des inscriptions, notamment funéraires est la Gens (Guens) ou l’ensemble de personnes portant le même nom et se
considérant comme les descendants d’un ancêtre commun. Ainsi, à Grenoble, Aelius,
Atticus, Cassius…
Le
citoyen romain porte les Tria Nomina, les
trois noms, c’est à dire le prénom, le nom de famille et le surnom, énoncés
dans cet ordre immuable : près de 45 % des inscriptions de Grenoble
présentent les Tria Nomina et ce
pourcentage, rapporté à la totalité des noms connus par l’épigraphie, soit 153,
est encore de 31 %. Ceci démontre un très important degré de citoyenneté
romaine, renforcé par le fait que, sur la quinzaine de prénoms usuellement
utilisés dans la civilisation romaine, 11 se retrouvent à Grenoble. Comme le
notait le regretté Professeur LARONDE, l’onomastique reflète, pour notre ville,
la force de la population latine, tandis que les noms celtes ne représentent
que 18 % du total des noms connus pour les trois premiers siècles de notre ère.
Le
non citoyen, l’esclave par exemple, porte un seul nom qu’il fait suivre
parfois, lorsqu’il devient affranchi, de la dénomination de son maître au
génitif ; ainsi, Publius Primitivus ou Lucretia, affranchie de Quintus.
Les
femmes en général, n’avaient pas de prénom et conservaient comme nom de famille
celui de leur père au féminin. On lit parfois, à la suite de leur nom, celui de
leur mari au génitif. Ainsi, Attius (le père) + Marcianus (l’époux) donnent
Attia Marciana : 54 inscriptions de ce type sont recensées pour Grenoble.
Quant
aux formules, elles ne doivent pas faire illusion ; en effet, à en croire
les inscriptions, tous les maris auraient été « pleins de mérites »
et toutes les épouses « incomparables ». D’elles, surtout, on loue
leur douceur, leur vertu, leur bonté, leur parfait caractère. Presque
systématiquement, les maris proclament leurs louanges. Si incontrôlable que
soit leur sincérité, notamment sur leurs vertus conjugales, elles témoignent du
moins que ces qualités étaient publiquement appréciées. Elles ne doivent
cependant pas nous abuser. Déjà, Guy Allard, il y a de cela plus de trois
siècles, à propos des louanges faites par son mari à Hilaria Quintilla notait,
non sans humour : « ce mary avait des sentiments bien avantageux pour
sa femme de croire que celle ci estoit vierge lorsqu’il l’épousa. Je doute –
ajoutait-il – que la foi des maris de ce siècle – ce n’était alors que le 17ème
– soit aussi grande… ».
L’éloge
que la femme adresse communément à son défunt époux est d’un ton moins
emphatique, plus réservé : la veuve atteste parfois que la vie commune fut
sans nuage et se borne souvent à regretter discrètement un époux « plein
de mérites », « très cher », « très doux »,
« très digne ».
En
ce qui concerne les enfants, les pères surtout pleurent leurs enfants
« très chers », « très doux », « très dignes »
tout en louant leurs « rares qualités », le « respect »
d’un fils, « l’élégance » d’une fille.
Réciproquement,
les enfants pleurent des parents « si affectionnés », « très
chers »…
Je
ne m’arrêterai pas aux abréviations usuellement employées dans l’épigraphie
romaine et fort nombreuses, notant seulement que la formule « Vivus Sibi Posuit » (a élevé de son
vivant), que l’on rencontre à maintes reprises, montre combien ces gens
s’attachaient profondément à l’idée que leurs pierres tombales, souvent
acquises par une vie de labeur, souvent élevées par précaution aussi de leur
vivant, leurs vaudraient une sorte de survie.
A
cet égard, ils ne se sont point trompés ; éparses aujourd’hui dans nos
musées ou conservées dans nos ouvrages, elles n’ont pas encore cessé de nous
parler d’eux.
La
formule « Dis Manibus » que
l’on trouve employée 38 fois dans le lapidaire grenoblois, mérite explication.
En effet, dès l’époque d’Auguste, les inscriptions funéraires prennent une
forme plus structurée. L’inscription est conçue comme une dédicace aux Dieux
Manes, ces divinités collectives qui symbolisent les esprits des morts. Elles
sont célébrées dans le calendrier religieux officiel, lors de la fête des parentalia du 13 au 21 février.
Né
sous Auguste, cet usage se généralise à partir du règne de Claude. Dans un
premier temps, la formule reste concise : Manibus ou Diis Manibus en
toutes lettres mais le plus souvent en abrégé. En voici un exemple, l’inscription
de la rue Saint Laurent consacrée à Veratiae.
Ensuite,
le formulaire funéraire évolue peu et l’essentiel de la structure est respecté.
Aux Manes se font, aux 3ème et 4ème siècles, des
adjonctions « à la mémoire » ou « à la mémoire éternelle ».
Moins
aisée est l’interprétation de l’ascia (askia), figurée sur 16 des stèles
grenobloises, accompagnée de la formule « Sub Ascia Dedicavit », en toutes lettres ou en abrégé.
Le
rite de l’ascia, c’est à dire l’herminette, le marteau qu’utilise le tailleur
de pierre, né, semble t-il en Dalmatie avant le milieu du 1er siècle
de notre ère, se généralise de manière foudroyante en Gaule et en Cisalpine,
aire cultuelle celtique.
Nonobstant
les nombreuses hypothèses émises sur la signification de la référence à cet
outil, on n’en connaît pas avec certitude le sens religieux ; c’est sans
doute la marque d’un rite de consécration qui place le monument funéraire avec
ses annexes sous la protection divine et qui en assure l’inviolabilité.
Enfin,
on notera que, dans près d’une dizaine d’inscriptions, l’appartenance du
dédicataire à la Tribu Voltinia est
indiquée. On sait que la représentation des citoyens en tribus remonte à
l’origine même de Rome. La Narbonnaise avait été versée en bloc dans la Tribu Voltinia qui, à la suite des
quatre tribus urbaines, venait au second rang des tribus rustiques, c’est à dire
aussitôt après la Romula.
En
47 avant notre ère, lors de la fondation de la colonie de Vienne, tous les citoyens de la civitas furent classés
dans la tribu Voltinia.
Cette
mention d’appartenance à une tribue, assez
usuelle en Narbonnaise au début du Haut Empire, cessa avec Caracalla qui, en
étendant le droit de cité à tous les habitants de l’Empire, rendit inutile
l’indication de l’appartenance à une tribu.
Avant
d’en venir à une rapide synthèse de la recherche historique, il me semble utile
de préciser que, sur les 105 inscriptions romaines de Grenoble que j’ai
étudiées
-
25 proviennent de
la Porte Romaine, qui était située à peu près à l’emplacement de la fontaine de
la place Grenette, on en voit ici un dessin
-
20 proviennent de
la Porte Viennoise, située place Notre Dame, dont les fondations ont été
récemment retrouvées
-
38 proviennent d’emplacements
authentifiés à Grenoble,
-
20 sont de
provenance inconnue mais sont traditionnellement attribuées à Grenoble,
-
2 sont
extérieures à Grenoble (Echirolles et Meylan) mais doivent être, à mon sens,
rattachées à la ville.
46
de ces inscriptions sont conservées :
-
37 au Musée
Dauphinois dont 4 visibles dans le cloître et 1 dans la chapelle,
-
4 au Musée de
l’ancien évêché,
-
2 à la cathédrale
Notre Dame, on voit ici l’une d’elles, difficile du reste à photographier
-
1, encastrée dans
un mur, 20 Grande Rue, en voici la reproduction
-
1 déposée au fond
d’une cour, rue Saint Laurent,
-
1 enfin à Echirolles
au château de Saint Jacques
66
sont complètes cependant que 38 sont fragmentaires.
Enfin,
65 % de ces inscriptions sont des
inscriptions funéraires.
B – En ce qui concerne la recherche historique
consacrée à l’épigraphie lapidaire
Il est anecdotique, mais intéressant, de rappeler
que les recueils d’inscriptions latines antiques remontent en fait à
l’antiquité. En effet, déjà sous le Haut Empire, se constituèrent des recueils
d’inscriptions d’époque républicaine, si l’on en croit le témoignage de Suétone
sur Vespasien qui fit reconstituer 3000 tables d’airain détruites dans
l’incendie du Capitole.
Au plan local, on rappellera que le premier auteur
identifié qui se soit intéressé aux inscriptions romaines de Grenoble est
Antoine de Govéa, jurisconsulte de Vienne, qui enseignait le droit à Grenoble
au début du 16ème siècle.
Malheureusement, son manuscrit n’est plus localisé
de nos jours. Il semble bien qu’il ait relevé nombre d’inscriptions aujourd’hui
perdues et Champollion Figeac estimait, sans doute à juste titre, que Guy
Allard qui nous a laissé de nombreux écrits et la mention de 54 inscriptions,
n’avait fait que copier Etienne Barlet, auteur d’un précis sur les inscriptions
romaines de Grenoble, daté de la période 1547 – 1559 qui, lui même, n’aurait
fait que reprendre Antoine de Govéa.
On notera également les écrits, fragmentaires,
d’Etienne Clavière vers 1621 et ceux, plus complets, mais à manier aujourd’hui
avec d’infinies précautions, de Nicolas Chorier vers 1661, de Nicolas Charbot
vers 1717 et de l’abbé Martin qui se disait le continuateur de Charbot. J. J.
Champollion Figeac, dans son ouvrage sur les antiquités de Grenoble, édité en
1807, étudie 36 inscriptions et en cite, mais sans les analyser, 44 autres.
J. J. A. Pilot est également une source appréciable
au travers de sa très prolifique production qui va de 1829 à 1860 pour ce qui
nous intéresse ici.
Et puis, ouvrage ô combien majeur, celui d’Allmer en
4 volumes publiés en 1875-1876, assortis d’un atlas recensant toutes les
inscriptions alors connues de la cité de Vienne, dont 85 pour Grenoble.
Sur un plan général, quasiment encyclopédique,
l’Académie de Berlin prend, dès 1863, la responsabilité de la publication d’un
recueil de toutes les inscriptions latines alors recensées de l’empire
romain : le Corpus des inscriptions latines en 18 volumes. Le tome XII,
consacré à la Narbonnaise, est publié en 1888. Il recense 86 inscriptions
romaines pour Grenoble. Depuis sa publication, le Corpus est complété par
l’année épigraphique, créée dès 1888, par René Cagnat. Il en va de même des
Inscriptions Latines de Gaule Narbonnaise publiées en 1929 par Esperandieu en
complément au Corpus : en ce qui concerne Grenoble, 7 nouvelles
inscriptions ont ainsi été étudiées.
On notera ensuite l’ouvrage du Doyen Samuel Chabert
de 1927, consacré aux inscriptions romaines du Musée Dauphinois qui en décrit
43 puis les écrits du R. P. Hostachy et aussi ceux de Bernard Dangréaux sur
l’état des connaissances des origines de Grenoble, requalifiant notamment
certaines datations.
Encore plus récemment, en 1994, la carte
archéologique de l’Isère en mentionne 97 et, enfin, en 2002, est venu l’ouvrage
de Bernard Rémy, dernier en date sur ce thème.
Méritoire, cette longue et constante recherche
épigraphique nécessite aujourd’hui une relecture plus synthétique, plus
critique et, sans aucun doute, comme me l’avait suggéré le professeur Laronde
lors le la publication de mon ouvrage, plus comparative. C’est ce que j’ai
tenté de faire ici.
II – Typologie des inscriptions
a) tout
d’abord celles consacrées aux divinités :
Sans être négligeables elles sont peu
nombreuses : une petite dizaine.
Les divinités concernées sont Esculape, l’Asklépios
grec, dieu de la médecine que la Narbonnaise a peu honoré (8 inscriptions au
total), consacré à Grenoble par Caecus, gardien d’un temple d’Isis non localisé
mais démontrant à l’évidence l’existence de ce culte oriental à Grenoble ou
dans les proches environs : on rappellera, à cet égard, que la tradition
orale, liée à l’autel de Pariset et les toponymes d’Ezy sur Noyarey, d’Izeaux
et d’Izeron et le contrepoids de Saint Georges de Commiers, susceptible de
représenter un prêtre du culte d’Isis.
On s’attendrait pour un peu, dans une ville où tant
d’armées sont passées, à trouver Mithra, ce qui ne serait aucunement
surprenant, mais il n’y est pas. Tout au plus a t-on pu conjecturer un éventuel
site cultuel, très frustre, à Sarcenas en Chartreuse.
Puis viennent les Fortunes, auxquelles un citoyen
romain, Titus Aelius, a consacré un autel, Jupiter, dieu de la triade
capitoline connu par une inscription fragmentaire, par une statuette découverte
place Jean Achard en 1890 et par une autre place Notre Dame à l’aube de l’année
2000.
Maïa Auguste ensuite, pour laquelle les Allobroges
semblent avoir eu une faveur toute particulière : deux dédicaces à
Grenoble, une à Pact, deux autres encore à Chatte. Un temple lui était peut
être consacré à Grenoble même, place Notre Dame ou rue Brocherie.
Mars, connu par deux inscriptions, l’une découverte
en 1777 près de la Tour Rabot où un sanctuaire paraît lui avoir été consacré et
l’autre, sans doute la base d’une statue offerte par le Préfet Caper, évergète
sur lequel j’aurai l’occasion de revenir. La formule « TPI »
signifiant « testamento Posi Iussit » (a ordonné par testament).
Les Mères Augustes et les Mères Nemetiales,
divinités tutélaires locales traduisant le double aspect de la popularité du
culte des Mères, remontent, sans doute, au vieux fond néolithique du
peuplement : un sanctuaire aux Mères a pu exister sur l’actuelle place
Saint André, voire à l’emplacement du groupe cathédral primitif.
Saturne, ensuite : on sait, par une inscription
autrefois déposée dans la cour d’une demeure de la rue Bayard, que Decmanius
Caper, sous préfet de cavalerie,
avait, de son
vivant, ordonné que soit élevée une statue à Saturne.
L’inscription funéraire du même personnage révèle
qu’il avait donné 50 000 sesterces pour cette statue (et pour l’autre consacrée
à Mars) et pour un « toit de tuiles en bronze ».
Dès lors, on peut présumer l’existence d’un temple à
Saturne dont, selon le Professeur Laronde, « l’aspect exceptionnel… devait
trancher sur la modestie générale des constructions… ». Sa localisation
reste toutefois toujours problématique.
Il est à remarquer que l’on ne connaît pas, à ce
jour, d’autre inscription à Saturne en Gaule Narbonnaise et aucun sanctuaire
qui aurait pu lui être consacré. La dédicace de Grenoble est donc unique en son
genre.
Allmer pensait que, retiré à Cularo après sa
carrière militaire, Decmanius Caper aurait voulu, en choisissant pour motifs de
sa libéralité les deux divinités qui symbolisaient la guerre (Mars) et la paix
(Saturne), marquer les deux occupations entre lesquelles s’était partagé le
cours de son existence.
Mais Pflaum suppose que toutes les divinités du
panthéon romain avaient pu être représentées par cet évergète assez remarquable
dont nous reparlerons encore tout à l’heure.
Le culte à Diane est limité : 3 découvertes
dans le Département de l’Isère la concernant : une statuette à Jarcieu, un
autel polythéiste à Agnin (le voici) et un buste aux Roches de Condrieu.
Une inscription de Grenoble la concerne : elle
provient de la rue des Clercs ou de la place Sainte Claire. Un temple, qui
aurait été situé non loin de la Porte Viennoise, est conjecturé par Prudhomme
et par Müller.
La même inscription concerne également les divinités
des Empereurs, bien connues dans la cité de Vienne.
A cet égard, J. J. A. Pilot, rapportant Barlet,
signale le réemploi en 1663, lors de l’agrandissement de l’église du couvent
des Minimes, de 3 marbres votifs en l’honneur de César, d’Auguste et de Trajan,
dont l’authenticité est, par ailleurs, contestée. J’y reviendrai lorsque je
parlerai des inscriptions réputées fausses.
Mercure, enfin : bien que située depuis
toujours à Echirolles, cette inscription est indissociable de l’histoire de
Grenoble.
Mercure est également présent, à Grenoble même, par
une statuette en bronze découverte lors des récentes fouilles de la place Notre
Dame. Il est enfin identifié à Uriage, la Terrasse, Beaucroissant, Saint
Laurent du Pont et, plus récemment, à Varces sur le site de l’agglomération
secondaire de Lachar où un sanctuaire semble lui avoir été dédié.
D’une manière générale, par inscriptions, statuettes
ou autres témoignages, 8 des 12 dieux conseillers, qui avaient leurs statues
élevées sur le forum romain, sont connus à Grenoble ce qui témoigne, s’il en
était besoin, d’un degré de romanisation particulièrement important.
Les cultes indigènes, plus discrets, ne sont
toutefois pas absents : un autel à la déesse celtique Viama, aux Côtes de Sassenage,
consacré par un dédicant autochtone, Craxo, les Dieux Guérisseurs, avec les ex
voto de Fontaine, sans doute à l’origine des pierres ophtalmologiques réputées
appartenir aux Merveilles du Dauphiné. Sucellus, le dieu au maillet n’est pas
oublié : deux statuettes le représentant auraient été trouvées à Grenoble.
Voici sa représentation à Vienne.
Et puis, on complètera ce panthéon par la mention de
Vulcain, honoré à Uriage, à Varces, à Bernin et à la Fontaine Ardente du Gua
que l’on voit ici dans son aspect actuel, par celle d’Apollon, dont le culte
peu répandu dans les Alpes semble avoir existé à Uriage, par Sylvain, largement
honoré chez les Ceutrones mais assez peu dans la région grenobloise, hormis à
Saint Laurent du Pont et, enfin, par des cultes rarissimes tels celui de
Quirinus, connu seulement à Rome et dans quelques rares villes d’Italie et,
seulement, pour ce qui concerne la Narbonnaise, à Saint Laurent du Pont où un
temple lui était consacré (on voit ici la dédicace) ou de Lupercus, le dieu
loup, conjecturé à Saint Martin de la Cluse.
Je n’insisterai pas ici sur les cultes orientaux,
dont j’ai déjà brièvement parlé, ni sur le culte solaire « Sol et
Luna » que Placidianus aurait pu vouloir honorer à Vif au début du règne
d’Aurélien.
b) venons en
aux inscriptions consacrées aux Empereurs :
4 dédicaces aux empereurs ont été découvertes à
Grenoble. Une inscription à Antonin dit le Pieux, déjà perdue du temps de
Champollion, qui était peut être le piédestal d’une statue, les deux
inscriptions dédicatoires des portes Viennoise et Romaine, consacrées par
Dioclétien et Maximien et l’importante inscription à Claude II dit le Gothique,
ce qui va nous donner l’occasion de parler brièvement d’un personnage très
important dans l’histoire de Grenoble mais également fort méconnu : Iulius
Placidianus. Je passer ai très vite,
compte tenu du temps imparti, sur cette problématique qui mériterait néanmoins
de larges développements. Mais le texte qui paraitra dans un futur bulletin
sera plus détaillé.
Mais pourquoi une telle inscription, que Chabert
considérait comme étant la plus importante de Grenoble et l’une des plus
importantes des Gaules ?
Comme on le présume, un significatif corps de
troupes – peut être même une armée – sous le commandement de Iulius Placidianus
– était stationnée à Grenoble dans le milieu ou vers la fin de l’an 269. On
s’est largement interrogé sur les raisons du séjour à Grenoble de ce corps
expéditionnaire d’élite, composé de soldats pris dans la propre garde
impériale. Il faut, à cet égard, se souvenir qu’à cette époque Autun se révolte
contre les usurpateurs du pouvoir et appelle Claude II à son secours.
Les troupes de Placidianus sont à Grenoble
lorsqu’elles apprennent les succès de Claude contre les Goths et il fait alors graver
la dédicace qui a été conservée.
Mais on sait que Placidianus, très postérieurement à
son arrivée à Cularo et à la dédicace consacrée à Claude, était encore sur
place : le prouve une seconde inscription, aujourd’hui encastrée dans le
clocher de l’église Saint Jean Baptiste de Vif ainsi libellée :
« Aux feux éternels, Julius Placidianus,
clarissime, préfet du Prétoire, a élevé (cet autel) à la suite d’un vœu ».
On s’est longuement interrogé sur ces « feux
éternels » : sont-ils ceux de la Fontaine Ardente proche ou
l’allusion au culte solaire dont Aurélien avait fait l’un des éléments
fondamentaux de sa réforme religieuse ?
Je ne reviendrai pas ici sur cette problématique que
j’ai étudiée en son temps. Peut être en parlerais-je ultérieurement dans notre
compagnie.
Le séjour à Grenoble de Placidianus aurait donc duré
du début du siège dAutun (fin 269) jusqu’à fin 270 pour l’amplitude la plus
courte ou jusqu’à la fin de 272 pour l’amplitude la plus longue, soit entre un
et trois ans, ce qui, dans les deux cas, est considérable.
Ceci montre toutefois – et trop peu d’auteurs l’ont
jusqu’alors relevé – que Cularo devait disposer d’infrastructures suffisamment
importantes pour accueillir, aussi longtemps, un tel personnage et, surtout,
son armée.
Grenoble lui doit, sans doute, l’élaboration de son enceinte et, partant de là, la marche vers son
statut de chef lieu de civitas.
c) en ce qui
concerne les inscriptions relatives à des militaires je passerai plus vite sur les 4 inscriptions
que comporte cette catégorie.
-
un vétéran de la 3ème légion Gallica qui,
après avoir fait la guerre sur les bords du Rhin et en Syrie obtint
d’importantes récompenses militaires de l’empereur Hadrien entre 132 et 135 et
se retira à Cularo où étaient, sinon ses origines, du moins ses attaches
familiales.
-
un tribun de légion, c’est à dire le commandant
d’une numeri de 1000 hommes, nommé
Pompéius Pollion
-
un centurion de la 1ère légion Germanica,
entré dans l’armée comme aquilifer ou
porte enseigne
-
et enfin un sous préfet de cavalerie, que nous avons
déjà rencontré à propos des dédicaces à Saturne et à Mars, Decimus Decmanius
Caper qui est donc cité 3 fois dans l’épigraphie antique de Grenoble. Son
inscription funéraire est particulièrement intéressante : « à Decimus
Decmanius Caper, sous préfet de cavalerie de l’Ala Agrippiana, qui a donné par
testament 50 000 sesterces pour des statues de Mars et de Saturne en bronze et
un toit de tuiles en bronze destinées à l’ornement de … ». Le legs ainsi
fait est relativement important : environ 35 000 € actuels, soit
l’équivalent d’au moins un an de traitement . En ce qui concerne le
présumé toit de tuiles de bronze, il y a lieu de noter qu’une inscription de
même époque, trouvée à Vienne, fait mention d’une flaminique qui a également
donné de ses deniers les « tuiles en bronze doré de la toiture d’un
temple ».
-
d) pour ce
qui est des inscriptions relatives à des fonctions municipales on
distinguera les fonctions liées aux cultes de celles liées à l’administration
de la cité. En ce qui concerne les fonctions liées aux cultes, le plus haut
magistrat est le flamine du culte impérial, desservant du culte romain sous la
direction d’un flamine provincial dont la circonscription comprenait toute la
Province. Souvent perpétuels, les flamines du culte impérial étaient recrutés
parmi des citoyens ayant rempli précédemment des fonctions municipales. C’est
le cas de cette inscription fragmentaire. Si le flaminat du culte impérial est
très fréquent en Gaule, il n’en va pas de même du flaminat attaché à une
divinité qui n’apparaît que dans quelques cités et se rapporte toujours à Mars.
C’est le cas à Grenoble de la très belle inscription de Caprilio Antullo,
antérieure à 70. En outre, dans la seule cité de Vienne, se rencontrent, à côté
des flamines de Mars, des flamines de la Jeunesse. 2 inscriptions de ce type
ont été découvertes à Grenoble. Voici l’une d’elles.
Le rôle des flaminiques est mal connu : épouses
des flamines les assistant dans leur charge ou prêtresses des cultes
ordinaires ? 2 inscriptions sont également connues à Grenoble.
Enfin, les sévirs augustaux, membres d’un collège de
six membres, sont pris parmi les affranchis ou les gens de la plèbe et nommés
par les décurions de la Cité.
La célébration du culte impérial fut, à Grenoble, le
fait d’un nombre appréciable de sévirs augustaux issus, pour l’essentiel, d’un
milieu d’affranchis. Ainsi, pourrait-on citer Quintus Vettius Epictetus,
affranchi de Nobilis.
En ce qui concerne les fonctions liées à
l’administration locale on sait que, dès qu’elle devint colonie
romaine, la cité de Vienne fut administrée à l’image de Rome.
A l’origine, la magistrature suprême était assurée
par 4 magistrats, les quattuovirs, remplacés à la fin du règne de Tibère ou de
Caligula par les duumvirs, l’un chargé des finances (aerarius), l’autre de la
justice (juredicundo).
La magistrature inférieure comprend l’édilité et la
questure. Très importante à l’origine de Rome, la magistrature des Aedilis vit,
avec l’Empire, son rôle et ses fonctions considérablement diminués : police
des marchés, de la ville, entretien et travaux.
Enfin, les questeurs étaient chargés de la gestion
des finances locales.
Par ailleurs, un conseil de décurions, l’ordo
decurionum, est connu dans de nombreuses cités de Narbonnaise à Grenoble,: 3 décurions sont connus.
La cité de Vienne avait également sa curie, composée
de 100 membres choisis parmi les riches citoyens et nommés pour 5 ans. C’est
parmi eux qu’étaient désignés les magistrats municipaux : questeurs,
édiles, duumvirs…
Tout ceci est certes un peu technique, veuillez m’en
excuser, mais fournit une preuve supplémentaire de l’importance de Grenoble car
on y trouve mention d’au moins 15 magistrats ainsi que d’un préfet de pagus,
subdivision territoriale de la civitas, peut être le pagus At…ius, mais
l’inscription est incomplète.
Selon le professeur LARONDE, cette importance de
Grenoble est confirmée par le fait que Cularo fournit à Vienne 12 % des
magistrats de la cité, chiffre comparable à celui du vicus de Genève, les deux
vici n’étant devancés que par Vienne, qui fournit à elle seule 34 %.
On arriverait, du reste, à des résultats
sensiblement équivalents en ce qui concerne les sacerdoces.
e) l’administration
publique de l’état va nous
permettre d’évoquer brièvement l’important problème de la Quadragésima
Galliarum ou impôt du 40ème des Gaules. 2 inscriptions de Grenoble –
peut être même trois – s’y rapportent :
la première, la plus connue, est aujourd’hui exposée
au Musée de l’ancien évêché ; il s’agit de l’inscription dite de Gaius
Sollius Marculus, ainsi rédigée : « aux dieux Mânes, Gaius Sollius
Marculus, receveur du Quarantième des Gaules à la station de Cularo. Il est
mort à 26 ans. Gaius Sollius Marcus, son père, à son fils si affectionné, Attia
Marciana et Marcula, ses sœurs, à leur frère très affectionné et Attia Aurelia
à son mari incomparable, ont dédié (ce monument) sous l’ascia ». On voit
ici cette stèle bien connue puisque largement étudiée.
Ce receveur du « Quarantième des Gaules »
porte le titre original de « librarius » qui n’est connu que par une
autre inscription, également de Grenoble, aujourd’hui perdue, celle de Publius
Primitivus, un affranchi, également qualifié de « librarius », peut
être copiste ou scribe. Camille Jullian lui donnait la signification de
« teneur de livres » et Allmer celle de « comptable ». La
traduction par « receveur » paraît la plus adaptée.
L’inscription de Sollius Marcullus est, de plus, le
seul témoignage conservé de l’identification certaine de Grenoble avec Cularo.
Sa datation est difficile et l’on proposera une large fourchette : entre
161 au plus tôt et 212 au plus tard.
Je n’ai guère le temps ici mais je m’arrêterai plus
longuement dans le texte à paraitre sur ce « 40ème des
Gaules ».
Cet impôt a subsisté pendant toute l’époque
impériale : jusqu’à Commode, il fut sans doute affermé puis l’Etat perçut
directement la taxe.
Ce que l’on peut dire c’est que les stations du 40ème
ne jalonnaient pas systématiquement les frontières des districts ou des
provinces : les postes de douane se trouvaient en fait situés au pied des
Alpes, souvent au carrefour des vallées, ce qui est particulièrement le cas
pour la basse Isère où les riverains disposaient de nombreuses barques :
l’Isère fut encore très utilisée pendant tout le moyen âge et jusqu’au 19ème
siècle comme voie navigable pour le transport des matières pondéreuses, en
particulier les minerais alpins.
Enfin, en direction du Sud, peut être
l’agglomération secondaire de l’Achard sur la commune de Varces, fouillée en
sauvetage en 1994-1995, assurait-elle une fonction de contrôle des voyageurs et
des marchandises à la sortie du territoire des Allobroges ? Selon les
archéologues un bureau secondaire du Quarantième des Gaules n’y est pas
improbable.
f) venons en
aux autres inscriptions funéraires :
On l’a vu, l’essentiel des documents épigraphiques
consiste en des autels funéraires. Mais, le plus grand nombre concerne de
modestes citoyens de Cularo qui n’étaient ni militaires, ni prêtres, ni édiles,
ni fonctionnaires.
C’est ainsi que l’on trouve, parés de ce seul titre
des « époux remarquables », des « épouses vertueuses », des
« parents si affectionnés » ou encore des enfants prématurément
décédés tel ce Caïus Innocentius, à l’âge de 6 ans, 9 mois et 16 jours, que
pleure sa mère.
La plupart des noms, je l’ai signalé, sont romains.
Quelques rares exceptions méritent toutefois d’être relevées ; ainsi
Bitunia Titiola et Bitugia Modestina qui sont probablement d’anciens patronymes
gaulois, cependant que d’autres traduisent des ascendances grecques, tels Eudrepites,
Eudaemon, Threpte…
g) quelques
mots enfin sur les inscriptions réputées fausses
Je ne reviendrai pas sur l’inscription dite du
« divin Gratien », pas davantage que je n’insisterai sur la pseudo
inscription des « pontonniers de Cularo » que Paul Féchoz, de
l’Académie disait avoir vue à Grésy en Savoie. Je préfère attirer l’attention
sur les trois inscriptions impériales que Barlet avait notées mais qui étaient
déjà perdues du temps d’Allard qui en fait la relation suivante :
« … Il nous reste peu des inscriptions que je
veux rendre publiques. Jean de Saint Marcel d’Avançon, Avocat Général en ce
Parlement avait eu le soin de faire porter, dans la maison qu’il avait en cette
ville, les pierres ou plusieurs estoient gravées : cette maison ayant esté
acquise par les PP Minimes, il n’en ont pas connu le prix car ils les ont fait
ensevelir dans les fondations de leur église. N’est-ce pas une espèce de
barbarie ou si l’on veut d’une crasse ignorance ! Quel outrage à la sacrée
antiquité et quelle injure à la curiosité des savants qui doivent encore une
grande obligation aux recherches de Barlet… ».
Ces inscriptions sont elles sous le couvent des
Minimes fondé en 1613 dans la rue du même nom ? S’agit-il d’inscriptions
controuvées ou, au contraire, d’inscriptions pouvant provenir d’un culte
impérial ? Aucune indication ne permet aujourd’hui d’incliner
définitivement vers l’une ou l’autre de ces hypothèses. Seules des fouilles
sous l’ancien couvent permettraient peut être d’être fixé.
Il y a donc
bien là, Mesdames et Messieurs, une épigraphie de tout premier ordre, comme
vous avez pu vous en rendre compte, tant par le nombre et la diversité des
inscriptions que par l’exceptionnel degré de romanisation de Grenoble sous
l’Empire romain.
Et pourtant, 105 inscriptions pour plus de trois
siècles de civilisation c’est fort peu dans l’absolu ; la validité
statistique de cet ensemble pose un problème qui n’est, du reste, pas
spécifique à Grenoble.
Les 14 000 inscriptions connues pour les Gaules et
les Germanies, recouvrant nos trois premiers siècles ne correspondent, somme
toute, qu’à environ 1500 inscriptions par génération pour un territoire
beaucoup plus vaste que la France actuelle.
Mais, de ce point de vue, Grenoble serait pourtant
mieux située que les grandes capitales romaines que sont Lyon, Trêves, Arles ou
encore Bordeaux. En effet si l’on reprend l’estimation suggérée en son temps par
le Professeur Laronde d’une population moyenne de 1500 habitants pour Cularo et
que l’on considère – tout cela restant, bien sur, très approximatif – qu’il y a
eu entre 3 et 4 générations par siècle en moyenne, on arrive, pour Grenoble, à
un échantillonnage légèrement supérieur à 1% ce qui est très peu,
statistiquement parlant, mais néanmoins considérable à l’échelle de la Gaule et
des Germanies pour lesquelles le même calcul grossier aboutit à un chiffre
compris entre 0,03 et 0,04 %, soit 25 fois moins pour les Gaules que pour
Grenoble.
Mais ces ratios sont, bien évidemment, très relatifs
et, en l’absence de toute véritable étude comparative, on se gardera bien d’en
tirer une quelconque conclusion.
Je terminerai brièvement cette conférence par
quelques réflexions sur la vie et les mœurs des habitants gallo romains de
Grenoble, les Cularonenses :
Certes, j’aimerais pouvoir en dire beaucoup plus sur
ces premiers grenoblois qui avaient noms Aelius, Antonius, Cassius, Coetius,
Larinius, Scribonius et autres Clemens, Fronto, Lebeo, Pollio ou encore Sextus.
Je n’aurai garde d’oublier leurs compagnes, très
nombreuses aussi dans l’épigraphie, bien que la parité, dans les temps qui nous
occupent, n’ait jamais été, si peu que ce soit, un souci. Elles avaient noms
Aelia Italica, Appronia Sabina,
Devilia Titiola, Gratia Gratinae, Prima Valeria,
Vinicia Vera…
Même si leurs épitaphes continuent, 18 siècles plus
tard, à nous chanter leurs louanges que savons nous réellement de leurs
conditions d’existence ?
Sans doute, les plus fortunés d’entre eux vivaient
ils, à l’encontre de tous les clichés jusqu’alors reçus, dans de fort riches
demeures : il suffira de rappeler la « maison aux fresques »
dans l’îlot de l’ancienne halle, les mosaïques, les enduits peints, dont
certains de style pompéien, la grande villa suburbaine de Saint Martin le
Vinoux, le marbre blanc, le marbre vert, les bijoux en or et en argent que les
fouilles ont révélés.
Certes, n’ont malheureusement pas été retrouvés les
bâtiments publics, notamment les thermes et, peut être, l’édifice de spectacles
que Grenoble, à l’instar de toutes les cités romaines, à dû nécessairement
posséder. Sans nul doute ont ils existé ici mais en découvrirons nous jamais
les traces ?
Quant à leur alimentation, jamais aucune étude
spécifique n’a été entreprise sur ce sujet particulier. Et pourtant, celle ci
se laisse néanmoins entrevoir par les ossements et autres restes découverts
dans les dépotoirs : fortement carnée, elle était à base de bœuf, de
cheval, de mouton, de chèvre et de porc mais faisait aussi sa place aux
produits de la chasse comme le lièvre, le cerf et le sanglier. Des os de gallinacés
et de petits oiseaux ont également été trouvés.
Plus surprenants sont des fragments de carapaces de
tortues et de nombreuses coquilles d’huîtres en plusieurs points et, notamment,
rue du Président Carnot. Il semble donc que celles ci aient été appréciées,
nonobstant les difficultés que devaient engendrer un tel approvisionnement et
son coût de possession.
Enfin, les nombreuses amphores retrouvées montrent
que le vin, notamment d’importation, n’était pas absent de l’alimentation de
nos lointains prédécesseurs.
Voici donc évoqués, Mme la Présidente, Chères
consœurs, chers confrères, Mesdames et Messieurs, surtout par l’épigraphie mais
aussi par certaines de leurs mœurs ce qu’étaient quelques uns de nos lointains
ancêtres, ces premiers habitants de ce Grenoble antique.
J’espère vivement ne pas vous avoir top lassés ni
trop déplus avec ce sujet un peu particulier.
Quoiqu’il en soit, je vous remercie pour votre
bienveillante attention.