(Assemblée Générale de Claix, Patrimoine et Histoire)
Egalement présenté à Vif le 2
mai 1992
Une
simple plaque d’allée rappelle, à Furonnières, le souvenir de ce personnage
considérable de l’histoire de France – et plus encore de notre histoire locale
– mais injustement oublié, sinon méconnu, que fut Jean d’Orléans, Comte de
Dunois, dont la vie, pourtant édifiante a peu inspiré les historiens.
Alors
que Jeanne d’Arc a suscité plus de 7000 ouvrages, une seule biographie et
quelques écrits limités ont été consacrés à Dunois.
Cruelle
disparité de l’histoire ! Mais les héros sont souvent plus grands dans la
légende que dans la réalité. Celui ci que la postérité a curieusement oublié
n’en apparaîtra peut être que plus attachant quoique mes recherches laissent
malheureusement subsister de nombreuses zones d’ombre sur l’homme lui même.
Le
« Beau Dunois » qui, outre tous ses titres de noblesse et de gloire
fut aussi le seigneur de Claix, méritait sans doute, même aussi tardivement,
qu’on honorât localement, comme j’ai tenté de le faire, son existence riche et
mouvementée qui marqua fortement une grande partie du 15ème siècle.
Je
vous propose d’aller à sa rencontre au travers de ce diaporama comportant deux
parties distinctes que j’ai intitulées :
-
le bâtard
d’Orléans (1402-1439)
-
le comte de
Dunois (1439-1468)
Ière Partie : le bâtard
d’Orléans(1402-1439)
En
ce début du 15ème siècle, la guerre entre le royaume de France et le
royaume d’Angleterre, que l’on nommera plus tard la « guerre de cent
ans », dure depuis plus d’un demi siècle. On sait que si les grandes
batailles de cette guerre furent rares, elles eurent néanmoins des conséquences
politiques considérables.
La
bataille de Crécy, notamment, le 26 Août 1346, marqua le déclin de la cavalerie
française et la supériorité des archers anglais. Dans le même temps, la peste
noire décimait la moitié de la population.
Pour
parfaire ce tableau dramatique les « grandes compagnies » mettent le
pays en coupe réglée. La France, exsangue, s’est un peu redressée durant le
court règne de Charles V mais son fils et successeur, Charles VI, sombre, en
1392, dans une définitive folie.
Aucune
image contemporaine n’a représenté ce roi atteint de démence. Bien au
contraire, l’iconographie monarchique a multiplié les types de majesté comme
pour souligner, avec une ostentation délibérée, que la maladie qui touchait le
corps et l’esprit de l’individu n’entamait en rien la personne royale et la cour
chercha à obtenir la guérison du roi par les fêtes et par les plaisirs.
Le
31 Janvier 1393 fut ainsi donné, en l’hôtel Saint Pol, une mascarade où Charles
VI et quelques seigneurs apparurent déguisés en hommes sauvages. Un début
d’incendie mit le feu à leur costume et plusieurs d’entre eux furent brûlés
vifs ; c’est ce que l’on a, un peu cruellement, nommé le « bal des
Ardents ». Le roi échappa à la mort mais cet accident dramatique aggrava
définitivement et irréversiblement son état mental. Dans le même temps, les
oncles et le frère du roi, qui exercent un semblant de pouvoir, rêvent de se
combattre et ont chacun leur parti : les Bourguignons et les Armagnacs.
C’est
dans ce contexte de guerre civile que naît, le 18 Avril 1402, au château de
Beauté sur Marne près le bois de Vincennes, un enfant de sexe masculin qui fut
prénommé Jean. Ainsi qu’on le voit sur cette généalogie, il avait pour père
naturel, Louis, duc d’Orléans, deuxième fils de Charles V et frère du roi demi
fou Charles VI, époux de Valentine Visconti et pour mère Mariette d’Enghien,
épouse d’Aubert le Flamand, seigneur de Cany et chambellan du même duc.
Fort
beau, ainsi qu’en témoigne ce portrait, Louis d’Orléans avait accumulé les
aventures adultères. Son dernier « amour de grâce » s’appelait
Mariette d’Enghien. Selon les chroniques de l’époque c’est elle qui « le
mieux dansait » et avait la « touse mignote » c’est à dire
qu’elle portait les cheveux coupés courts et qu’elle était ravissante et
élégante.
Jean
était donc on ne peut plus illégitime mais ceci ne prêtait guère à conséquence
dans le contexte d’alors. Néanmoins, cela lui pèsera toujours et peut expliquer
certains traits de son caractère. Il sera, sa vie durant, assez brusque et
distant car, au début de sa carrière, les grands seigneurs auront tendance à
lui rappeler sa bâtardise.
« Bâtard
de roi est prince d’office, bâtard de prince est gentilhomme » dit une
maxime ancienne. Certes ! Mais il saura aussi qu’il n’a pas à rougir de
l’origine de sa mère dont la famille possédait dans les veines quelques gouttes
de sang royal. Fils de prince, il veut faire mentir le dicton : il sera
prince !
Selon
la coutume, il fut élevé dans la maison de son père avec les fils de Valentine
Visconti, Charles d’Orléans, Jean, comte d’Angoulême et le petit comte de
Vertus. La duchesse d’Orléans, Valentine Visconti, l’avait en grande affection,
regrettant de ne pas être sa véritable mère.
Mais
Jean ne connut pas longtemps la présence paternelle. En effet, dans la soirée
du 23 Novembre 1407, alors qu’il rentrait d’une visite à la reine Isabeau de
Bavière qui venait d’accoucher de son douzième enfant, le duc d’Orléans, son
père naturel, était assassiné en plein Paris par les sbires du duc de
Bourgogne. Peu après, en Janvier 1408, alors qu’il n’avait pas encore six ans,
Jean accompagna la veuve de Louis d’Orléans allant demander au roi fou une
justice qu’elle n’obtint pas. En rejoignant, meurtrie, son château de Blois
elle affirma à ses fils, en parlant du petit bâtard : « Jean est mon
fils comme vous ; on me l’avait dérobé. Je l’ai repris et, j’en suis sure,
nul aussi bien que lui ne vengera son père ! ».
C’est
sans doute dans ce dessein qu’elle entreprit de lui faire donner, dès son plus
jeune âge, une parfaite éducation de chevalier, sans omettre pour autant le
développement de ses capacités intellectuelles. Son précepteur, l’astrologue
Florent de Villers, devait, dès cette époque dire, en parlant du petit Jean,
qu’il était inutile de lui bâtir une maison parce qu’il serait toute sa vie
errant pour le secours d’autrui. On ne pouvait pas avoir de plus juste
prémonition.
Valentine
Visconti se confina, pendant l’année qu’elle survécut à Louis d’Orléans, au
château de Blois, dans une chambre tendue de noir. Elle y mourut, dit-on,
« de courroux et de deuil » après avoir fait graver sur les murs
cette devise désespérée : « rien ne m’est plus. Plus ne m’est
rien ». Jean demeura alors avec ses deux demi frères auxquels il devait
toujours et très fidèlement se montrer totalement dévoué. Il assista à la feinte
réconciliation de Chartres, le 9 Mars 1409 et, la guerre civile ayant commencé
peu après, suivit la fortune des Armagnacs.
Fortune
cruelle car, conduite par l’écorcheur Caboche, la populace parisienne fit
régner dans la ville une véritable terreur dont les principales victimes furent
les tenants du parti Armagnac. Mais, en sus de cette guerre interne, la guerre
contre l’envahisseur anglais se poursuivait de plus belle,
et,
le 25 Octobre avait lieu la funeste bataille d’Azincourt. Toutes proportions
gardées ce fut probablement la plus lourde défaite jamais subie par une armée
française : outre ses conséquences politiques et militaires elle eut de
profondes et durables répercussions sociales : sur le champ de bataille
s’éteignirent la plupart des lignées féodales du royaume.
Ses
deux demi frères d’Orléans et d’Angoulême ayant été faits prisonniers lors de
cette bataille et Vertus étant mort peu après, le bâtard demeura seul pour
représenter les intérêts de sa famille. C’est ainsi qu’il gardera fidèlement le
château de Blois de longues années, jusqu’à la libération de Charles.
Sa
prime jeunesse lui ayant évité Azincourt, il fit ses premières armes à la
bataille de Beaugé, le 22 Mars 1421 ; il n’avait pas encore 19 ans. Le 15
Avril de cette même année, qualifié d’ « écuyer banneret », il était
sous le commandement de Tanneguy du Châtel et avait déjà sous ses ordres une
cinquantaine d’hommes. Mais il ne possédait ni sou ni maille.
C’est
sans doute pourquoi, le 14 Novembre 1421, le Dauphin, futur Charles VII qui, en
raison de la folie de son père, remplissait les fonctions de régent du royaume,
signa un acte de donation donnant « … en considération de consanguinité à
Jean, fils naturel de son oncle Louis d’Orléans, la terre de Valbonnais,
ensemble celle du Périer, Ratier, Claix… et autres châteaux et villages
dépendant avec les fiefs, hommes, moulins, fours, bois, prés, terre et
justice… ». Le bâtard devenait ainsi le seigneur de Claix.
Le
21 Avril 1422, au moment où Charles VII devient roi par la mort de son père, il
épouse Marie Louvet, fille du président Jean Louvet, seigneur de Mérindol et
chambellan du roi. Très en faveur auprès de la jeune reine Marie d’Anjou, parce
qu’autrefois au service du duc d’Anjou, son père, Jean Louvet dirigeait les
finances du royaume de façon exclusive allant, dit-on, jusqu’à faire frapper de
la fausse monnaie et à engager les joyaux de la couronne auprès d’usuriers,
tout en prélevant un énorme pourcentage sur les transactions.
C’est
vraisemblablement sur les instances de ce personnage douteux mais puissant que
le pape Clément VII, comte de Genève, donna aux jeunes époux les châteaux de
Domène, la Pierre et Fallavier qu’il possédait en Dauphiné.
Mais
Jean ne dut pas demeurer longtemps auprès de sa jeune épouse car, tandis que
son beau père continuait à se perdre dans d’hasardeuses intrigues, il commença
à être de tous les combats, au milieu de l’anarchie qui grandissait dans le
royaume de France de plus en plus occupé par l’ennemi.
C’est
l’époque où les chroniques le décrivent ainsi : « … l’auguste sang de
France et les favorables influences du ciel imprimèrent tellement la valeur, la
prudence et le courage dans le cœur de ce jeune homme qu’il fut hardi dans ses
entreprises, intrépide dans les dangers, confiant et infatigable dans les
travaux, redoutable et furieux dans les combats, généreux et clément dans la
victoire, auguste et magnifique dans les triomphes… », ajoutant qu’
« il excellait à monter à cheval et faisait perdre haleine à ceux qui
faisaient des armes avec lui ».
Il
prend part à la bataille de Verneuil le 17 Août. Mais, Jean Louvet ayant été
disgracié peu après sur les instances de Yolande d’Aragon, belle mère du roi,
le bâtard quitte alors la cour et va à Valbonnais où il demeure jusqu’à fin
1424. On peut conjecturer sans grand risque d’erreur qu’il mit à profit cette
retraite pour visiter ses ex terres de Dauphiné, Fallavier, Theys, Domène, la
Pierre, Château Ratier et Claix qui, par suite de sa disgrâce, avaient été
placées sous la main royale. Mais cette retraite fut de courte durée.
Il
reprit très vite le commandement de sa compagnie qui opérait avec celle
d’Etienne de Vignolles dit « la Hire », comprenez « la
colère », par les Anglais qui le craignaient, ex chef de bande devenu
soudard, flanqué de son éternel compère, Poton de Saintrailles. De combats en
combats, il se distingua notamment le 5 Septembre 1427 à Montargis où, à la
tête d’une troupe de 1600 hommes il culbuta les anglais forts de 3000 soldats
et dégagea la place.
La
disgrâce de 1424 semblait oubliée puisque, par une lettre missive du 12 Avril
1428, datée de Chinon, le roi Charles VII ordonne au Conseil Delphinal de
« remettre sans délai au bâtard d’Orléans, ses terres de Dauphiné.
Mais
Jean d’Orléans était loin de ses terres. Il arrive à Orléans, assiégé, le 12
Octobre 1428. Le 12 Février 1429 il est grièvement blessé à Rouvray mais, grâce
à sa robuste constitution il est vite rétabli. C’est à Orléans qu’il rencontre,
pour la première fois, Jeanne d’Arc le 29 Avril 1429. Il ne saurait être ici
question de relater la vie de Jeanne d’Arc mais, le bâtard d’Orléans lui fut si
proche qu’on ne peut relater sa vie sans interférer sur celle de la Pucelle.
Au
moment où le bâtard cicatrise ses blessures, Jeanne, venant de Lorraine, arrive
à Chinon le 6 Mars 1429. Elle n’a rencontré, lors de ce long chemin, aucune des
bandes armées qui désolent le pays et le peuple y voit un signe manifeste de la
protection divine.
Les
détails de la rencontre de Chinon font partie de notre patrimoine
culturel : la longue attente de Jeanne avant d’être reçue par Charles VII,
le piège que lui tend le roi, ses longues hésitations, la comparution devant la
cour de Poitiers et, finalement, l’autorisation royale pour qu’elle accompagne
l’armée envoyée au secours d’Orléans.
On
sait que, dans l’esprit de Charles VII et de ses conseillers, la Pucelle, au
milieu de cette armée, ne devait être qu’un porte drapeau, une sorte d’enseigne
vivante.
Et,
le 20 Avril 1429, Jeanne, après avoir été armée comme elle le demandait, part
en direction d’Orléans accomplir son miraculeux et tragique destin. Orléans, où
se trouve le bâtard Jean. Dès la première rencontre, admettent les historiens,
le bâtard s’est rangé au nombre des fidèles de Jeanne d’Arc.
Il
ne semble pas, néanmoins, que cette fidélité ait été spontanée et que, bien
davantage, il s’agissait au départ pour lui, de respecter le choix royal. Mais,
un attachement réel s’établira ensuite véritablement entre eux et rien, dans la
vie de Jean d’Orléans, ne le trahira. Toutefois, la première entrevue fut loin
d’être sereine. Les témoignages du procès de réhabilitation de la Pucelle
d’Orléans en donnent la version suivante :
« …
lorsque Jeanne, venant de la route de Sologne, vit qu’elle était séparée
d’Orléans par toute la largeur de la Loire, sa colère, lorsqu’elle eut compris
le piège dans lequel elle était tombée, retomba sur le bâtard d’Orléans qui,
prévenu de l’arrivée du convoi avait passé le fleuve en bac à la faveur d’une
diversion de ses troupes. A peine eut-il mis le pied à terre que la Pucelle
l’aborda rudement :
-
« êtes vous
le bâtard d’Orléans ?
-
oui je le suis et
je me réjouis de votre arrivée
-
est-ce vous qui
avez donné le conseil que je vienne ici de ce coté du fleuve et je n’aille pas
là tout droit où sont les anglais ? »
Et
le bâtard rapportera, lors du procès en réhabilitation, 24 ans plus tard :
« je
répondis que moi même et d’autres, les plus sages, avaient donné ce conseil,
croyant faire ce qu’il y avait de meilleur et de plus sur. Alors, Jeanne m’a
dit : en mon Dieu, le conseil du seigneur notre Dieu est plus sage et plus
sur que le votre. Vous avez cru me tromper et c’est vous surtout qui vous
trompez car je vous apporte meilleur secours qu’il ne vous en est venu d’aucun
soldat ou d’aucune cité : c’est le secours du roi des cieux. Il ne vient
pas par amour pour moi mais de Dieu lui même qui a eu pitié de la ville
d'Orléans et n’a voulu souffrir que les ennemis eussent le corps du seigneur
d’Orléans et sa ville … ».
Alors
survint un miracle : les eaux montèrent tout à coup et le vent tourna
subitement, affirmera le bâtard d’Orléans qui, dès lors, semble acquis à la
Pucelle. Prodige ou non, une circonstance favorable fit que la situation se
trouva renversée. La flotte de secours put enfin remonter le courant.
L’entrée
de la Pucelle dans la ville d’Orléans fut rapportée le vendredi 29 Avril 1429 à
8 heures du soir. Toute armée de son harnois plain, chevauchant tel un prince
ou un héraut d’armes un magnifique destrier blanc, Jeanne fit à la population,
éprouvée par les privations mais enfiévrée d’espérance, l’effet d’une
apparition.
Vieillards,
femmes, enfants, gens de milice s’agenouillaient devant le « beau
Dieu » représenté sur l’étendard qu’on portait devant elle. La Hire, gagné
par l’enthousiasme et le bâtard, plus circonspect qu’il ne l’avouera plus tard,
caracolaient à ses cotés.
De
ce jour et jusqu’à la délivrance d’Orléans, Jeanne séjourne dans cette maison
qui était alors celle de Jacques Boucher, trésorier du duc Charles d’Orléans.
Dès
le 4 Mai, par des initiatives hardies et contre l’avis même des capitaines,
Jeanne commande des assauts victorieux contre les Anglais. Dans les combats qui
s’ensuivirent au cours des jours suivants, Jeanne, au contact des premiers
morts de guerre qu’elle vit, aurait défailli, suscitant le réconfort de Jean d’Orléans
lui disant doucement : « vous verrez, Jeanne, dans les victoires la
joie ne vient que plus tard ».
Le
7 Mai enfin, la Pucelle attaque le fort des Tourelles situé sur la rive gauche
de la Loire, à la tête du vieux pont. Bien que blessée par un carreau
d’arbalète qui lui transperce l’épaule, elle reste au combat, galvanisant les
troupes françaises qui obligent la défense anglaise à abandonner le fort, clé
de voûte de la défense d’Orléans. Le dimanche 8 Mai, les Anglais se retirent
des dernières bastilles et lèvent le siège : Jeanne, victorieuse, reçoit
un triomphe à Orléans, libéré après huit mois de siège.
Aux
fêtes anniversaires de cette délivrance, la mémoire du bâtard d’Orléans et
celle de la Hire seront, dès lors, célébrées conjointement à celle de la
Pucelle.
Dès
le lendemain, Jeanne quitte Orléans pour poursuivre l’armée anglaise
déconcertée. Le bâtard l’accompagne et combat avec elle à Meung, à Jargeau que
l’on voit ici, où la ville est délivrée le 12 Juin 1429,
et
à Beaugency où le vieux donjon voit passer Jeanne et l’armée française
victorieuse ainsi qu’à Patay où, le 18 Juin, 2000 anglais périssent. Dès lors,
le val de Loire est libéré de tout occupant. Jeanne presse alors Charles VII
d’aller se faire sacrer à Reims mais celui ci hésite, comme toujours.
Cette
miniature le représente vers cette époque, entouré des principaux protagonistes
de la reconquête. On y voit notamment, à la droite du roi (à gauche sur
l’écran) de Richemont et à sa gauche le bâtard d’Orléans et Jeanne d’Arc.
Le
22 Juin, à Saint Benoît sur Loire, Jeanne prie avec le roi dans l’illustre
abbatiale et, devant les reliques du fondateur du monakisme occidental,
parvient à lui arracher un vague engagement. Mais Charles VII hésite encore.
Fin
Juin, au château de Sully sur Loire, l’imposante et fastueuse demeure de la
Tremoile, favori de Charles VII, Jeanne décide enfin le roi d’aller à Reims.
Le
17 Juillet, dans la cathédrale qui, depuis Saint Rémi vit tous les sacres,
Charles VII reçoit l’onction sainte qui manifeste et garantit sa légitimité.
Jeanne
peut alors cesser de l’appeler « Dauphin ». « Gentil roi »,
lui dit-elle, « ores est exécuté le plaisir de Dieu qui voulait que je
levasse le siège d’Orléans et que je vous emmenasse en cette cité de Reims,
recevoir votre saint sacre en montrant que vous êtes vrai roi et celui auquel
le royaume de France doit appartenir".
Le
bâtard est bien évidemment présent au sacre. Peut-être sa foi absolue en Jeanne
prit-elle toute sa dimension ce jour là. Le portrait qu’il fit à ce moment là
de la Pucelle et qu’il rapportera, un quart de siècle plus tard, lors du procès
de réhabilitation, est sans ambiguïté possible :
« quant
à ses vertus et son comportement parmi les soldats, aucun être vivant ne la
surpassait en sobriété et j’ai entendu bien souvent le seigneur d’Aulon dire
qu’il ne croyait pas qu’aucune femme pût être plus chaste que ne l’était la
Pucelle. Moi même et les autres, quand nous étions en sa compagnie, n’avions
aucune volonté ou désir d’approcher ou d’avoir compagnie de femme. Il me semble
que c’était chose presque divine… ».
Durant
l’hiver de cette année là, la Pucelle, contrainte à une inaction forcée en
raison de l’indolence de Charles VII, passe dans le château de Sully sur Loire
que le monarque a choisi pour ses quartiers d’hiver, des jours de désespoir et
de morne ennui, avant de s’enfuir pour reprendre les combats.
Au
printemps 1430, Jean d’Orléans est l’un des rares capitaines qui la suivent à
Lagny puis à Compiègne où il ne peut empêcher, le 23 Mai 1430, qu’elle soit capturée.
On
s’est souvent interrogé sur l’attitude des compagnons de Jeanne d’Arc après sa
capture et sur l’ingratitude éhontée de Charles VII. Il faut rendre cette
justice au bâtard d’Orléans qu’il fut le seul, avec la Hire, à diriger, mais
sans succès, une campagne en direction de Rouen au printemps 1431. Mais la Hire
et le bâtard furent-ils trop timorés ? Laissèrent-ils passer
l’occasion ? Ou bien, les forces françaises en Haute Normandie
étaient-elles trop faibles ? Toujours est-il que cette tentative n’eut pas
de lendemain.
Le
30 Mai 1431, Jeanne d’Arc était brûlée vive, place du Vieux Marché à Rouen.
Ainsi que l’a dit Péguy, « elle n’avait passé ses humbles 19 ans que de 4
ou 5 mois et sa cendre charnelle fut déversée au vent ».
Jeanne
disparue, le bâtard continua à faire ce qu’il avait toujours accompli : la
guerre contre les Anglais.
Et
les mois passaient ainsi. Le 12 Avril 1432 il s’empare de la ville de Chartres
et, en Août de la même année, il force le duc de Bedford à lever le siège de
Lagny. Puis, après une incursion dans le Nord il opère en Basse Normandie et
jusque sous les murs de Paris.
Il
ne fait aucun doute qu’il n’avait guère le temps de séjourner dans ses terres
de Dauphiné et il n’apparaît pas que, depuis son court séjour de 1424, il y
soit retourné. Néanmoins, et pour l’heure, ces terres étaient ses seuls biens
personnels et il y tenait particulièrement, veillant de façon constante à ce
que leur revenu lui soit ponctuellement versé.
C’est
vers cette époque qu’il installa sa mère, Mariette d’Enghien, devenue veuve, au
château de Claix alors bien évidemment en meilleur état que ce qu’il nous en
reste. Il se préoccupait de son sort puisqu’il lui octroya « une pension
mensuelle de 40 florins à prendre sur les revenus de la terre de Claix… en sa
demeure du château ou forteresse dudit lieu… ».
Cette
donation solennelle fut approuvée par une longue lettre royale signée à Tours
le 9 Octobre 1433 par Charles VII, indiquant que l’attribution en était
irrévocable et que la somme devait être imputée sur les finances du Dauphiné si
les revenus de la terre de Claix étaient insuffisants. Le trésorier de France,
Reynier de Boutigny, et celui du Dauphiné, Jean de la Barre, étaient chargés de
veiller à ladite donation.
Pourquoi
installa t-il sa mère à Claix ? Vaste problématique à laquelle je n’ai pas
de réponse précise sauf peut-être à rappeler qu’en cette période ses seuls
biens fonciers se situaient en Dauphiné. Parmi celles ci, certaines étaient
manifestement trop incommodes ou trop reculées telles Château Ratier, le
Périer, Theys et Valbonnais. Claix présentait, par contre, l’avantage d’une
meilleure accessibilité et les revenus en étaient sans doute relativement
confortables si l’on en juge par l’importance de la pension mensuelle attribuée
à Mariette d’Enghien.
Il
est plus difficile d’établir si celle ci résida au château de Claix ou plutôt
dans cette belle demeure sise en contrebas, dont les parties les plus anciennes
remontent, justement, au 15ème siècle. Il n’est pas impossible que
le bâtard ait racheté cette maison pour y installer sa mère ou encore qu’il
l’ait fait édifier à cet usage. Les textes qui pourraient mentionner les
dépenses correspondantes font malheureusement défaut.
Toutefois,
si l’on garde présent à l’esprit que la seigneurie de Claix fut toujours
indivise depuis l’an 1223, entre le pouvoir seigneurial et le pouvoir temporel
et que le bâtard d’Orléans lui même fit hommage, en cette année 1434, au
chapitre Notre Dame de Grenoble comme seigneur de Claix de tous les droits
qu’il tenait au mandement dudit lieu, on peut être enclin à considérer qu’il
avait pu préférer installer sa mère dans une demeure autonome plutôt que dans
le château dont la propriété juridique était, en quelque sorte, indivise.
J’ajoute que l’on m’a indiqué que l’une des cheminées de cette demeure
remontait, probablement, à l’époque de Jeanne d’Arc.
Un
autre élément pourrait corroborer cette hypothèse : en 1435, la
châtellenie de Claix ne présente aucune recette, la totalité des revenus ayant
été remis directement à Jean d’Orléans. Les revenus annuels de cette
châtellenie auraient très bien pu servir, cette année là, à payer, du moins en
partie, l’acquisition ou la construction de cette demeure que, depuis le
Général Bezegher, on a coutume de présenter comme étant celle dans laquelle
Mariette d’Enghien passa les dernières années de sa vie.
Ayant
assuré la situation matérielle de sa mère, le bâtard d’Orléans se montra aussi
loyal vis à vis de ses demi frères qu’il l’avait été avec Jeanne d’Arc. Il se
refusa, en effet, à reconnaître la paix d’Arras, conclue le 21 Septembre 1435
par Charles VII avec le duc de Bourgogne, parce que le sort de ses demi frères
n’était pas réglé.
Charles
d’Orléans, notamment, était toujours retenu à Londres. Poète délicat, il
ciselait pièces courtes et gracieuses. Qui n’a pas encore en mémoire ce
rondeau :
« le
temps a laissé son manteau de vent, de froidure et de pluie
et
s’est vêtu de broderie, de soleil luisant clair et beau » ?
Mais
la guerre continuait et le bâtard était, avant tout, homme de guerre. Après
avoir pris Meulan, le 24 Septembre, il entra dans Paris, repris pour la seconde
fois le 12 Avril 1436. Il fut ensuite au siège de Monterau, conduit par le roi,
de la fin Août au 10 Octobre 1437 et à la prise de Pontoise.
Ayant
réduit toutes les villes et les environs de Paris, Jean d’Orléans fit faire
tous les préparatifs pour la somptueuse et magnifique entrée du roi. Le 12
Novembre 1437, Charles VII entrait dans Paris. Ce fut une cérémonie fastueuse.
Selon
une chronique ancienne et, ainsi qu’on le voit par cette illustration tirée de
l’Armorial du héraut d’armes de Charles VII, « … le bâtard d’Orléans, armé
de toutes pièces d’armes dorées, conduisait le triomphe du roi. Monté sur un
grand coursier caparaçonné et couvert d’un riche drap d’or traînant jusqu’à
terre, il tenait le bâton de commandement à la main et une grande chaîne d’or à
grandes feuilles de chêne en écharpe. Derrière lui était son écuyer monté et
caparaçonné très richement qui portait en sa main une lance de vermeil et
suivaient 800 chevaliers, la lance en arrêt… On chanta le Te Deum au son de
toutes les cloches des églises de Paris et de plusieurs salves de
canon… ».
Le
« roi de Bourges » devenait enfin le roi de France et son entrée
ostentatoire dans Paris annonçait l’ère de la reconquête totale du sol de
France.
Nous
en venons maintenant à la
IIème Partie : le comte de
Dunois (1439-1468)
Le
bâtard d’Orléans avait été, à la suite de la mort de son demi frère, le comte
de Vertus, investi de ce fief sur lequel il n’avait jamais pu mettre la main.
Son autre demi frère, Charles d’Orléans avec lequel il était en rapports
constants en dépit de sa captivité à Londres, lui échangea, le 21 Juillet 1439,
ce comté contre celui de Dunois, de haute origine.
Le
16 Novembre 1439, sa première femme étant morte et, pour tenir la promesse
faite à son frère Charles de contracter mariage avant la fin de l’année, le
bâtard, devenu comte de Dunois, épouse, en secondes noces, Marie d’Harcourt,
issue de la plus grande maison de Normandie. La période est un peu plus calme
car les opérations de guerre sont provisoirement arrêtées.
Dunois
est alors chargé par Charles VII de procéder à la réorganisation militaire du
pays. C’est peut-être en raison de l’inactivité relative à laquelle il est soudain
contraint, lui qui n’a connu jusqu’alors que la guerre, qu’il participe
activement, dès la fin 1439, au château de Blois, à l’organisation de ce que
l’on a nommé « la Praguerie », cette révolte des princes contre le
pouvoir royal, sous l’autorité nominale du Dauphin Louis et celle, réelle, de
Charles 1er duc de Bourbon.
De
Février à Juillet 1440 s’écoulera alors une période trouble, la seule de toute
son existence où Dunois ne sera pas fidèle à son roi.
Mais
il l’était, comme toujours, à son demi frère Charles d’Orléans, qui, bien que
toujours prisonnier en Angleterre, avait été l’un des instigateurs de la
conspiration. Ceci peut expliquer, sans doute, cette période d’erreur et
d’ombre dans la carrière de Dubois. Le 11 Novembre 1440, Charles d’Orléans,
prisonnier depuis 1415, est enfin libéré. Peu après il épouse, à Saint Omer,
Marie de Clèves, nièce de Philippe le Bon, et Dunois est son témoin. De cette
union naîtra, sur le tard, le futur Louis XII.
Peu
après, sans doute en rétorsion, les terres dauphinoises de Dunois et,
notamment, la terre de Claix, sont remises, une nouvelle fois « sous la
main royale » c’est à dire confisquées. Mais cette disgrâce sera de courte
durée : en Avril 1444 le roi lui rendra ses terres.
Entre-Temps
et peu après sa délivrance, Charles d’Orléans a donné à Dunois la baronnie de
Beaugency. Celui ci se fait aménager une résidence dans l’ancienne forteresse
médiévale. Celle ci, très bien conservée, est typique du 15ème
siècle, avec ses fenêtres à meneaux, sa tourelle d’escalier et sa cour bordée
d’arcades. Pendant quinze années, Beaugency sera la résidence principale de
Dunois. Durant le temps de sa semi disgrâce, le roi l’éloigne un peu et le
soldat se fait alors diplomate pour une négociation avec le duc de Milan.
On
peut raisonnablement penser qu’à l’occasion de cette ambassade en Italie il en
profita pour visiter sa mère à Claix ainsi que ses terres dauphinoises
retrouvées. A son retour, il sollicite un pardon que le roi lui accorde et il
est nommé Lieutenant Général dans le pays du Nord de la Seine.
Le
14 Août 1443 il va avec le Dauphin Louis, futur Louis XI, alors âgé de 20 ans
que l’on voit sur ce portrait rare, s’emparer de Dieppe. Il réussit à faire
signer aux Anglais une trêve de deux ans au cours de nombreux pourparlers de
paix à Londres au début de 1444.
Avec
la mort de la Hire – dont on voit ici les armes – des suites de ses blessures
devant Montauban, il devient le héros le plus populaire de la longue guerre contre les anglais.
Conscient de cela, le roi l’investit du comté de Longueville en Normandie qui,
après avoir appartenu à Du Guesclin, avait été donné à la Hire.
Négociateur
et conservateur de la trêve de Tours signée le 28 Mai 1444, Dunois reçoit alors
une compagnie d’ordonnances avec le commandement général des arrières bans.
Ce
n’était pas encore la paix mais une période de trêve de deux ans qui devait
être reconduite jusqu’en 1449. De ces temps, une chronique ancienne donne la
relation suivante : « Dunois ayant mis le royaume en repos et le roi
voulant parvenir à l’extinction du schisme qui ravageait l’église, il députa le
héros aussi versé dans le spirituel qu’accompli dans l’art militaire avec les
plus grands du royaume, pour assister au concile de Bâle duquel il apaisa les
troubles qui s’y étaient élevés au grand étonnement de tous les princes
chrétiens ».
Il
était à Lausanne lorsque les hostilités reprirent avec les Anglais. Le roi le
charge alors du siège de la ville du Mans que ceux ci tenaient. Après la
reddition du Mans, il va en Bretagne avec 3000 hommes, secourir le duc que les
Anglais avaient surpris en s’emparant de Fougères.
Il
se saisit du Pont de l’Arche, de Verneuil, de Pont Audemer, de Lisieux, Nantes,
Vernon, Gisors et force Talbot à s’enfermer dans Rouen que les bourgeois
livrent finalement au roi le 29 Octobre 1449.
Il
prend encore, dans l’année qui suit, les villes de Honfleur, Harfleur, Bayeux,
Caen, Falaise et Domfront. Charles le nomme alors Lieutenant Général des armées
royales « le plus haut point d’honneur » a t-on dit auquel Jean
d’Orléans put aspirer.
Représentant
permanent du roi, Dunois, dans la force de l’âge, est aussi au faîte des
honneurs. Le roi le confirme également dans ses comtés de Dunois et de
Longueville. Puis il l’envoie en Guyenne au printemps 1451 avec 6000 hommes. En
moins de deux mois, Dunois réduit toutes les places occupées parles
Anglais : Montguyon, Blaye, Libourne, Saint Emilion… Puis il négocie avec
les Bordelais qui lui ouvrent les portes de leur ville.
Le
29 Juin 1451, le roi fait son entrée à Bordeaux. La foule crie « vive le
roi et M. le comte de Dunois ». Une fois encore on chante le Te Deum au
son des cloches de la ville et de l’artillerie.
Ce
portrait admirable de Jean Fouquet exposé au Louvre montre Charles VII tel
qu’il était en cette époque précise. Il présente la particularité d’être la
première représentation d’un monarque en buste alors que toutes les
représentations antérieures se limitent au visage.
Puis
Dunois met le siège devant Bayonne le 6 Août 1451. Le lendemain, a t-on
rapporté, il parut en l’air une croix blanche qui fut vue tant par les assiégés
que par leurs assiégeants. Les habitants commencèrent alors à détruire les
croix rouges – symbole de l’occupant anglais – et à arborer les blanches. Trois
jours plus tard, Bayonne capitulait. Peu après Dunois, le roi fit son entrée à
Bayonne et rendit grâce à Dieu de ce qu’il lui avait fait la faveur de réunir
la Guyenne à la couronne, deux cents ans après qu’elle en ait été démembrée par
le mariage d’Eléonor avec Henry d’Angleterre l’an 1251.
Puis,
chargé par le roi de mettre en état de défense les places fortes, Dunois
retourne en Normandie. La trahison des barons de Guyenne le rappelle de toute
urgence dans le Sud Ouest où il doit engager de nouvelles batailles et de
nouveaux sièges.
La
bataille décisive, le 17 Juillet 1453 à Castillon laisse 7000 hommes sur le
champ. Charles VII le nomme alors « restaurateur de la patrie et grand
conquérant » et, consécration suprême, décrète le bâtard « prince de
sang royal » décidant que « lui et ses descendants seront aptes à
succéder au trône dans le cas où les autres branches royales viendraient à
s’éteindre… ». Il est également honoré de la dignité de grand chambellan
de France.
Avec
la reconquête de la Guyenne s’achevait, sans trêve ni traité de paix, la
« guerre de cent ans. Dunois en avait été le principal et le plus constant
artisan lui qui, durant 25 ans, avait été de toutes les batailles, de tous les
assauts, de toutes les victoires.
Après
de si glorieux exploits il tomba gravement malade au château de Saint Jean
d’Angély. Au bout de six semaines il reçut au milieu de ses amis le saint
viatique ». Il fit alors, dit la chronique « une exhortation qui
attendrit le cœur des assistants et reçut notre seigneur à genoux tout faible
qu’il fut donnant les marques d’un zélé catholique, apostolique et
romain… ». Et, poursuit la relation, « … le seigneur le voulant
laisser sur la terre pour le bien de l’état le remit dans sa première
santé ».
Ainsi
rétabli, Dunois témoignera au long procès de réhabilitation de Jeanne d’Arc, de
1450 à 1456. Témoignage décisif s’il en fut : « les dépositions de
Houppeville et de Dunois sont les deux parties de ce qui va devenir la
tradition officielle française – écrit Gabriel Hanotaux - … le prêtre honnête
homme et le haut soldat pèsent de tout le poids de leur conscience et de leur
autorité… ». Dès lors, la cause est entendue. 25 ans après son procès et
son supplice, Jeanne d’Arc sera réhabilitée. Sa canonisation devra, quant à
elle, attendre encore quatre siècles et demi !
Chargé,
le 31 Mai 1456, d’arrêter Jean II duc d’Alençon, coupable de trahison au profit
de l’Angleterre, Dunois assiste au procès de ce dernier au coté du roi, en
qualité de grand chambellan. Le bâtard était alors devenu à la fois Prince de
France et grand seigneur foncier, ajoutant à ses terres de Dauphiné, de Dunois
et de Longueville, celle de Clery, acquise en 1453, de Gex, en 1455 et de
Parthenay en 1458 par le biais de sa seconde femme.
En
Avril 1457, délaissant Beaugency il s’installe définitivement à Châteaudun que
son frère Charles d’Orléans lui avait également donné en 1442. Il finit
d’achever les restaurations du vieux château médiéval – dont le donjon
remontant au 12ème siècle, haut de
et
il construit la sainte chapelle dont les embellissements dureront jusqu’à sa
mort. Cette chapelle est une construction gracieuse au clocher carré, flanquée
de deux oratoires de part et d’autre de la nef et du chœur, se terminant par
une abside à trois pans.
Il
commence aussi la construction de cette splendide aile Ouest. Sa conception est
fidèle à la tradition gothique mais son aménagement dénote le besoin de confort
consécutif aux troubles de la guerre de cent ans. Elle garde néanmoins une
sévérité toute militaire.
Le
22 Juillet 1461 il assiste aux derniers moments de Charles VII, ce roi auquel
il avait presque toujours été fidèle hormis l’incertain épisode de la
Praguerie. Il parut avec éclat aux obsèques et le fit distinguer, rapporte
t-on, « dans le jugement qu’il rendit à l’occasion de la propriété du
poêle qui couvrait le mausolée du défunt monarque. Ses écuyers et les religieux
prétendant leur devoir appartenir il l’adjugea à l’église… ». « …
Après la sépulture, Dunois dit hautement à l’assemblée : nous avons perdu
un bon maître ! Chacun à maintenant à penser à soi… ».
Selon
la relation, nombre d’officiers se mirent alors à pleurer et à gémir, entendant
par cet avertissement qu’il ne leur fallait pas espérer être continués dans
leurs charges auprès de Louis XI son fils et successeur et, en cette même
cérémonie le roi défunt fut déclaré « très victorieux » titre le plus
sublime duquel on puisse honorer le plus grand monarque. Mais l’histoire, dans
son jugement, a été plus sévère à l’égard de Charles VII que ne l’indique la
chronique contemporaine.
Dunois
assista au sacre de Louis XII, le 15 Août 1461 mais il était sans ilusion sur
la relative disgrâce qui l’attendait.
En
effet, dès Mars 1461, Louis XI, encore Dauphin, en révolte contre son père et
n’épargnant aucune mesquinerie possible aux fidèles de celui ci, avait retiré à
Dunois ses terres de Dauphiné. Les lettres patentes qu’il signa le 14 Mars 1461
contiennent expressément qu’ « ensuite de la réunion des terres de
Valbonnais, Ratier et Claix que tenait le seigneur de Dunois il en donne les
revenus à Jean de Talence, son chambellan et capitaine des gens de sa garde en
paiement d’une pension de 1200 livres… ».
CHANGEMENT
DE PANIER
C’est
probablement à ce moment là qu’il faut placer le passage de Dunois à Grenoble
et, sans doute, à Valbonnais et à Claix.
Mariette
d’Enghien était-elle encore de ce monde ? Je suis confus de devoir dire
que je n’ai, à cet égard, aucun élément dans un sens ou dans l’autre. Ce qui
est sur c’est que son fils donna un écu d’or aux religieuses de Montfleury dont
le couvent avait été détruit par un incendie.
Puis
peu après, et sans doute pour l’écarter encore un peu plus de la cour, Louis XI
l’envoie, début 1462, une seconde fois à Gènes pour régler l’affaire de Savone.
Mais, usure ou démotivation profonde, Dunois ne fut pas de taille à lutter avec
les diplomates italiens et cette ambassade fut un échec.
A
son retour, il fait cause commune avec les mécontents de plus en plus nombreux
qui se groupent dans ce que l’on a appelé « la ligue du Bien
Public », dont le chef est le propre frère du roi, le duc Charles de
Berry. Aux yeux des grands seigneurs, le roi ne possède pas les qualités que
doit avoir un prince. C’est, pour eux, un provocateur, un homme de nulle part,
un homme surtout qui n’appartient pas à leur monde.
Le
23 Août 1465, devant les députés des Parisiens, Dunois expose le programme
d’action des princes qui veulent s’approprier la direction des finances, de
l’armée, distribuer eux mêmes les offices en un mot, tenir le roi et le gouvernement à leur merci. Mais ces projets
effrayent la petite noblesse et la bourgeoisie et Louis XI n’a aucune peine à
mâter cette fronde.
Pourtant,
la guerre civile avait été évitée de justesse le 16 Juillet 1465 ; il y
eut, d’ailleurs, bataille à Montlhéry entre l’armée royale et celle des
ligueurs. Peu après, le 25 Août 1465, Dunois menaça de livrer, contre la
capitale, un assaut mortel, dut-il, selon ses propres termes, en coûter la vie
à 100 000 hommes.
Mais
le 28 Août, le roi de France entrait dans Paris à la tête de 12 000 hommes de
troupe, d’un puissant train d’artillerie et de vivres en abondance sans que la
menace de Dunois ne soit mise, si peu que ce soit, à exécution.
Celui
ci avait alors 63 ans et ce magnifique portrait, d’un auteur inconnu, le
représente à cette époque précise. A ce moment là intervinrent des tractations
secrètes entre Louis XI et Dunois, ce dernier servant d’intermédiaire entre les
principaux ligueurs jusqu’à l’aboutissement des traités de Conflans et de Saint
Maur les Fossés qui leur donnèrent un semblant de satisfaction momentanée.
Le
fait que le roi de France ait utilisé Dunois pour cette médiation de la plus
grande importance peut s’expliquer par sa puissance mais aussi par son manque
de conviction et, sans doute, par des engagements secrets.
En
effet, dès le 10 Octobre le roi promettait d’accorder son pardon à Dunois. Par
une lettre datée du 14 Octobre 1465, il notifiait au gouverneur, au Parlement
et à la chambre des comptes du Dauphiné l’ordre de restituer au grand bâtard
les terres qu’il possédait dans cette province qui avaient été mises sous la
main royale.
Dunois
obtint dans le même temps une pension de
Louis
XI est tout ce que Dunois réprouve mais, comprenant que la meilleure façon de
travailler pour le pays est de favoriser l’action royale, il n’hésite pas et se
rallie à son souverain à qui il aurait dit un jour en le voyant arriver sur un
cheval étique :
-
« Sire,
votre bête est bonne malgré son air puisqu’elle porte toute seule le poids du
roi et de son conseil »,
Louis
XI, souriant, lui aurait alors répondu :
-
« Pas mal
M. de Dunois. Je suis en effet comme ces avares qui portent toute leur fortune
sur eux ».
Revenu
à la cour, Dunois marie son fils cadet François, le futur gouverneur du
Dauphiné, avec Agnès de Savoie, sœur de la reine. Sa réputation de sagesse
s’étant affirmée avec les années, Dunois est alors désigné par le roi comme
président du « conseil de réformation pour le bien public », composé
de 36 notables et Louis XI en fait l’un de ses conseillers privilégiés.
Toutefois, rusé et roublard, le roi, pour mieux reprendre la situation en mains
laissait accroire les rumeurs d’empoisonnement de sa personne, amenant le
« conseil des 36 » à se réunir deux fois par jour et à faire de son
mieux pour que le gouvernement continuât à fonctionner normalement. Mais
Dunois, usé et malade, peu rompu à cet art machiavélique et subtil ne peut
présider longtemps l’illusoire conseil.
Il
souffrait en effet, dit la chronique « de douleur presque continuelle de
ses gouttes que les fatigues de la guerre lui avaient causées ».
Le
15 Octobre 1468, se croyant encore assez fort pour revoir une dernière fois son
comté de Dunois il se met en route. Mais quelques jours plus tard il doit
s’aliter au château de l’Hay chez son ami Raquier, trésorier des guerres. Il ne
s’en relèvera pas.
Il
avait fait plusieurs testaments et, comme sa seconde femme, morte au début de
1468, il avait souhaité être enseveli dans la chapelle Saint Jean de la
basilique Notre Dame de Cléry, dite maintenant de Dunois, qu’il avait fait
construire après avoir acheté en 1455 la terre de Cléry, réalisant ainsi un vœu
très cher. Son corps fut inhumé en grades pompes. Au moment où les prêtres
commençaient à chanter le service funèbre on vit arriver le roi Louis XI,
entouré de ses officiers et des membres de son conseil. Deux heures durant il
se recueillit et pria seul devant le catafalque, sollicitant Notre Dame de
garder le prince en sa protection.
En
1482, Louis XI rachètera au fils de Dunois la seigneurie de Cléry où il
possédait depuis longtemps sa résidence favorite, fort modeste au demeurant
comme on peut le voir, car il avait, lui aussi, décidé d’être enseveli dans la
même basilique, peut-être parce qu’elle renfermait une antique statue mariale
de bois qu’on avait découverte dans la campagne environnante et que Louis
attachait à ce saint lieu un prix d’autant plus grand que Jeanne d’Arc, elle
même, s’y était rendue pour prier.
Ainsi
disparut le bâtard d’Orléans ! Son cœur fut porté à Châteaudun, la
capitale de son pays de Dunois, dans la chapelle qu’il avait fait édifier.
Il
avait eu de son vivant, a t-on dit, « un pouvoir de si grande étendue qui
n’a jamais été communiqué qu’à lui seul dans la troisième race des rois ».
« Ce prince, si estimé en toutes choses – renchérit Commynes – s’étant
rendu aussi habile négociateur que grand capitaine, fut un des principaux
instruments dont Dieu se servit pour chasser les Anglais de France ». Jean
Chartier, pour sa part, le dit « capitaine illustre et orateur disert,
froid et attrempé seigneur, un des plus beaux parleurs qui fut en la langue de
France ». Enfin, un historien a pu écrire qu « Dunois fut le héros de
la dernière phase de la chevalerie et que la France avait été bien servie par
ce grand et providentiel chevalier ».
Un
dernier point mérite éclaircissement. Quelle est l’origine de l’appellation,
flatteuse, de « Beau Dunois » ? Il semble que cette épithète,
maintenant usuellement accolée à son nom, ait une origine très postérieure à
son siècle et qu’elle résulte d’une niaise chanson de 1810, attribuée à la
reine Hortense et connue sous le nom de « romance de la reine
Hortense » ou encore « chanson du Beau Dunois ».
Hormis
cette chanson, aujourd’hui bien oubliée que subsiste t-il du bâtard
d’Orléans ? Le souvenir de celui qui fut, selon la flagorneuse formule du
baron de Mortemart, « le Plutarque français » et le « plus grand
capitaine de son siècle » se retrouve essentiellement dans trois lieux,
Beaugency que l’on voit ici, sa première résidence maintenant transformée en
musée portant son nom dans lequel sont conservés les quelques rares documents
qui lui ont survécu,
Châteaudun,
sa dernière résidence, ce très bel édifice de style gothique flamboyant aux
vastes et harmonieuses proportions, surplombant de plus de soixante mètres le
Loir, rare exemple d’architecture à la fois féodale, gothique et renaissance,
Et
Cléry, bien évidemment où il fut enterré dans la très belle église qu’il avait
fait en partie construire.
On
possède quelques effigies de lui : cette statue faite de son vivant et
conservée à la Sainte Chapelle de Châteaudun au milieu de la nef du caveau des
Longueville,
Ce
portrait de l’école de Fouquet, exécuté vers 1440, conservé dans une collection
privée et qui le représente jeune avec un visage mâle et résolu, au regard
brillant d’intelligence,
Ce
second portrait, fait entre 1460 et 1468, peint à l’huile ou au blanc d’œuf,
d’un artiste inconnu, le représentant âgé, conservé à Amboise, dont une
reproduction par Gaignières figure au cabinet des estampes de la Bibliothèque
Nationale. Son livre d’heures, dont la consultation aurait pu nous le montrer
avec un réalisme plus quotidien et donc, plus proche de nous, a été
malheureusement acheté en 1904 par un collectionneur anglais et sa localisation
actuelle n’est plus possible.
Jean
d’Orléans, comte de Dunois, portait pour armes « d’azur à fleurs de lys
d’or au lambeau d’argent en chef et au bâte de même péry en bande », avec
la brisure transversale rappelant sa bâtardise. Sa devise était une comète avec
cette phrase fière et agressive : « jamais les ennemis ne l’avaient
vu sans dommage ».
De
sa seconde femme il avait eu un fils, Jean, qui mourut jeune et sans alliance
et un second fils, François d’Orléans, son successeur, qui, comme son père,
sera seigneur de Claix ainsi que le sera également son fils François II de
Dunois-Longueville. La postérité du bâtard s’éteignit rapidement ; le
cardinal de Longueville, le dernier descendant mâle de Dunois mourra dément
dans une abbaye à la fin du 17ème siècle. Il avait eu également deux
filles, Marie et Catherine ainsi qu’un bâtard, prénommé Jean comme lui, qui ne
connut pas la fortune de son illustre père.
Bien
qu’il fut l’égal de Du Guesclin et de Bayard, l’histoire a laissé Dunois dans
un oubli injustifié. Or, si l’on excepte l’épisode malheureux de la Praguerie,
Jean d’Orléans fut toujours un fidèle lieutenant du roi Charles VII son
« cousin de la main gauche » selon l’expression d’Emmanuel Bourassin
et ses actions militaires devaient pourtant marquer la fin de la malheureuse
guerre de cent ans.
Bien
qu’il n’ait que rarement séjourné dans notre région, cette terre lui était
chère et l’installation de sa mère à Claix est bien là pour en témoigner. Il
fut et il demeurera incontestablement le plus illustre seigneur de Claix. C’est
du moins mon sentiment et j’espère vous l’avoir fait partager.
Enfin,
de tous ceux que l’histoire a rassemblé sous le terme générique de
« compagnons de Jeanne d’Arc », il fut sans doute celui qui montra le
plus admirable caractère à son égard.
Etait-ce
en pensant à la Pucelle, dont il avait grandement espéré le salut, qu’il fit
graver sur les murs de son oratoire de Beaugency cette prière maintenant à demi
effacée : « mon Dieu, créez en moi un cœur pur ! ».
Mesdames
et Messieurs, ainsi fut le Beau Dunois.