DUNOIS, PRINCE DE FRANCE, SEIGNEUR DE CLAIX

 

 

DIAPORAMA PRESENTE A CLAIX LE 22 NOV 2002

 

(Assemblée Générale de Claix, Patrimoine et Histoire)

 

Egalement présenté à Vif le 2 mai 1992

 

Une simple plaque d’allée rappelle, à Furonnières, le souvenir de ce personnage considérable de l’histoire de France – et plus encore de notre histoire locale – mais injustement oublié, sinon méconnu, que fut Jean d’Orléans, Comte de Dunois, dont la vie, pourtant édifiante a peu inspiré les historiens.

 

Alors que Jeanne d’Arc a suscité plus de 7000 ouvrages, une seule biographie et quelques écrits limités ont été consacrés à Dunois.

 

Cruelle disparité de l’histoire ! Mais les héros sont souvent plus grands dans la légende que dans la réalité. Celui ci que la postérité a curieusement oublié n’en apparaîtra peut être que plus attachant quoique mes recherches laissent malheureusement subsister de nombreuses zones d’ombre sur l’homme lui même.

 

Le « Beau Dunois » qui, outre tous ses titres de noblesse et de gloire fut aussi le seigneur de Claix, méritait sans doute, même aussi tardivement, qu’on honorât localement, comme j’ai tenté de le faire, son existence riche et mouvementée qui marqua fortement une grande partie du 15ème siècle.

 

Je vous propose d’aller à sa rencontre au travers de ce diaporama comportant deux parties distinctes que j’ai intitulées :

 

-          le bâtard d’Orléans (1402-1439)

-          le comte de Dunois (1439-1468)

 

 

Ière Partie : le bâtard d’Orléans(1402-1439)

 

En ce début du 15ème siècle, la guerre entre le royaume de France et le royaume d’Angleterre, que l’on nommera plus tard la « guerre de cent ans », dure depuis plus d’un demi siècle. On sait que si les grandes batailles de cette guerre furent rares, elles eurent néanmoins des conséquences politiques considérables.

 

La bataille de Crécy, notamment, le 26 Août 1346, marqua le déclin de la cavalerie française et la supériorité des archers anglais. Dans le même temps, la peste noire décimait la moitié de la population.

 

Pour parfaire ce tableau dramatique les « grandes compagnies » mettent le pays en coupe réglée. La France, exsangue, s’est un peu redressée durant le court règne de Charles V mais son fils et successeur, Charles VI, sombre, en 1392, dans une définitive folie.

 

Aucune image contemporaine n’a représenté ce roi atteint de démence. Bien au contraire, l’iconographie monarchique a multiplié les types de majesté comme pour souligner, avec une ostentation délibérée, que la maladie qui touchait le corps et l’esprit de l’individu n’entamait en rien la personne royale et la cour chercha à obtenir la guérison du roi par les fêtes et par les plaisirs.

 

Le 31 Janvier 1393 fut ainsi donné, en l’hôtel Saint Pol, une mascarade où Charles VI et quelques seigneurs apparurent déguisés en hommes sauvages. Un début d’incendie mit le feu à leur costume et plusieurs d’entre eux furent brûlés vifs ; c’est ce que l’on a, un peu cruellement, nommé le « bal des Ardents ». Le roi échappa à la mort mais cet accident dramatique aggrava définitivement et irréversiblement son état mental. Dans le même temps, les oncles et le frère du roi, qui exercent un semblant de pouvoir, rêvent de se combattre et ont chacun leur parti : les Bourguignons et les Armagnacs.

 

C’est dans ce contexte de guerre civile que naît, le 18 Avril 1402, au château de Beauté sur Marne près le bois de Vincennes, un enfant de sexe masculin qui fut prénommé Jean. Ainsi qu’on le voit sur cette généalogie, il avait pour père naturel, Louis, duc d’Orléans, deuxième fils de Charles V et frère du roi demi fou Charles VI, époux de Valentine Visconti et pour mère Mariette d’Enghien, épouse d’Aubert le Flamand, seigneur de Cany et chambellan du même duc.

 

Fort beau, ainsi qu’en témoigne ce portrait, Louis d’Orléans avait accumulé les aventures adultères. Son dernier « amour de grâce » s’appelait Mariette d’Enghien. Selon les chroniques de l’époque c’est elle qui « le mieux dansait » et avait la « touse mignote » c’est à dire qu’elle portait les cheveux coupés courts et qu’elle était ravissante et élégante.

Jean était donc on ne peut plus illégitime mais ceci ne prêtait guère à conséquence dans le contexte d’alors. Néanmoins, cela lui pèsera toujours et peut expliquer certains traits de son caractère. Il sera, sa vie durant, assez brusque et distant car, au début de sa carrière, les grands seigneurs auront tendance à lui rappeler sa bâtardise.

« Bâtard de roi est prince d’office, bâtard de prince est gentilhomme » dit une maxime ancienne. Certes ! Mais il saura aussi qu’il n’a pas à rougir de l’origine de sa mère dont la famille possédait dans les veines quelques gouttes de sang royal. Fils de prince, il veut faire mentir le dicton : il sera prince !

Selon la coutume, il fut élevé dans la maison de son père avec les fils de Valentine Visconti, Charles d’Orléans, Jean, comte d’Angoulême et le petit comte de Vertus. La duchesse d’Orléans, Valentine Visconti, l’avait en grande affection, regrettant de ne pas être sa véritable mère.

Mais Jean ne connut pas longtemps la présence paternelle. En effet, dans la soirée du 23 Novembre 1407, alors qu’il rentrait d’une visite à la reine Isabeau de Bavière qui venait d’accoucher de son douzième enfant, le duc d’Orléans, son père naturel, était assassiné en plein Paris par les sbires du duc de Bourgogne. Peu après, en Janvier 1408, alors qu’il n’avait pas encore six ans, Jean accompagna la veuve de Louis d’Orléans allant demander au roi fou une justice qu’elle n’obtint pas. En rejoignant, meurtrie, son château de Blois elle affirma à ses fils, en parlant du petit bâtard : « Jean est mon fils comme vous ; on me l’avait dérobé. Je l’ai repris et, j’en suis sure, nul aussi bien que lui ne vengera son père ! ».

C’est sans doute dans ce dessein qu’elle entreprit de lui faire donner, dès son plus jeune âge, une parfaite éducation de chevalier, sans omettre pour autant le développement de ses capacités intellectuelles. Son précepteur, l’astrologue Florent de Villers, devait, dès cette époque dire, en parlant du petit Jean, qu’il était inutile de lui bâtir une maison parce qu’il serait toute sa vie errant pour le secours d’autrui. On ne pouvait pas avoir de plus juste prémonition.

 

Valentine Visconti se confina, pendant l’année qu’elle survécut à Louis d’Orléans, au château de Blois, dans une chambre tendue de noir. Elle y mourut, dit-on, « de courroux et de deuil » après avoir fait graver sur les murs cette devise désespérée : « rien ne m’est plus. Plus ne m’est rien ». Jean demeura alors avec ses deux demi frères auxquels il devait toujours et très fidèlement se montrer totalement dévoué. Il assista à la feinte réconciliation de Chartres, le 9 Mars 1409 et, la guerre civile ayant commencé peu après, suivit la fortune des Armagnacs.

 

Fortune cruelle car, conduite par l’écorcheur Caboche, la populace parisienne fit régner dans la ville une véritable terreur dont les principales victimes furent les tenants du parti Armagnac. Mais, en sus de cette guerre interne, la guerre contre l’envahisseur anglais se poursuivait de plus belle,

 

et, le 25 Octobre avait lieu la funeste bataille d’Azincourt. Toutes proportions gardées ce fut probablement la plus lourde défaite jamais subie par une armée française : outre ses conséquences politiques et militaires elle eut de profondes et durables répercussions sociales : sur le champ de bataille s’éteignirent la plupart des lignées féodales du royaume.

Ses deux demi frères d’Orléans et d’Angoulême ayant été faits prisonniers lors de cette bataille et Vertus étant mort peu après, le bâtard demeura seul pour représenter les intérêts de sa famille. C’est ainsi qu’il gardera fidèlement le château de Blois de longues années, jusqu’à la libération de Charles.

 

Sa prime jeunesse lui ayant évité Azincourt, il fit ses premières armes à la bataille de Beaugé, le 22 Mars 1421 ; il n’avait pas encore 19 ans. Le 15 Avril de cette même année, qualifié d’ « écuyer banneret », il était sous le commandement de Tanneguy du Châtel et avait déjà sous ses ordres une cinquantaine d’hommes. Mais il ne possédait ni sou ni maille.

 

C’est sans doute pourquoi, le 14 Novembre 1421, le Dauphin, futur Charles VII qui, en raison de la folie de son père, remplissait les fonctions de régent du royaume, signa un acte de donation donnant « … en considération de consanguinité à Jean, fils naturel de son oncle Louis d’Orléans, la terre de Valbonnais, ensemble celle du Périer, Ratier, Claix… et autres châteaux et villages dépendant avec les fiefs, hommes, moulins, fours, bois, prés, terre et justice… ». Le bâtard devenait ainsi le seigneur de Claix.

 

Le 21 Avril 1422, au moment où Charles VII devient roi par la mort de son père, il épouse Marie Louvet, fille du président Jean Louvet, seigneur de Mérindol et chambellan du roi. Très en faveur auprès de la jeune reine Marie d’Anjou, parce qu’autrefois au service du duc d’Anjou, son père, Jean Louvet dirigeait les finances du royaume de façon exclusive allant, dit-on, jusqu’à faire frapper de la fausse monnaie et à engager les joyaux de la couronne auprès d’usuriers, tout en prélevant un énorme pourcentage sur les transactions.

 

C’est vraisemblablement sur les instances de ce personnage douteux mais puissant que le pape Clément VII, comte de Genève, donna aux jeunes époux les châteaux de Domène, la Pierre et Fallavier qu’il possédait en Dauphiné.

Mais Jean ne dut pas demeurer longtemps auprès de sa jeune épouse car, tandis que son beau père continuait à se perdre dans d’hasardeuses intrigues, il commença à être de tous les combats, au milieu de l’anarchie qui grandissait dans le royaume de France de plus en plus occupé par l’ennemi.

 

C’est l’époque où les chroniques le décrivent ainsi : « … l’auguste sang de France et les favorables influences du ciel imprimèrent tellement la valeur, la prudence et le courage dans le cœur de ce jeune homme qu’il fut hardi dans ses entreprises, intrépide dans les dangers, confiant et infatigable dans les travaux, redoutable et furieux dans les combats, généreux et clément dans la victoire, auguste et magnifique dans les triomphes… », ajoutant qu’ « il excellait à monter à cheval et faisait perdre haleine à ceux qui faisaient des armes avec lui ».

 

Il prend part à la bataille de Verneuil le 17 Août. Mais, Jean Louvet ayant été disgracié peu après sur les instances de Yolande d’Aragon, belle mère du roi, le bâtard quitte alors la cour et va à Valbonnais où il demeure jusqu’à fin 1424. On peut conjecturer sans grand risque d’erreur qu’il mit à profit cette retraite pour visiter ses ex terres de Dauphiné, Fallavier, Theys, Domène, la Pierre, Château Ratier et Claix qui, par suite de sa disgrâce, avaient été placées sous la main royale. Mais cette retraite fut de courte durée.

 

Il reprit très vite le commandement de sa compagnie qui opérait avec celle d’Etienne de Vignolles dit « la Hire », comprenez « la colère », par les Anglais qui le craignaient, ex chef de bande devenu soudard, flanqué de son éternel compère, Poton de Saintrailles. De combats en combats, il se distingua notamment le 5 Septembre 1427 à Montargis où, à la tête d’une troupe de 1600 hommes il culbuta les anglais forts de 3000 soldats et dégagea la place.

 

La disgrâce de 1424 semblait oubliée puisque, par une lettre missive du 12 Avril 1428, datée de Chinon, le roi Charles VII ordonne au Conseil Delphinal de « remettre sans délai au bâtard d’Orléans, ses terres de Dauphiné.

Mais Jean d’Orléans était loin de ses terres. Il arrive à Orléans, assiégé, le 12 Octobre 1428. Le 12 Février 1429 il est grièvement blessé à Rouvray mais, grâce à sa robuste constitution il est vite rétabli. C’est à Orléans qu’il rencontre, pour la première fois, Jeanne d’Arc le 29 Avril 1429. Il ne saurait être ici question de relater la vie de Jeanne d’Arc mais, le bâtard d’Orléans lui fut si proche qu’on ne peut relater sa vie sans interférer sur celle de la Pucelle.

 

Au moment où le bâtard cicatrise ses blessures, Jeanne, venant de Lorraine, arrive à Chinon le 6 Mars 1429. Elle n’a rencontré, lors de ce long chemin, aucune des bandes armées qui désolent le pays et le peuple y voit un signe manifeste de la protection divine.

 

Les détails de la rencontre de Chinon font partie de notre patrimoine culturel : la longue attente de Jeanne avant d’être reçue par Charles VII, le piège que lui tend le roi, ses longues hésitations, la comparution devant la cour de Poitiers et, finalement, l’autorisation royale pour qu’elle accompagne l’armée envoyée au secours d’Orléans.

 

On sait que, dans l’esprit de Charles VII et de ses conseillers, la Pucelle, au milieu de cette armée, ne devait être qu’un porte drapeau, une sorte d’enseigne vivante.

 

Et, le 20 Avril 1429, Jeanne, après avoir été armée comme elle le demandait, part en direction d’Orléans accomplir son miraculeux et tragique destin. Orléans, où se trouve le bâtard Jean. Dès la première rencontre, admettent les historiens, le bâtard s’est rangé au nombre des fidèles de Jeanne d’Arc.

Il ne semble pas, néanmoins, que cette fidélité ait été spontanée et que, bien davantage, il s’agissait au départ pour lui, de respecter le choix royal. Mais, un attachement réel s’établira ensuite véritablement entre eux et rien, dans la vie de Jean d’Orléans, ne le trahira. Toutefois, la première entrevue fut loin d’être sereine. Les témoignages du procès de réhabilitation de la Pucelle d’Orléans en donnent la version suivante :

 

« … lorsque Jeanne, venant de la route de Sologne, vit qu’elle était séparée d’Orléans par toute la largeur de la Loire, sa colère, lorsqu’elle eut compris le piège dans lequel elle était tombée, retomba sur le bâtard d’Orléans qui, prévenu de l’arrivée du convoi avait passé le fleuve en bac à la faveur d’une diversion de ses troupes. A peine eut-il mis le pied à terre que la Pucelle l’aborda rudement :

-          « êtes vous le bâtard d’Orléans ?

-          oui je le suis et je me réjouis de votre arrivée

-          est-ce vous qui avez donné le conseil que je vienne ici de ce coté du fleuve et je n’aille pas là tout droit où sont les anglais ? »

 

Et le bâtard rapportera, lors du procès en réhabilitation, 24 ans plus tard :

 

« je répondis que moi même et d’autres, les plus sages, avaient donné ce conseil, croyant faire ce qu’il y avait de meilleur et de plus sur. Alors, Jeanne m’a dit : en mon Dieu, le conseil du seigneur notre Dieu est plus sage et plus sur que le votre. Vous avez cru me tromper et c’est vous surtout qui vous trompez car je vous apporte meilleur secours qu’il ne vous en est venu d’aucun soldat ou d’aucune cité : c’est le secours du roi des cieux. Il ne vient pas par amour pour moi mais de Dieu lui même qui a eu pitié de la ville d'Orléans et n’a voulu souffrir que les ennemis eussent le corps du seigneur d’Orléans et sa ville … ».

Alors survint un miracle : les eaux montèrent tout à coup et le vent tourna subitement, affirmera le bâtard d’Orléans qui, dès lors, semble acquis à la Pucelle. Prodige ou non, une circonstance favorable fit que la situation se trouva renversée. La flotte de secours put enfin remonter le courant.

 

L’entrée de la Pucelle dans la ville d’Orléans fut rapportée le vendredi 29 Avril 1429 à 8 heures du soir. Toute armée de son harnois plain, chevauchant tel un prince ou un héraut d’armes un magnifique destrier blanc, Jeanne fit à la population, éprouvée par les privations mais enfiévrée d’espérance, l’effet d’une apparition.

Vieillards, femmes, enfants, gens de milice s’agenouillaient devant le « beau Dieu » représenté sur l’étendard qu’on portait devant elle. La Hire, gagné par l’enthousiasme et le bâtard, plus circonspect qu’il ne l’avouera plus tard, caracolaient à ses cotés.

 

De ce jour et jusqu’à la délivrance d’Orléans, Jeanne séjourne dans cette maison qui était alors celle de Jacques Boucher, trésorier du duc Charles d’Orléans.

 

Dès le 4 Mai, par des initiatives hardies et contre l’avis même des capitaines, Jeanne commande des assauts victorieux contre les Anglais. Dans les combats qui s’ensuivirent au cours des jours suivants, Jeanne, au contact des premiers morts de guerre qu’elle vit, aurait défailli, suscitant le réconfort de Jean d’Orléans lui disant doucement : « vous verrez, Jeanne, dans les victoires la joie ne vient que plus tard ».

 

Le 7 Mai enfin, la Pucelle attaque le fort des Tourelles situé sur la rive gauche de la Loire, à la tête du vieux pont. Bien que blessée par un carreau d’arbalète qui lui transperce l’épaule, elle reste au combat, galvanisant les troupes françaises qui obligent la défense anglaise à abandonner le fort, clé de voûte de la défense d’Orléans. Le dimanche 8 Mai, les Anglais se retirent des dernières bastilles et lèvent le siège : Jeanne, victorieuse, reçoit un triomphe à Orléans, libéré après huit mois de siège.

 

Aux fêtes anniversaires de cette délivrance, la mémoire du bâtard d’Orléans et celle de la Hire seront, dès lors, célébrées conjointement à celle de la Pucelle.

 

Dès le lendemain, Jeanne quitte Orléans pour poursuivre l’armée anglaise déconcertée. Le bâtard l’accompagne et combat avec elle à Meung, à Jargeau que l’on voit ici, où la ville est délivrée le 12 Juin 1429,

 

et à Beaugency où le vieux donjon voit passer Jeanne et l’armée française victorieuse ainsi qu’à Patay où, le 18 Juin, 2000 anglais périssent. Dès lors, le val de Loire est libéré de tout occupant. Jeanne presse alors Charles VII d’aller se faire sacrer à Reims mais celui ci hésite, comme toujours.

 

Cette miniature le représente vers cette époque, entouré des principaux protagonistes de la reconquête. On y voit notamment, à la droite du roi (à gauche sur l’écran) de Richemont et à sa gauche le bâtard d’Orléans et Jeanne d’Arc.

 

Le 22 Juin, à Saint Benoît sur Loire, Jeanne prie avec le roi dans l’illustre abbatiale et, devant les reliques du fondateur du monakisme occidental, parvient à lui arracher un vague engagement. Mais Charles VII hésite encore.

 

Fin Juin, au château de Sully sur Loire, l’imposante et fastueuse demeure de la Tremoile, favori de Charles VII, Jeanne décide enfin le roi d’aller à Reims.

 

Le 17 Juillet, dans la cathédrale qui, depuis Saint Rémi vit tous les sacres, Charles VII reçoit l’onction sainte qui manifeste et garantit sa légitimité.

 

Jeanne peut alors cesser de l’appeler « Dauphin ». « Gentil roi », lui dit-elle, « ores est exécuté le plaisir de Dieu qui voulait que je levasse le siège d’Orléans et que je vous emmenasse en cette cité de Reims, recevoir votre saint sacre en montrant que vous êtes vrai roi et celui auquel le royaume de France doit appartenir".

 

Le bâtard est bien évidemment présent au sacre. Peut-être sa foi absolue en Jeanne prit-elle toute sa dimension ce jour là. Le portrait qu’il fit à ce moment là de la Pucelle et qu’il rapportera, un quart de siècle plus tard, lors du procès de réhabilitation, est sans ambiguïté possible :

 

« quant à ses vertus et son comportement parmi les soldats, aucun être vivant ne la surpassait en sobriété et j’ai entendu bien souvent le seigneur d’Aulon dire qu’il ne croyait pas qu’aucune femme pût être plus chaste que ne l’était la Pucelle. Moi même et les autres, quand nous étions en sa compagnie, n’avions aucune volonté ou désir d’approcher ou d’avoir compagnie de femme. Il me semble que c’était chose presque divine… ».

 

Durant l’hiver de cette année là, la Pucelle, contrainte à une inaction forcée en raison de l’indolence de Charles VII, passe dans le château de Sully sur Loire que le monarque a choisi pour ses quartiers d’hiver, des jours de désespoir et de morne ennui, avant de s’enfuir pour reprendre les combats.

 

Au printemps 1430, Jean d’Orléans est l’un des rares capitaines qui la suivent à Lagny puis à Compiègne où il ne peut empêcher, le 23 Mai 1430, qu’elle soit capturée.

 

On s’est souvent interrogé sur l’attitude des compagnons de Jeanne d’Arc après sa capture et sur l’ingratitude éhontée de Charles VII. Il faut rendre cette justice au bâtard d’Orléans qu’il fut le seul, avec la Hire, à diriger, mais sans succès, une campagne en direction de Rouen au printemps 1431. Mais la Hire et le bâtard furent-ils trop timorés ? Laissèrent-ils passer l’occasion ? Ou bien, les forces françaises en Haute Normandie étaient-elles trop faibles ? Toujours est-il que cette tentative n’eut pas de lendemain.

 

Le 30 Mai 1431, Jeanne d’Arc était brûlée vive, place du Vieux Marché à Rouen. Ainsi que l’a dit Péguy, « elle n’avait passé ses humbles 19 ans que de 4 ou 5 mois et sa cendre charnelle fut déversée au vent ».

 

Jeanne disparue, le bâtard continua à faire ce qu’il avait toujours accompli : la guerre contre les Anglais.

Et les mois passaient ainsi. Le 12 Avril 1432 il s’empare de la ville de Chartres et, en Août de la même année, il force le duc de Bedford à lever le siège de Lagny. Puis, après une incursion dans le Nord il opère en Basse Normandie et jusque sous les murs de Paris.

 

Il ne fait aucun doute qu’il n’avait guère le temps de séjourner dans ses terres de Dauphiné et il n’apparaît pas que, depuis son court séjour de 1424, il y soit retourné. Néanmoins, et pour l’heure, ces terres étaient ses seuls biens personnels et il y tenait particulièrement, veillant de façon constante à ce que leur revenu lui soit ponctuellement versé.

 

C’est vers cette époque qu’il installa sa mère, Mariette d’Enghien, devenue veuve, au château de Claix alors bien évidemment en meilleur état que ce qu’il nous en reste. Il se préoccupait de son sort puisqu’il lui octroya « une pension mensuelle de 40 florins à prendre sur les revenus de la terre de Claix… en sa demeure du château ou forteresse dudit lieu… ».

 

Cette donation solennelle fut approuvée par une longue lettre royale signée à Tours le 9 Octobre 1433 par Charles VII, indiquant que l’attribution en était irrévocable et que la somme devait être imputée sur les finances du Dauphiné si les revenus de la terre de Claix étaient insuffisants. Le trésorier de France, Reynier de Boutigny, et celui du Dauphiné, Jean de la Barre, étaient chargés de veiller à ladite donation.

 

Pourquoi installa t-il sa mère à Claix ? Vaste problématique à laquelle je n’ai pas de réponse précise sauf peut-être à rappeler qu’en cette période ses seuls biens fonciers se situaient en Dauphiné. Parmi celles ci, certaines étaient manifestement trop incommodes ou trop reculées telles Château Ratier, le Périer, Theys et Valbonnais. Claix présentait, par contre, l’avantage d’une meilleure accessibilité et les revenus en étaient sans doute relativement confortables si l’on en juge par l’importance de la pension mensuelle attribuée à Mariette d’Enghien.

 

Il est plus difficile d’établir si celle ci résida au château de Claix ou plutôt dans cette belle demeure sise en contrebas, dont les parties les plus anciennes remontent, justement, au 15ème siècle. Il n’est pas impossible que le bâtard ait racheté cette maison pour y installer sa mère ou encore qu’il l’ait fait édifier à cet usage. Les textes qui pourraient mentionner les dépenses correspondantes font malheureusement défaut.

 

Toutefois, si l’on garde présent à l’esprit que la seigneurie de Claix fut toujours indivise depuis l’an 1223, entre le pouvoir seigneurial et le pouvoir temporel et que le bâtard d’Orléans lui même fit hommage, en cette année 1434, au chapitre Notre Dame de Grenoble comme seigneur de Claix de tous les droits qu’il tenait au mandement dudit lieu, on peut être enclin à considérer qu’il avait pu préférer installer sa mère dans une demeure autonome plutôt que dans le château dont la propriété juridique était, en quelque sorte, indivise. J’ajoute que l’on m’a indiqué que l’une des cheminées de cette demeure remontait, probablement, à l’époque de Jeanne d’Arc.

 

Un autre élément pourrait corroborer cette hypothèse : en 1435, la châtellenie de Claix ne présente aucune recette, la totalité des revenus ayant été remis directement à Jean d’Orléans. Les revenus annuels de cette châtellenie auraient très bien pu servir, cette année là, à payer, du moins en partie, l’acquisition ou la construction de cette demeure que, depuis le Général Bezegher, on a coutume de présenter comme étant celle dans laquelle Mariette d’Enghien passa les dernières années de sa vie.

 

Ayant assuré la situation matérielle de sa mère, le bâtard d’Orléans se montra aussi loyal vis à vis de ses demi frères qu’il l’avait été avec Jeanne d’Arc. Il se refusa, en effet, à reconnaître la paix d’Arras, conclue le 21 Septembre 1435 par Charles VII avec le duc de Bourgogne, parce que le sort de ses demi frères n’était pas réglé.

 

Charles d’Orléans, notamment, était toujours retenu à Londres. Poète délicat, il ciselait pièces courtes et gracieuses. Qui n’a pas encore en mémoire ce rondeau :

« le temps a laissé son manteau de vent, de froidure et de pluie

et s’est vêtu de broderie, de soleil luisant clair et beau » ?

 

Mais la guerre continuait et le bâtard était, avant tout, homme de guerre. Après avoir pris Meulan, le 24 Septembre, il entra dans Paris, repris pour la seconde fois le 12 Avril 1436. Il fut ensuite au siège de Monterau, conduit par le roi, de la fin Août au 10 Octobre 1437 et à la prise de Pontoise.

Ayant réduit toutes les villes et les environs de Paris, Jean d’Orléans fit faire tous les préparatifs pour la somptueuse et magnifique entrée du roi. Le 12 Novembre 1437, Charles VII entrait dans Paris. Ce fut une cérémonie fastueuse.

 

Selon une chronique ancienne et, ainsi qu’on le voit par cette illustration tirée de l’Armorial du héraut d’armes de Charles VII, « … le bâtard d’Orléans, armé de toutes pièces d’armes dorées, conduisait le triomphe du roi. Monté sur un grand coursier caparaçonné et couvert d’un riche drap d’or traînant jusqu’à terre, il tenait le bâton de commandement à la main et une grande chaîne d’or à grandes feuilles de chêne en écharpe. Derrière lui était son écuyer monté et caparaçonné très richement qui portait en sa main une lance de vermeil et suivaient 800 chevaliers, la lance en arrêt… On chanta le Te Deum au son de toutes les cloches des églises de Paris et de plusieurs salves de canon… ».

Le « roi de Bourges » devenait enfin le roi de France et son entrée ostentatoire dans Paris annonçait l’ère de la reconquête totale du sol de France.

 

 

 

Nous en venons maintenant à la

 

IIème Partie : le comte de Dunois (1439-1468)

 

Le bâtard d’Orléans avait été, à la suite de la mort de son demi frère, le comte de Vertus, investi de ce fief sur lequel il n’avait jamais pu mettre la main. Son autre demi frère, Charles d’Orléans avec lequel il était en rapports constants en dépit de sa captivité à Londres, lui échangea, le 21 Juillet 1439, ce comté contre celui de Dunois, de haute origine.

 

Le 16 Novembre 1439, sa première femme étant morte et, pour tenir la promesse faite à son frère Charles de contracter mariage avant la fin de l’année, le bâtard, devenu comte de Dunois, épouse, en secondes noces, Marie d’Harcourt, issue de la plus grande maison de Normandie. La période est un peu plus calme car les opérations de guerre sont provisoirement arrêtées.

Dunois est alors chargé par Charles VII de procéder à la réorganisation militaire du pays. C’est peut-être en raison de l’inactivité relative à laquelle il est soudain contraint, lui qui n’a connu jusqu’alors que la guerre, qu’il participe activement, dès la fin 1439, au château de Blois, à l’organisation de ce que l’on a nommé « la Praguerie », cette révolte des princes contre le pouvoir royal, sous l’autorité nominale du Dauphin Louis et celle, réelle, de Charles 1er duc de Bourbon.

De Février à Juillet 1440 s’écoulera alors une période trouble, la seule de toute son existence où Dunois ne sera pas fidèle à son roi.

 

Mais il l’était, comme toujours, à son demi frère Charles d’Orléans, qui, bien que toujours prisonnier en Angleterre, avait été l’un des instigateurs de la conspiration. Ceci peut expliquer, sans doute, cette période d’erreur et d’ombre dans la carrière de Dubois. Le 11 Novembre 1440, Charles d’Orléans, prisonnier depuis 1415, est enfin libéré. Peu après il épouse, à Saint Omer, Marie de Clèves, nièce de Philippe le Bon, et Dunois est son témoin. De cette union naîtra, sur le tard, le futur Louis XII.

 

Peu après, sans doute en rétorsion, les terres dauphinoises de Dunois et, notamment, la terre de Claix, sont remises, une nouvelle fois « sous la main royale » c’est à dire confisquées. Mais cette disgrâce sera de courte durée : en Avril 1444 le roi lui rendra ses terres.

 

Entre-Temps et peu après sa délivrance, Charles d’Orléans a donné à Dunois la baronnie de Beaugency. Celui ci se fait aménager une résidence dans l’ancienne forteresse médiévale. Celle ci, très bien conservée, est typique du 15ème siècle, avec ses fenêtres à meneaux, sa tourelle d’escalier et sa cour bordée d’arcades. Pendant quinze années, Beaugency sera la résidence principale de Dunois. Durant le temps de sa semi disgrâce, le roi l’éloigne un peu et le soldat se fait alors diplomate pour une négociation avec le duc de Milan.

 

On peut raisonnablement penser qu’à l’occasion de cette ambassade en Italie il en profita pour visiter sa mère à Claix ainsi que ses terres dauphinoises retrouvées. A son retour, il sollicite un pardon que le roi lui accorde et il est nommé Lieutenant Général dans le pays du Nord de la Seine.

 

Le 14 Août 1443 il va avec le Dauphin Louis, futur Louis XI, alors âgé de 20 ans que l’on voit sur ce portrait rare, s’emparer de Dieppe. Il réussit à faire signer aux Anglais une trêve de deux ans au cours de nombreux pourparlers de paix à Londres au début de 1444.

 

Avec la mort de la Hire – dont on voit ici les armes – des suites de ses blessures devant Montauban, il devient le héros le plus populaire  de la longue guerre contre les anglais. Conscient de cela, le roi l’investit du comté de Longueville en Normandie qui, après avoir appartenu à Du Guesclin, avait été donné à la Hire.

 

Négociateur et conservateur de la trêve de Tours signée le 28 Mai 1444, Dunois reçoit alors une compagnie d’ordonnances avec le commandement général des arrières bans.

Ce n’était pas encore la paix mais une période de trêve de deux ans qui devait être reconduite jusqu’en 1449. De ces temps, une chronique ancienne donne la relation suivante : « Dunois ayant mis le royaume en repos et le roi voulant parvenir à l’extinction du schisme qui ravageait l’église, il députa le héros aussi versé dans le spirituel qu’accompli dans l’art militaire avec les plus grands du royaume, pour assister au concile de Bâle duquel il apaisa les troubles qui s’y étaient élevés au grand étonnement de tous les princes chrétiens ».

Il était à Lausanne lorsque les hostilités reprirent avec les Anglais. Le roi le charge alors du siège de la ville du Mans que ceux ci tenaient. Après la reddition du Mans, il va en Bretagne avec 3000 hommes, secourir le duc que les Anglais avaient surpris en s’emparant de Fougères.

 

Il se saisit du Pont de l’Arche, de Verneuil, de Pont Audemer, de Lisieux, Nantes, Vernon, Gisors et force Talbot à s’enfermer dans Rouen que les bourgeois livrent finalement au roi le 29 Octobre 1449.

Il prend encore, dans l’année qui suit, les villes de Honfleur, Harfleur, Bayeux, Caen, Falaise et Domfront. Charles le nomme alors Lieutenant Général des armées royales « le plus haut point d’honneur » a t-on dit auquel Jean d’Orléans put aspirer.

Représentant permanent du roi, Dunois, dans la force de l’âge, est aussi au faîte des honneurs. Le roi le confirme également dans ses comtés de Dunois et de Longueville. Puis il l’envoie en Guyenne au printemps 1451 avec 6000 hommes. En moins de deux mois, Dunois réduit toutes les places occupées parles Anglais : Montguyon, Blaye, Libourne, Saint Emilion… Puis il négocie avec les Bordelais qui lui ouvrent les portes de leur ville.

 

Le 29 Juin 1451, le roi fait son entrée à Bordeaux. La foule crie « vive le roi et M. le comte de Dunois ». Une fois encore on chante le Te Deum au son des cloches de la ville et de l’artillerie.

Ce portrait admirable de Jean Fouquet exposé au Louvre montre Charles VII tel qu’il était en cette époque précise. Il présente la particularité d’être la première représentation d’un monarque en buste alors que toutes les représentations antérieures se limitent au visage.

 

Puis Dunois met le siège devant Bayonne le 6 Août 1451. Le lendemain, a t-on rapporté, il parut en l’air une croix blanche qui fut vue tant par les assiégés que par leurs assiégeants. Les habitants commencèrent alors à détruire les croix rouges – symbole de l’occupant anglais – et à arborer les blanches. Trois jours plus tard, Bayonne capitulait. Peu après Dunois, le roi fit son entrée à Bayonne et rendit grâce à Dieu de ce qu’il lui avait fait la faveur de réunir la Guyenne à la couronne, deux cents ans après qu’elle en ait été démembrée par le mariage d’Eléonor avec Henry d’Angleterre l’an 1251.

Puis, chargé par le roi de mettre en état de défense les places fortes, Dunois retourne en Normandie. La trahison des barons de Guyenne le rappelle de toute urgence dans le Sud Ouest où il doit engager de nouvelles batailles et de nouveaux sièges.

 

La bataille décisive, le 17 Juillet 1453 à Castillon laisse 7000 hommes sur le champ. Charles VII le nomme alors « restaurateur de la patrie et grand conquérant » et, consécration suprême, décrète le bâtard « prince de sang royal » décidant que « lui et ses descendants seront aptes à succéder au trône dans le cas où les autres branches royales viendraient à s’éteindre… ». Il est également honoré de la dignité de grand chambellan de France.

Avec la reconquête de la Guyenne s’achevait, sans trêve ni traité de paix, la « guerre de cent ans. Dunois en avait été le principal et le plus constant artisan lui qui, durant 25 ans, avait été de toutes les batailles, de tous les assauts, de toutes les victoires. 

 

Après de si glorieux exploits il tomba gravement malade au château de Saint Jean d’Angély. Au bout de six semaines il reçut au milieu de ses amis le saint viatique ». Il fit alors, dit la chronique « une exhortation qui attendrit le cœur des assistants et reçut notre seigneur à genoux tout faible qu’il fut donnant les marques d’un zélé catholique, apostolique et romain… ». Et, poursuit la relation, « … le seigneur le voulant laisser sur la terre pour le bien de l’état le remit dans sa première santé ».

 

Ainsi rétabli, Dunois témoignera au long procès de réhabilitation de Jeanne d’Arc, de 1450 à 1456. Témoignage décisif s’il en fut : « les dépositions de Houppeville et de Dunois sont les deux parties de ce qui va devenir la tradition officielle française – écrit Gabriel Hanotaux - … le prêtre honnête homme et le haut soldat pèsent de tout le poids de leur conscience et de leur autorité… ». Dès lors, la cause est entendue. 25 ans après son procès et son supplice, Jeanne d’Arc sera réhabilitée. Sa canonisation devra, quant à elle, attendre encore quatre siècles et demi !

 

Chargé, le 31 Mai 1456, d’arrêter Jean II duc d’Alençon, coupable de trahison au profit de l’Angleterre, Dunois assiste au procès de ce dernier au coté du roi, en qualité de grand chambellan. Le bâtard était alors devenu à la fois Prince de France et grand seigneur foncier, ajoutant à ses terres de Dauphiné, de Dunois et de Longueville, celle de Clery, acquise en 1453, de Gex, en 1455 et de Parthenay en 1458 par le biais de sa seconde femme.

 

En Avril 1457, délaissant Beaugency il s’installe définitivement à Châteaudun que son frère Charles d’Orléans lui avait également donné en 1442. Il finit d’achever les restaurations du vieux château médiéval – dont le donjon remontant au 12ème siècle, haut de 31 mètres, est l’un des mieux conservés de France –

 

et il construit la sainte chapelle dont les embellissements dureront jusqu’à sa mort. Cette chapelle est une construction gracieuse au clocher carré, flanquée de deux oratoires de part et d’autre de la nef et du chœur, se terminant par une abside à trois pans.

 

Il commence aussi la construction de cette splendide aile Ouest. Sa conception est fidèle à la tradition gothique mais son aménagement dénote le besoin de confort consécutif aux troubles de la guerre de cent ans. Elle garde néanmoins une sévérité toute militaire.

 

Le 22 Juillet 1461 il assiste aux derniers moments de Charles VII, ce roi auquel il avait presque toujours été fidèle hormis l’incertain épisode de la Praguerie. Il parut avec éclat aux obsèques et le fit distinguer, rapporte t-on, « dans le jugement qu’il rendit à l’occasion de la propriété du poêle qui couvrait le mausolée du défunt monarque. Ses écuyers et les religieux prétendant leur devoir appartenir il l’adjugea à l’église… ». « … Après la sépulture, Dunois dit hautement à l’assemblée : nous avons perdu un bon maître ! Chacun à maintenant à penser à soi… ».

Selon la relation, nombre d’officiers se mirent alors à pleurer et à gémir, entendant par cet avertissement qu’il ne leur fallait pas espérer être continués dans leurs charges auprès de Louis XI son fils et successeur et, en cette même cérémonie le roi défunt fut déclaré « très victorieux » titre le plus sublime duquel on puisse honorer le plus grand monarque. Mais l’histoire, dans son jugement, a été plus sévère à l’égard de Charles VII que ne l’indique la chronique contemporaine.

Dunois assista au sacre de Louis XII, le 15 Août 1461 mais il était sans ilusion sur la relative disgrâce qui l’attendait.

 

En effet, dès Mars 1461, Louis XI, encore Dauphin, en révolte contre son père et n’épargnant aucune mesquinerie possible aux fidèles de celui ci, avait retiré à Dunois ses terres de Dauphiné. Les lettres patentes qu’il signa le 14 Mars 1461 contiennent expressément qu’ « ensuite de la réunion des terres de Valbonnais, Ratier et Claix que tenait le seigneur de Dunois il en donne les revenus à Jean de Talence, son chambellan et capitaine des gens de sa garde en paiement d’une pension de 1200 livres… ».

 

                                   CHANGEMENT DE PANIER

 

C’est probablement à ce moment là qu’il faut placer le passage de Dunois à Grenoble et, sans doute, à Valbonnais et à Claix.

Mariette d’Enghien était-elle encore de ce monde ? Je suis confus de devoir dire que je n’ai, à cet égard, aucun élément dans un sens ou dans l’autre. Ce qui est sur c’est que son fils donna un écu d’or aux religieuses de Montfleury dont le couvent avait été détruit par un incendie.

 

Puis peu après, et sans doute pour l’écarter encore un peu plus de la cour, Louis XI l’envoie, début 1462, une seconde fois à Gènes pour régler l’affaire de Savone. Mais, usure ou démotivation profonde, Dunois ne fut pas de taille à lutter avec les diplomates italiens et cette ambassade fut un échec.

A son retour, il fait cause commune avec les mécontents de plus en plus nombreux qui se groupent dans ce que l’on a appelé « la ligue du Bien Public », dont le chef est le propre frère du roi, le duc Charles de Berry. Aux yeux des grands seigneurs, le roi ne possède pas les qualités que doit avoir un prince. C’est, pour eux, un provocateur, un homme de nulle part, un homme surtout qui n’appartient pas à leur monde.

 

Le 23 Août 1465, devant les députés des Parisiens, Dunois expose le programme d’action des princes qui veulent s’approprier la direction des finances, de l’armée, distribuer eux mêmes les offices en un mot, tenir le roi et le  gouvernement à leur merci. Mais ces projets effrayent la petite noblesse et la bourgeoisie et Louis XI n’a aucune peine à mâter cette fronde.

 

Pourtant, la guerre civile avait été évitée de justesse le 16 Juillet 1465 ; il y eut, d’ailleurs, bataille à Montlhéry entre l’armée royale et celle des ligueurs. Peu après, le 25 Août 1465, Dunois menaça de livrer, contre la capitale, un assaut mortel, dut-il, selon ses propres termes, en coûter la vie à 100 000 hommes.

Mais le 28 Août, le roi de France entrait dans Paris à la tête de 12 000 hommes de troupe, d’un puissant train d’artillerie et de vivres en abondance sans que la menace de Dunois ne soit mise, si peu que ce soit, à exécution.

 

Celui ci avait alors 63 ans et ce magnifique portrait, d’un auteur inconnu, le représente à cette époque précise. A ce moment là intervinrent des tractations secrètes entre Louis XI et Dunois, ce dernier servant d’intermédiaire entre les principaux ligueurs jusqu’à l’aboutissement des traités de Conflans et de Saint Maur les Fossés qui leur donnèrent un semblant de satisfaction momentanée.

Le fait que le roi de France ait utilisé Dunois pour cette médiation de la plus grande importance peut s’expliquer par sa puissance mais aussi par son manque de conviction et, sans doute, par des engagements secrets.

En effet, dès le 10 Octobre le roi promettait d’accorder son pardon à Dunois. Par une lettre datée du 14 Octobre 1465, il notifiait au gouverneur, au Parlement et à la chambre des comptes du Dauphiné l’ordre de restituer au grand bâtard les terres qu’il possédait dans cette province qui avaient été mises sous la main royale.

Dunois obtint dans le même temps une pension de 6000 livres et Louis XI, avec son pardon, le reprit à son service ainsi que les principaux ligueurs, montrant par là même qu’il réparait ses erreurs passées qui avaient été à l’origine de la ligue. Et lorsque Louis rachetait ses fautes, il le faisait de bon cœur et sans arrière pensée. A tous, note Commynes, il accorda des appointements supérieurs à ceux qu’ils touchaient du temps de Charles VII.

Louis XI est tout ce que Dunois réprouve mais, comprenant que la meilleure façon de travailler pour le pays est de favoriser l’action royale, il n’hésite pas et se rallie à son souverain à qui il aurait dit un jour en le voyant arriver sur un cheval étique : 

-          «  Sire, votre bête est bonne malgré son air puisqu’elle porte toute seule le poids du roi et de son conseil »,

Louis XI, souriant, lui aurait alors répondu :

-          «  Pas mal M. de Dunois. Je suis en effet comme ces avares qui portent toute leur fortune sur eux ».

Revenu à la cour, Dunois marie son fils cadet François, le futur gouverneur du Dauphiné, avec Agnès de Savoie, sœur de la reine. Sa réputation de sagesse s’étant affirmée avec les années, Dunois est alors désigné par le roi comme président du « conseil de réformation pour le bien public », composé de 36 notables et Louis XI en fait l’un de ses conseillers privilégiés. Toutefois, rusé et roublard, le roi, pour mieux reprendre la situation en mains laissait accroire les rumeurs d’empoisonnement de sa personne, amenant le « conseil des 36 » à se réunir deux fois par jour et à faire de son mieux pour que le gouvernement continuât à fonctionner normalement. Mais Dunois, usé et malade, peu rompu à cet art machiavélique et subtil ne peut présider longtemps l’illusoire conseil.

Il souffrait en effet, dit la chronique « de douleur presque continuelle de ses gouttes que les fatigues de la guerre lui avaient causées ».

 

Le 15 Octobre 1468, se croyant encore assez fort pour revoir une dernière fois son comté de Dunois il se met en route. Mais quelques jours plus tard il doit s’aliter au château de l’Hay chez son ami Raquier, trésorier des guerres. Il ne s’en relèvera pas.

 

Il avait fait plusieurs testaments et, comme sa seconde femme, morte au début de 1468, il avait souhaité être enseveli dans la chapelle Saint Jean de la basilique Notre Dame de Cléry, dite maintenant de Dunois, qu’il avait fait construire après avoir acheté en 1455 la terre de Cléry, réalisant ainsi un vœu très cher. Son corps fut inhumé en grades pompes. Au moment où les prêtres commençaient à chanter le service funèbre on vit arriver le roi Louis XI, entouré de ses officiers et des membres de son conseil. Deux heures durant il se recueillit et pria seul devant le catafalque, sollicitant Notre Dame de garder le prince en sa protection.

 

En 1482, Louis XI rachètera au fils de Dunois la seigneurie de Cléry où il possédait depuis longtemps sa résidence favorite, fort modeste au demeurant comme on peut le voir, car il avait, lui aussi, décidé d’être enseveli dans la même basilique, peut-être parce qu’elle renfermait une antique statue mariale de bois qu’on avait découverte dans la campagne environnante et que Louis attachait à ce saint lieu un prix d’autant plus grand que Jeanne d’Arc, elle même, s’y était rendue pour prier.

 

Ainsi disparut le bâtard d’Orléans ! Son cœur fut porté à Châteaudun, la capitale de son pays de Dunois, dans la chapelle qu’il avait fait édifier.

Il avait eu de son vivant, a t-on dit, « un pouvoir de si grande étendue qui n’a jamais été communiqué qu’à lui seul dans la troisième race des rois ». « Ce prince, si estimé en toutes choses – renchérit Commynes – s’étant rendu aussi habile négociateur que grand capitaine, fut un des principaux instruments dont Dieu se servit pour chasser les Anglais de France ». Jean Chartier, pour sa part, le dit « capitaine illustre et orateur disert, froid et attrempé seigneur, un des plus beaux parleurs qui fut en la langue de France ». Enfin, un historien a pu écrire qu « Dunois fut le héros de la dernière phase de la chevalerie et que la France avait été bien servie par ce grand et providentiel chevalier ».

 

Un dernier point mérite éclaircissement. Quelle est l’origine de l’appellation, flatteuse, de « Beau Dunois » ? Il semble que cette épithète, maintenant usuellement accolée à son nom, ait une origine très postérieure à son siècle et qu’elle résulte d’une niaise chanson de 1810, attribuée à la reine Hortense et connue sous le nom de « romance de la reine Hortense » ou encore « chanson du Beau Dunois ».

 

Hormis cette chanson, aujourd’hui bien oubliée que subsiste t-il du bâtard d’Orléans ? Le souvenir de celui qui fut, selon la flagorneuse formule du baron de Mortemart, « le Plutarque français » et le « plus grand capitaine de son siècle » se retrouve essentiellement dans trois lieux, Beaugency que l’on voit ici, sa première résidence maintenant transformée en musée portant son nom dans lequel sont conservés les quelques rares documents qui lui ont survécu,

 

Châteaudun, sa dernière résidence, ce très bel édifice de style gothique flamboyant aux vastes et harmonieuses proportions, surplombant de plus de soixante mètres le Loir, rare exemple d’architecture à la fois féodale, gothique et renaissance,

 

Et Cléry, bien évidemment où il fut enterré dans la très belle église qu’il avait fait en partie construire.

 

On possède quelques effigies de lui : cette statue faite de son vivant et conservée à la Sainte Chapelle de Châteaudun au milieu de la nef du caveau des Longueville,

 

Ce portrait de l’école de Fouquet, exécuté vers 1440, conservé dans une collection privée et qui le représente jeune avec un visage mâle et résolu, au regard brillant d’intelligence,

 

Ce second portrait, fait entre 1460 et 1468, peint à l’huile ou au blanc d’œuf, d’un artiste inconnu, le représentant âgé, conservé à Amboise, dont une reproduction par Gaignières figure au cabinet des estampes de la Bibliothèque Nationale. Son livre d’heures, dont la consultation aurait pu nous le montrer avec un réalisme plus quotidien et donc, plus proche de nous, a été malheureusement acheté en 1904 par un collectionneur anglais et sa localisation actuelle n’est plus possible.

 

Jean d’Orléans, comte de Dunois, portait pour armes « d’azur à fleurs de lys d’or au lambeau d’argent en chef et au bâte de même péry en bande », avec la brisure transversale rappelant sa bâtardise. Sa devise était une comète avec cette phrase fière et agressive : « jamais les ennemis ne l’avaient vu sans dommage ».

 

De sa seconde femme il avait eu un fils, Jean, qui mourut jeune et sans alliance et un second fils, François d’Orléans, son successeur, qui, comme son père, sera seigneur de Claix ainsi que le sera également son fils François II de Dunois-Longueville. La postérité du bâtard s’éteignit rapidement ; le cardinal de Longueville, le dernier descendant mâle de Dunois mourra dément dans une abbaye à la fin du 17ème siècle. Il avait eu également deux filles, Marie et Catherine ainsi qu’un bâtard, prénommé Jean comme lui, qui ne connut pas la fortune de son illustre père.

 

Bien qu’il fut l’égal de Du Guesclin et de Bayard, l’histoire a laissé Dunois dans un oubli injustifié. Or, si l’on excepte l’épisode malheureux de la Praguerie, Jean d’Orléans fut toujours un fidèle lieutenant du roi Charles VII son « cousin de la main gauche » selon l’expression d’Emmanuel Bourassin et ses actions militaires devaient pourtant marquer la fin de la malheureuse guerre de cent ans.

 

Bien qu’il n’ait que rarement séjourné dans notre région, cette terre lui était chère et l’installation de sa mère à Claix est bien là pour en témoigner. Il fut et il demeurera incontestablement le plus illustre seigneur de Claix. C’est du moins mon sentiment et j’espère vous l’avoir fait partager.

 

Enfin, de tous ceux que l’histoire a rassemblé sous le terme générique de « compagnons de Jeanne d’Arc », il fut sans doute celui qui montra le plus admirable caractère à son égard.

 

Etait-ce en pensant à la Pucelle, dont il avait grandement espéré le salut, qu’il fit graver sur les murs de son oratoire de Beaugency cette prière maintenant à demi effacée : « mon Dieu, créez en moi un cœur pur ! ».

 

Mesdames et Messieurs, ainsi fut le Beau Dunois.