DE GRENOBLE A FREJUS PAR LA VOIE ROMAINE PRINCIPALE DU TRIEVES

 

(Version décembre 2008)

 

Diaporama présenté à Vif le 6 octobre 2001

 

Peut être certains d’entre vous étaient présents ici même lorsque j’ai présenté des diaporamas sur l’itinéraire mythique d’Hannibal et sur l’introuvable voie romaine de l’Oisans dont on revoit ici la mythique « Porte de Bons ».

 

Il se trouve que de 1998 à 2001, dans la continuité de mes travaux sur l’antiquité, j’ai consacré avec mon épouse, un temps appréciable à la recherche de la voie romaine principale du Trièves qui offre la particularité, assez rare, d’être fort bien conservée non seulement dans le Trièves mais également sur l’essentiel de ses 260 km de parcours entre Grenoble et Fréjus que nous avons quasiment parcourus pas à pas, je dirai plutôt milles à milles, histoire de se mettre dans l’ambiance, munis nécessairement des textes antiques et des cartes IGN au 1/25 000ème mais également des indispensables instruments que sont le pédomètre, l’altimètre et, parfois même, la boussole.

Une telle recherche de terrain est parfois ingrate ; heureusement, elle est le plus souvent enthousiasmante car elle allie la marche pédestre et l’histoire tout en permettant de découvrir des hameaux perdus et, souvent, des paysages merveilleux.

Certes, si le point de départ est le même que pour la voie romaine de l’Oisans, l’aboutissement est plus lointain mais j’espère que les images que je vais vous présenter ce soir me feront pardonner de vous emmener nettement plus loin que les sites que nous fréquentons habituellement.

Toutefois, cette recherche n’ayant pas eu, pour objectif premier, la réalisation d’un diaporama vous voudrez bien me pardonner sa relative discontinuité et l’imparfaite qualité de nombre de clichés, initialement pris en pellicule argentique puis retirés en diapositives et aujourd’hui numérisées. Certes, il ne s’agit pas ici de refaire ici, mille après mille le chemin qu’empruntèrent en avril 43 avant notre ère les légions de Munatius Plancus pour tenter de sauver la république romaine et tant d’autres voyageurs après elles mais plutôt de vous conduire sur des paysages édifiants ayant souvent conservé leur authenticité historique car ils sont, pour l’essentiel, situés à l’écart des routes modernes.

Ce préambule étant terminé, je vous propose de partir dès à présent pour un voyage qui, aux époques antique et médiévale permettait en six ou sept jours de joindre Grenoble, alors Cularo, à Forum Iulli, l’actuel Fréjus.

 

Nous le ferons, si vous voulez bien, pour la commodité du propos en trois étapes inégales :

 

-       de Grenoble au col du Fau,

-       du col de Fau à celui de la Croix Haute,

-       de la Croix Haute à Fréjus.

 

 

 

 

 

1 – de Grenoble au Col du Fau :

 

La voie sortait de Cularo, qui deviendra ultérieurement Gratianopolis dont on voit ici une reconstitution d’artiste qui répond cependant à l’idée que l’on se fait aujourd’hui du Grenoble antique probable mais seulement trois siècles après les évènements que je vais relater.

 

Par la Porte Romaine ou Jovia également du 3ème siècle de notre ère, située à l’extrémité de la Grande Rue, coté Place Grenette, puis suivait l’actuelle rue Saint Jacques en bordure du Draquet.

 

De là, par un tracé que l’éventail du Drac ne permet pas de restituer, la voie devait tendre sur Echirolles, passant à proximité du coteau Saint Jacques où les propriétaires du château m’ont permis de photographier l’autel élevé par Lucius Manilius Silanus à Mercure sans doute dès la conquête romaine. C’est dans ce secteur que se séparaient la voie de Rome par l’Oisans dont nous avons déjà parlé et celle de Fréjus jusqu’alors communes. On notera qu’à toutes époques, Echirolles sera un carrefour routier important : passage des légions romaines, halte des pèlerins de Rome puis de Saint Jacques de Compostelle (peut être vous conterais-je un jour l’histoire de ce Jacques honoré à Compostelle et peut être enterré ici), commanderie de templiers et enfin relais postal.

 

D’Echirolles jusqu’à Varces, le tracé de la voie est incertain. Franchissait-elle le Drac à hauteur de l’actuel Pont de Claix ? Arrivait-elle de Saint Jacques par le bois de Marcelline avec franchissement au « Saut du Moine » où les traces dune piste protohistorique et d’une épée de même époque ont été découvertes ? Abordait-elle, ce que je crois, Varces par Comboire et les coteaux de Claix ? Les trois hypothèses sont toutes plausibles et ont pu correspondre au tracé de la voie romaine à différentes époques, voire à différentes saisons.

La dernière de ces hypothèses mérite néanmoins une attention particulière. En effet, entre Seyssins et le col de Cossey ou de Comboire subsistent encore les restes d’une voie bien marquée sous la forme d’un très vieux cheminement bordé de murets de soutènement et présentant, en certains endroits, des traces de pavage ancien.

 

Il existe de plus, en faveur de cette hypothèse, une série de coïncidences métriques répétées laissant à penser que l’on est bien sur un tracé antique ; en effet, si l’on considère que le col de Comboire, de tous temps, a du constituer un passage remarquable, on peut penser que, comme dans tous les endroits un milliaire, cet ancêtre de nos bornes kilométriques alors situé tous les 1500 pas romains, y était implanté. De fait, à 1500 mètres au sud du col se trouve un carrefour de routes de haute origine (Cossey – Claix, d’une part, la Balme – Malhivert d’autre part) : en effet, une croix très ancienne, encore figurée sur notre parcellaire de 1784 sous le nom de « Croix du Fournel » était implantée à ce carrefour. De plus, à 1500 mètres de cette croix une autre croix était également implantée : le lieudit « la Croix » en marque toujours l’emplacement de même qu’une croix moderne.

 

Et, à 1500 mètres encore, par le Val d’Allières qui a révélé les traces d’un viculus antique, se situe l’église de Risset, emplacement d’un lieu de culte remontant probablement à une très haute origine.

 

De là par « Pontcharra », le pont aux chars, Varces et Lachar étaient facilement rejoints. Ce qui est aujourd’hui établi c’est qu’à Lachar existait une agglomération secondaire située sur le tracé d’une importante voie assurant le contrôle des voyageurs et des marchandises à la sortie du territoire des Allobroges,

 

Et un bureau de la « Quadragesisma Galliarum » pouvait y être établi. C’est dire que l’on y situe aujourd’hui les limites des civitates des Allobroges et des Voconces pour tout le haut empire. Après l’élévation de Cularo au rang de cité, sous Dioclétien et Maximien, cette frontière sera reportée plus au sud, sans doute entre Miribel et Lanchâtre.

Un site cultuel, peut être consacré à Mercure, dieu des voyageurs, qui a livré plusieurs centaines de coupelles votives, était implanté au bord de la voie romaine retrouvée à Lachar sur plus de 100 mètres de longueur : large de près de 8 mètres, celle-ci était constituée de blocs de calcaire et de graviers.

 

De Lachar, la voie se prolongeait sur Pellissière avant de se diriger sur Vif par un tracé situé plus à l’est que l’actuelle route nationale, ce que rendait possible le cours de la Gresse qui coulait alors beaucoup plus à l’est qu’aujourd’hui. Elle passait à proximité de l’église Saint Jean, bâtie sur des substructions antiques révélées par les fouilles de 1966. J’ai raconté tout cela dans l’ « Histoire de Vif » publiée en décembre 2006.

 

Vif était-il un vicus voconce ? Son nom même (Vifus découle de vicus) et divers vestiges le laissent penser mais ils sont de basse époque. On observera que dans l’église est conservé un tronçon de colonne sur base carrée qui pourrait correspondre à la partie inférieure d’un milliaire dont le socle était très souvent carré pour permettre un meilleur ancrage dans le sol.

Du bourg antique, situé sur la rive droite de la Gresse qui n’avait donc pas à être franchie, la voie est pressentie par divers indices toponymiques et notamment par les lieudits « l’Etrat », corruption de via strata, voie pavée, et le « Bois du Gua ». Mais un tracé par l’actuelle route départementale 8 jusqu’au Genevrey est également vraisemblable.

Est-ce le gué du Genevrey sur la Gresse qui a donné son nom à la commune du Gua ou celui situé sur le ruisseau de Jonier vers le site de l’ancien château delphinal du Gua ? Nous n’aborderons pas cette problématique ce soir mais, toujours est-il que la voie romaine est imprécise sur une partie de la commune du Gua.

 

A titre d’hypothèse la plus probable, je propose un axe passant par les Rossets, Lanceteyre ou un peu à l’ouest de ce lieudit puis par Chaudemeyre. Le moins que l’on puisse dire est que la voie est aujourd’hui peu apparente dans ce secteur.

 

On semble la retrouver à partir de Chaudemeyre sous la forme de ce chemin rectiligne mais en forte déclivité.

 

Celui-ci conduit à l’ancienne maison forte du Groin qui, de toute évidence, avait été construite à cet emplacement pour contrôler la voie au moyen âge.

 

De là, elle tend sur la Pierre (dont le nom pourrait évoquer un ancien milliaire) puis, passant non loin de la Fontaine Ardente connue dès l’antiquité, elle gagne Bayanne et Cassoulet : dans ce secteur on a conjecturé l’emplacement possible d’une agglomération antique ou du moins d’une « mutatio », à 16 milles de Grenoble, détruite semble t-il par une coulée de boue qui aurait donné naissance à la tradition plaçant en ces lieux une ville du nom de « Bayanne », qui aurait été détruite, selon la légende qu’en rapporte Yves Armand, comme Sodome et Gomorrhe, par la main de Dieu.

 

De Cassoulet jusqu’à Lanchâtre, le tracé de la voie semble se confondre avec celui de la départementale 8. Elle bifurque alors pour passer à proximité d’un champ remarquable où la tradition place un « camp romain » et qui y correspond du reste assez bien,

 

Surtout quand on l’observe des hauteurs du Vernay ou de la crête de la Ferrière. S’agirait-il des restes d’un camp légionnaire temporaire lié aux évènements de 43 avant notre ère, époque où les armées de Plancus allaient et venaient entre Cularo et le Verdon ?

C’est aussi dans ce secteur, si les circonscriptions épiscopales correspondent à peu près aux anciennes limites de civitates, qu’il faut situer, du moins pour le bas empire, les limites entre Allobroges et Voconces. Miribel relevait en effet de l’évêché de Die, territoire Voconce, cependant que celui de Lanchâtre relevait de celui de Grenoble, territoire Allobroge.

 

Peu après la « Croix de la Condamine », par un chemin encore parfaitement fossile, tracé en crête, avec d’importants murs de soutènement, sans pente excessive, on atteint très rapidement la Gresse en un endroit où existait jusqu’à très récemment un gué pavé au niveau du « Moulin Colombat ».

 

Je dois aux patientes recherches de terrain de M. J. L. JOUTY d’avoir pu, dans ce secteur fort méconnu, reconstituer le tracé probable de la voie suivie par Plancus : d’énormes terrassements, encore en partie visibles, portent la marque des légionnaires romains qui ont su compenser l’importante déclivité de 200 mètres en un peu plus d’un kilomètre pour la rendre accessible aux convois.

 

De la Gresse, la voie toujours bien marquée remonte sur Caillatère puis gagne Sagnebatu et Bournaire. Dans ce secteur, plusieurs gués pavés ont été observés sur des ruisseaux : leur largeur est toujours comparable : entre 6 mètres et 6,50 mètres. La technique est toujours la même et l’on peut aisément y reconnaître un savoir faire transmis de génération en génération depuis l’antiquité.

 

Et toujours, comme vous pouvez le constater, cette voie rectiligne.

Dans ce secteur, loin des foyers de la civilisation, le temps semble s’être arrêté. Le paysage est champêtre, paisible et le cheminement agréable.

 

Vers Rivoiranche, où la voie a été envahie par la forêt, la base d’un probable milliaire a été exhumée en mars 2002. La partie conservée mesure 80 cm de hauteur pour 30 cm de diamètre sur le fut et 57 cm à la base traditionnellement plus large pour permettre un meilleur ancrage dans le sol.

 

A Saint Paul les Monestier la voie n’est plus marquée mais les patientes enquêtes de M. JOUTY ont révélé que sa trace était localement connue près du ruisseau, dans ce qui est devenu de nos jours un potager. On la retrouve, peu après, au sud de la belle église médiévale sous la forme d’un bon chemin.

 

Celui-ci conduit au lieudit « Pré de la Croix », où une croix indique toujours un carrefour de chemins.

 

Dans ce secteur, on retrouve également une série de coïncidences métriques trop parfaites pour être dues au seul hasard. Permettez moi d’ouvrir une parenthèse sur celles-ci. En effet, selon la théorie des probabilités composées, des coïncidences métriques répétées donnent rapidement un degré de probabilité si élevé qu’il exclut pratiquement l’erreur. Soit, par exemple, le cas d’une route ou d’un chemin offrant 25 carrefours pour 12 miles romains, soit approximativement 2 par mille. Cette densité place deux carrefours en moyenne à portée de chaque ancien emplacement supposé de milliaire. Le mile romain correspondant à mille « pasus », le double pas romain, soit 1480 mètres, quasiment 1,5 km, il y a pour chacun de ces carrefours une chance sur quinze de tomber dans un intervalle de cent mètres donné. Il y a donc, dans l’exemple choisi, deux chances sur 15 pour trouver un carrefour à cent mètres près à un mile du milliaire supposé. Si l’on trouve comme sur la commune de Saint Paul les Monestier trois coïncidences métriques réelles simultanées, voire quatre comme dans le secteur de la Croix de Boulaud à la Croix de Malverger, chacune n’ayant qu’une chance sur sept de se produire cela donne dans le premier cas une chance sur 343 (7x7x7) et une chance sur 2401 (7x7x7x7) dans le second cas que le hasard soit fortuit.

 

De la croix de « Pré la Croix » à celle de Gruère, il y a exactement 1500 mètres.

 

L’un de ces probables milliaires existe peut être encore en partie. En effet, j’ai remarqué non loin de là, au hameau de Chabottes, à proximité d’une maison conservant cette curieuse sculpture qui passe pour être romaine et à laquelle j’ai jadis consacré plusieurs articles,

 

ce fût de colonne ovalaire scié de manière assez évidente comme on peut le voir et qui pourrait bien être le reste d’un milliaire de la voie.

 

Au-delà de la croix de Gruère, la voie orientée plein sud, gagne très rapidement le col du Fau.

Ce col, qui marque encore  les limites de trois communes (Monestier de Clermont, Saint Paul les Monestier et Roissard) est un passage de très haute origine ;

 

un campement néolithique y a été découvert il y a quelques années et les sondages archéologiques ont permis de retrouver la voie protohistorique puis romaine qui est aujourd’hui recouverte

 

par le chemin qui passe à proximité de la « Pierre du Prêtre », aujourd’hui disparue, dont on ne saura jamais s’il s’agissait d’un bloc erratique ou d’un mégalithe.

 

 

 

 

 

2 – du col du Fau au col de la croix Haute :

 

La voie romaine était remarquablement tracée, je pense que vous en êtes déjà convaincus, mais les photos ne peuvent pas traduire l’impression générale qui se dégage lorsqu’on la parcourt : en effet, peu avant le col du Fau, la vue est tellement parfaite que l’on aperçoit toute la vallée jusqu’à Grenoble : ceci était extrêmement important pour les voyageurs de jadis qui voyaient ainsi parfaitement l’origine ou le but de la voie qu’ils suivaient. En direction du col du Fau, la vue est également extraordinaire puisque son tracé, quasi rectiligne, se devine jusqu’au col de la croix Haute jusqu’auquel le regard porte.

 

Du Fau, la voie se poursuit sur la commune de Roissard par un chemin non pavé mais très bien matérialisé, passant à proximité du lieudit « les Hôpitaux », emplacement disparu d’un hôpital de Saint Jean de Jérusalem fondé en 1230 comme dépendance de la commanderie de Saint Maurice en Trièves.

 

Toutefois, les prospections archéologiques faites dans les années soixante dix sur ce coteau et dans les proches environs n’ont pas permis de confirmer l’existence, pourtant probable du site médiéval que le toponyme laissait espérer.

 

A proximité de ce site, au lieudit « les Araignées » a été découverte fortuitement au cours de labours, une sépulture du bas empire qui a livré deux vases dont celui, bien conservé, que nous voyons maintenant.

 

La voie se retrouve ensuite aux « Peyrouses » où elle est bien matérialisée. Dans ce secteur, un peu en dehors des axes routiers modernes, la voie a conservé toutes les apparences quelle devait avoir depuis la plus haute antiquité.

 

Entre les « Peyrouses » et « Martine », il y a également la possibilité d’apercevoir quelques belles fermes du Trièves.

A ce dernier lieudit, le ruisseau de Riffol était franchi par un gué pavé dont il subsiste quelques traces et notamment ces larges dalles.

 

Par le flanc est des Côtes de Gerbaux, la voie, toujours bien tracée, d’une largeur constante de cinq à six mètres atteint le « Gerbaux » où, en février 1905, fut mise au jour une sépulture du Hallstatt final avec des bracelets en bronze du type dit « de Rochefort » prouvant l’existence de la piste protohistorique dont j’ai parlé en introduction.

 

Non loin de là, au bord de l’actuelle route départementale, ancienne voie royale, subsiste une borne ancienne indiquant « 40 (km) de Grenoble » qui, remarquablement, correspond parfaitement à la voie romaine que nous avons suivie depuis Grenoble et à ses 27 miles estimés, c'est-à-dire 39,880 km.

 

De Gerbaud jusqu’à « Vicaire », la voie est aujourd’hui recouverte par la route départementale. Après ce hameau au nom curieux, peut être ancien vicus, la voie passe à proximité de la chapelle Saint Michel.

 

Cette chapelle conserve encore une colonne sciée en deux morceaux, curieusement ici dans le sens de la hauteur, qui, comme à Chabottes, me fait penser à un possible milliaire anépigraphe.

 

La voie descend ensuite par de larges boucles jusqu’au pont Saint Michel sur le torrent de Grosse Riffol. La voie romaine était assurément bien tracée car elle subsiste toujours,

 

ce qui n’est pas le cas de l’ancienne nationale 75 qui, sur une largeur impressionnante, a été totalement emportée au début des années cinquante.

 

Le pont Saint Michel dans son état actuel est relativement moderne mais son origine, ou sa reconstruction, remonte à Lesdiguières et à la route royale du 17ème siècle. Un siècle plus tard, il était détruit et il dut être reconstruit tel que nous le voyons. Mais, antérieurement au 17ème siècle il existait vraisemblablement un pont en bois car aucune des deux rives n’offre aujourd’hui la trace d’un ouvrage en pierre plus ancien. Toutefois, un gué n’est pas improbable car de très grosses pierres plates sous le pont et sur la rive gauche du torrent peuvent correspondre à un gué primitif.

Nous sommes là à 28 miles pas de Grenoble, c'est-à-dire un peu moins de 42 km.

 

Au-delà du pont Saint Michel, la voie sur la rive méridionale du torrent est également bien conservée. Elle passe au « Babe » et remonte jusqu’à l’altitude 742 mètres à proximité du hameau des « Vorzis ».

 

Elle atteint alors le site remarquable de la « Croix de Bouland ». On notera qu’entre le pont Saint Michel et cette croix il y a exactement 1500 mètres.

 

De la croix, la voie se poursuit sur Saint Martin de Clelles qu’elle traverse,

Puis elle redescend jusqu’à l’Orbanne qu’elle franchissait par le remarquable pont construit en 1610 par Jehan Albert et Pierre Salomon, déjà auteurs des ponts de Claix et de Cognet et de la réfection du pont de Brion.

 

L’arche unique de ce pont, d’une grande hardiesse, avait 3 mètres d’ouverture et on a du mal à comprendre qu’une telle œuvre d’art ait été si injustement méconnue.

C’était pourtant un ouvrage de prestige, manifestement prévu pour une intense circulation, qui avait sans doute succédé à un pont plus ancien, un gué paraissant difficilement imaginable eu égard à la verticalité des parois que l’Orbanne a creusées. On observera, là encore, que de la croix de Bouland au pont sur l’Orbanne il y a encore exactement 1500 mètres.

 

J’ai utilisé le passé car ce pont remarquable a été détruit le 3 décembre 2002 par suite de pluies torrentielles ayant miné les berges.

 

De l’emplacement du défunt pont, limite communale de Saint Martin de Clelles et de Clelles, la voie remonte le coteau de Bouland jusqu’à la croix de Malverger, à l’altitude 778 mètres, carrefour encore bien marqué situé également à 1500 mètres du pont. Ainsi, du pont Saint Michel trouve t-on encore trois intervalles nets de 1500 mètres, pouvant correspondre à l’emplacement de quatre milliaires disparus.

 

Ce secteur de l’Orbanne à Clelles est, à mon sens, l’un des plus beaux de tout le parcours. La voie, dans un état de surprenante fraîcheur, laisse entrevoir tout le génie de son profil, bien adapté, rapide sans être jamais fatiguant avec des vues toujours dégagées qui, lorsqu’elle était bornée, devaient permettre quasiment de distinguer le chemin entre deux milliaires.

 

Elle traverse ensuite Clelles, dont on voit ici la belle église, localité qui a livré un fond de vase de céramique grise du 1er siècle de notre ère, conservé au Musée Dauphinois. Sur une courte distance, la voie correspond ici à l’actuelle départementale 252.

 

De « Teyssonières », elle se retrouve sous la forme d’un bon chemin jusqu’au « Pontou », carrefour de chemins à l’emplacement d’un ponteau disparu.

 

De là elle descend jusqu’au ruisseau du Merdari qui sert de limites entre Clelles et le Percy et qui est franchi par un gué appareillé ancien,

 

puis elle atteint le lieudit caractéristique de la « Fourche » à proximité immédiate de Longefond dont on voit ici la belle chapelle.

 

Oscillant entre 760 mètres et 800 mètres, la voie bien tracée et soulignée par des lignes d’arbres sert encore de limites aux champs.

 

C’est vraisemblablement à la croix de Pré Dessous, ou non loin, que devait se dédoubler la voie jusqu’alors unique, une branche se dirigeant en direction du col de Menée et de Die cependant que la voie principale se poursuivait en direction de Sisteron.  

Celle-ci, tirant au plus droit dans les sous bois, atteint le « Bachat », carrefour de chemins à 1500 mètres de la fourche de Longefont.

Du Bachat, la voie passe sous le village actuel du Percy puis elle descend jusqu’au ruisseau du même nom avant de remonter par « Serre Denta » jusqu’au Monestier du Percy dont le nom rappelle le souvenir d’un prieuré fondé au 13ème siècle.

 

Entre le Percy et Monestier elle est très bien matérialisée et on observera que la distance entre les deux villages, aujourd’hui 2,5 km par la route, n’était que de 1500 mètres par la voie romaine.

 

Traversant le village de Monestier en patte d’oie, la voie passe à Malaterre puis descend de nouveau jusqu’aux Bayles franchit un nouveau ruisseau, celui de Chapotet, puis, par les Serrettes elle atteint Bayarrdière.

 

Dans ce secteur elle est également bien marquée sous la forme d’un chemin presque rectiligne et d’une largeur constante.

 

Je ne peux résister à la tentation de vous montrer quelques vues de la voie dans ces parages où elle est encore très suggestive,

 

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La voie atteint alors le lieudit « la Commanderie » sur Saint Maurice en Trièves où quelques bâtiments, aujourd’hui banalisés, rappellent le souvenir de l’ancienne et importante commanderie de Saint Jean de Jérusalem, connue dès 1240 mais sans doute d’origine templière qui fut réunie à celle d’Echirolles au début du 16ème siècle et resta dans les possessions de l’ordre de Malte jusqu’à la révolution. A proximité il y avait une chapelle, aujourd’hui disparue, vouée à Saint Jean. Il n’est pas impossible que ce site médiéval ait succédé à une mutatio antique.

 

Le tracé de la voie est ici parallèle à celui de la nationale 75 et apparaît, en contrebas de celle-ci, sous la forme d’un ancien chemin encore bien marqué.

 

Peu avant d’atteindre le bourg de Saint Maurice, la voie franchit le ruisseau Bonson où un sarcophage fut jadis découvert  Après avoir traversé le village, où l’on suppose un habitat romain, la voie monte par un axe en cours de restitution du fait d’une opération de remembrement au col Turdot à l’altitude 855 mètres.

 

De là, par un tracé plus rapide que celui de la route actuelle, elle gagne Lalley qui, jusqu’en 1730, n’était qu’un hameau de Saint Maurice en Trièves dont les terres s’étendaient jusqu’au col de la Croix Haute.

 

De Lalley, la voie longe le ruisseau de la Croix Haute qu’elle franchissait sans doute à gué au niveau de l’actuel pont de Ruelle. Celui-ci est situé à un peu moins de 3 km du col géographique.

 

Dans ce secteur, la voie est encore relativement bien marquée jusqu’à un point situé à quelques centaines de mètres de Notre Dame du Trièves où, à la faveur d’une courte montée, elle se perd brutalement.

 

On voit ici le point de rupture à partir suquel la voie devait originellement tirer droit sur l’oratoire mais les aménagements qu’elle devait avoir dans ce secteur délicat semblent avoir disparu.

 

A partir de l’oratoire, elle est de nouveau visible, parallèle à la nationale 75. Le passage du col de la Croix Haute est de très haute origine. On y a découvert une fibule « à navicella » du 7ème siècle avant notre ère de tradition hallstattienne. Il s’agit, là encore, d’un jalon de la piste primitive que les romains aménagèrent quelques siècles plus tard.

 

Sur l’immense territoire que représente l’actuelle commune de Lus la Croix Haute on relèvera les toponymes de « Grand Logis », emplacement probable d’une mansio, et « Pont Lombard ». Dans diverses sections la voie est encore bien marquée avec son pavage encore parfaitement conservé.

 

C’est non loin de là, à l’ouest du « Pont Lombard » que subsistent les ruines ignorées d’un établissement templier dont l’histoire est mal connue : la commanderie de Toussière.

Celle-ci, comme presque tous les établissements de ce type, était située à proximité de la voie romaine. On relèvera que de Grenoble à Fréjus ce ne sont pas moins de six établissements hospitaliers que l’on rencontre, en moyenne un tous les 40 km mais sans doute davantage à l’époque médiévale.

 

 

3 – de la Croix Haute à Fréjus :

 

Nous abordons maintenant la troisième et dernière partie de ce voyage. Il semble établi que la voie, reprenant dès lors le tracé protohistorique, longeait au plus près le Buech, passant notamment à la Rochette, site préhistorique et mlédiéval de haute époque.

Sur les territoires de Saint Julien en Beauchêne et de la Faurie, la voie reste encore bien discernable, d’une largeur à peu près constante et d’un profil régulier, avec un pavage souvent grossier mais toujours présent car sans doute refait ou réparé, siècle après siècle, du moins jusqu’à l’apparition des revêtements modernes.

 

Je manque ensuite un peu de documents jusqu’à Sisteron mais la voie apparaît notablement dans le secteur de « Serre la Croix » sur la commune d’Aspres sur Buech où les traces d’un camp romain de haute époque sont encore discernables. Peut être faut-il y voir là aussi, comme à Lanchâtre, un camp légionnaire lié aux évènements de 43 avant notre ère. De plus, à Mison on a découvert un denier de Brutus de 44 ou 43 avant notre ère, sans doute perdu lors du passage des légions de Munatius Plancus.

De Ribiers à Sisteron, la voie est encore parfaitement conservée dans un tracé quasi rectiligne sur près de 10 km.

Elle passe à Saint Aubert, à Champ Bean, aux Autarets dont le nom « altarenum » rappelle à n’en point douter le souvenir d’un autel puis à « Vieille Guillonne ». Elle est jalonnée de sites romains dont le plus important, qui pourrait correspondre à unvicus, est situé sous le bourg même de Ribiers.

 

La voie romaine atteint alors Sisteron par les Combes. Sisteron, Segustero, capitale des Sogiontii puis chef lieu de la civitas Segesteriorum, occupe une position stratégique sur un passage obligé de la Via Domitia : c’est également un carrefour antique de tout premier ordre avec des voies qui conduisaient à Die, à Grenoble, à Gap, à Briançon, à Vaison, à Apt, à Cavaillon, à Riez et Fréjus, à Digne, à Castellane et à Vence. La ville antique, mal connue, est localisable à l’emplacement du bourg médiéval au pied de la citadelle. La Via Domitia a été localisée avenue de la Libération et aux Plantiers : elle franchissait le Jabron en amont de sa confluence avec la Durance.

 

La voie de Fréjus, quant à elle, franchissait la Durance par un pont vraisemblablement situé à Prouviou, « Portus Vetus » en 1268, à l’emplacement ou à proximité du pont d’origine médiévale que nous voyons ici. Jusqu’à l’Escale, le trac de la voie romaine correspond strictement à la RD 4 qui a, elle même, succédé à l’ancienne voie royale puis à la route Napoléon. Elle traverse ainsi, du nord au sud, les territoires d’Entrepierres, de Salignac et de Volonne.

 

Au débouché du ravin de « Pierre Taillée », sur les limites communales de Volonne et de l’Escale, on peut encore voir le spectaculaire passage aménagé dans le rocher pour la route antique.

 

Taillé dans le poudingue, d’accès aujourd’hui difficile depuis la mise en eau du lac artificiel, cet ouvrage d’art que Barruol compare aux cluses de la Via Domitia à la porte de Donnas ou encore à la porte de Bons, semble remonter aux tous premiers aménagements de la voie. Du ravin de Pierre Taillée à celui de Fondéras, sur une longueur de 500 mètres, s’étendait une agglomération antique de près de 10 hectares, à la fois vicus terrestres, station routière et emporium fluvial.  

 

Peu après le lieudit « l « Hôte », la voie se confond avec le tracé de la N 85, traversant Malijai et suivant la rive droite de le Bléone. Elle passe à proximité de la chapelle Saint Christol édifiée sur l’emplacement d’un site antique. J’y ai vu de nombreux fragments de tegulae. En 1335, elle était désignée comme « contiguë à la voie publique ». Les bâtiments antiques reconnus de part et d’autre du ravin de Saint Christol laissent à penser à un important relais sur la voie à 6 miles de l’agglomération antique du Bourguet et de l’Escale.

 

Au « Plan de Fontenelle », à l’ouest du confluent de la Bléone et de la Duyes, la voie a été repérée par photographie aérienne sur 500 mètres de longueur selon un axe NO, SE. Des zones empierrées sont également apparues lors de labours. Par contre, le franchissement de la Bléone par la voie de Fréjus reste controversé.

La voie est ensuite de nouveau bien identifiée rive gauche de la Bléone à partir des « Ragots » sur la commune de le Chaffaut Saint Jurson. Entre les Ragots et Espinouse elle passe au quartier de la Croix, aujourd’hui disparu, mais encore mentionné sur le cadastre de 1812 puis à « Vallauris ».

Le dénivelé de la voie est, dans ce secteur, relativement important, passant en un peu plus de 2 km de l’altitude 487 mètres à celle de 752 mètres. Ce passage, intemporel et secret, est l’un des plus beaux de tout le parcours.

 

Au nord d’Espinouse, un oratoire, au bord de la voie romaine, pourrait matérialiser l’emplacement d’un milliaire disparu : une monnaie romaine y a été découverte à proximité.

 

Espinouse est un hameau, aujourd’hui loin de toute circulation, qu’il faut mériter lorsque, comme les voyageurs de jadis, on vient de la plaine de la Bléone. Au-delà, la voie est encore bien marquée.

 

Sur le territoire de Saint Jeannet, qu’elle traverse du nord au sud, de nombreux sites antiques ont été découverts le long de la voie romaine et, notamment, une mutatio et trois milliaires dont celui dit des Cardaires : il s’agit d’un monolithe de 1,75 m de hauteur, remployé ultérieurement comme oratoire et support de croix ainsi qu’en témoignent la cavité et des traces de scellement sur la partie supérieure et dont l’inscription a disparu lors du creusement de la niche.

 

A proximité, l’ancienne chapelle romano gothique de Saint Jean rappelle l’intense circulation que cette voie connaissait jadis, ce qui, bien évidemment, n’est plus le cas aujourd’hui.

 

De Bras d’Asse jusqu’à Saint Jean, la voie, rigoureusement rectiligne, est repérable au « Plan » et au « Chausson » de part et d’autre de l’Asse qui devait être franchie à gué.

 

Vers la chapelle médiévale de Saint Jean, que l’on voit ici dans un triste état, gisait encore en 1957, au bord de la voie, une colonne brisée à base cubique correspondant à la partie inférieure d’un milliaire marquant le 8ème mile le Riez.

 

De Saint Jean jusqu’au « Poteau de Telle », la voie suivait le trac presque rectiligne d’une ancienne draille à troupeaux comme du reste dans beaucoup d’endroits en Provence ou dans les Préalpes.

 

Le « Poteau de Telle » est un endroit remarquable servant de limites communales à Bras d’Asse et Puimoisson. Selon Barruol ce toponyme de « Telle » équivaudrait à « Fines » et indiquerait vraisemblablement la limite entre deux territoires de civitates.

De cet endroit, assez  exceptionnel, la vue porte au nord jusqu’à Bras d’Asse et même au-delà mais je vous assure que ce segment de voie, de forte déclivité, sans possibilité d’ombre est, par une pleine chaleur d’été, plutôt éprouvant. Pour l’anecdote je vous dirais que nous avons ici avec mon épouse sué sang et haut par une très chaude journée le 1er juin 2000 et qu’au retour à Bras d’Asse, totalement assoiffés, l’eau minérale nous a été facturée au prix du pétrole.  Du « poteau de Telle », par un tracé infiniment plus direct que celui de l’actuelle D 953, on atteint Riez.

 

La « colonia Reiorum Appolinaris », chef lieu de la civitas des Reii, doit sa fondation et son opulence à sa situation privilégiée au carrefour de quatre voies romaines importantes : celle de Grenoble à Fréjus, celle de Digne par la vallée de l’Auvestre, celle d’Aix en Provence par la vallée du Colostre et celle de Castellane. Riez a livré d’importants vestiges romains et, pour ce qui concerne notre voie, G. Barruol a étudié en 1986 un ancien pont – que l’on voit ici sur un cliché de fouilles – qui permettait à la voie de Grenoble à Fréjus de franchir le Colostre qui coulait alors 70 mètres au sud de son lit actuel.

 

Au-delà de Riez, la voie se dirigeait vers le Verdon, emplacement choisi par Munatius Plancus pour y installer son camp d’observation de la fin mai 43 avant notre ère. Dans ce secteur, la voie franchissait un puissant éperon rocheux dans une large saignée, creusée de mains d’hommes, large de 3 à 4 mètres et longue de 8 mètres. Les failles du rocher étaient remplies de cailloutis et de graviers mais il n’y avait aucune trace d’ornières, ce qui laisse présumer que toute la surface de la chaussée était, dans l’antiquité, recouverte d’une épaisse couche de graviers ou de terre. Cet aménagement était, si l’on me passe l’expression « un véritable travail de romain ».

 

Mais de tout cela, plus rien n’est visible car tout le secteur de la Fare est aujourd’hui englouti dans les eaux du lac artificiel de Sainte Croix au bord duquel la voie s’interrompt brusquement. C’est sur ce versant que Plancus avait choisi d’installer ses légions, à 40 miles de celles d’Antoine et de Lepide avec l’idée, écrit-il à Cicéron le 6 juin 43 « de pouvoir m’approcher rapidement d’eux ou de me retirer avec succès », ce qu’il fera au demeurant.

 

Le pont du Verdon, aujourd’hui immergé, était situé au point le plus étroit, à l’entrée orientale des gorges de Baudinard. Il était construit entre deux falaises distantes de 75 mètres. La pile méridionale que l’on voit ici, dans de multiples clichés de Barruol malheureusement de mauvaise qualité, avait la forme d’un rectangle allongé terminé vers l’amont par un avant bec triangulaire caractéristique. Au sud du pont, la voie suivait la falaise en corniche exactement au niveau du pont antique.

Dans tout ce secteur, la voie comme sur le versant nord était partiellement entaillée dans le rocher jusqu’au bois de la Blâche où on la retrouve sous la forme d’un bon chemin se dirigeant sur l’ancien couvent Saint André d’Orbellis où était jadis conservé un milliaire d’Antonin le Pieux.

 

Sur la commune de Vérignon, la voie romaine que reprend aujourd’hui en partie le route départementale 49 et un chemin situé à l’est de celle-ci était jalonnée de bornes milliaires placées sur l’ordre d’Antonin le Pieux entre le 1er janvier et le 31 décembre 145. Il n’y a pas de miracle à avoir une telle précision ; en effet, les inscriptions portées sur les milliaires répondent toutes à un formulaire identique donnant la titulature de l’empereur sur l’ordre duquel le bornage a été effectué et, notamment, l’indication de sa puissance tribunicienne et de son consulat, ce qui permet d’arriver à une telle précision.

 

L’un de ces milliaires est encore conservé in situ. Son inscription est difficile à lire mais je pense que vous me faites confiance en ce domaine : elle est consacrée à l’empereur César Titus Aélius Hadrianus Antoninus Auguste, Pieux, Père de la Patrie, Grand Pontife, titulaire de sa 8ème puissance tribunicienne, consul pour la 4ème foi. Le nombre de miles n’est pas indiqué mais il s’agit, selon toute vraisemblance, du 31ème mile à compter de Fréjus.

 

Dans le village même de Verignon, un milliaire sert aujourd’hui d’abreuvoir dans une propriété et un oratoire semble avoir été élevé à son emplacement originel au bord de la voie.

 

Sur tout le territoire de l’immense commune de Vérignon, celle-ci est parfaitement conservée et il y a là l’un des passages les plus suggestifs de l’ancienne voie romaine qui tirait au plus droit dans des paysages méridionaux de grande beauté.

 

Aux « Aumades », un milliaire subsistait également jusqu’à une récente réfection de chaussée à proximité du pont de la Darre dont l’origine antique parait ainsi établie.

 

Sur la commune d’Ampus (dont le nom vient d’un possible Emporion antique), de nombreux vestiges sont également connus, notamment à Notre Dame de Spéluque ou subsiste ce milliaire d’Auguste de l’an 3 avant notre ère qui sert aujourd’hui de socle à une croix.

 

Au-delà, dans le secteur de « Grange Riamde », la voie est également bien conservée : dans les dépressions elle est construite en remblai et bordée de murets et dans les cotes elle est soit creusée à flanc de coteau soit en tranchée à l’approche des collets.

Toujours quasi rectiligne, elle a livré jusqu’à la Nartuby plusieurs milliaires de Tibère, aujourd’hui perdus ou, au mieux, conservés dans des musées.

C’est sans doute parce que Lepide et Antoine étaient parvenus dans ce secteur, entre Sainte Anne et Collefrat que Plancus opéra son recul précipité. Ecoutons le témoigner auprès de Cicéron : « … Lepide, désespérant de me voir arriver, avait fait alliance avec Antoine le 4 des Calendes de juin et le même jour tous deux s’étaient mis en marche dans ma direction. Ils n’étaient plus qu’à 20 000 pas lorsque j’en fus informé. En un clin d’œil, grâce à la bonté des dieux, tout fut disposé pour ma retraite et je pus l’effectuer sans avoir l’air de fuir. Rien n’est resté en arrière et ces forcenés qui croyaient déjà tenir leur proie ne purent saisir ni un fantassin, ni un cavalier, ni le moindre bagage ».

 

La Table de Peutinger fait état dans les environs de Draguignan d’une « mutatio Antae », également mentionnée dans l’Anonyme de Ravenne. Elle était située à 32 miles de Riez et à 19 miles de Forum Voconii. La localisation précise de cette station fait toujours l’objet de controverses : on a proposé le centre de Draguignan, le quartier des Salles ou encore Saint Hermentaire que l’on voit ici et qui a livré, avec divers vestiges d’habitat,

 

Un fragment de milliaire de Tibère que l’on voit ici.

 

Nous n’irons pas au-delà de Draguignan car, dès lors, le tracé de la voie qui se dédouble mériterait à lui seul une conférence spéciale mais ce ne sera pas pour aujourd’hui car nous sommes bien loin de Cularo et du Trièves. Que l’on se rappelle seulement que dans le triangle géographique constitué par Draguignan, Vidauban et Fréjus eurent lieu des évènements déterminants pour l’histoire de Rome l’an 711 de celle-ci c'est-à-dire, dans notre chronologie, l’an 43 avant Jésus Christ. Si cela vous intéresse, peut être vous les conterais-je un jour.

Mais pour l’heure et en guise de conclusion, permettez moi comme à la fin d’une bonne pièce de théâtre de vous présenter les principaux acteurs de ces évènements que nous avons quelque peu côtoyés en parcourant cette importante voie romaine de Grenoble à Fréjus.

 

Marcus Antonius, Marc Antoine ou tout simplement Antoine : c’es le meilleur général de l’époque. Après les évènements de la guerre civile il renouera avec Octave, épousera Cléopâtre la reine d’Egypte avant de rompre de nouveau avec Octave et de se donner la mort peu après avoir été défait par ce dernier lors de la bataille d’Actium.

 

Marcus Aemilius Lepidus ou Lépide : ancien maître de la cavalerie de César, c’est le gouverneur de la Gaule Transalpine, de la Narbonnaise et de l’Esagne Tarragonaise. Il s’alliera avec Antoine contre Plancus, ce qui précipitera la fin de la république romaine.

 

Decimus Iunius Brutus Albinus ou Brutus : cousin du meurtrier de César, ayant lui aussi fait partie du complot, il rejoindra Plancus à Grenoble avec ses dix légions avant de s’enfuir lors de la trahison de celui-ci et d’être arrêté et assassiné.

 

Caïus Iulius Caesar Octavianus, Octavien ou Octave : c’est le personnage le plus considérable de l’histoire romaine. Fils adoptif de Jules César, son grand oncle, c’est également son héritier légitime. Après les évènements de la guerre civile il instituera le Principat, en fait monarchie déguisée en république et le sénat lui décernera, sur la proposition de Plancus, le titre d’ « Imperator Caesar Auguste ». Auguste sera désormais son nom et il deviendra le premier et l’un des plus illustres des 108 empereurs romains officiels.

 

Marcus Tullius Cicero ou Cicéron : avocat, sénateur, consul, philosophe et écrivain, auteur d’une œuvre écrite immense en grande partie conservée, notamment plus de 35 livres de correspondances les « Epistulae ad Familiares », ces « lettres aux familiers grâce auxquelles nous connaissons si bien des évènements pourtant vieux de 20 siècles et demi. Cette funeste année 43 lui sera fatale car il finira assassiné par les sicaires d’Antoine qui fera exposer en plein sénat romain sa tête et ses mains.

 

Et enfin Lucius Munatius Plancus, aux pieds plats : gouverneur de la Gallia Comata, la Gaule Chevelue. L’année 43 sera incontestablement sa plus grande année : commencée au camp de Confluent où il fondera la colonie de Lugdunum, continuée par son long séjour à Cularo et ses va et vient hésitants sur la voie que nous venons de parcourir et achevée à Rome par son triomphe au Capitole et son accession à la dignité des dignités romaines, le consulat.

 

Au-delà du comportement équivoque, sinon ambigu, du personnage, nous lui devons d’avoir rendue célèbre la voie de Grenoble à Fréjus, pourtant ignorée des itinéraires antiques. Infiniment moins connue que les grandes voies que sont la Domitia, l’Aurélia, la Julia ou l’Agrippa, celle-ci pourrait largement mériter le nom de « Via Munatia », la voie de Munatius

 

Dont on voit ici le superbe mausolée à Gaète près de Naples.

 

Près de 21 siècles après la guerre de Modène, la voie magnifique qu’il emprunta est toujours là, presque intégralement conservée. J’espère vous l’avoir fait mieux connaître sinon découvrir dans ses multiples aspects au cours de cette longue promenade à laquelle je souhaite que vous aurez pris un plaisir équivalent à celui qui fut le notre, avec mon épouse, lorsque nous l’avons étudiée, parcourue en tous sens et photographiée en vue de ce diaporama.