LE PONT DE CLAIX
Egalement présenté à Vif le 30 avril 1983 et à
Varces le 9 novembre 1991
INTRODUCTION :
L’histoire du pont de Claix est longue et complexe.
Un vrai roman en soi ! J’en ai récemment rappelé toutes les péripéties
dans l’ « Histoire de Claix » publiée en septembre dernier sous les
auspices de la municipalité de Claix. Ce n’est donc qu’une synthèse qui sera
présentée ici ce soir. Celle ci sera illustrée de diapositives mais aussi de la
présentation, par rétro projection, de plans et croquis, pour la plupart tirés
de l’ouvrage de référence qu’Auguste Bouchayer a consacré en 1925 au Drac. Nous
examinerons également les représentations que les peintres ont laissées du pont
de Claix.
Mais, si vous êtes prêts, partons sans plus attendre
sur les traces de l’emblématique Pont de Claix.
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En franchissant aujourd’hui à vive allure et de
manière tout à fait banale le Drac aujourd’hui paisible sur le dernier né des
ponts de Claix, combien d’automobilistes s’imaginent-ils que cet acte,
maintenant tout à fait usuel, représentait jadis une aventure extrêmement
périlleuse et ceci jusqu’au début du 17ème siècle, époque à laquelle
fut construit le pont dont je vais vous entretenir ce soir ?
L’ancien pont de Claix sur le Drac est
habituellement compté au titre des « Merveilles du Dauphiné ». On en
faisait parfois la quatrième, la septième voire la huitième merveille mais les
auteurs contemporains ont maintenant tendance à le mettre (comme l’a fait
récemment Yves ARMAND, dans son ouvrage « Dauphiné Terre des
Merveilles ») sur ce que l’on pourrait appeler la « liste
complémentaire ». Il est vrai que si, actuellement, on le trouve un peu
usé – c’est un euphémisme – son architecture hardie avait de quoi impressionner
les esprits il y a de cela près de quatre siècles.
C’est l’histoire de ce pont, mais également celle,
mal connue, de ceux qui l’avaient précédé et des hommes qui, de tous temps,
luttèrent contre le Drac – ce torrent maintenant calmé mais jadis indomptable
et furieux – afin d’établir une communication permanente entre Grenoble et le
Trièves, que je vais essayer de résumer ce soir.
Le nom du Drac viendrait de « Drouke »,mot
signifiant « mauvais » puis, par extension « diable » et
cela montre bien la peur qu’il inspirait aux hommes. On l’ a symbolisé
également sous les traits d’un dragon.
Toutefois, ce n’est qu’à compter du 12ème
siècle qu’on l’a affublé de ces épithètes hautement significatives. Avant cette
époque et selon la formule fameuse d’Auguste Bouchayer si le Drac n’a pas
d’histoire connue c’est parce qu’il coulait sans inquiéter personne, sans
débordements spectaculaires et, surtout, sans variation de cours. Mais ce cours
fixe n’est malheureusement pas connu.
Durant toute la préhistoire, et même au delà, on le
franchissait par un gué qui devait de situer à hauteur du « Saut du
Moine », jadis sur le mandement de Claix. Le rocher du Saut du Moine, que
l’on voit ici, est ainsi nommé en souvenir d’une tradition selon laquelle, vers
le 15ème siècle, Hubert Alleman, moine par volonté paternelle et non
par vocation, aurait essayé de faire violence an ce lieu à une jeune fille
nommée Virgine, dont le nom qualifiait l’état. Surprise au haut du rocher
dominant le confluent du Drac et de la Romanche où elle cueillait des fleurs,
Virgine se serait jetée dans le vide pour échapper aux entreprises lubriques du
moine Humbert et celui ci serait également tombé dans les flots en essayant de
la retenir. La légende rapporte que le moine se serait noyé cependant que
Virgine se serait transformée en colombe. Il convient de préciser, qu’avant
l’établissement des digues et de la route actuelles, le Drac coulait au pied de
ce rocher.
Plus au Nord il serpentait tranquillement dans une
plaine alluvionnaire, formant de ci, de là, des Iles dont certaines, les Iles
du Drac et de la Dona, anciennement dites « Iles de Claix »,
subsistent toujours.
J’ai récemment conté, dans un diaporama spécifique,
l’épopée d’Hannibal, expliquant comment, en 218 avant notre ère, à la tête de
sa formidable armada, le Punique avait remonté le cours de l’Isère depuis la
région de Valence jusqu’à notre contrée, puis traversé le Drac, sans doute à
hauteur de Comboire. Grâce à l’existence de ces îles, le franchissement de la
rivière ne semble pas lui avoir posé de problèmes particuliers puisque ni
Polybe, ni Tite Live, les deux auteurs antiques grâce à qui nous connaissons la
fabuleuse épopée, n’ont cru devoir en faire mention.
Ensuite, dix siècles de silence laissent à penser que
le gué du Saut du Moine était, pour l’époque lointaine évoquée, le seul moyen
de franchissement du torrent. La haute origine de ce gué a d’ailleurs pu être
prouvée par la découverte en 1919, en ce lieu, d’une épée en bronze du 14ème
siècle avant notre ère, que vous pouvez distinguer sur ce cliché, dont vous
voudrez bien pardonner la mauvaise qualité. Mais cette épée métallique,
provenant semble t-il de la plaine du Pô, est aujourd’hui conservée à Gap et il
n’est guère aisé de pouvoir la photographier.
Mais passons sur ces temps lointains. A compter du
11ème siècle on est à peu près certain de l’existence d’un port avec
un bac pour le passage du Drac. Ce port,
qui eut une très grande importance dans l’histoire de Claix, devait se situer
vers l’endroit où le ruisseau de la Suze, jadis Suzy, devait se jeter dans le
Drac . La Suze est ce cours d’eau qui prend sa source dans les pentes du Col
Vert, arrose le vallon de Saint Paul de Varces
et se jette dans le Drac au rocher de Claix.
Son embouchure est actuellement à l’aval de la
culée, rive gauche du nouveau Pont de Claix. On rappellera à cet égard que la
Suze fut canalisée vers 1273 sur la
dernière partie de son cours.
Selon PILOT, un premier pont exista d’abord sur le
Drac, au même endroit ou du moins près du lieu où s’élève le pont actuel.
C’est ce pont qui aurait été renversé en 1219. Cette
année là, en effet, dans la nuit du 14 au 15 Septembre, « le Drac sortit
de son lit et ses eaux bourbeuses traînant avec elles les débris des campagnes
ravagées, envahirent Grenoble et semblèrent devoir l’ensevelir de leurs
flots ». L’eau dépassa de neuf mètres son niveau habituel. Cette
catastrophe – l’une des plus dramatiques du moyen âge, qui eut des répercutions
sur le Rhône jusqu’à la mer – avait été provoquée par la rupture des digues
d’un lac formé artificiellement depuis 1191 dans la plaine du Bourg d’Oisans,
par suite d’un éboulement considérable de la Petite Vaudaine, en face de
l’Infernet ; sous la poussée des eaux grossies par des pluies diluviennes,
le barrage s’écroula cette nuit là, livrant passage à une trombe qui suivit le
cours de la Romanche, emportant tous les ponts jetés sur cette rivière puis sur
le Drac, dont celui de Claix.
Un nouveau pont dut être reconstruit peu après car
on conserve un acte en date du 7 Mai 1270 portant « donation au chapitre
de la cathédrale Notre Dame de Grenoble, par Guillaume de Claix, prévôt de
Saint André de Grenoble du pont et port de Claix avec dépendances …».
Une transaction du 7 Avril 1277 confirme l’existence
de ce pont sur le Drac à Claix : il s’agit d’un acte intervenu entre Gontier de Claix, prieur de Risset et
Girard Bertrand au sujet d’une terre sur les bords du Drac, près du Pont de
Claix (« Pontem de Clays ») entre la route qui mène audit pont et
celle qui conduit à Claix… ».
Selon Louis Royer ce pont, auquel aboutissaient sur
la rive gauche du Drac les routes de Claix et de Vif, était situé à
l’embouchure du ruisseau de la Suze. Si tel est bien le cas, son emplacement ne
devait donc pas être sensiblement différent de celui qu’occupe le pont de
Lesdiguières et que, par suite, le Drac passait déjà à cette époque entre les
deux rochers.
Mais l’existence de ce pont dut être brève car un
autre acte du 14 Juin 1307 fait allusion au « pont détruit
naguère ».
Le seigneur de Claix, cité dans cet acte, Guigues
Alleman, prit le port sous sa protection, faisant veiller par ses officiers à
ce qu’il fut muni d’une bonne barque, de bons cordages et qu’on y courut aucun
danger.
Une ordonnance du juge majeur du Grésivaudan, en
date du 10 Mai 1337, porte commission aux châtelains de Vif et de Pariset
d’enjoindre et de faire commandement au seigneur du port de Claix de le tenir
en bon état, afin que toutes personnes y pussent passer sans péril, à peine de
privation des émoluments du port.
Où était ce port ?
Selon Bouchayer, le Drac faisait alors, à la sortie
de la plage de Rochefort, une boucle très fermée et se séparait en deux :
la branche principale contournant le rocher du Mollard sur la rive gauche, la
rive droite étant limitée par le bois Rosette ; le torrent se dirigeait
ensuite directement sur Grenoble par l’actuel cours Saint André. Le port de
Claix était à l’aplomb de cette dernière branche et le pont légèrement à
l’Ouest.
En 1373, le fermier du port de Claix expose au
Conseil Delphinal qu’il ne peut payer son fermage, toute circulation étant
impossible entre Grenoble et le port, sur une route submergée par les crues du
Drac. Il en est de même en 1375, 1376 et 1377.
Des travaux entrepris à partir de 1378 par les consuls
de Grenoble pour endiguer le Drac à Marcelline, sembleraient indiquer que le
torrent, par suite de crues subites, avait débordé dans la plaine d’Echirolles.
On aurait construit cette digue à l’emplacement de celle appelée maintenant
« digue de la Marcelline », c’est à dire en face de la ferme de ce
nom, au pied du coteau de Champagnier, pour contraindre le torrent à passer
entre les deux rochers de Claix, le Mollard et le Grand Rochefort, la passe
entre les rochers supportant les ponts actuels devant alors être approfondie.
On voit ici le site actuel du cours de détournement
médiéval du Drac, occupé aujourd'hui par la rue des Sources…
… laquelle conserve la trace d'un ancien pont qui
permettait, au 18ème siècle, de franchir la Suze qui coulait en cet endroit.
Le tracé passé le 31 janvier 1378 entre les consuls de Grenoble et
l’entrepreneur Vivian Pellorce règle les détails des travaux à effectuer pour
détourner le Drac et le faire passer entre le Mollard et le Grand Rochefort. A
ce stade de l’exposé la présentation de divers plans s’avère nécessaire.
Ø RETRO PROJECTIONS
(reprendre à la même diapo)
Revenons maintenant au traité Pellorce. Celui ci est très
clair ; on dirait aujourd’hui qu’il
est d’une parfaite transparence :
« … prix fait donné par les consuls de Grenoble
à Vivian Pellorce, pour détourner, ou faire détourner, vers l’endroit désigné,
c’est à dire entre les deux rochers situés dans le mandement de Claix, au
dessous de l’eau de la Suze, la branche mère de l’eau du Drac, c’est à dire la
plus grande partie de l’eau dudit Drac et pour maintenir ladite eau du Drac,
soit la plus grande partie de l’eau entre les deux dits rochers, pendant les
quatre prochaines années, moyennant 700 florins d’or… ».
Le point controversé sur lequel se sont penchés
plusieurs auteurs est de savoir si, en définitive, la passe, à droite du rocher
du Mollard que l’on voit ici, a été approfondie ou non. Selon Bouchayer, la
réponse à cette question est donnée par l’examen détaillé du contrat que je
viens d’évoquer. Sa thèse est appuyée par la relation de la découverte ancienne
au « Saut du Moine », dont j’ai parlé tout à l’heure, prouvant,
semble t-il, que, depuis le moyen âge, le lit du Drac s’est élevé de 4 à
Ces profils, qui donnent le fond rocheux du Drac,
montrent nettement, selon lui, un approfondissement artificiel de la passe
naturelle dont le fond serait à
Et Auguste Bouchayer résume ainsi son opinion :
« entre les rochers de Pont de Claix existait une passe, autrefois
parcourue par les eaux du torrent, et dont la partie basse devait être, en
1378, à peu près au niveau du lit du Drac. Pour faire de cette passe le lit
majeur de la vallée, on dut l’approfondir de 4 à
Après d’importants débordements survenus en 1380 et
montrant que les travaux de Pellorce n’avaient pas résolu le problème, on
confia, en 1382, à trois maîtres ouvriers de Vizille, la construction de
« dix arches au pont de Claix ». Le mot « arche » désigne
une sorte de coffre en bois rempli de sable ou de pierres, placé sur le bord ou
dans le lit d’un torrent et qui joue le rôle de digue ou d’épi.
Ø RETRO PROJECTION
(reprendre à la même diapo). Une nouvelle
crue du Drac, durant l’hiver 1396-1397, prouva que les digues n’avaient pas la
solidité souhaitable : leur réparation provoqua des conflits entre les
consuls de Grenoble, qui faisaient effectuer celle ci, et les riverains de
Sassenage, Seyssins et Pariset qui, effrayés par le nouveau cours de la
rivière, allaient détruire la nuit ce que les ouvriers construisaient le jour.
Un acte du 28 mars 1406, portant reconnaissance de
dette signée au port de Claix, mentionne l’existence d’une maison située au
port et le nom d’un pontonnier, Jacquemon Sciati.
Le 15ème siècle n’est qu’une longue suite
de débordements du torrent et d’efforts épuisants faits par les hommes pour le
maintenir entre les deux rochers de Claix et dans le canal finalement creusé
vers l’Ouest pour éloigner de Grenoble, la menace permanente qu’il
représentait.
Or, il y revient sans cesse et des lettres de
Charles VII le montrent sous les murs de Grenoble en 1492.
Le siècle suivant voit la poursuite incessante des
travaux de consolidation des digues du Drac, particulièrement en 1519, 1556 et
1594.
A la suite de nouvelles crues dévastatrices, la
lutte reprit activement en 1603. Trois « arches » furent exécutées en
face de Comboire et la réception en fut faite par le maître maçon Louis
Bruisset, auquel on doit la façade du Palais du Parlement du Dauphiné. Le roi
accorda pour ces travaux, un crédit de
Il est désormais temps de mentionner que, depuis
1593, la terre et le bac de Claix, appartenaient à François de Bonne des
Disguières, Lieutenant Général du Dauphiné. Le bac était d’un fonctionnement précaire
et, sous l’impulsion de celui ci, il fut question de le remplacer par un pont
en pierre « commode et solide ».
Dès l’année 1604, les possesseurs de fonds sur les
rives du Drac, des commerçants du Trièves et autres personnes intéressées à
cause de leurs rapports fréquents et journaliers avec la ville de Grenoble,
furent autorisés à s’entendre sur les moyens propres à employer pour arriver à
un résultat satisfaisant. Des réunions eurent lieu, un plan, un devis des
travaux et un état des lieux furent dressés par François Grattet, Trésorier
Général en Dauphiné.
Une requête fut alors présentée au Roi, tendant à
obtenir l’autorisation de faire construire, à leurs dépens, un pont en pierre
sur le Drac en remplacement du port ou bac existant et à lever la somme
nécessaire à l’établissement de ce pont, évaluée à
Au vu de cette requête, intervinrent le 10 Novembre
1607 un arrêt du conseil d’état et des lettres patentes du roi Henri IV,
permettant la levée des
A cette réunion il fut arrêté que, pour dédommager
Lesdiguières, il serait demandé au roi l’établissement d’un péage sur le pont.
En second lieu, il fut délibéré qu’il serait levé une première somme de
Il fallut ensuite procéder, une seconde fois, à la
visite des lieux et à l’estimation des matériaux sur place et dresser un nouvel
état des travaux, lequel, plus précis, éleva le chiffre de la construction à
une somme bien plus considérable que les premières prévisions.
Après diverses formalités, l’adjudication du pont
fut passée au profit de Louis Bruisset, le 29 mai 1608 pour
Bruisset se mit à l’œuvre ; il s’occupa des
préparatifs d’attraits et des premiers travaux mais, vers le commencement du
mois d’Août, il tomba et se noya dans le Drac.
Les causes de sa mort sont diversement appréhendées.
Selon Pilot il serait tombé « en contemplant du haut du parapet l’extrême
hardiesse et la grande élévation du pont », selon un autre auteur
« en détachant la clé du cintre » ; mais cela paraît bien
improbable car les travaux ne devaient guère être avancés et c’est sans doute
Bouchayer qui a raison en disant qu’ « il se serait noyé en dressant l’échafaudage
du pont ».
Sa mort occasionna un certain retard parce que sa
veuve et ses héritiers ne purent se charger de continuer l’entreprise qui fut
subrogée, assez difficilement, le 19 Août et pour le même prix à Jehan Albert
et Pierre Salomon, le premier maître maçon et le second maître charpentier,
tous deux à la Mure.
Ils avaient déjà à leur actif le pont de Cognet sur
le Drac en 1605 et la réfection du pont de Brion sur l’Ebron.
Après le pont de Claix ils édifièrent encore, en
1610, le magnifique pont sur l’Orbanne entre Clelles et Saint Martin de Clelles
qui a un air de parenté très marqué et que l’on voit ici, peu avant son
écroulement fâcheux survenu en décembre 2002.
Ceux ci reprirent les travaux au point où les avait
laissés Bruisset mais ne tardèrent pas à demander un dédommagement
complémentaire. Il fallut alors revenir sur le prix de l’adjudication et, pour
ne pas surcharger les mêmes communes par un nouvel appel de fonds, on se
contenta d’étendre le périmètre des intéressés en y comprenant d’autres
communes allant jusqu’au Gapençais et au Diois pour une somme de
L’arche du pont fut terminée au mois d’Octobre 1610
ainsi qu’on peut l’induire d’un article du compte des dépenses. Les travaux
duraient alors depuis le mois de juin 1608, de sorte qu’on mit pour la
construction, sans comprendre les parapets et les abords, deux ans et quatre
mois.
Il fut rapidement terminé et livré à la circulation
en 1611.
On y éleva en 1624, au milieu, une porte qu’on
fermait en abattant une herse et, au dessus de la porte et de chaque côté, il y
avait une inscription avec une devise latine.
L’inscription tournée vers Grenoble était la
suivante :
« Henri le Grand, Très Chrétien,
Roi de France et de Navarre
Dauphin de Viennois
Père de la patrie, toujours Auguste
Victorieux, triomphant,
Après avoir vaincu ses ennemis
Et la paix rétablie, tant par mer
Que par terre en toute l’Europe
Par l’avis et conduite de très illustre
François de Bonne, Duc de Champsaur
Seigneur des Diguières, pour le bien
Et commodité a jeté les fondements
De ce merveilleux ouvrage »
Et la maxime latine : « Romanas moles
pudore suffundo : je fais honte aux constructions romaines ».
La seconde inscription, tournée vers le Trièves,
était de même nature :
« Louis XIII, aussi très chrétien
Roi de France et de Navarre,
Dauphin de Viennois
Pour le même avis et conduite
Contre toute espérance lui a
Donné sa perfection et ordonné
Qu’il s’appellerait Pont de Bonne
L’an de grâce 1624 ».
Et la maxime : « Unus distantia
jungo » : unique par la distance je réunis.
Claude Expilly qui s’attacha au service de
Lesdiguières et se fit son historiographe, parlant des travaux entrepris par
celui ci, s’exprime en des termes qui montrent bien pourquoi l’on fit de
l’ouvrage une des « Merveilles du Dauphiné » :
« … Il (Lesdiguières) trouva moyen de bâtir ce
pont admirable sur le Drac pour la commodité publique ; pont qu’on ne peut
voir sans l’admirer, haut, élevé d’une seule arche et d’un trait si grand et si
long que le pont de Rialte à Venise ne veut rien dire auprès de celui ci. On
voit du haut, à qui les yeux assez assurés pour regarder ci bas passer dessous
les pieds ce torrent insolent. On le voit courir, bondissant et mugissant comme
un furieux taureau, confessant et reconnaissant que tout aussi que ce grand
maréchal a pu vaincre et soumettre à lui tous les ennemis de son roi qu’il a
rencontrés, de même il sait apprendre aux fleuves et aux torrents les plus
superbes qui semblent dédaigner les ponts, à les souffrir et passer dessous
lui… ».
L’ouvrage qui excita tant d’admiration est, de fait,
une construction hardie pour l’époque avec une arche unique de
Voici la description qu’en donne Guy Allard dans son
« Dictionnaire » :
« Il est à une heure de Grenoble, bâti sur le
Drac, d’une seule arche, d’une largeur prodigieuse, ayant 22 toises et demi
d’un fondement à l’autre, sur deux rochers dont la matière est de pierre blanche ;
sa structure admirable et sa hauteur surprennent tous ceux qui le regardent
… ».
Le pont a bien résisté aux assauts du Drac et du
temps réunis. La porte du pont, par contre, et ses deux emphatiques
inscriptions sont depuis longtemps abattues. Le nom de Bonne, que l’orgueil du
dernier Connétable de France aurait voulu imposer à une construction qu’il
faisait passer pour son œuvre, n’a jamais été donné par la population à ce pont
qui semble n’avoir jamais été désigné que sous l’appellation de « Pont de
Claix ».
Mais si la construction du pont réglait
définitivement le problème de la circulation des personnes et des marchandises,
le Drac, toujours aussi impétueux et violent continuait, comme par le passé,
ses débordements et les dévastations qui s’ensuivaient. Ainsi, en 1608, pendant
même la construction du pont, il avait emporté les ouvrages de la Marcelline.
Puis il sortit à nouveau de son lit en 1612 et aussi en 1616, puis en 1619.
Dans son avarice proverbiale, Lesdiguières voulait
sans doute étendre le péage du pont au Chapitre de la Cathédrale de Grenoble
qui possédait le domaine de la Balme de Claix depuis le 13ème
siècle. C’est du moins ce que l’on peut déduire de deux actes d’octobre et de
décembre 1647 aux termes desquels le Chapitre rappelle que le port de Claix lui
appartenait de possession immémorée et que, ce faisant, les gens de l’église et
leurs officiers du chapitre n’étaient redevables d’aucun droit.
En 1650, tous les travaux d’endiguement sont à
reprendre. C’est un Pontois, Claude Chalandon, entrepreneur, qui les exécute.
Lesdiguières inspecte ces travaux en 1651 à hauteur de la Balme et du Roc de
Bozancieu. Mais ces travaux, comme tous ceux qui les avaient précédés s’avèrent
vains car une formidable crue se produisit en 1656. Celle ci avait été
provoquée par des pluies diluviennes, suivies d’une fonte rapide de neiges
précoces et dévasta tout, transformant la plaine en lac jusqu’au 2 décembre. Il
fallut beaucoup de temps et non moins d’argent pour réparer les dégâts de cette
crue qui amenait la plus forte hauteur d’eau enregistrée jusqu’alors, soit
Mais le pont, cette fois ci, tenait bon. La seconde
moitié du 17ème siècle voit encore se poursuivre les travaux. C’est
d’ailleurs, pour être fidèle aux textes, une alternance continue de travaux et
de crues avec des années particulièrement noires : 1666, 1674, 1692 !
L’intendant Le Bret, sur les ordres de Colbert, participa même aux travaux de
défense du Drac. Ceux ci furent approuvés par Vauban lorsqu’il vint inspecter
Grenoble.
Et le Drac continue ses méfaits : Février 1711,
1715 et surtout 1733, ou des inondations conjuguées du Drac et de l'Isère
inspireront à Blanc dit Lagoutte son « Grenoblo malherou ».
Ici se place un épisode romanesque, sinon
historique, ayant pour cadre le Pont de Claix. En 1754, en effet, Mandrin,
contrebandier bien aimé si l’on en croit ses biographes, marche sur Montélimar
à la tête de sa bande et se présente, en plein jour, au passage du Pont de
Claix alors fermé par une grille. Les employés des gabelles, préposés à la
garde du pont, sont occupés dans le corps de garde. Seul l’un d’eux fait
fonction de sentinelle. Mandrin arrive, se fait ouvrir la grille et, au moment
où le gardien l’invite à entrer au corps de garde pour y faire les déclarations
d’usage, il lui porte un coup mortel, l’étend par terre, repousse à coup de
fusil les employés qui se pressaient à la porte, la ferme à clé et en profite
pour faire passer toute sa bande. La tradition qui ajoute toujours aux faits
naturels des récits presque merveilleux raconte que Mandrin, assailli de tous
côtés et sur le point d’être pris, se précipita du haut du pont dans le Drac et
se sauva à la nage… On a quand même un peu de mal à le croire.
Il faut noter que l’intérieur du contrefort du pont,
côté Claix, porte encore le nom de salle Mandrin qui ne lui a sans doute pas
été donné par un pur hasard. Il y a quelques années cette salle avait été
redécouverte, semble t-il, par certains chemineaux…
Elle est aujourd’hui, bien que difficile d’accès, a
peu près rétablie dans son aspect originel et présente toujours sa très belle
voûte du début du 17ème siècle et une porte de même époque.
Son seul éclairage provient d'une fenêtre ouverte
dans le mur qui surplombe le Drac sur le coté sud du pont.
En Octobre 1777 intervient ce que l’on a appelé le
« déluge de la Saint Crépin » : la Romanche et le Drac,
démesurément grossis par des pluies diluviennes, firent s’écrouler plusieurs
ponts. Mais le pont de Claix tint bon.
Les réparations et prolongations des digues
reprirent. En juillet 1787, une nouvelle crue mit à mal les ouvrages, puis,
durant l’hiver 1788-1789, extrêmement rude, les digues du Drac furent encore
endommagées cette fois par la débâcle des glaces.
Puis, le pont de Claix faillit disparaître en 1814,
non par suite de l’action des éléments naturels, mais par la volonté des
hommes. Cette année là, en effet, au moment où les armées coalisées
envahissaient le Dauphiné et menaçaient Grenoble, on songea, pour la défense de
la ville, à faire sauter le pont de Claix. Selon Auguste Bourne on a pu voir
pendant longtemps les chambres de mines creusées près de la clé de voûte.
Le début du 19ème siècle voit, après une
grave crue en 1816, de nouveaux travaux. A chaque fois, les hommes devaient
gagner un peu sur le torrent car les crues ultérieures furent de moindre effet
sur les ouvrages de protection. Il avait fallu, en définitive, sept longs
siècles de luttes opiniâtres et permanentes pour enfin dompter « le
Dragon ».
C’est en 1865 qu’intervient un vœu pour la
construction d’un nouveau pont en contrebas du grand pont de M. de
Lesdiguières. La raison principale de ce vœu découlait essentiellement les
difficultés que présentaient les abords du pont pour le roulage.
Après maintes études, qui durèrent sept ans, le
nouveau pont, surbaissé, fut édifié en aval de l’ancien pont, en 1873, l’année
même de la création officielle de la commune de Pont de Claix, par amputation
de terres de l’ancien mandement de Claix. Sa construction dura 62 jours.
Voici maintenant quelques clichés des deux ponts,
tirés de photos originales prises au début du 20ème siècle.
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Ø RETRO PROJECTIONS
Le pont vu par les peintres
Quelques mots encore pour dire que le grand pont,
qui avait fait la fierté de ses constructeurs et l’admiration de nos aïeux, fit
l’objet, le 27 mai 1898, d’un décret le classant au titre des monuments
historiques. C’est d’ailleurs l’un des tous premiers monuments de l’Isère a
avoir bénéficié de cette mesure de protection.
Il faut dire qu’il était encore fort admiré en cette
fin du 19ème siècle car un guide touristique en donne alors la
description suivante : « on descend sous la voûte du pont de Claix
par un sentier qui conduit sur le rocher servant de culée à droite ;
alors, en levant la tête, on admire cette courbe élancée d’une hauteur
extraordinaire. Si on élève la voix, un écho répète deux fois le cri et même la
phrase entière… ».
Ainsi donc, ce beau monument maintenant largement
banalisé, symbolise t-il, bien avant tout, la canalisation – sinon le domptage
– de ce torrent redoutable et redouté qu’était le Drac. Le temps lui inflige
néanmoins des blessures, comme on peut le voir sur la partie gauche de ce
cliché,
Et ici, de manière plus précise.
En guise de conclusion, je pense que nous devons souhaiter
que les actions de consolidation, entreprises depuis quelques années, éviteront
un délabrement irréversible de ce témoin d’histoire sans lequel notre contrée
ne serait plus tout à fait ce qu’elle est et lui épargneront une fin aussi peu
glorieuse que son alter ego de l’Orbanne.
A titre personnel, j’espère, Mesdames et Messieurs,
que vous le regarderez peut être maintenant d’un œil différemment attentif et
je vous remercie de votre attention.
RETROPROJECTIONS
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cours ancien du Drac
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projet de Vivian Pellorce
-
les deux tracés de la Suze
-
le cours du Drac avant le 15ème siècle (tracé fixe)
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le cours du Drac de 1494 à 1676 (tracé Le Ligeois)
-
arche ou coffre opposé au Drac
Le pont vu par les peintres :
-
Jacques André Treillard : gravure vers 1770 (1ère
représentation connue)
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Alexandre Colin (avant 1815)
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J. C. Nattes : 5 vues de 1821
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Mendouze (1827)
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Isodore Dagnan(1828)
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Victor Désiré Cassien : 2 vues de 1835-1839
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Diodore Rahoult : 2 vues de 1845
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Léon Sabatier : 1854
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Anonyme : milieu du 19ème
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Anonyme : 19ème
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Mathilde Vallet : 1944