STENDHAL ET CLAIX
Autant on connaît l’acrimonie de Stendhal
pour sa ville natale (« tout ce qui me rappelle Grenoble me fait
horreur », la vie de Henry Brulard), autant Claix avait grâce à ses
yeux, Claix dont il gardera toute sa vie « un ineffaçable souvenir ».
La brève synthèse qui suit traite d’abord des
rapports que Stendhal a entretenus avec Claix (I) puis du village de Claix de
son temps (II).
I – STENDHAL ET CLAIX :
Enfant, Henri Beyle accompagnait son père
deux ou trois fois par semaine pour parcourir « les deux lieues » de
son souvenir (sans doute d’ailleurs un peu plus), entre la maison de la Grande
Rue de Grenoble et celle des « Champs » de Furonnières. « J’ai
fait ce trajet mille fois peut-être » écrira t-il.
S’il n’est sans doute pas tout à fait exact
que Stendhal ait passé à Furonnières « les jours les plus heureux de
son enfance » comme l’indique la plaque apposée en 1986 pour le
bicentenaire de sa naissance, c’est assurément là qu’il découvrit l’évasion par
la lecture et la rêverie.
Il se cachait dans les charmilles du parc
(aujourd’hui disparues) avec les livres « volés » dans la
bibliothèque paternelle en ayant soin « de ne prendre que deux volumes
à la fois et en écartant les autres », notamment les œuvres de
Voltaire mais aussi Don Quichotte « lu sous le second tilleul du coté
du parterre » qui l’amusa énormément.
Stendhal n’est pas un descriptif, on le sait,
et ce qui ne laisse pas de surprendre aujourd’hui c’est que nul témoignage ne
subsiste de ses promenades agricoles imposées par son père dans les environs.
Mieux même, lorsque Pauline Beyle, sa sœur, lui écrira un jour : « …
j’ai fait une découverte charmante, tu connais peut être la cascade
d’Allières : il est inutile de t’en faire la description… », le
futur auteur des « Mémoires d’un touriste » tombera des nues :
il ne connaît pas ce nom et il n’a jamais entendu parler de cette
cascade : « je ne sais point ce que tu entends par cette cascade
d’Allières avec qui tu me supposes en si grande connaissance ».
Tout au plus, mentionnera t-il les tilleuls
de l’allée, arbres chers entre tous à ses yeux. « Ce furent les
premiers amis que j’eus à Paris », écrit-il, « leur sort me
fit pitié : être ainsi taillés. Je les comparais aux beaux tilleuls de
Claix qui avaient le bonheur de vivre au milieu des montagnes… ».
Quant à la « Maison des Champs »,
seule semble avoir grâce à ses yeux sa chambre du deuxième étage. Dans une
lettre de juin 1803 adressée à Pauline, il écrira : « je suis bien
fâché de n’avoir pas prévenu plus tôt de mon voyage à Claix ; j’aurais
prié Papa de me faire arranger ma chambre et j’aurais été tranquille à mon
deuxième étage ».
Cinq ans plus tard, il sera plus
précautionneux : « fais arranger ma chambre de l’angle à Claix ».
De sa prime enfance jusqu’à 1799, date de son
départ pour Paris, Stendhal séjournera souvent à Furonnières et, notamment,
tous les étés pour les « fériés » (août et septembre).
Cet été 1799, justement, on lui offrit un
fusil. Un jour, il s’aventura à l’affût du renard sur le rocher de Comboire, le
visa et… le manqua. On n’en saura pas plus sur son goût de la chasse.
Ensuite, il reviendra plusieurs fois à
Furonnières : sans doute six semaines entre juin 1803 et mars 1804. On
apprend alors qu’il s’y est rendu par Seyssins en lisant le « Dialogue de
Sylla et d’Eucrate » dont il ne sait plus s’il est bien œuvre de
Montesquieu. Il vit alors des instants de grâce : « c’est un
bonheur d’un genre aussi fort que celui du dimanche à Claix où, après avoir
fait les premiers bons vers que j’aie trouvés de ma vie, je dînai seul et sans
gêne avec de bons épinards au jus et de bon pain ».
En mai et juin 1805 il est de retour à Claix.
Peu avant, il avait émis ce curieux diagnostic : « il est très
possible que je devienne fou. En ce cas, je prie qu’on me mène à Claix, ce
n’est que là que je pourrais peut être guérir ».
Il y reviendra en juin 1806.
En 1808, il rêve de se retirer plus tard à
Furonnières : « je voudrais bien que mon père devint assez
riche et bien voulant pour moi pour que je pusse compter sur Claix for my
declining age ».
Après une longue éclipse, il ne retrouvera
Claix et Furonnières que début 1814.
En 1817 il viendra deux fois, au printemps et
à l’automne puis, en 1818, il y passera pour se rendre à Milan.
En 1819, ayant appris la mort de son père,
Chérubin Beyle, Stendhal séjourne à Furonnières du 10 août au 14 septembre pour
assister au règlement de la succession. Il en profitera pour dresser le
catalogue « des livres laissés à Claix » dont il ne reste rien
si ce n’est le meuble en bois de mérisier encore en place dans le
« cabinet », pièce d’angle du rez de chaussée, éclairé par une seule
fenêtre.
Bien qu’ayant promis en 1816 de conserver
« le beau domaine de Claix » il ne pourra le faire, tant la
situation financière laissée par son père était obérée de dettes considérables
dues à sa passion de l’élevage. Il fallut donc se résoudre à vendre Furonnières
pour régler les 120 000 francs dus aux créanciers. Stendhal ne retirera
que 3900 francs de son héritage.
A l’automne 1828, de passage à Grenoble, il
vint rôder dans le plus strict incognito autour du domaine de Furonnières « vendu
à un général » (le général Durand) et acheta quelques grappes de
raisins à des vendangeurs qui bien de « délicieuses » au goût
durent en fait lui paraîtrent bien amères.
Sa dernière visite à Claix semble se placer
entre 1836 et 1839.
Enfin, Stendhal utilisera dans ses écrits de
personnages fictifs inspirés de Claix, tels M. et Mme de Malivert ou Mme de
Claix (Armance) et réels tels Antoine Chelan curé de Risset, dont il garda un
souvenir si fort et si favorable qu’il reprit sans le modifier son nom et
quelques un de ses traits pour en faire le curé de Verrières du « Rouge et
le Noir ».
Plusieurs des repas partagés avec lui sont
racontés par Stendhal dans « la vie de Henry Brulard » ; ainsi,
ce souper tardif où le bon abbé tenant à la main une cuillerée de fraises mais
absorbé par une discussion passionnante oubliait de goûter à son dessert
jusqu’à ce que l’heure de minuit fut passée ce qui n’alla pas sans poser un
problème de jeûne pour la messe du lendemain.
II – FURONNIERES ET CLAIX DU TEMPS DE
STENDHAL
En 1784, un an après la naissance de
l’écrivain, le châtelain de Claix est Barthélemy Borel de la Minière, qui
réside en son château d’Allières sur Claix, le curé Messire Allemand et les
consuls les sieurs Mure et Brun. L’enquête diocésaine décrit 20 hameaux dont
certains « éloignés jusqu’à trois heures » avec « des
chemins très pierreux, très rampants, souvent entrecoupés par des ravins et,
pour ainsi dire, impraticables pendant l’hiver à cause des neiges et des
glaces » (archives de l’évêché de Grenoble).
Il semble probable que le jeune Henri Beyle
ait fait sa première communion à Claix vers 1795 dans l’église paroissiale
Saint Pierre, vieille alors d’au moins huit siècles et qui sera démolie en 1826
pour laisser place, à peu de distance, à l’église actuelle.
Contrairement à ce que l’on a pu écrire, ce
sacrement ne put alors lui être donné par Jean Baptiste Allemand car si
celui-ci fut bien curé de Claix de 1758 à 1810, il s’était retiré de 1794 à
1797 à Eybens chez son frère, en désapprobation de la politique jacobine.
Le hameau de Furonnières, connu dès le 14ème
siècle, n’était alors guère différent de l’image qu’il donne encore de nos
jours. A cet égard, le parcellaire de 1784 en donne une image suggestive avec
ses grandes propriétés bourgeoises : au nord les prairies et hautains de
Cherubin Beyle (aujourd’hui lotissement « les Hauts de
Furonnières »), le château de Furonnières, alors propriété de Charles
Coste, avocat au Parlement du Dauphiné, le four communal, la fontaine publique,
déjà mentionnée en 1655, la propriété de Charles Petit Lavallée, bourgeois, la
« Maison des Champs », propriété de la famille Beyle depuis 1712,
puis, en face, la demeure de Jean Baptiste André, bourgeois, ancienne propriété
de l’hôpital de Grenoble et, plus bas, l’ancienne propriété Fournier, celle des
frères Breton, marchands apothicaires à Grenoble (aujourd’hui « la
Férédie »), l’ancien domaine de Guigues Bonnet Dumolard, substitut du
procureur général du Parlement du Dauphiné et l’ancienne propriété de l’abbé de
Bayle, curé à Champier.
Au-delà des familles nobles, la capitation de
1788 montre Furonnières comme un hameau agricole et artisanal avec sept
fermiers, huit journaliers, un laboureur, un vigneron, un charpentier, un maçon
et… deux pauvres (archives communales, B 25, A 60).
A la même époque les professions qui dominent
sur Claix sont celles de journaliers (64), de fermiers (25), de laboureurs
(22), de vignerons (16), de maçons (5), de cabaretiers (4) mais l’on compte
aussi des charpentiers, des tisserands, des galochers, des tailleurs d’habits…
1790 voit Claix devenir pour douze ans
l’éphémère chef lieu d’un canton composé de Claix, Varces Allières et Risset,
Saint Paul de Varces et Seyssins.
Sous la « Terreur » (qui à Claix ne
mérita guère son nom, hormis le meurtre du sieur Fournier) on ne peut guère
noter que Chérubin Beyle fut décrété « notoirement suspect » ce qui
l’amena à multiplier ses séjours à Claix et à cultiver sa manie de l’
« agriculturomanie ».
Le recensement de la population de septembre
1798 montre que la commune de Claix comprenait alors 297 familles totalisant
1325 habitants, dont 27 familles et 102 personnes pour Furonnières, troisième
hameau par l’importance après ceux du Bourg et de Malhivert.
Claix comporte alors de nombreuses
professions aujourd’hui disparues : des cabaretiers (7), des cordonniers
(7), des charpentiers (5), des tailleurs (4) des charrons (3), des tisserands
(2), des maréchaux ferrants (2), des drapiers (2)…
Le bétail est alors important : 1580
moutons, 204 bœufs, 106 vaches, 67 veaux, 14 chevaux…
Au plan des dessertes routières sont
mentionnés, en 1802, parmi les 14 chemins de Claix, le chemin vicinal du village à Furonnières et le
28 Floral An 11 (18 mai 1803) le chemin de deuxième classe du village à
Furonnières prenant son embranchement sur le chemin de première classe de Claix
à Seyssins et le chemin de troisième classe de Furonnières à la Balme (registre
des délibérations du conseil municipal, volume 1800 – 1815).
En 1808, l’Almanach Général du Département de
l’Isère indique que les 200 têtes de brebis et de béliers de Chérubin Beyle
constituent « le plus beau troupeau qu’il y eut en France ».
Flatteuse distinction qui ruinera pourtant son promoteur.
On terminera par cette vision de Claix en
1843 : la commune couvre alors 2500 hectares, dont 122 de rochers nus, et
comporte 20 hameaux, presque tous conservés de nos jours :
Ø six hameaux dits
« de plaine » : le Bourg, la Ronzy, la Balme, la Chièze, Pont de
Claix et la Bâtie,
Ø neuf dits « de
coteau » : Furonnières, la Côte, les Côtes, Malhivert, Cossey, les
Clots, Allières, Garretières et la Croix,
Ø cinq dits « de
montagne » : Penatières, Bouveyres, le Peuil, Savoyères et Jayères.
(Cf. réponse à la circulaire de Monseigneur,
archives de l’évêché de Grenoble).
Jean Claude MICHEL (juillet 2008)