AIME SERRES, LE POETE DE FURONNIERES

 

Né à la Roche des Arnauds (Hautes Alpes), Aimé Serres, fils de l’ancien conventionnel Jean Joseph Serres, fut receveur des finances durant près de cinquante ans et il n’en garda pas – c’est une litote que de le dire – le meilleur souvenir :

 

« Sur le velours des près aujourd’hui je m’étends

Mais sachez que pendant bien près de cinquante ans

J’eus pour siège automatique

Le rond de cuir bureaucratique !

Sur ce passé maudit, je tire le rideau ;

Rien que son souvenir me fait froid dans le dos ».

 

Veuf, il prit auprès de ses deux filles une retraite largement méritée à Claix et nous a laissé un long poème d’une quarantaine de pages, illustré par lui de seize dessins originaux et composé l’année même de sa mort, intitulé « Furonnières, 1893 ».

Je dois à Madame Cécile Masurel, née Dodelier, qui occupe l’ancienne maison d’Aimé Serres à Furonnières, d’avoir pu prendre copie de ce poème très personnel, jadis publié mais aujourd’hui quasiment introuvable dans son intégralité.

C’est avant tout, ou par-dessus tout, un hymne à Claix en général et à Furonnières en particulier. Qu’on en juge :

 

« Mon hameau s’appelle Furonnières,

Son prénom est Claix étant sur la lisière

Du village adoré dont on voit à deux pas

Le clocher élégant, pour moi si plein d’appas

O Claix ! Charmant séjour, O ma chère commune,

C’est là que mon étoile et ma bonne fortune

M’ont fait trouver enfin, après mille tourments

Repos, santé et tous les agréments

De la vie en famille et de la solitude ».

 

Il s’extasie sur le bourg, sur son clocher et son château dont il nous livre, par ailleurs, un charmant dessin :

 

« C’est Claix, mon charmant Claix

Son clocher qui, pour moi, fut le plus beau du monde

Et de sa ruine bistrée au soleil qui l’inonde ».

 

Il en va de même pour Comboire qu’il décrit non sans emphase :

 

« Suivez moi donc, lecteur, si vous voulez me croire

De ce pas nous allons escalader Comboire

De tous nos environs c’est le point culminant... »

…………………………………………………………………..

Que c’est grand, ô mon Dieu !

Quel coup d’œil magnifique,

Sublime, ravissant : quelle scène magique !

C’est un paysage idéal !

Qui je mets au défi le plus fameux touriste,

Du pole nord au pole austral

D’en trouver un pareil à noter sur sa liste ».

 

Il fait ensuite une mention particulière pour le cours Saint André qui se voit si bien depuis le rocher de Comboire :

 

« Devant nous, admirez ce cordon de verdure

Ce chapelet sans fin interminable

D’arbres aux verts rameaux à la haute stature

Qui relie en berceaux Grenoble au Pont de Claix

C’est le cours Saint André, la route sans pareille

Jamais dans leur orgueil, ni Bordeaux, ni Marseille,

Ni Lyon, ni Paris, grands centres populeux

N’auront un vestibule aussi majestueux ».

 

Et il n’oublie pas davantage les deux ponts de Claix :

 

« Au bout de notre cours, l’un et l’autre accolés

Se trouvent les deux ponts que l’ont nomme ponts de Claix

Le plus haut, le plus vieux, bâti par Lesdiguières

En baron féodal porte sa voûte altière ;

Du haut de sa grandeur il toise son rival

Et le prend en pitié comme son piédestal ».

 

Il évoque également Allières :

 

« le vieux château d’Allières,

Bien déchu mais jadis grande gentilhommière

Domine son plateau, rappelant au puissant

Que le sort des châteaux et des rois est changeant ».

 

De même que sa cascade que l’un de ses dessins nomme « cascade de Jayères » :

 

« Non loin de ce manoir se trouve la cascade

Qui souvent fut pour nous un but de promenade ;

Un but de pêche aussi car ses limpides eaux

Tombent en écumant du haut d’un précipice

Où foisonnent la truite et surtout l’écrevisse ».

 

Il s’attarde également au pic Saint Michel :

 

« Voyez ce roc altier ; c’est le pic Saint Michel

Et comme le dragon écrasé par l’archange

A ses pieds est couché le plateau de Saint Ange ».

 

Sur lequel il conclut sa rapide description préalable :

 

« Mais c’est assez, lecteur, faisons la révérence

A ce panorama, l’un des plus beaux de France ».

 

Il en vient alors, fort longuement, à sa propriété de Furonnières si chère à son cœur :

 

« Ici j’ai revécu, refait mon existence,   

Raffermi ma santé, trouvé l’indépendance ».

 

Celle-ci comportait, comme de nos jours, deux bâtiments, une maison principale et une dépendance que, par dérision, il nomme « Versailles » et « le petit Trianon ». Il assimile la première à un cottage, expression sans doute à la mode à la fin du 19ème siècle.

 

« Commençons, c’est de droit, par notre grand cottage

Sur le rez de chaussée, avec un seul étage,

Il est, comme on dit plaisamment à Bordeaux,

(charmante expression) il est : bas de cerveau

Il peut bien mesurer en long trente deux mètres

Mais en revanche il n’a que huit mètres de haut ».

 

Il décrit ensuite, avec moult détails, les pièces principales, manifestant toutefois quelque humeur en ce qui concerne la cuisine :

 

« Car vous n’attendez pas de moi, je m’imagine,

Que j’aille vous décrire en détails ma cuisine.

En vanter les apprêts ? Je dirai simplement

Qu’ils sont bons quelquefois, mauvais le plus souvent ».

 

Il en fait ensuite de même pour le second bâtiment :

 

« Quittons donc sur le champ cet antique Versailles

Pour aller visiter mon petit Trianon.

C’est moi qui lui donnai ce gentil petit nom ».

 

Et l’on sent qu’il porte un attachement tout particulier à cet édifice, pourtant bien plus petit que son « cottage ».

 

« Mes dieux lares sont là : c’est le vrai sanctuaire

Et le lieu sacro saint du pauvre octogénaire ».

 

Il décrit ensuite les communs : écurie, remise et hangar et conclut son tour du propriétaire sur cet apophtegme :

 

« Quand on n’a pas ce que l’on aime, il faut aimer ce que l’on a ».

 

Puis le poème se poursuit par une description du parc :

 

« Voici tout près de nous deux jolis bancs jumeaux

Nous pourrons voir d’ici voir jaillir les belles eaux

De notre admirable fontaine

Vrai parangon de ce domaine ».

Puis vient la description du portail coiffé de clématite et enfin la serre :

 

« Comme la lune et les saisons

Les verres ont aussi leurs phrases

En hiver celle-ci contient douze cents vases ».

 

Puis un passage, le seul, où il évoque ses filles, Jane et Madelaine, maîtresses des lieux :

 

« Ici tout est soumis à mes charmantes filles,

Ardentes au travail, pleines de cœur, gentilles ».

……………………………………………………………

Les voyez vous – la bas – mes deux charmantes filles

Pour bichonner nos fleurs, délaissant leurs aiguilles ».

 

Aimé Serres devait décéder le 19 février 1893, laissant son poème inachevé. La fin de celui-ci a pu être reconstituée postérieurement grâce aux notes qu’il avait laissées. Elles n’apportent guère si ce n’est cette sereine philosophie, couchée sur le papier quelques jours avant sa mort subite :

 

« J’ai mes quatre vingt ans bien sonnés, révolus,

D’ordinaire à cet âge on est mort ou perclus :

Hé bien, je vous dirai, ceci n’est pas un conte,

Que plus mon corps s’affaisse et plus mon esprit monte ».

 

Ainsi que cette postface en guise de regret :

 

« Si mes vers n’ont pas eu la chance de vous plaire,

Attribuez le, cher lecteur,

A la vieillesse de l’auteur,

De l’impuissant octogénaire ».

 

Aimé Serres repose à jamais dans le cimetière de Claix, au cœur de sa chère commune, à quelques centaines de mètres de son « Clos de Furonnières » qu’il a passionnément aimé.